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Le droit en débats

« L’aide à mourir » et la neutralisation des exclusions de garantie en droit des assurances

Par Rodolphe Bigot le 19 Septembre 2024

D’aucuns sont de longue date (S. de Beauvoir, Une mort très douce, Gallimard, 1964, rééd. 1972) dans l’attente d’une mort plus douce pour des personnes grandement souffrantes. Dans les profondeurs du débat, la doctrine autorisée a pu relever que « le suicide est une réalité, un fait social (M. Debout, Le suicide, Ellipses, 1996), mais il suscite le malaise tout comme le débat régulièrement faussé sur l’euthanasie (N. Aumonier, B. Beignier et P. Letelier, L’euthanasie, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2017). Il pose plus simplement une question générale sur la possibilité pour une personne de mourir librement. À cette question, aucune hésitation possible. Il existe un « droit de la mort » (H. Jonas, Le droit de mourir, Rivages poche, Petite bibliothèque, 1996) qui va de la loi dite « Leonetti » n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (cette loi reconnaît un droit de laisser mourir dans la dignité sans permettre pour autant aux médecins de pratiquer une euthanasie active) jusqu’au droit relatif aux funérailles et aux sépultures. Mais il n’existe pas un droit à la mort (B. Beignier, Existe-t-il un droit à la mort ? Mieux vaut des exceptions au principe qu’un principe pour les exceptions, Le Monde, 27 mars 2008, p. 21) ; […] L’autorité judiciaire se refuse de faire droit à une mort volontaire. Le suicide ou le suicide assisté n’est pas un droit. Il est une liberté civile, plus exactement il est une liberté personnelle » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 4e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2021, p. 470-471).

L’approche française de la prise en charge de la douleur et de la fin de vie est sur le point d’être profondément renouvelée, à en suivre le récent « projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » (Projet n° 2462, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 10 avr. 2024). La dissolution a suspendu, a minima, le processus de réforme (Assemblée nationale : ces textes importants pour l’assurance stoppés net, L’Argus.com, 10 juin 2024). Il n’en demeure pas moins que ce projet soulève quelques questions, notamment sur les aspects assurantiels. Substantiellement, le projet a pour objet de légaliser et d’encadrer « l’aide à mourir » d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme, à tout le moins dans sa version originale (a en effet ensuite été remplacée la condition, pour accéder à l’aide à mourir, d’être atteint « d’une affection grave et incurable engageant [le] pronostic vital à court ou moyen terme » par celle d’être atteint « d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale » [amendements identiques CS659 de M. Delautrette (SOC) et CS1558 de Mme Petel (RE)]). Le texte définit l’aide à mourir et « fixe les conditions que doit remplir la personne malade pour l’obtenir ainsi que les garanties permettant de vérifier que sa volonté est libre et éclairée. Il prévoit également les modalités destinées à assurer le respect de la liberté de conscience des professionnels de santé. Il comprend enfin des dispositions créant une commission de contrôle des actes d’aide à mourir et prévoyant leur prise en charge par l’assurance maladie » (D. Vigneau, Le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, Dalloz actualité, 21 mai 2024). La doctrine s’émeut déjà sur la façon de légiférer à partir de l’individu : « Un printemps électoral oublie rarement les vieux : loi sur le bien-vieillir ; projet sur le bien-mourir. Les mots et politiques comptent. Leur imprécision laisse circonspect (aide ; accompagnement). Au-delà (sic !), c’est le signe d’un droit de réaction sans réflexion ni cohérence d’ensemble. Il est plus aisé de proclamer au nom de la liberté et de l’égalité, l’autonomie de-ci, de-là, que de s’attaquer sérieusement à l’élaboration de règles techniques utiles nécessitant des moyens pour leur mise en œuvre. Jeu des sources, la jurisprudence apporte son écot compensateur aux imperfections ou silences légaux jusqu’à condamner le pouvoir abstentionniste dans sa réalisation défaillante. Plutôt qu’une création de normes à partir de l’individu-roi, suggérons une approche holistique afin de ne pas négliger les intérêts de tous, car le droit est régulation des rapports humains. L’empathie est une philosophie appliquée au profit des majeurs vulnérables, pas une simple profusion de textes et rapports » (D. Noguéro, L’essentiel, in J.-J. Lemouland et D. Noguéro, Droit des majeurs protégés, D. 2024. 1203 ).

Ce sont les dispositions complémentaires du texte qui intéressent les lecteurs de la rubrique de droit des assurances au Dalloz actualité. En effet, ces aspects additionnels du projet annoncent non seulement une prise en charge par l’assurance maladie des frais exposés dans le cadre de la mise en œuvre de l’aide à mourir mais encore une neutralisation des dispositions législatives du code des assurances et de la mutualité qui prévoient des exclusions de garantie pour cause de suicide en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir (Projet de loi, art. 19 et 20).

Plus superficiellement, dans le droit des assurances, des exclusions légales sont classiquement connues en présence d’une faute intentionnelle ou dolosive (avec les évolutions connues de la jurisprudence, v. infra), qu’il s’agisse d’un meurtre ou d’un suicide en assurances de personnes. On pressent déjà les interférences entre le projet de loi et les dispositions du droit des assurances. À ce titre, le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie présage, dans un chapitre VI réservé à des dispositions diverses, deux articles (19 et 20) interagissant avec les règles assurantielles. Quelle est la philosophie du texte ?

Faciliter l’accès à l’aide à mourir par la prise en charge par la Sécurité sociale. À en croire l’exposé des motifs, d’une part, « l’article 19 prévoit la prise en charge par l’assurance maladie des frais exposés dans le cadre de la mise en œuvre de l’aide à mourir en complétant, dans le code de la sécurité sociale, la liste des frais relevant de la protection sociale contre le risque et les conséquences de la maladie. Un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale fixera le prix de cession des préparations magistrales létales pris en charge dans le cadre de l’aide à mourir, couvrant les frais de leur réalisation, de leur acheminement et de délivrance, ainsi que le tarif des honoraires ou rémunérations forfaitaires des professionnels de santé pour les missions réalisées dans le cadre de l’aide à mourir, qui ne pourront pas donner lieu à dépassement ni franchise » (Exposé des motifs, projet préc., p. 14). Le rapport fait au nom de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi indique, ainsi, que « La prise en charge intégrale par l’assurance maladie des frais associés au recours à l’aide à mourir permettra d’en garantir et d’en faciliter l’accès, conformément au principe de solidarité qui est au fondement de notre modèle de sécurité sociale. Les dépenses de santé d’une grande partie des malades qui devraient avoir recours à l’aide à mourir sont déjà prises en charge à 100 %, dans le cadre du tiers payant, par l’assurance maladie obligatoire puisqu’il s’agit pour beaucoup de personnes en situation d’affection de longue durée (ALD) » (Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi, n° 2634, enregistré le 18 mai 2024, t. 1, p. 113).

Neutraliser les exclusions de garantie prévues en cas de suicide. Toujours d’après l’exposé des motifs, et d’autre part, l’article 20 « a pour objet de neutraliser les dispositions législatives du code des assurances et de la mutualité qui prévoient des exclusions de garantie en cas de suicide la première année (ou dans l’année suivant un avenant d’augmentation des garanties) en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir » (ibid.). C’est ce dispositif qui nous intéressera davantage. À ce sujet, le rapport rappelle le droit en vigueur avant de présenter le dispositif proposé.

Le droit en vigueur. Le rapport relève qu’« Une assurance décès permet l’apport d’une garantie à l’ayant droit du contrat en cas de décès de l’assuré. Fin 2022, il existait plus de 32 millions de contrats à adhésion individuelle couvrant la garantie décès et 14 millions de salariés étaient assurés par des contrats collectifs comprenant une garantie décès. La légalisation de l’aide à mourir est susceptible de produire des effets non souhaités sur l’exécution des contrats d’assurance sur la vie, lors de la première année ou durant l’année suivant un avenant d’augmentation des garanties. En effet, selon l’article L. 132-7 du code des assurances, une assurance en cas de décès est de nul effet « si l’assuré se donne volontairement la mort au cours de la première année du contrat. L’assurance en cas de décès doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat. En cas d’augmentation des garanties en cours de contrat, le risque de suicide, pour les garanties supplémentaires, est couvert à compter de la deuxième année qui suit cette augmentation. » Une disposition similaire figure à l’article L. 223-9 du code de la mutualité : « La garantie en cas de décès est de nul effet si le membre participant se donne volontairement la mort au cours de la première année de l’adhésion ou du contrat collectif. La garantie en cas de décès doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat. En cas d’augmentation des garanties en cours de contrat, le risque de suicide, pour les garanties supplémentaires, est couvert à compter de la deuxième année qui suit cette augmentation. » En l’absence d’intervention du législateur, il ne peut être exclu que les règles sur le suicide prévues par le code des assurances et le code de la mutualité soient appliquées, s’il était estimé par l’assureur ou la mutuelle que l’administration d’une substance létale dans le cadre d’une procédure d’aide à mourir était assimilable à un suicide. Les personnes ayant recours à l’aide à mourir et titulaires d’un contrat d’assurance sur la vie, conclu moins d’une année avant le décès, ou ayant fait l’objet d’un avenant d’augmentation des garanties moins d’un an avant le décès, pourraient alors perdre le bénéfice des garanties attachées à leur contrat » (Rapp. préc., t. 1, p. 115).

Le dispositif proposé. Le rapport énonce que « Le présent article vise à éviter que le décès entraîné par l’aide à mourir soit assimilé à un suicide afin que les assureurs et les organismes mutualistes couvrent bien le décès en cas de recours à l’aide à mourir, écartant ainsi toute ambiguïté. Le I du présent article complète l’article L. 132-7 du code des assurances tandis que le II complète l’article L. 223-9 du code de la mutualité, afin d’y inscrire l’obligation de couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir prévue par la présente loi. […] Cette mesure évitera qu’une personne renonce à recourir à l’aide à mourir pour des raisons assurantielles » (Rapp. préc., t. 1, p. 116).

Les explications données sur le choix ainsi opéré sont succinctes. Il est possible d’en déduire que le législateur préfère garantir à tout prix une liberté, individuelle, au mépris même d’une mutualité ou des intérêts d’autrui plus largement. D’aucuns pourraient estimer qu’après tout, un autre choix aurait pu être fait. Par exemple, il aurait pu être décidé de laisser s’écouler le délai d’un an, pour ensuite envisager cette aide à mourir sans conséquence sur le contrat. Soulignons qu’en pratique, il faut supposer une souscription, la survenance du problème et le choix de mourir, réalisé après la procédure suivie, le tout en douze mois… Sans pour autant être exhaustif, de nombreuses questions entrent en scène. Déjà, n’est-ce pas une situation marginale (nous paraissons du moins situés à l’opposé d’un risque extrême, v. G. Bénéplanc, A. Charpentier et P. Thourot, Manuel d’assurance, préf. D. Kessler, 1re éd., PUF, coll. « Savoirs », 2022, p. 69 s.) ? Cette dernière ne traduirait-elle pas une espèce de démagogie textuelle ? Par ailleurs, cette situation, à la supposer produite, ne révèlera-t-elle pas plutôt la fraude ? Faudrait-il alors plafonner le montant de l’assurance-vie – du moins dans cette hypothèse ante un an du « suicide aidé » –, comme l’anticipe l’actuel alinéa 4 de l’article L. 132-7 du code des assurances, mutatis mutandis ? Enfin, si le suicidé peut spéculer en souscrivant une assurance, et provoquer son jeu, voire massivement des assurances, est-ce encore, in fine, de l’assurance ?

L’obligation de garantie du décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir. Précisément, l’article 20 (I et II) projeté (sans sa rédaction initiale en date du 10 avr. 2024, avant amendement) envisage de compléter, premièrement, l’article L. 132-7 du code des assurances de même que l’article L. 223-9 du code de la mutualité par un alinéa ainsi rédigé : « L’assurance en cas de décès doit couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir prévue à l’article 5 de la loi n° […] du […] » (Projet n° 2462, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 10 avr. 2024). Après évolution rédactionnelle par la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi, le texte renvoie désormais directement au code de la santé publique : « L’assurance en cas de décès doit couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir prévue à l’article L. 1111-12-1 du code de la santé publique » (Texte comparatif, Projet de loi préc., première lecture, p. 29). Il est enfin prévu que cet article 20 (III) s’appliquera aux contrats en cours à l’entrée en vigueur de la présente loi. C’est un exemple à nouveau consternant pour l’application de la loi dans le temps et sur le principe même retenu. Le risque de suicide-spéculatif semble avoir été omis.

Rappelons que « le droit des assurances est un droit directif. Il existe un ordre public contractuel. À cet effet, il encadre la garantie de l’assureur dans les hypothèses particulières de fautes intentionnelles rattachées à l’assurance de personnes ou à l’assurance de dommages » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, op. cit., n° 484). À ce titre, l’exclusion du risque pour faute intentionnelle trouve deux illustrations en matière d’assurance sur la vie : « l’une – le suicide – est le fait de l’assuré lui-même, l’autre – le meurtre de l’assuré (le texte, dans sa dernière version, est plus large, incluant le contractant, souscripteur, v. C. assur., art. L. 132-24 ; C. mut., art. L. 223-23) par le bénéficiaire – est le fait de celui qui recueille le bénéfice du contrat » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2017, n° 441). La première exclusion est explicitement neutralisée par le projet. La seconde exclusion n’est pas visée par le projet. L’article L. 132-24 du code des assurances dispose que « le contrat d’assurance cesse d’avoir effet à l’égard du bénéficiaire qui a été condamné pour avoir donné volontairement la mort à l’assuré ou au contractant ». Cet article confère – là encore – au souscripteur (ou à l’adhérent qui dispose déjà de la prérogative du choix au stade de la désignation dans la clause bénéficiaire, v. D. Noguéro, Unilatéralisme et acte non réceptice. À propos de la clause bénéficiaire en assurance-vie, in Trente ans de droit privé, Florilège à l’occasion des trente ans de l’Équipe de recherche en droit privé, H. Boucard et E. Lamazerolles [dir.], Presses universitaires juridiques – Université de Poitiers, 2023, p. 83-131, spéc. p. 85), un droit sur la provision mathématique (J. Bigot [dir.], P. Baillot, J. Kullmann et L. Mayaux, Traité de droit des assurances, t. 4, Les assurances de personnes, LGDJ, 2007, n° 359). On sait que « la faute intentionnelle rompt le caractère aléatoire de l’assurance non seulement lorsqu’elle émane stricto sensu de l’assuré, mais plus largement lorsqu’elle est perpétrée par celui qui a intérêt à la réalisation du sinistre : l’hypothèse du meurtre de l’assuré par le bénéficiaire en offre une parfaite illustration » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, op. cit., n° 449). Pour le meurtre néanmoins, il semble que la logique est un peu différente que dans le cas du suicide, ne serait-ce qu’en raison de la personne à l’initiative et de son intention distincte d’une aide même. Il convient sans doute de conserver le caractère punitif dans cette hypothèse. Se dessinait dans le cas contraire le danger de libéraliser l’aide-bénéfice intact.

Dans le contrat d’assurance, il existe aussi des garanties obligatoires. Ces garanties obligatoires diffèrent des assurances obligatoires. Concrètement, la souscription d’un contrat n’est pas imposée. Seule l’extension de garantie est imposée. Il s’agit de garanties devant obligatoirement être incluses au sein de contrats-socles d’assurance dont la souscription n’est pas nécessairement obligatoire. Outre l’accord de volontés, le contenu du contrat d’assurance peut être imposé, notamment par le biais de telles garanties obligatoires (J. Kullmann, La détermination de la garantie d’assurance. Le rôle de la loi, RCA 2016/9. Doss. 19 ; B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Le contrat d’assurance, contrat institutionnalisé, in Mélanges en l’honneur de J. Mestre, LGDJ, 2019, p. 89-112). À ce titre, l’assurance en cas de décès – soulignons que celle-ci est la seule visée au regard effectivement du type de risque – doit en principe s’étendre au risque de suicide de l’assuré à compter de la deuxième année du contrat (C. assur., art. L. 132-7). Autrement dit, dans tous les contrats d’assurance-vie, qu’ils soient individuels ou de groupe, la faute intentionnelle ne peut être opposée par l’assureur dès lors qu’elle est réalisée à partir du 366e jour après la souscription (le texte contient en effet des exceptions aux al. 3 et 4 ; v. ci-dessous).

En ce qui concerne l’assurance emprunteur, elle couvre divers risques dont le risque de décès. S’agissant de cette garantie du risque décès, elle correspond à une assurance-vie de type « temporaire décès » dont les primes sont constantes sans constitution d’une provision mathématique : à l’issue de l’opération, l’emprunteur, qui a payé les primes en même temps qu’il rembourse le prêt, ne récupère rien et ne peut pas procéder à un rachat du contrat. Cette garantie décès présente une particularité en cas de suicide de l’emprunteur adhérent : la garantie est acquise dès la prise d’effet du contrat (C. assur., art. L. 132-7), et d’autre part, « lorsque le crédit a été demandé pour financer l’acquisition du logement familial la garantie du suicide est obligatoire dès la première année du contrat d’assurance dans les limites d’un plafond réglementaire qui ne peut être inférieur à 120 000 euros (C. assur., art. R. 132-5) » (P. Casson, L’assurance emprunteur, in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 598 s., spéc. p. 602). Avec ce plafond, dont la hauteur peut laisser place à discussion selon l’état du marché immobilier, il y a une certaine maîtrise du risque. À ce titre, « la couverture du risque de décès doit obligatoirement figurer parmi les risques couverts par l’assurance emprunteur : elle forme la base de l’assurance-emprunteur. L’assureur évalue le risque de décès, notamment, à partir de tables statistiques (tables de mortalité ou tables de vie), qui indiquent l’espérance de survie pour un âge donné, selon le sexe de la personne. Ces tables sont publiées par le site de l’Institut national d’études démographiques (INED). La fin de la discrimination par sexe entraîne l’usage de la table commune de mortalité (TGF 05), depuis le 21 décembre 2012. Ce risque n’est plus assuré, au-delà d’un seuil d’âges (60 ans, parfois 70 ans) » (L. Denis et K. Hocquerelle, Droit bancaire. Distribution et courtage en crédit, préf. A. Cayol et R. Bigot, 5e éd., Emerit Publishing, 2023, p. 305, n° 4.2.1.).

La neutralisation des exclusions relatives au suicide en assurance-vie. Ces précisions sont importantes car l’on connaît l’effet manichéen de l’exclusion légale de garantie. En assurance de dommages, la sanction est prévue à l’article L. 113-1 du code des assurances. Elle a pu connaître des fluctuations en jurisprudence (v. infra). En assurances de personnes, un texte spécial, l’article L. 132-7 du code des assurances, édicte une exclusion légale du suicide de l’assuré. Néanmoins, dans ce domaine, la sanction est moins radicale. Elle n’est pas la nullité du contrat, qui a pu être valablement conclu (à moins que l’assurance ait été souscrite avec l’intention préalable de se suicider, par suite d’un dol lors de la souscription donc). Elle prend corps dans la réduction de l’obligation de l’assureur à la provision mathématique du contrat (C. assur., art. L. 132-18). Elle ne joue toutefois que pendant la première année du contrat d’assurance, bref délai durant lequel il est en outre assez rare qu’une provision ait pu être constituée. En effet, une loi du 2 juillet 1998 a réduit le domaine de cette exclusion. Avant cette loi, tout suicide survenu au cours des deux premières années du contrat était exclu. Ce délai a été ramené à un an. En outre, la loi du 2 juillet 1998 a écarté l’application de l’exclusion aux assurances de groupe souscrites par les établissements de crédit pour garantir le remboursement des emprunts. Une modification nouvelle intervint avec la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant, applicable uniquement dans les assurances sur la vie, précisément en cas de décès, et non dans les assurances contre les accidents corporels où seul l’accident (non volontaire donc) constitue l’objet du contrat. Depuis cette même loi, l’exclusion conventionnelle du suicide à partir de la deuxième année du contrat n’est plus permise (C. assur., art. L. 132-7, al. 2).

La définition du suicide. Comprendre la portée de l’article L. 132-7 du code des assurances implique d’appréhender préalablement la notion de suicide, sa définition même. Il s’agirait de « l’action de causer volontairement sa propre mort. La définition usuelle du suicide souligne donc le fait intentionnel conforme à l’article L. 113-1 du code des assurances et il n’y a pas suicide prouvé lorsque la volonté suicidaire n’est pas démontrée » (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, op. cit., n° 443). Si le suicide exclusif de garantie est ainsi un suicide volontaire, cela n’a pas toujours été le cas. Il était aussi un suicide conscient jusqu’à la loi du 3 décembre 2001. D’aucuns s’accordent à penser que n’est pas satisfaisante la réécriture du texte, du moins sa synthèse tiraillée par « des préoccupations techniques, morales et sociales qui animent contradictoirement le législateur » (J. Bigot [dir.], P. Baillot, J. Kullmann et L. Mayaux, op. cit., n° 117-1). Dans cette continuité, l’on pourrait même s’interroger sur un aspect particulier. Un suicide volontaire ne suppose-t-il pas, déjà, la conscience, terreau pour que se forge ensuite une volonté dans le sens d’intention ? L’exigence d’un suicide conscient ne cherche-t-elle pas à écarter le geste d’une personne ayant une altération de ses aptitudes cognitives ? En bref, en pratique, ressort-il de cette évolution de réelles différences ? Il est vrai que la distinction était faite par le passé. Elle ne l’était cependant pas toujours avec une grande limpidité. Il ne faut pas négliger, en outre, l’interférence du jeu des clauses en sus de la loi.

La distinction de la faute intentionnelle et de la faute dolosive. En principe, en assurance-vie en cas de décès, la réalisation du risque de décès entraîne le dénouement du contrat d’assurance-vie et la mise en œuvre des droits du bénéficiaire. L’assureur doit alors exécuter la prestation promise, et payer la garantie convenue. En effet, le sinistre en assurance-vie est le décès de l’assuré dans les assurances en cas de décès (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, op. cit., n° 1070, p. 841). Dans ces circonstances malheureuses, « le bénéfice du contrat revient soit au souscripteur, soit à un tiers qu’il a désigné. La stipulation pour autrui procure en effet à ce tiers bénéficiaire un droit propre et direct qu’il consolide en acceptant. Il est par ailleurs réputé titulaire de ce droit depuis la souscription du contrat que son acceptation ait lieu avant ou après le décès de l’assuré » (K. Bühler-Bonafini, Les assurances-vie, in A. Cayol et R. Bigot [dir.], op. cit., p. 554 s., spéc. p. 590).

Or la preuve du suicide par l’assureur bouscule ce schéma de règlement. Le projet de loi témoigne d’un rétrécissement bienvenu du champ de l’exclusion liée au suicide en assurance-vie – s’ajoutant à la réduction progressive du domaine de cette exclusion qui s’apparentait déjà à « une peau de chagrin » (J. Bigot, P. Baillot, J. Kullmann et L. Mayaux, op. cit., n° 117-8), à l’inverse du pressenti élargissement de la faute intentionnelle en assurances de dommages par suite de la faute dolosive ressuscitée récemment par la jurisprudence faisant désormais une lecture littérale de la loi et du dualisme que le législateur a pu poser en 1930. En effet, en assurances de dommages, l’article L. 113-1 du code des assurances, d’ordre public, interdit la prise en charge par l’assureur d’un sinistre qui trouve son origine dans la réalisation d’une faute intentionnelle ou dolosive. Si l’interprétation resserrée que la Cour de cassation – ne reconnaissant que la faute intentionnelle, en la définissant en outre de manière stricte – a pu avoir du texte pendant des décennies laissait entrevoir de rares cas, concrets, d’exclusion de garantie, l’ouverture récente, vers l’autonomie de la faute dolosive, prêtait à augurer une augmentation du nombre de cas pouvant être caractérisés par les juridictions. En effet, « la résurgence de l’autonomie affichée de la faute dolosive est connue depuis des affaires retentissantes de suicide de l’assuré (Civ. 2e, 20 mai 2020, n° 19-14.306 F-P+B+I, D. 2020. 1106 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle ; RDI 2021. 262, étude A. Pélissier ; 20 mai 2020, n° 19-11.538  F-P+B+I, Dalloz actualité, 9 juin 2020, obs. R. Bigot, D. 2020. 1107 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle ; RDI 2021. 262, étude A. Pélissier ; « la faute intentionnelle et la faute dolosive, au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire » ; v. D. Noguéro, L’exclusion légale de la faute dolosive en cas de suicide, Gaz. Pal. 27 oct. 2020, n° 389r9, p. 46 ; R. Bigot, Le mirage de la faute dolosive autonome ?, in R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre, Panorama Droit des assurances, D. 2024. 1163 , spéc. p. 1165).

D’aucuns ont ainsi pu légitimement s’interroger sur la mise en œuvre concrète de l’évolution jurisprudentielle. « Par suite, les praticiens ne peuvent qu’être légitimement curieux des cas d’application de la faute dolosive. Existe-t-il un changement radical d’orientation quant à l’accueil concret de l’exclusion légale ? Si le suicide retenu pour la faute dolosive a pu provoquer des réactions diverses, jusqu’à l’hostilité, il semble que, depuis 2022, la Cour de cassation n’a pas installé des portes de saloon afin d’accueillir largement la faute dolosive » (D. Noguéro, La faute dolosive privative de la garantie d’assurance serait-elle sciemment en cage ?, Dalloz actualité, 21 mars 2024). En définitive, les décisions récentes témoignent de la conception restreinte de la faute dolosive, d’un point de vue théorique – de par la définition finalement retenue – et d’un point de vue pratique – de par sa faible caractérisation par les juges (v. ex multis, Civ. 2e, 14 mars 2024, n° 22-18.426 P, R. Bigot, préc., D. 2024. 599 ; ibid. 1163, obs. R. Bigot, A. Cayol, D. Noguéro et P. Pierre ; adde sur la conscience, Civ. 2e, 30 mai 2024, n° 22-16.275, n° 22-18.666 et n° 22-18.888 P, Dalloz actualité, 17 juin 2024, obs. N. Allix ; D. 2024. 1017 ; LEDA juill. 2024, DAS202a6, p. 2, obs. C. Béguin-Faynel ; RGDA juill.-août 2024, RGA201z2, p. 24, note L. Mayaux ; RCA juill.-août 2024, n° 177, note D. Krajeski ; 30 mai 2024, n° 22-18.297).

De quoi rassurer ainsi les assurés. Il n’en demeure pas moins que l’exclusion est légale et que la jurisprudence assimile classiquement le suicide à la faute intentionnelle, voire dolosive. Dès lors, en autorisant une forme de suicide par la légalisation de « l’aide à mourir », le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie pourrait, dans une optique habituelle, permettre aux assureurs de refuser en cascade leur garantie dans ce genre de situation. L’objet du texte serait quand même d’écarter l’exclusion pour cause de suicide. Une autre manière d’éviter ce risque d’exclusions sérielles aurait été d’user du jeu des qualifications. Le législateur aurait ainsi pu décider de définir légalement le suicide, en excluant de son périmètre les cas nouvellement autorisés d’aide à mourir, voire de définir légalement ces cas d’aide à mourir en ajoutant qu’ils ne constituent jamais une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré au sens du droit des assurances.

C’est une autre voie qui est envisagée en complétant l’article L. 132-7 du code des assurances de même que l’article L. 223-9 du code de la mutualité par un alinéa dictant l’obligation de couverture des décès survenus dans ces circonstances d’aide à mourir (précisément, « L’assurance en cas de décès doit couvrir le décès en cas de mise en œuvre de l’aide à mourir prévue à l’article L. 1111-12-1 du code de la santé publique »). Le rapport fait au nom de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi indique encore que « cette mesure a été jugée plus sécurisante sur le plan juridique qu’une assimilation du décès lié à une aide à mourir à une mort naturelle, comme cela peut être le cas dans d’autres législations (Belgique, Luxembourg, Québec, etc.) » (Rapp. préc., t. 1, p. 116).

Cet article L. 132-17 du code des assurances prévoit que le contrat de l’assuré est de nul effet si cet assuré se suicide volontairement dans la première année (C. assur., art. L. 132-7). Néanmoins, en matière d’assurances de groupe, cette exclusion légale de garantie ne joue pas. L’exclusion ne peut donc être opposée par exemple dans les assurances souscrites par des emprunteurs ayant conclu un prêt pour acquérir leur logement principal (C. assur., art. L. 132-7, dernier al.). Le motif de la loi dicte alors peut-être ce tempérament avec un encadrement particulier. Par ailleurs, « si l’assuré se suicide, le contrat, de "nul effet", reste valable. Par conséquent, l’assureur devra verser au tiers bénéficiaire les primes payées par l’assuré qui représentent la part d’épargne du contrat (C. assur., art. L. 132-18) » (K. Bühler-Bonafini, op. cit., p. 554 s., spéc. p. 590). En d’autres termes, il en résulte que, « lorsque les engagements contractuels de l’assureur se limitent à cette provision, ce qui est le cas des contrats dits « d’épargne-assurance » qui sont de loin les plus nombreux, tout se passe comme si le contrat était exécuté. En pratique, le domaine substantiel de l’exclusion légale du suicide est donc limité aux contrats de prévoyance et, plus précisément, de prévoyance individuelle » (J. Bigot [dir.], P. Baillot, J. Kullmann et L. Mayaux, op. cit., n° 117-18). L’article L. 132-7 du code des assurances se voit donc progressivement déshabillé de ses prérogatives.

En définitive, à la lumière des dispositions assurantielles, le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie laisse une impression en demi-teinte. L’intérêt de la mutualité est sacrifié sur l’autel de la garantie absolue d’une liberté, individuelle, Accessoirement, d’autres choix auraient pu être faits. Principalement, une certaine démagogie textuelle paraît abriter la situation marginale à laquelle se destine le projet de neutralisation des exclusions de garantie en droit des assurances.