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Le droit en débats

L’affaire Benalla ou quand la rapidité n’est pas mère de sécurité (juridique)

Le Monde révélait hier qu’un membre du cabinet du président de la République aurait été filmé en train de frapper un manifestant à terre lors des manifestations du 1er mai dernier, alors qu’il portait un casque et un brassard de la police.

Par Lorène Carrère le 20 Juillet 2018

Immédiatement, l’Élysée faisait savoir qu’Alexandre Benalla avait été « mis à pied pendant quinze jours avec suspension de salaire pendant quinze jours », démis de ses fonctions de responsable de la sécurité des déplacements du président de la République et affecté à des tâches administratives.

Mais s’il est qualifié, dans la presse, de « membre du cabinet », voire d’« adjoint au chef de cabinet » du président de la République1, il ne figure cependant pas au nombre des membres de ce cabinet dont la liste a été publiée au Journal officiel par arrêté du 18 septembre 2017, ce qui est logique au regard de la nature strictement fonctionnelle des attributions occupées par monsieur Benalla. En réalité, il est probable qu’il ait été recruté comme agent contractuel, et ce d’autant plus qu’il ressort des différents articles qu’il ne serait pas fonctionnaire (ni de police, de gendarmerie ou militaire ni d’un autre corps).

Cette précision est essentielle car elle conditionne le régime disciplinaire qui lui est applicable : celui des agents contractuels de l’État qui résulte du décret du 17 janvier 19862.

C’est donc à l’aune des quelques dispositions de ce décret que la situation doit être analysée et, assez rapidement, l’étonnement se fait jour.

À titre préalable, il est essentiel de souligner que le porte-parole de l’Élysée évoque expressément qu’une sanction a été infligée. Donc on peut écarter immédiatement la première idée qui vient naturellement en matière disciplinaire et en cas d’urgence : l’agent n’a pas été suspendu à titre conservatoire, afin de se laisser le temps de faire le point sur la situation et de décider si une sanction doit être prise et laquelle, comme le permet l’article 43 du décret de 1986 précité. Mais une telle suspension n’est pas une sanction, raison pour laquelle d’ailleurs elle peut être prononcée sans respect d’aucune formalité préalable3  et donc par exemple du jour pour le lendemain et que l’agent continue de percevoir son traitement.

Or il a bien été précisé par le porte-parole de l’Élysée qu’Alexandre Benalla a été sanctionné, il s’agirait même d’un « dernier avertissement avant licenciement » et il n’aurait pas été rémunéré. On se trouve donc définitivement dans le registre du vocabulaire disciplinaire, et, en tout état de cause, devant une décision qui en revêt la motivation et les effets.

L’analyse de cette sanction reprendra ainsi assez classiquement la summa divisio chère aux publicistes : sa légalité externe (la forme) et sa légalité interne (le fond), tout en étant forcément très parcellaire, l’auteur de ces lignes ne disposant pas de l’acte lui-même.

Mais la chronologie des faits (faute commise le 1er mai, sanction infligée le lendemain) impose d’elle-même une évidence : la sanction souffre a minima d’un vice de procédure.

En effet, l’exclusion temporaire de fonctions (parfois abusivement qualifiée de « mise à pied sans traitement ») d’une durée de quinze jours relève bien des sanctions pouvant être infligées à un agent contractuel de l’État.

Pour autant, le décret de 19864  utilement éclairé par la jurisprudence impose, comme pour toute procédure disciplinaire, que l’agent soit préalablement informé de l’engagement de la procédure par un courrier qui doit lui rappeler son droit à se voir communiquer son dossier et à se faire assister par les défenseurs de son choix.

En outre, la décision infligeant la sanction ne peut intervenir qu’à l’issue d’un délai « utile » pour organiser sa défense.

Dès lors, nécessairement, plusieurs jours doivent s’écouler entre l’acte d’engagement de la procédure et la notification de la décision, et cela sans compter l’éventuelle saisine de la commission consultative paritaire dont il n’est cependant pas certain que l’agent relève, en l’absence d’information complémentaires5.

En conséquence, la sanction notifiée le lendemain de la faute ne semble pas pouvoir être régulière à cet égard.

Mais, au-delà de la procédure ayant mené à l’édiction de l’acte, on peut également s’interroger sur la proportionnalité de la sanction : une exclusion temporaire de fonctions (soit une privation de salaire sans indemnisation d’aucune sorte) de quinze jours pour avoir frappé au sol un manifestant pourrait sembler clémente. À ce stade, il convient de rappeler que l’autorité hiérarchique seule dispose de l’opportunité d’engager une procédure disciplinaire ainsi que du choix du niveau de la sanction à infliger.

On peut par exemple relever que pour un comportement agressif envers ses collègues, une fonctionnaire territoriale s’est vue infliger la même sanction6, ou encore que cette dernière a été reconnue proportionnée aux faits de réitération de refus de suivre les ordres hiérarchiques dont celui de se présenter à une formation7, un agent qui, ayant demandé à prendre des congés annuels, a refusé d’assurer la formation de l’agent qui devait le remplacer et a fait preuve d’une attitude insolente et agressive envers son supérieur hiérarchique a pu également se voir frappé d’une exclusion temporaire de fonctions de quinze jours8.

Il y a moins d’exemples de sanction pour des faits de violence, ce dont on peut se féliciter dans l’absolu, mais, ceci étant, quelques décisions font état d’un niveau de sanction plus important et notamment de la révocation des fonctionnaires ayant commis les faits suivants : acte de brutalité envers une malade, alors que son comportement avait déjà donné lieu à observations9, une aide-soignante ayant giflé un pensionnaire âgé et malade d’une maison de retraite10, une aide-soignante ayant eu un comportement agressif envers les malades et ses collègues, et dont le comportement dangereux était incompatible avec la sécurité des malades11.

En d’autres termes, il est probable qu’une sanction bien plus sévère n’aurait pas été considérée comme disproportionnée si le tribunal administratif de Paris en avait été saisi, et ce d’autant plus qu’au-delà des faits de violence, l’atteinte à la réputation de l’administration est manifeste ne serait-ce qu’au vu du nombre d’articles publiés à l’heure à laquelle cette tribune est rédigée.

Aujourd’hui, la question qui se pose au vu de l’annonce de l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet est celle des conséquences d’une éventuelle condamnation pénale de l’agent.

La solution est classique : il a été jugé à de nombreuses reprises que, lorsque les faits qui ont par la suite fait l’objet d’une condamnation pénale ont déjà été sanctionnés sur le plan disciplinaire, aucune nouvelle sanction disciplinaire ne peut intervenir car elle méconnaîtrait alors le principe non bis in idem, en vertu duquel les mêmes faits ne peuvent donner lieu à plus d’une sanction de même nature12.

À titre d’illustration du principe, il a pu être jugé que la sanction de révocation prise par un maire en se fondant sur un jugement pénal condamnant l’agent pour exhibition sexuelle devait être annulée au motif qu’une exclusion temporaire de trois jours avait déjà été prise à l’encontre de l’agent13.

Et, pour être tout à fait complète, le fait qu’une mention soit portée sur le casier judiciaire d’un agent public (contractuel ou fonctionnaire, d’ailleurs) n’emporte pas nécessairement son licenciement, la procédure à suivre étant une procédure disciplinaire14 : on retombe sur la prohibition découlant de non bis in idem.

À cet égard, on pourrait également s’interroger sur la mesure de déplacement vers un service administratif de l’Élysée dont il a fait l’objet, dont la nature de sanction déguisée pourrait être questionnée… mais pas par l’agent, de toute évidence, qui ne semble pas avoir contesté les décisions.

De quelles portes juridiques de sortie dispose donc le président de la République dans cet épineux dossier ?

Les férus de droit public savent déjà qu’il lui serait possible de retirer rétroactivement la décision sur le fondement de la célèbre jurisprudence Ternon15 aujourd’hui codifiée16, au motif de l’irrégularité de la procédure, puisque les sanctions sont des actes créateurs de droit (le droit étant justement de ne pas se voir infliger une sanction plus sévère17), dont le retrait peut intervenir dans les quatre mois de leur signature, délai non encore écoulé en l’espèce. Il pourrait ainsi prendre une nouvelle sanction, plus sévère.

Mais le retrait fondé sur une irrégularité flagrante pourrait ne pas remporter beaucoup de suffrages auprès de l’auteur de la décision, et ce d’autant plus qu’il semblerait que l’agent pourrait avoir commis d’autres faits potentiellement fautifs.

Dans ces conditions, une nouvelle procédure pourrait être (mieux) engagée et aboutir, sans nul doute sur la proportionnalité, sur le licenciement de l’agent, à moins, naturellement, que ce dernier démissionne et permette ainsi de sortir par le haut de cette situation pour le moins explosive.

 

 

1. Le Parisien, 18 juill. 2018.
2. Décr. n° 86-83, 17 janv. 1986, art. 43 s.
3. CE 7 nov. 1986,
Edwige, Lebon T. p. 350 ; 23 janv. 1953, Sieur Shong-Wa, Lebon p. 34.
4. Art. 44.
5. Il ne semble pas exister de commission consultative paritaire pour les contractuels de l’Élysée et ces derniers ne semblent pas plus relever d’une commission d’un autre ministère.
6. CAA Paris, 23 janv. 2015, n° 14PA00458.
7. CAA Nantes, 30 janv. 2017, n° 15NT01344.
8. CAA Bordeaux, 2 déc. 2008, n° 07BX01095.
9. CE 29 mars 1985, n° 51089.
10. CE 20 mai 1998, n° 173181.
11. CE 11 mars 1992, n° 88306.
12. CE 4 mars 1988, n° 64124.
13. CAA Nancy, 5 août 2004, n° 00NC01589.
14. CE 5 déc. 2016, n° 380763.
15. CE 26 oct. 2001, n° 197018.
16. CRPA, art. L. 242-1.
17. CE 29 déc. 1999, n° 185005.