Alors que le temps était aux réjouissances pour tous les enfants conçus grâce à une fécondation in vitro, effectuée grâce aux gamètes du couple ou de donneurs, voire d’une GPA, car Amandine vient de fêter ses 40 ans, la guerre déclarée en Ukraine a causé de grands drames. Amandine est le premier « bébé-éprouvette » né en France le 24 février 1982, après Louise Brown, née en Angleterre le 25 juillet 1978. En effet, le professeur René Frydman a ouvert la voie à la fécondation in vitro (FIV) et à l’assistance médicale à la procréation (AMP), même si, à l’époque, on pouvait déjà recourir à une insémination artificielle, y compris avec donneur.
En utilisant la voie de la FIV, il est possible de mettre en contact un ovule (après stimulation des ovaires) et des spermatozoïdes en dehors de l’appareil génital féminin, raison pour laquelle est née l’expression « bébé-éprouvette » lorsqu’Amandine a vu le jour. Après cette étape marquante, tant d’enfants ont été procréés, y compris en recourant à l’aide d’une mère porteuse lorsque la femme du couple avait des problèmes pour être mère gestatrice ou était stérile ou encore lorsque des couples d’hommes désiraient être pères.
Cette technique de la GPA reste à ce jour prohibée en France (malgré la loi bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021), que le couple envisage ou non de rémunérer la mère porteuse, néanmoins les personnes qui veulent devenir parents et n’y parviennent pas seules peuvent se rendre à l’étranger. Elles peuvent faire leurs démarches dans des États qui ont une législation plus permissive que la France, avec des conceptions et des valeurs abordées différemment.
Quitter l’Hexagone pour tenter de faire naître un enfant – soit par une insémination artificielle avec donneur (tant qu’elle était interdite en France pour une femme seule ou des couples de femmes, avant la réforme bioéthique de 2021), soit par une GPA – revient à opter pour du « tourisme procréatif » (J.-J. Lemouland, Le tourisme procréatif, LPA 28 mars 2011, p. 24).
Selon les cas, l’enfant est conçu à partir des gamètes du couple commanditaire ou de l’un des parents et d’un donneur, ou encore à partir de gamètes extérieurs au couple. La mère porteuse peut aussi porter un enfant conçu, après insémination grâce aux gamètes du père d’intention ou d’un donneur et ses propres ovocytes. Dans la première hypothèse, il s’agit d’une gestation pour autrui, car la mère porteuse ne porte pas son enfant, et dans la seconde, d’une procréation pour autrui, la mère porteuse étant la mère biologique de l’enfant. De nombreuses personnes infertiles font le choix de contourner la loi française et de rechercher une mère porteuse, notamment ukrainienne.
La possibilité de se rendre en Ukraine pour tenter de devenir parent grâce à la GPA
L’Ukraine est la destination privilégiée pour les Européens qui veulent recourir à la GPA, en particulier depuis la fermeture aux Français et aux autres étrangers des centres installés en Inde ou en Thaïlande, et en raison du coût plus élevé de la GPA aux États-Unis. Dès lors, l’Ukraine est considérée comme le principal centre européen de GPA en raison des règles juridiques applicables dans ce pays, cet État autorisant le recours aux mères porteuses même pour des Français.
Interdite en France, cette « maternité de substitution » ou « maternité pour autrui », qui permet pour une femme de porter un enfant pour le compte d’une personne ou d’un couple infertile, désignés en France par l’expression « parents d’intention » ou « parents commanditaires », est très courante en Ukraine, qui accueille tout désir d’enfant. De nombreuses agences de gestation pour autrui sont effectivement installées dans ce pays et accueillent notamment des Français (selon des chiffres relevés dans Le Monde du 18 mars 2022, chaque année, plusieurs dizaines de couples français se rendent en Ukraine pour concrétiser leur projet parental).
Ce pays connaît un grand succès en la matière car les parents d’intention sont automatiquement considérés comme les père et mère du nouveau-né à l’état civil, conformément à l’article 123 (2) du code ukrainien de la famille. Lors de l’accouchement de la mère porteuse, les enfants sont enregistrés au nom de leurs parents d’intention étrangers, lesquels contactent ensuite les instances consulaires pour obtenir un passeport pour le nouveau-né afin de rentrer dans leur pays.
Dans le cadre de la GPA, l’enfant mis au monde par la mère porteuse doit être remis aux parents d’intention à la naissance, conformément au contrat conclu préalablement. Toutefois, tout a été chamboulé avec le démarrage du conflit armé en Ukraine, des tragédies étant vécues à la fois par les personnes qui avaient recours à la maternité de substitution, par les mères porteuses et par les enfants dont elles ont accouché ou qu’elles devaient mettre au monde.
Les retombées de la guerre sur les parents d’intention, dans l’impossibilité de se rendre en Ukraine
Depuis le début du conflit armé, des tragédies supplémentaires se sont ajoutées aux décès de militaires ou civils, car les futurs parents de l’enfant mis au monde par la mère porteuse n’ont pas pu faire le voyage pour venir récupérer le nouveau-né dont la naissance était programmée. Leur projet parental s’est effondré et le sort du nouveau-né s’est compliqué car la mère porteuse n’avait jamais imaginé devoir s’en occuper.
Par ailleurs, à ce stade, ils ne sont pas considérés juridiquement comme les parents car il ne leur a pas été possible d’obtenir les documents d’état civil nécessaires à l’établissement du lien de filiation avec l’enfant né en Ukraine. Parallèlement, ils n’ont pas pu détenir de livret de famille à la suite de cette naissance ou faire mentionner cet enfant sur leur livret de famille. De plus, les parents d’intention qui avaient pu venir chercher le nouveau-né ont rencontré de grandes difficultés à repartir avec lui parce que la guerre a fait quitter le pays aux autorités consulaires, ce qui a empêché les familles d’obtenir le passeport nécessaire à leur retour en France ou dans leur pays d’origine. Le rapatriement du couple s’est avéré d’autant plus compliqué compte tenu des démarches administratives à effectuer en cas d’adoption, démarches rendues impossibles du fait de l’invasion par la Russie.
Des difficultés d’une autre nature ont été rencontrées par les Français ayant commandité la procréation d’un enfant en contactant une mère ukrainienne et qui sont arrivés sur place mais se sont trouvés pris sous les bombardements, des nouveau-nés ayant du coup perdu leur futur père ou leur future mère et se sont trouvés totalement délaissés.
Des familles ont encore vécu d’autres drames, se trouvant bloquées dans des villes attaquées par la Russie et dans l’impossibilité de reprendre la route en voiture, en train ou en avion. Pour beaucoup, le rapatriement n’a pas été possible.
Les commanditaires ont encore été confrontés à des situations inattendues avec des femmes qui, ayant accouché et n’ayant pas pu mettre le nouveau-né entre leurs bras, ont vécu avec lui en attendant l’arrivée des futurs parents. Le problème c’est que des liens affectifs forts se sont parfois créés et que les mères porteuses se sont comportées en mères et n’ont plus voulu se séparer de leur enfant, enfant qu’elles ont mis au monde mais qui est tantôt issu de leur ovocyte, tantôt issu de l’ovocyte de la femme qui a eu besoin de recourir à une maternité de substitution. Alors que la mère porteuse avait renoncé à ses droits parentaux par contrat, les circonstances liées à la guerre ont perturbé la remise de l’enfant aux parents d’intention.
La guerre a également compliqué d’une autre manière la situation des personnes programmant une GPA. En effet, certains clients français en contact avec des agences ukrainiennes de GPA se lamentent sur le sort de leurs embryons congelés ou des échecs d’implantation et d’autres s’insurgent contre des cliniques fermées. Les embryons sont toutefois conservés apparemment dans des abris antiatomiques (Marianne, 1er mars 2022).
Les retombées de la guerre sur les mères porteuses laissées en plein désarroi
Des femmes enceintes après une GPA ont été contraintes à un exode brutal et elles n’ont pas pu toujours maintenir des liens avec les parents d’intention. Nombre d’entre elles ont aussi souffert de ne pas avoir pu être rémunérées alors que l’utilisation de leurs capacités reproductives avait été programmée moyennant finance (O. Elkaim, Éthique et GPA : le corps des femmes est devenu une source de matière première, La Vie, 24 mars 2022).
Le fait que la GPA soit interdite en France (C. civ., art. 16-7 et 16-9) a encore empêché que les commanditaires reviennent France avec la mère porteuse car, si elle avait accouché dans l’Hexagone, ils n’auraient eu aucun droit sur l’enfant.
Avec cette invasion par la Russie, les mères porteuses ont traversé de grandes difficultés, n’ayant personne à qui remettre l’enfant à sa naissance et ne recevant aucune rémunération. De tels drames, liés à la guerre ou à la crise sanitaire, laissent penser à une certaine forme d’esclavage pour ces femmes sollicitées et non soutenues (W. Correa da Silva, Invasion de l’Ukraine : les mères porteuses et les bébés issus de GPA en danger, The Conversation, 19 avr. 2022).
En ces temps terribles, la santé des futures mères est inquiétante aussi car la médecine de guerre prime et elles ont dû être délaissées. Par ailleurs, certaines sont décédées parce que les médecins ont tenté d’accélérer la fin de la grossesse et leur accouchement. Dans ce contexte, le sort des mères porteuses a de quoi inquiéter.
Les retombées de la guerre sur les enfants issus d’une GPA, privés du cercle familial programmé
Du côté des enfants, la guerre en Ukraine est effroyable aussi. Certes, lors de tout conflit armé, les enfants sont des victimes car ils se retrouvent séparés de leur famille, privés de toute protection et deviennent malheureusement parfois orphelins. C’est encore plus délicat quand leur naissance a pu être programmée grâce à une GPA, mères porteuses et enfants issus de cette pratique étant particulièrement vulnérables. Les enfants nés d’une mère porteuse souffrent particulièrement de la guerre car, bloqués par l’invasion de la Russie, ils attendent dans des pouponnières, mais il est difficile de les placer dans un endroit sûr.
Dès leur naissance, ils auraient dû pouvoir être confiés aux personnes qui désiraient devenir parents et avaient porté un projet parental, impossible à mener en France, en faisant le choix de se rendre dans ce pays. Les commanditaires ne pouvant pas passer la frontière ou craignant pour leur vie, de nombreux nouveau-nés ont de fait été abandonnés, privés de soutien éducatif, de liens affectifs et parfois même de nourriture. Beaucoup de cliniques et d’agences de GPA se sont trouvées au cœur des attaques et les médias ont diffusé des images de nouveau-nés recueillis dans des maternités de fortune, situation particulièrement déplorable lorsqu’ils avaient besoin de soins intensifs.
Il est dès lors bien délicat de savoir comment assurer leur sécurité mais aussi leur bien-être. Il est compliqué surtout de créer des liens de filiation, que ce soit par la désignation dans l’acte de naissance ou par la voie de l’adoption dans un pays en guerre.
Pour autant, il ne faut pas que l’on en vienne à accélérer les procédures d’adoption internationale, car même en temps de guerre, il importe de bien respecter les normes internationales. Que les enfants soient orphelins parce que leurs parents ont été victimes de la guerre ou qu’ils soient abandonnés puisque les personnes qui avaient programmé en Ukraine une GPA n’ont pas pu venir les chercher, il ne faut pas systématiquement utiliser la voie de l’adoption.
Une difficulté de cette nature avait déjà été épinglée lors du drame provoqué par le tsunami du 26 décembre 2004 en Thaïlande. Il avait été relevé que la meilleure solution pour ces enfants n’était pas de quitter leur pays et leurs proches pour être adoptés par des personnes de nationalité étrangère (I. Corpart, Le droit des personnes et des catastrophes à la croisée des chemins, Riséo 2012-3, p. 38). Assurément, il ne faut pas profiter de la confusion du moment pour écarter les règles applicables à toute adoption. Il en va autrement si ce sont les personnes qui avaient programmé la naissance de l’enfant qui viennent le chercher, comme lors de ce drame thaïlandais, il ne fallait pas confondre les aides accordées aux familles qui allaient adopter un enfant thaïlandais et avaient déjà fait leurs démarches et auxquelles on a facilité les dernières étapes vers l’adoption avec la situation de personnes, sans enfant, qui voulaient profiter de la situation et trouver un enfant à adopter. Même si beaucoup d’enfants sont abandonnés en raison du conflit armé visant l’Ukraine, il n’est pas question de systématiser le recours à l’adoption.
Lors du tsunami, les associations humanitaires avaient déjà lancé un cri d’alarme et il en va de même face à cette nouvelle tragédie. Il faut impérativement éviter tout trafic d’enfants et tout risque de pratiques illicites car le but ne doit pas être de satisfaire à tout prix des demandes d’adoption. Si la protection des enfants est à mettre en place, cela ne passe pas toujours par le recours à l’adoption.
L’invasion russe de l’Ukraine a fait beaucoup de victimes en laissant des morts et des familles éplorées, mais elle a aussi mis en danger les mères porteuses et leurs nouveau-nés. Décidément, la période est redoutable pour la GPA car la crise sanitaire du covid a déjà causé de nombreux drames. En effet, au cœur de la pandémie, des enfants se sont trouvés abandonnés parce que la femme qui les avait mis au monde n’avait pas l’intention de les élever et parce que, par ailleurs, la fermeture des frontières et le confinement avaient empêché les personnes porteuses d’un projet parental via une GPA de venir chercher le nouveau-né à sa naissance (A. Dionisi-Peyrusse, Actualités de la bioéthique, AJ fam. 2020. 328 ). Plus d’une centaine d’enfants issus d’une GPA ont été confrontés à ce problème en Ukraine (Leparisien.fr, 14 mai 2020).
Nous sommes de tout cœur avec les personnes qui ont tenté de braver la guerre mais ont dû fuir sans avoir pu récupérer l’enfant à naître de la mère porteuse avec laquelle elles avaient établi un contrat, mais aussi avec les mères porteuses qui ne vont pas savoir que faire du nouveau-né et bien sûr avec l’enfant privé du cadre affectif programmé. Des enfants sont morts aussi car des accouchements ont été déclenchés avant l’heure pour pouvoir mettre les parturientes à l’abri, ce dispositif a mis en danger tant la vie de l’enfant que celle de la femme qui devait accoucher (C. Thomas, Situation des mères porteuses en Ukraine, QE n° 27407, JO Sénat, 24 mars 2022).
Même si l’on est opposé à la pratique de la gestation pour le compte d’autrui, il y a assurément de quoi s’émouvoir des retombées de la guerre en Ukraine sur l’accueil de l’enfant issu d’une mère porteuse par le parent d’intention ou le couple infertile ayant choisi la voie de la GPA.
Néanmoins, parler plus du drame vécu par les mères porteuses que de celui des familles confrontées à la mort des victimes de la guerre est honteux. Par ailleurs, entendre l’émotion des futurs parents bloqués en France et qui ne pourront pas recueillir le nouveau-né mais qui ne manifestent aucune compassion pour les femmes enceintes est effrayant car cela signifie qu’elles ne servent qu’à la fabrication de l’enfant. Précisément, beaucoup de futurs parents ont espéré que les mères porteuses survivent simplement parce qu’elles étaient enceintes de leur futur enfant. C’est une raison de plus de refuser que la GPA soit un jour autorisée en France car la femme est assurément réduite au rang de la fabrication du nouveau-né.