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Le droit en débats

Face aux détentions provisoires à rallonge des mis en examen, le délai raisonnable comme ultime rempart

Par Quentin Mycinski le 30 Juin 2023

« Fais attention, parce que le temporaire, des fois, ça dure longtemps ». Peut-être certains se souviennent de ce conseil donné à Romain Duris par son grand-père dans le film Les Poupées russes. Il en est de même de la détention dite « provisoire », et nombreux sont les mis en examen, prévenus, accusés, à l’avoir découvert à leurs dépens.

Ainsi, en France, le nombre de détenus en détention provisoire était, le 1er mars 2023 de 19 407.

Lorsque la détention provisoire résulte d’une instruction, celle-ci peut être particulièrement longue et le mis en examen détenu peut être tenté d’invoquer la violation du délai raisonnable pour obtenir sa mise en liberté, en particulier lorsqu’il a le sentiment que l’instruction n’avance pas, ou, à tout le moins, qu’il n’est pas interrogé par le magistrat instructeur.

Outre l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le législateur a prévu, à l’article 144-1 du code de procédure pénale : « La détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité. »

Par plusieurs arrêts récents, la chambre criminelle de la Cour de cassation a montré qu’elle n’était pas insensible à l’argument tiré de cette violation du délai raisonnable.

La Cour de cassation a aujourd’hui consacré le respect du délai raisonnable en matière de détention provisoire dans le cadre de l’instruction et exige des juges du fond une motivation renforcée.

La consécration par la Cour de cassation du respect du délai raisonnable de détention provisoire résultant d’une instruction

L’apparente inutilité de l’invocation de la violation du délai raisonnable en matière de détention provisoire

Le législateur a encadré dans de nombreux délais la durée de la détention provisoire dans le cadre de l’instruction :

  • en matière correctionnelle, la détention provisoire ne peut être ordonnée que pour une durée de quatre mois et ne peut, en outre, durer plus de un ou deux ans en fonction des infractions reprochées et du lieu de commission de l’infraction1 ;
  • en matière criminelle, la détention provisoire ne peut être ordonnée que pour une durée d’un an et ne peut, en outre, durer plus de deux à quatre ans, en fonction des infractions reprochées et du lieu de commission des faits2.

Le législateur a, par ailleurs, prévu l’encadrement des voies de recours dans des délais très courts.

  • en cas d’appel d’une ordonnance de placement en détention provisoire, la chambre de l’instruction doit statuer dans les dix jours et, en cas d’appel d’une ordonnance de refus de mise en liberté ou de prolongation de la détention provisoire, dans les quinze jours3. Ces délais sont augmentés de cinq jours en cas de demande de comparution personnelle de l’intéressé4 ;
  • en cas de pourvoi en cassation, la Cour de cassation doit statuer dans les trois mois5 ;
  • en cas de cassation, la chambre de l’instruction doit statuer dans un délai de dix ou quinze jours, selon que la cassation intervient sur une décision de placement ou de prolongation de la détention provisoire6.

À travers cette multitude de délais, le législateur a voulu limiter les possibilités de recourir à la détention provisoire et l’a limitée dans le temps.

L’invocation de la violation du délai raisonnable pourrait, de ce fait, paraître surabondante, et donc inutile.

Tel n’est pourtant pas le cas, et il existe plusieurs hypothèses où il apparaît opportun de se fonder sur la violation du délai raisonnable pour tenter d’obtenir la mise en liberté du mis en examen.

La réelle utilité de l’invocation de la violation du délai raisonnable en matière de détention provisoire

Quand bien même le législateur a prévu de nombreux délais, il n’a pas prévu toutes les situations.

  • aucun délai n’est prévu pour l’enregistrement d’un appel fait par le mis en examen depuis la détention ;
  • aucun délai n’est prévu pour la transmission à la Cour de cassation d’un arrêt de chambre de l’instruction confirmant un placement, une prolongation de détention provisoire ou un rejet de mise en liberté, en cas de pourvoi ;
  • aucun délai n’est prévu pour que la Cour de cassation transmette au parquet général les arrêts de cassation avec renvoi.

Or, les délais d’audiencement ne courent qu’à compter de l’enregistrement de l’appel7, de la réception de l’arrêt, selon les cas, par le parquet général de la cour d’appel8 ou par le greffe de la Cour de cassation9.

De ce fait, il peut, par exemple, s’écouler bien plus de trois mois entre le jour où le pourvoi a été formé et le jour où la Cour de cassation statue.

Le législateur n’a pas non plus prévu de délai pour qu’il soit statué de manière définitive sur une prolongation de la détention provisoire. Or, ce délai est parfois particulièrement long, notamment dans les cas où la Cour de cassation casse à plusieurs reprises les arrêts de la chambre de l’instruction prolongeant la détention provisoire.

À ce titre, un arrêt rendu le 17 janvier 2023 est particulièrement éloquent : voilà une ordonnance de prolongation de la détention provisoire rendue le 12 avril 2022. La chambre de l’instruction confirme la prolongation. Un premier pourvoi est formé. Le 10 août 2022, la Cour de cassation casse l’arrêt et renvoie devant la chambre de l’instruction, laquelle confirme à nouveau la détention provisoire par arrêt du 2 septembre 2022. Nouveau pourvoi et nouvelle cassation avec renvoi le 17 janvier 202310. Dans cette espèce, cela signifie que, 9 mois après l’ordonnance de prolongation de la détention provisoire, celle-ci n’est toujours pas définitive.

L’effectivité du recours pose alors nécessairement question, pour une détention dite provisoire : certains auront eu la chance d’obtenir leur mise en liberté avant d’obtenir une décision définitive sur une prolongation initiale, d’autres, moins chanceux verront leur pourvoi sans objet, une ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel ou de mise en accusation devant la Cour d’assises étant rendue entre temps avec un maintien en détention.

Dans ces conditions, il peut être utile d’invoquer le délai raisonnable. La Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de se prononcer sur un tel cas. Par un arrêt du 20 avril 202211, elle a ainsi considéré que le respect du délai raisonnable devait s’apprécier non pas en prenant uniquement en considération le délai compris entre la date de l’arrêt de cassation et la décision par elle rendue, mais en prenant pour point de départ la date de formulation de la demande d’élargissement ou d’introduction du recours et pour terme la décision par laquelle il est définitivement statué sur la légalité de la détention de la personne détenue.

Tel est également le cas lorsqu’une instruction n’avance pas et que le mis en examen n’a toujours pas été entendu après un an de détention provisoire, le législateur n’ayant, là encore pas prévu de délai pour un premier interrogatoire au fond.

Une exigence de motivation renforcée par les juridictions de l’éventuelle violation du délai raisonnable

La nécessaire appréciation par la chambre de l’instruction de l’éventuelle violation du délai raisonnable

La Cour de cassation a eu l’occasion, à de multiples reprises, d’indiquer que la chambre de l’instruction est tenue de répondre au moyen tiré de la violation du délai raisonnable de la détention provisoire au cours de l’instruction.

Cette obligation semble s’imposer, quelle que soit l’hypothèse de violation du délai raisonnable allégué.

Il en est ainsi lorsque le détenu invoque la violation du délai raisonnable de la détention provisoire en l’absence d’interrogatoire pendant la première année de sa détention12.

Il en est de même lorsque le détenu invoque la violation du délai raisonnable en l’absence de décision définitive sur une décision de refus de mise en liberté après confirmation par la chambre de l’instruction, cassation, puis nouvelle confirmation par la chambre de l’instruction13.

Il en est enfin ainsi lorsqu’un détenu invoque la violation du délai raisonnable pour la retranscription de l’appel interjeté depuis la prison et de la date d’audience tardive qui en est résulté14.

Si les juges du fond sont tenus de répondre à l’argument tiré de la violation du délai raisonnable, la Cour de cassation juge qu’ils apprécient souverainement si une telle violation est ou non caractérisée15.

La Cour de cassation ne se livre donc qu’à un contrôle de l’exigence de motivation. Cette exigence de motivation semble néanmoins renforcée, la Cour de cassation vérifiant que la durée de la détention provisoire a été appréciée in concreto.

L’exigence d’une motivation in concreto pour justifier d’une violation ou non du délai raisonnable

La Cour de cassation se montre exigeante dans son appréciation du délai raisonnable de la détention provisoire et n’hésite pas à censurer des arrêts qui ne seraient pas motivés in concreto.

Ainsi, par un arrêt du 11 décembre 201816, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’une chambre de l’instruction, reprochant à celle-ci de n’avoir pas répondu « aux conclusions du mis en examen selon lesquelles la durée de la détention provisoire a excédé une durée raisonnable au regard de la complexité des faits et de celle de la procédure ».

Surtout, la Cour de cassation a eu, à plusieurs reprises, l’occasion de se pencher sur des arrêts de chambres de l’instruction prolongeant la détention provisoire au-delà d’un an alors que le mis en examen n’avait pas encore été interrogé. Elle a notamment considéré qu’il appartenait à la chambre de l’instruction de caractériser les éléments concrets de nature à expliquer le délai de comparution de la personne mise en examen pour un premier interrogatoire au fond et à justifier la durée de la détention provisoire de la détention provisoire. La Cour de cassation a précisé que ne constituaient pas de telles circonstances :

  • un changement de juge d’instruction17 ;
  • le report de l’interrogatoire en raison de l’absence du greffier le jour de l’interrogatoire18 ;
  • le fait qu’un interrogatoire soir prévu quatre jours après le délai d’un an19 ;
  • le fait que le mis en examen ait répondu aux questions lors de l’interrogatoire de première comparution20 ;
  • le fait qu’une requête en nullité ait pu ralentir le cours de la procédure21 ;
  • le fait qu’une commission rogatoire et des expertises soient en cours22 ;
  • la position du mis en examen sur les faits qui lui sont reprochés23.

Ce faisant, la Cour de cassation s’éloigne d’une appréciation purement souveraine par les juges du fond de la violation ou non du délai raisonnable.

Cet interventionnisme semble néanmoins indispensable à l’harmonisation des jurisprudences particulièrement variables compte tenu du caractère nécessairement flou de ce que constitue un délai raisonnable.

Les moyens tirés de la violation du délai raisonnable sont, semble-t-il, amenés à se multiplier, en particulier concernant cette question de l’absence d’interrogatoire durant la première année de détention provisoire, tant les cabinets d’instruction sont engorgés.

À défaut de précisions législatives, nul doute que d’autres arrêts viendront affiner ce qui peut justifier un tel délai de comparution pour un premier interrogatoire au fond.

Il en est de même concernant la possibilité d’obtenir une décision définitive à la suite de recours contre des décisions de refus de mise en liberté ou de prolongation de la détention provisoire.

Dans l’attente de telles précisions, qu’elles soient jurisprudentielles ou législatives, le provisoire dure, hélas souvent, trop longtemps lorsqu’il s’agit de détention.

 

1. C. pr. pén., art. 145-1.
2. C. pr. pén., art. 145-2.
3. C. pr. pén., art. 194.
4. C. pr. pén., art. 199.
5. C. pr. pén., art. 567-2.
6. C. pr. pén., art. 194-1.
7. Crim. 7 mars 2023, n° 22-87.293.
8. C. pr. pén., art. 194-1.
9. C. pr. pén., art. 567-2.
10. Crim. 17 janv. 2023, n° 22-86.195.
11. Crim. 20 avr. 2022, n° 22-80.479.
12. Crim. 5 oct. 2016, n° 16-84.590 ; 22 nov. 2022, n° 22-85.244 ; 17 janv. 2023, n° 22-86.195.
13. Crim. 20 avr. 2022, n° 22-80.479.
14. Crim. 7 mars 2023, n° 22-87.293.
15. Crim. 20 févr. 2002, n° 01-88.116 ; 3 nov. 2011, n° 11-86.372.
16. Crim. 11 déc. 2018, n° 18-85.812.
17. Crim. 5 oct. 2016, n° 16-84.590.
18. Ibid.
19. Crim. 17 janv. 2023, n° 22-86.195.
20. Crim. 22 nov. 2022, n° 22-85.244.
21. Crim. 28 mars 2023, n° 23-80.316.
22. Crim. 28 mars 2023, n° 23-80.218.
23. Ibid.