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Le droit en débats

Le juge du Palais-Royal recadre le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe

Saisi par l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a enjoint, le 27 mars 2020, au centre hospitalier universitaire (CHU) de Guadeloupe et à l’Agence régionale de santé (ARS) de commander des doses d’hydroxychloroquine et d’azythromycine, ainsi que des tests de dépistage en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de la population de Guadeloupe. Le CHU et le ministre des Solidarités et de la Santé ont fait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État.

Par Patrick Lingibé le 15 Avril 2020

Par une ordonnance du 28 mars 2020, le juge des référés du Conseil d’État a annulé ces deux injonctions.

Nous avions annoncé dans un article publié dans cette revue le 2 avril 2020 l’annulation de cette ordonnance rendue par le juge administratif guadeloupéen.

La décision du Conseil d’État est intéressante à analyser. Nous le ferons sous deux angles ; d’une part, celui de la recevabilité de l’action menée (I) et d’autre part, celui du contrôle opéré par le Conseil d’État dans le cadre de la santé en période d’état d’urgence sanitaire (II).

I – Le recadrage subtil sur la recevabilité de la requête

L’un des points de la décision débattu en première instance portait sur la recevabilité de la requête présentée par le syndicat UGTG. Il convient de rappeler que le principe dit de la spécialité s’applique également devant le juge administratif. Il doit nécessairement avoir un intérêt entre la personne morale qui porte l’action et le litige soulevé devant le juge administratif. Il convient de rappeler sur ce point qu’aux termes de l’article L. 2131-1 du code du travail : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts ». Ainsi, un syndicat professionnel n’a pas vocation à défendre l’ensemble de la population et l’admettre reviendrait à méconnaître les termes mêmes de l’article précité et le principe de spécialité des personnes morales. Pour asseoir la recevabilité de sa requête, l’UGTG indiquait que ses statuts ont pour objet « de prendre toutes les mesures nécessaires pour défendre les intérêts des travailleurs, de défendre la liberté syndicale et les libertés démocratiques, de réaliser l’unité de tous les travailleurs de la Guadeloupe et de lutter pour la suppression des rapports d’exploitation coloniale, des rapports de production ». L’objet social précité est donc à large spectre. Si le juge du Palais-Royal ouvre largement l’accès au prétoire aux personnes morales, il veille à ce qu’il y ait un lien identifiable et identifié entre la requérante et la demande portée en justice. Ainsi, il a jugé qu’une association ayant pour objet « de combattre l’injustice sous quelque forme que ce soit et en quelque lieu qu’elle se trouve » n’a pas qualité pour agir contre une circulaire relative à la procédure à suivre à l’égard des étrangers en situation irrégulière (CE 10 mars 1995, n° 125271, Association « Le droit pour la justice et la démocratie », Lebon T. 958 ; RTD com. 1995. 808, obs. E. Alfandari ). Il a jugé de même pour une association de parents d’élèves d’enseignement privé contre une décision autorisant les infirmeries des établissements d’enseignement publics à délivrer la « pilule du lendemain » (CE, ass., 30 juin 2000, n° 216130, Association « Choisir la Vie », Lebon 249 ; AJDA 2000. 729 , concl. S. Boissard ; D. 2001. 2224, et les obs. , note A. Legrand ; ibid. 2000. 545, chron. C. Radé et O. Dubos ; RFDA 2000. 1282, note M. Canedo ; ibid. 1305, note L. Dubouis ; ibid. 1311, obs. J. Morange ; RDSS 2000. 711, obs. J.-S. Cayla ; ibid. 732, note L. Dubouis ). Il en va de même pour les syndicats. Ainsi, dans son arrêt du 27 mai 2015, le Conseil d’État a indiqué qu’un syndicat ne pouvait utilement se prévaloir des termes généraux de ses statuts relatifs à la « défense des libertés et des principes démocratiques » pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir (CE 27 mai 2015, Syndicat de la magistrature, n° 388870). Il convient de rappeler qu’en application de l’article L. 2133-3 du code du travail, « Les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels ». Le Juge du Palais-Royal, s’agissant des associations et groupements, juge qu’il appartient au juge de vérifier en tout état de cause « qu’il existe une adéquation suffisante entre la nature des intérêts défendus par l’organisation requérante et les effets de l’acte qu’elle conteste » (CE 2 juin 2010, Centre communal d’action sociale de Loos, n° 309445), autrement dit en rapportant in concreto la portée de la demande à l’objet précis du syndicat intervenant. Le Conseil d’État a jugé à cet effet que l’intérêt pour agir s’apprécie au regard des « conclusions présentées et des moyens invoqués à leur soutien » (CE 26 avr. 2018, Syndicat SNRT-CGT France Télévisions, n° 418489). La question de la recevabilité de la requête du syndicat requérant se posait dans ce dossier dans la mesure où le syndicat entendait agir au nom de la population de la Guadeloupe. Le juge des référés administratifs guadeloupéen après avoir motivé la recevabilité en considérant d’une part, que l’action était menée par un syndicat confédéral regroupant plusieurs organisations syndicales de professionnels de santé s’était référé aux circonstances très exceptionnelles de l’espèce pour considérer que le syndicat pouvait agir en dehors du cadre de son objet social strict au motif que « (…) cette pandémie est susceptible de s’étendre à l’ensemble de la population de l’archipel guadeloupéen et, à ce titre, dans les circonstances très exceptionnelles de l’espèce, l’intérêt à agir du syndicat requérant doit être admis. ». Le juge du Palais a confirmé la recevabilité de la requête du syndicat en restreignant l’ouverture qu’en avait fait le premier juge. En effet, dans son considérant 7, il indique « eu égard à l’importance des effets de la pandémie de covid-19 pour l’ensemble des travailleurs des secteurs de la santé et de l’action sociale de la Guadeloupe, et en l’absence de stipulation contraire dans ses statuts », le syndicat intervenant justifie d’un intérêt à agir. Nous ne pouvons qu’à prouver cette restriction, rappelant que si l’intérêt à agir d’une confédération peut se justifier pour la défense des intérêts d’un syndicat de professionnels de santé, membre de ladite confédération intervenante, il ne peut se concevoir sur le plan juridique pour la défense des intérêts de toute la population d’un territoire, même en période exceptionnelle comme le laissait supposer la motivation retenue par le juge guadeloupéen. En statuant ainsi, le Conseil d’État rappelle de manière claire l’intérêt à agir qui ne peut être que limité et permet ainsi de statuer sur le fond des demandes. Cela était d’autant plus attendu que la décision du juge des référés de Guadeloupe avait suscité des actions dans d’autres collectivités d’outre-mer, les tribunaux administratifs de la Martinique, de la Guyane, de La Réunion et de Paris ayant été saisis par des requêtes en référé-liberté reproduisant l’argumentaire dans la requête présentée devant le juge administratif des référés guadeloupéen. Statuer positivement sur la recevabilité de la requête de l’UGTG permettait au Conseil d’État de statuer sur le fond et d’envoyer ainsi une interprétation auprès des différents tribunaux administratifs.

II – Le contrôle du juge du palais royal en période d’état d’urgence sanitaire

Le juge des référés a été saisi sur le fondement du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative qui impose au juge de se prononcer dans un délai de 48 heures. Ce référé suppose pour l’essentiel deux conditions : d’une part, l’urgence et, d’autre part, une atteinte grave et manifestement illégale portée par l’administration à une liberté fondamentale. La première condition ne posait aucune difficulté dans la mesure où celle-ci est par nature présumée en raison de l’état d’urgence sanitaire appliquée depuis le 24 mars 2020. La deuxième condition a fait l’objet d’une importante motivation de la part du juge des référés. Il convient de préciser que l’article L. 3131-18 du code de la santé publique, créé par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, prévoit expressément que les décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire peuvent faire l’objet devant le juge administratif d’un recours présentés, instruits et jugés selon les procédures prévues pour les référés-suspension et pour les référés-liberté.

Sur la liberté fondamentale en cause

Celle-ci ne pose pas de difficulté. Le Conseil d’État juge des référés ayant précisé que le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale (CE, sect., 16 nov. 2011, nos 353172 et 353173, Ville de Paris, Société d’économie mixte PariSeine, Lebon avec les concl. ; AJDA 2011. 2207 ; ibid. 2013. 2137, étude X. Dupré de Boulois ; AJCT 2012. 156, obs. L. Moreau ; RFDA 2012. 269, concl. D. Botteghi ; ibid. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ). Il a précisé en 2017 que ce droit incluait « celui de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, liberté fondamentale à laquelle l’autorité administrative porte atteinte lorsque sa carence risque d’entraîner une altération grave de l’état de santé de la personne intéressée » (CE 13 déc. 2017, M. Pica-Picard, n° 228928, Lebon T.). L’autre aspect que met en exergue l’ordonnance rapportée porte sur le principe de précaution, dans le cas présent l’article 5 de la charte de l’environnement aux termes duquel « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » Il convient de rappeler que les dispositions de cette charte ont valeur constitutionnelle (Cons. const. 29 déc. 2009, n° 2009-599 DC, § 79, AJDA 2010. 4 ; ibid. 277 , note W. Mastor ; D. 2010. 1508, obs. V. Bernaud et L. Gay ; RFDA 2010. 627, chron. T. Rambaud et A. Roblot-Troizier ; Constitutions 2010. 277, obs. A. Barilari ; ibid. 281, obs. A. Barilari ; ibid. 283, obs. A. Barilari ). Le Conseil d’État a eu l’occasion d’appliquer ce principe en matière de santé publique en précisant que « le principe de précaution s’applique aux activités qui affectent l’environnement dans des conditions susceptibles de nuire à la santé des populations concernées (CE 8 oct. 2012, n° 342423, Cne de Lunel, Lebon ; D. 2014. 104, obs. F. G. Trébulle ; RDI 2012. 643, obs. P. Soler-Couteaux ; Constitutions 2012. 651, obs. N. Huten ). Avant cette ordonnance, le juge des référés du Palais-Royal a eu l’occasion de rendre plusieurs décisions de rejet concernant les mesures à prendre ou les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Sur le contrôle opéré

Il convient de préciser que c’est directement le législateur qui a aux termes de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, soit le 24 mars 2019, date de publication de ladite loi. C’est donc par la voie directe parlementaire qu’a été déclenché l’état d’urgence sanitaire et non comme prévu par le dispositif voté par le conseil des ministres.

Cela est important car depuis cette date, l’État de droit que nous connaissions n’est plus le même dans la mesure où le Premier ministre dispose de pouvoirs dérogatoires pour intervenir de manière directive dans dix domaines qui impactent nos vies et également nos libertés. On ne peut pas comprendre l’office du Conseil d’État sans avoir en arrière-plan ce cadre juridique dérogatoire.

S’agissant de mesures de police administrative prises dans un cadre juridique dérogatoire particulier, le juge du Palais-Royal va adapter sa grille de contrôle de proportionnalité pour apprécier les mesures demandées ou contestées.

Ce contrôle se fonde sur celui dit de la proportionnalité sur le pouvoir de police exercé, ce contrôle devant être par principe plus strict lorsque les libertés publiques sont en cause (CE 15 nov. 2017, n° 403275, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, Lebon ; AJDA 2018. 62 , concl. L. Marion ; ibid. 2017. 2222 ; AJCT 2018. 222, obs. P. Jacquemoire ). Ce contrôle a été posé par le célèbre arrêt Benjamin rendu le 19 mai 1933, rappelant au passage la formule prononcée par son commissaire du gouvernement Michel dans ses conclusions et constamment reprise depuis : « La liberté est la règle, la restriction de police l’exception » (CE 19 mai 1933, n° 17413, Benjamin et syndicat d’initiative de Nevers, Lebon ). La nature de ce contrôle a été clairement détaillée et précisée dans une décision du Conseil d’État rendue le 26 décembre 2011 (CE, ass., 26 oct. 2011, n° 317827, Association pour la promotion de l’image, Lebon avec les concl. ; AJDA 2012. 35 , chron. M. Guyomar et X. Domino ; ibid. 2011. 2036 ; D. 2011. 2602, et les obs. ; RFDA 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ). La mesure de police contestée ou dans notre cas, la mesure demandée est soumise aux trois critères d’appréciation : l’adaptation, la nécessité et la proportionnalité stricto sensu. Il s’agit de savoir si les libertés publiques garanties ou à garantir sont menacées par l’action ou l’inaction des autorités administratives compétentes. À ces trois critères d’appréciation, il faut intégrer également une variable qui est propre au monde de la santé s’agissant de médications et/ou de médicaments, à l’innocuité ou les risques de ces derniers envers les personnes à soigner.

Dans ces différentes ordonnances rendues sous l’épidémie du covid-19, le juge du Palais-Royal prend soin de rappeler un postulat préalable, à savoir qu’il revient aux autorités publiques, face à une épidémie, telle que celle que connaît aujourd’hui la France, de prendre toute mesure de nature à, prévenir ou limiter les effets de cette épidémie, cela afin de protéger et sauvegarder la population. C’est donc un impératif sanitaire assigné aux pouvoirs publics sur lesquels pèse ainsi une obligation de moyens renforcée.

Sur la question des commandes d’hydroxichloroquine et d’azithromycine

Cette question est mise en débat juridique alors que le débat scientifique n’est pas clos. Comme nous l’avions indiqué dans notre précédent commentaire, l’injonction posait un problème juridique de fond puisqu’il enjoignait à l’administration de violer les règles de prudence concernant l’utilisation d’une médication non approuvée et sur laquelle les scientifiques demeurent partagés. Il convient de rappeler comme l’a déjà fait le juge du Palais-Royal, que toute spécialité pharmaceutique impose préalablement une autorisation de mise sur le marché donnée après des essais expérimentaux validés démontrant d’une part, son efficacité objective et d’autre part, son innocuité et/ou ses risques mesurés pour certaines catégories de personnes. Si le 9° de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique prévoit que le Premier ministre peut prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire, il appert cependant que sur le plan juridique l’autorisation d’utiliser un nouveau médicament non validé scientifiquement présente un risque non négligeable en termes de responsabilité.

Dans sa précédente décision rendue le 28 mars 2020, le juge du Palais-Royal, statuant en référé, à propos de l’utilisation de la médication prescrite, relève « qu’aucun traitement n’est à ce jour connu pour soigner les patients atteints du covid-19 ». Il avait rejeté la demande qui lui était faite de fournir et d’autoriser les médecins et hôpitaux à prescrire et administrer aux patients à risque l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine (CE, réf., 28 mars 2020, n° 439726, Le Syndicat des médecins d’Aix et région, AJDA 2020. 700 ). Dans l’ordonnance rendue le 4 avril 2020 présentement commentée, il reproduit dans son considérant n° 12 une motivation similaire de sa décision du 28 mars 2020 : « À la suite des premiers résultats d’une étude observationnelle menée à l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection du 5 au 16 mars 2020, portant sur vingt-six patients, qui a permis de constater une diminution ou une disparition de la charge virale pour treize patients après six jours de traitement par hydroxychloroquine seul ou en association avec l’azithromycine, la direction générale de la santé a sollicité l’avis du Haut Conseil de la santé publique. Celui-ci, dans un avis du 23 mars 2020, a estimé que les résultats de cette étude devaient être considérés avec prudence en raison de certaines de ses faiblesses méthodologiques et justifiaient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique ».

Rapporté au cas guadeloupéen, il indique que l’instruction a permis de démontrer qu’une vingtaine de patients du centre hospitalier universitaire se sont vu administrer l’hydroxiychloroquine que la pharmacie interne dudit centre dispose de stocks suffisants pour être traités avec ces deux médicaments. Il a relevé que le CHU avait commandé des doses suffisantes d’hydroxychloroquine et d’azythromycine pour traiter de 200 à 400 éventuels nouveaux patients. Cependant, il rappelle « qu’un tel traitement, eu égard à son encadrement, ne peut être administré qu’à un nombre limité de patients et que plusieurs autres molécules font l’objet d’essais cliniques dont les résultats sont attendus prochainement, il ne peut être reproché au centre hospitalier universitaire et à l’agence régionale de santé de carence caractérisée, dans l’usage des pouvoirs dont ils disposent, constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ». Il sanctionne donc le juge administratif de Guadeloupe d’avoir enjoint à l’administration d’utiliser un traitement litigieux sur le plan médical.

Nous pouvons nous demander notamment ici si c’est le rôle ici du juge administratif de trancher un débat sur la médication à appliquer dans le cadre d’une épidémie alors que le milieu médical et scientifique s’affronte durement sur l’application valide de cette médication à l’épidémie à combattre et son degré de dangerosité. Attendre du juge administratif qu’il tranche ce débat scientifique et prenne partie pour une thèse contre l’avis du Haut Conseil de la santé publique, reviendrait à transformer celui-ci en juge médecin ou juge administrateur de médication ou de médicaments, ce qui ne relève pas de son office.

Sur les commandes de tests de dépistage du covid-19

La question des tests est comme celle des masques très anxiogène. Il convient de noter que le Conseil d’État, statuant en référé, avait rappelé de nouveau un fait objectif dans sa décision rendue le 22 mars 2020. Les raisons de l’impossibilité d’effectuer des tests à grande échelle sont explicables : la « limitation des tests (…) résulte d’une insuffisante disponibilité des matériels » (CE 22 mars 2020, Syndicat jeunes médecin, Demande de confinement total, n° 439674). Dans le considérant 15 de l’ordonnance du 4 avril 2020 commentée, le juge du Palais-Royal indique que « les autorités nationales ont fait le choix, compte tenu des capacités alors existantes, d’établir des priorités pour la réalisation de « tests PCR » de diagnostic virologique, en suivant les critères proposés par le Haut Conseil de la santé publique, en dernier lieu dans un avis provisoire du 10 mars 2020. Ainsi que l’a annoncé le ministre des Solidarités et de la Santé le 21 mars 2020, pour être en mesure d’éviter de nouvelles contagions à l’issue du confinement, elles prennent toutefois les dispositions nécessaires pour accroître les capacités de dépistage, notamment par le développement de tests sérologiques, reposant sur la recherche d’anticorps, dont la fiabilité doit cependant encore faire l’objet d’évaluations. Cette stratégie est en cours d’élaboration avec l’éclairage du comité de scientifiques constitué au titre de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour faire face à l’épidémie de covid-19 ». La réalité est dure mais c’est la dure vérité : outre l’insuffisance manifeste de tests, s’ajoute un problème de leur fiabilité. Le juge administratif des référés guadeloupéen a fait injonction à l’administration de commander des tests qui sont problématiques.

Rapporté au cas du territoire de Guadeloupe, le Conseil d’État, concernant les tests de dépistage, relève que le CHU procède journalièrement à une centaine de tests dits « PCR » sur ses patients hospitalisés, dispose d’un stock de réactifs pour effectuer 500 tests, qu’une commande récente a été faite pour  4 000 lots supplémentaires et qu’une commande d’un équipement de PCR rapide permettant de réaliser 180 tests par jour a été lancée. Qu’à cela s’ajoute une commande partagée avec l’Institut Pasteur de Guadeloupe et un autre centre hospitalier de 200 tests sérologiques, chacun auprès de différents fournisseurs pour en tester par comparaison leur fiabilité.

Le Conseil d’État fait le constat que ces différentes actions et commandes certes « ne couvrent pas les besoins à venir de l’ensemble de la population de la Guadeloupe, tels qu’ils pourront être appréciés dans la perspective de la fin du confinement ». Cependant, il ne lui paraît pas, dans les circonstances de l’espèce, justifier d’une carence caractérisée portant une atteinte grave et manifestement illégale du droit au respect de la vie, prenant soin de rappeler que « la fiabilité des tests, très récemment mis au point, doit encore être évaluée ». Seconde sanction du juge administratif des référés guadeloupéen pour avoir mal apprécié la situation locale et les moyens médicaux mis en place.

Cette décision met en exergue le contrôle à géométrie adaptée que le Conseil d’État effectue en matière de police administrative dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, fortement inspiré de celui posé par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Nous nous rendons compte qu’il est plus difficile pour le juge administratif de faire du droit en contrôlant des mesures sanitaires prises ou à prendre au bout desquelles est accrochée la vie de tout un chacun, sur fond d’une crise sociétale anxiogène sans précédent à l’échelle de l’humanité, à laquelle s’ajoute une joute frontale, par médias interposés, entre experts médicaux et scientifiques. Sur ce point, force est de constater que le politique en est réduit pour la circonstance à être le relais de dires et de choix scientifiques auxquels il se réfère constamment pour justifier ses mesures de police. Le juge administratif est juge de la légalité et non de la science, surtout si les vérités de celle-ci sont discutées et discutables sur le plan médical.

Nous terminerons notre commentaire par deux observations l’une générale et l’autre se rapportant à la situation de l’outre-mer. La première a trait aux autorités véritablement décisionnelles. En effet, il ne faut pas oublier que l’état d’urgence sanitaire a modifié la répartition des pouvoirs en concentrant ceux-ci au niveau central et gouvernemental. Depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, les autorités chargées de la gestion de celui-ci sont d’une part, le Premier ministre (CSP, art. L. 3131-15) et le ministre de la Santé (CSP, art. L. 3131-16). Toutes les mesures de police générale ont été prises par ces deux autorités disposant d’un pouvoir réglementaire renforcé. Pour la circonstance, c’est en application de la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire qu’est intervenu le décret no 2020-293 du 23 mars 2020, modifié à plusieurs reprises depuis, prescrivant, progressivement au regard de la contagion pandémique, de nouvelles mesures générales plus restrictives pour faire face à l’épidémie du covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Ces deux autorités peuvent habiliter les représentants de l’État dans les territoires à intervenir en complément localement (CSP, art. L. 3131-17) mais ce n’est qu’une possibilité, sachant que ces autorités locales sont dans l’application locale des dispositions prises au niveau national. Il appert que le régime de l’état d’urgence sanitaire a eu pour effet induit de concentrer les problématiques de gestion au niveau national, surtout lorsqu’il faut gérer la pénurie de masques, de gels, de médicaments et de tests. De là, nous pouvons nous poser la question si les juges administratifs des référés des tribunaux administratifs sont les mieux placés pour se prononcer et enjoindre à l’administration de prendre des mesures qui impactent nécessairement le stock de produits en pénurie avérée au niveau national sans interférer et menacer les choix de distribution desdits produits par les autorités décisionnelles nationales. En droit, la réponse est oui, en fait nous pouvons en douter.

La deuxième porte sur l’état et la capacité des structures de santé en outre-mer. Elles posent très clairement un problème d’égalité de soins face aux habitants hexagonaux, plus marqué et visible en cette crise pandémique. Le Premier ministre a souligné récemment à l’Assemblée nationale « la fragilité sanitaire dans ces territoires » en retard sur ce plan comme dans bien d’autres domaines, lesquels pourront difficilement faire face à une pandémie causée par le coronavirus covid-19. Face à cette situation sanitaire fragilisée, le Conseil de scientifiques, sollicité par la ministre des outre-mer, a rendu le mercredi 8 avril 2020 un avis fléché « Outre-Mer » où il formule dix recommandations, dont les septième et huitième apportent une réponse médicale à un problème notamment posé dans l’ordonnance rendue :
« 7. Tester, tester, tester. À ce stade épidémique dans les outre-mer, toute personne suspecte de covid-19 doit pouvoir bénéficier d’un test diagnostique. Il faut mettre en place dans chaque département/territoire une unité fonctionnelle RT/PCR, dimensionnée à la hauteur du bassin de population.
8. S’assurer de la bonne disponibilité, sans rupture de stock pour les soignants, des masques, des équipements de protection individuelle et des solutions hydroalcooliques. »

Dans son avis, le Conseil scientifique appelle à une approche différenciée pour chaque collectivité d’outre-mer. Il « considère comme pertinent et utile de mettre en œuvre dans chaque territoire d’outre-mer des mesures spécifiques qui doivent être différenciées et adaptées à la phase épidémique et aux capacités de chaque territoire » en prenant soin d’indiquer que ces mesures « doivent être décidées et mises en œuvre en étroite concertation entre les autorités et les acteurs locaux impliqués. »

Si ces préconisations étaient suivies par les autorités centrales, ce qui est plus que vraisemblable, cela impliquera que les juges administratifs des référés des tribunaux administratifs ultramarins pourront être saisis quant aux mesures différenciées et adaptées prises ou devant être prises au niveau de chaque collectivité d’outre-mer au regard de sa situation hospitalo-sanitaire.