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Le droit en débats

Projet de code de DIP - Filiation : l’article 59 du projet de code de droit international privé (1/2)

Alors que le ministère de la Justice a soumis à la consultation publique le projet de code de droit international privé, les contributions des parties prenantes étant attendues jusqu’au 30 novembre inclus, Dalloz actualité vous propose, sous la direction des professeures Sandrine Clavel et Estelle Gallant, de suivre cette réflexion au travers d’une série de commentaires, généraux ou thématiques, de ce projet. La professeure Estelle Gallant décrypte ici les propositions formulées par le projet en matière de filiation (1/2 : Règle générale ; 2/2 : Règles spéciales).

Par Estelle Gallant le 21 Novembre 2022

Le projet de code de droit international privé consacre à la filiation une sous-section entière comprenant cinq paragraphes, lesquels permettent de distinguer divers aspects de la filiation internationale, ce qui est assurément une bonne initiative : la filiation biologique, l’assistance médicale assistée avec tiers donneur (on aurait peut-être pu préciser « la filiation issue de… »), la gestation pour autrui réalisée à l’étranger, les effets de la filiation et l’adoption sont ainsi visés par les articles 59 à 70 du projet de code.

Le projet de code consacre à la filiation biologique un premier paragraphe, contenant trois articles articulés autour d’une règle générale (art. 59 du projet de code) et deux règles spéciales (art. 60 et 61 du projet de code). Ces dispositions sont présentées par les rédacteurs du projet comme une refonte du système existant, figurant aux articles 311-14, 311-15 et 311-17 du code civil1. L’analyse montre que le projet reprend la structure et le système existants et que, finalement, seule la règle générale est véritablement refondue2, les règles spéciales étant simplement reformulées et précisées à la marge. Avec une formulation améliorée, l’ensemble constitue un dispositif clair et précis.

Le présent commentaire s’attachera à présenter, brièvement, la règle générale en matière de filiation biologique, les règles spéciales faisant l’objet d’un commentaire ultérieur. Au sein de la règle générale, la substitution de la loi nationale de l’enfant à la loi nationale de la mère constitue l’apport le plus positif du projet.

En indiquant que, « si le présent code n’en dispose autrement, l’établissement et la contestation de la filiation » sont régis par la loi nationale de l’enfant, l’article 59 se présente comme une disposition générale de principe. Le texte appelle des précisions aussi bien quant à son champ d’application que quant au rattachement retenu, qui rompt avec les solutions jusque-là admises.

Champ d’application de l’article 59 du projet de code

L’article 59, alinéa 1er, du projet de code vise « l’établissement et la contestation de la filiation », là où le texte actuel concerne « la filiation ». La précision est utile en ce qu’elle améliore la lisibilité des dispositions.

Le texte contient une précision inédite en ce qui concerne l’inclusion dans le champ de l’article du règlement des conflits de filiations (art. 59, al. 2). La loi nationale de l’enfant régit ainsi non seulement l’établissement et la contestation de la filiation, mais aussi le règlement des conflits de filiations. La solution est empreinte d’une certaine logique et n’appellerait pas de commentaire particulier si elle ne devait pas être combinée avec la règle spéciale de l’article 60, et ce à deux stades différents. Comme nous le verrons ultérieurement, l’article 60 concerne spécifiquement les reconnaissances d’enfants.

En premier lieu, on peut imaginer qu’en présence d’un enfant pour lequel deux filiations paternelles seraient établies, l’une par exemple tirée d’une présomption de paternité du mari de la mère et l’autre d’une reconnaissance volontaire, le droit national de l’enfant déterminera laquelle de ces deux filiations prime sur l’autre en vertu d’un éventuel critère chronologique et quelle filiation devra être contestée. Mais, si la reconnaissance doit être contestée dans le cadre d’un tel conflit de filiations, elle devra l’être non pas en vertu de la loi nationale désignée par l’article 59 du projet de code, mais en vertu des lois cumulativement désignées par l’article 60. Finalement, et à l’instar du droit positif issu des articles 311-14 et 311-17 du code civil, la combinaison des articles 59 et 60 est plus clémente vis-à-vis de la paternité dans le mariage (qui devra être contestée selon les conditions d’une seule loi) que vis-à-vis de la paternité hors mariage (qui devra être contestée aux conditions cumulées de deux lois).

En second lieu, il convient de noter que l’article 60 du projet de code contient une règle matérielle propre aux conflits de filiations établies par reconnaissances, qui vient finalement déroger à l’article 59, alinéa 2.

Nouveau rattachement

L’actuel article 311-14 du code civil, en désignant la loi nationale de la mère au jour de la naissance de l’enfant pour régir sa filiation, fait désormais l’objet de critiques unanimes, notamment pour son caractère inégalitaire et non spécifiquement adapté.

Le projet s’attache ainsi à gommer la critique en désignant la loi nationale de l’enfant, consacrant ainsi une proposition qui avait été faite en doctrine dès 19723. À l’instar du texte actuel, le projet apporte une solution au conflit mobile en fixant au jour de la naissance le rattachement à la nationalité de l’enfant. La suppression du rattachement à la nationalité de la mère est digne d’approbation. Outre les difficultés liées à l’hypothèse d’une mère inconnue et conduisant à adopter un rattachement subsidiaire, l’une des critiques les plus virulentes adressées au rattachement à la nationalité de la mère était qu’il avait pour défaut d’empêcher l’établissement du lien de filiation paternelle lorsque la mère était de statut personnel prohibitif d’un lien de filiation hors mariage et ce, y compris en présence d’un défendeur français ou d’un enfant français ou résidant en France. Si l’exception d’ordre public a pu être utilisée par la jurisprudence pour contrecarrer ce résultat, son utilisation systématique dans ce cas de figure n’est que récente4. On peut noter que le projet de code prévoit précisément cette hypothèse à l’article 59, alinéa 3 :

« si, en raison d’une discrimination liée aux circonstances de sa naissance, [la] loi [applicable] refuse à l’enfant le droit d’établir sa filiation, le droit français est applicable, dès lors que les juridictions françaises sont compétentes en vertu du présent code ».

La règle peut être analysée en une clause spéciale d’ordre public permettant de substituer à la loi étrangère prohibitive la loi française, dès lors que les juridictions françaises sont saisies. Le lien exigé entre la situation et le territoire du for pour que l’exception se déclenche est réalisé dès lors que les juridictions françaises sont compétentes au regard des règles de compétence internationales françaises. En vertu de l’article 34 du projet de code, les juridictions compétentes en matière de filiation sont celles du lieu du domicile ou de la résidence habituelle de l’enfant. L’alignement entre critère de compétence et critère de déclenchement de l’ordre public est intéressant et permettra, plus que par le passé, de couvrir l’ensemble des situations qui sont susceptibles de heurter l’ordre public international (enfant français ou résidant en France, mais aussi surtout défendeur français ou résidant en France).

Si la suppression du rattachement à la nationalité de la mère ne peut qu’être approuvée, le rattachement à la nationalité de l’enfant5 peut peut-être être questionné par rapport à la loi de sa résidence habituelle, retenue par le droit international privé suisse par exemple.

 

Notes

1. V. p. 35 du projet.

2. En ce sens, v. M. Farge, Le destin des articles 311-14 et suivants du code civil dans le projet de code de droit international privé, Dr. fam. n° 6, juin 2022, dossier 10, spéc. n° 5.

3. En droit international privé comparé, on trouve une solution identique dans le code de droit international privé belge (loi portant code de droit international privé, art. 62) et dans le code de droit international privé monégasque (loi relative au droit international privé, art. 43). À l’inverse, en droit international privé suisse, le rattachement à la résidence habituelle de l’enfant est privilégié (LFDIP, art. 68).

4. Civ. 1re, 26 oct.. 2011, n° 09-71.369, D. 2011. 2728 ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2012. 50, obs. E. Viganotti ; 27 sept. 2017, n° 16-19.654, Dalloz actualité, 16 oct. 2017, obs. F. Mélin; D. 2017. 2518 , note J. Guillaumé ; ibid. 2018. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2018. 41, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2018. 882, note D. Boden ; 16 déc. 2020, n° 19-20.948, Dalloz actualité, 25 janv. 2021, obs. A. Panet ; D. 2021. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1602, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; RTD civ. 2021. 111, obs. A.-M. Leroyer .

5. Retenu par le code de droit international privé belge et le code de droit international privé monégasque par exemple.