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Le droit en débats

L’audience de règlement amiable et la césure. Point de vue de l’avocat

9 avril 2024 : l’ensemble des avocats parisiens, je reçois un courrier électronique intitulé « Flash info familialistes » de la part du Barreau de Paris.

Naturellement, j’ouvre cet email.

Premier sujet : « L’ARA », suivi de ce communiqué : « Des audiences sont ouvertes et les magistrats attendent que les avocats s’en saisissent dans les dossiers dans lesquels ils estiment que le processus pourrait être utile. Il est suggéré de la proposer dans les dossiers relatifs aux droits de visite des grands-parents par exemple. Dans certains dossiers, la psychologue du tribunal judiciaire affectée aux affaires familiales pourrait intervenir. Dans les dossiers de divorce, une ARA pourrait être mise en œuvre après échange des conclusions sur le fond de chacune des parties, notamment au sujet des désaccords subsistants de l’article 267 du code civil. »

Une nouveauté procédurale est donc promue par les juges aux affaires familiales parisiens. Merveilleuse nouvelle !

Alors même que mon associé Hirbod Dehghani-Azar, Ambassadeur de l’amiable, m’avait fait part de la nouvelle politique amiable, comme de nombreux avocats je me suis trouvée au centre de cette « évolution » procédurale.

Mais au juste, qu’est-ce que l’ARA ?

Moi qui viens de passer mon diplôme de médiateur, vais-je être mise à l’écart au profit de magistrats ?

L’ARA, audience de règlement amiable, a été instituée par le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire.

Elle marque la volonté de plus en plus marquée du gouvernement de mettre en œuvre une véritable politique nationale de l’amiable, lorsque certains critères sont réunis.

C’est d’ailleurs dans cette optique que ce même décret institue le mécanisme de la césure.

L’ARA, une médiation « augmentée »

L’ARA permet à un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement déjà saisie par les parties de tenter d’aboutir à une résolution amiable du différend. Au cours de celle-ci, le juge de l’ARA va alors écouter les parties, dans un cadre confidentiel, et permettre « par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige ».

Tel est l’objectif défini par l’article 774-2 du code de procédure civile, qui précise ensuite que le juge peut entendre séparément les parties.

En pratique, il s’agit de permettre aux parties, en cours d’instance, de trouver un accord total ou partiel – tout en gardant évidemment les règles d’ordre public à l’esprit comme dans tout mode de règlement alternatif de règlement des différends (MARD).

Pour l’heure, l’ARA peut intervenir, sur convocation :

  • en procédure écrite ordinaire avec représentation obligatoire (par avocat) devant le tribunal judiciaire ;
  • en procédure de référé engagée soit devant le président du tribunal judiciaire, soit devant le juge des contentieux de la protection.

Soit à la demande de l’une des parties, soit d’office après recueil de leur avis, lorsque le juge estime qu’une solution amiable est adaptée à la situation.

En tant qu’avocat, il est donc primordial de rester attentif à l’avancée de la mise en état et de la survenue d’une raison permettant légitimement de croire au succès d’une ARA. Dans cette hypothèse, il est essentiel de la proposer à son client puis, en cas d’accord, de la solliciter du juge de la mise en état.

Une solution amiable étant incontestablement la plus adaptée en matière familiale, on comprend aisément que le juge aux affaires familial parisien promeuve le recours à l’ARA, et on ne peut que saluer un tel encouragement de sa part.

Evidemment, l’ARA remplit toutes les garanties des MARD :

  • gain de temps : en particulier, la circulaire d’application du 17 octobre 2023 préconise que le je juge de renvoi veille, dans son « ordonnance de roulement », à orienter l’affaire vers une audience qui ne serait pas trop lointaine et dont la date conviendrait aux parties et à leurs conseils. Le juge peut par ailleurs mettre fin à l’ARA à tout moment, et notamment s’il constate le caractère dilatoire d’une des parties ;
  • économie d’énergie ;
  • maîtrise des coûts ; 
  • solutions adaptées et innovantes ;
  • consensualisme ;
  • confidentialité tout au long de l’ARA, sauf accord contraire des parties ou nécessité impérieuse définie à l’article 774-3 du code de procédure civile. L’audience se tient d’ailleurs en chambre du conseil, hors même la présence du greffe ;
  • absence de contradictoire ;
  • espace non violent de dialogue direct entre les personnes concernées, accompagnées de leur conseil respectif ;
  • impartialité, grâce à la tenue de l’audience par un juge ne siégeant pas en formation de jugement en cas d’échec ;
  • interruption des délais de péremption, grâce à l’interruption de l’instance ;
  • pérennité des solutions et applicabilité ;
  • prévention de litiges ultérieurs.

Si jamais de nombreux MARD existaient déjà (tels que la médiation, la conciliation et la procédure participative), les avantages de l’ARA sont triples.

D’une part, l’ARA concrétise judiciairement la possibilité de maintenir des négociations amiables en cours d’instance judiciaire déjà engagée.

D’autre part, le juge spécifiquement chargé de cette audience est, à l’instar du médiateur, spécialement formé à l’écoute active et aux techniques de reformulation en vue de trouver un accord.

De troisième part, et c’est là l’amélioration par rapport à la médiation, en tant que juge, il doit indiquer aux parties les principes juridiques pour qu’elles s’accordent en toute connaissance de cause et « peut procéder aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu’il estime nécessaires, en se transportant si besoin sur les lieux » conformément à l’article 774-2 du code de procédure civile.

Attention toutefois : la liste des pouvoirs octroyés au juge de l’ARA par le code de procédure civile est limitative. Pour le reste, l’acte d’avocats reste de mise en cas de besoin.

Les avocats conservent donc toute leur importance dans cette procédure. Par exemple, ils peuvent conjointement s’accorder sur le fait de mettre en œuvre une expertise (non citée par l’art. 774-2 c. pr. civ.) et rendre cela possible en rédigeant un acte d’avocats.

De la même manière que pour les autres MARD, en cas d’accord des parties, ces dernières peuvent faire constater leur accord par voie de procès-verbal qui vaudra titre exécutoire. Le juge de l’ARA informe alors son collègue initialement saisi du litige qu’il est mis fin à l’audience de règlement amiable et lui transmet, le cas échéant, le procès-verbal d’accord.

Enfin, il est important de préciser que les parties peuvent souhaiter disposer d’un temps supplémentaire pour préciser leur accord. Dans ce cas, le juge de l’ARA renvoie l’affaire à une seconde audience d’ARA afin qu’un procès-verbal d’accord soit établi, à moins que les avocats ne préfèrent finaliser eux-mêmes l’accord dans les conditions désormais bien connues de l’article 1568 du code de procédure civile.

À ce dernier titre encore, l’importance du rôle de l’avocat demeure : la faculté qui nous est laissée de finaliser l’accord puis d’en assurer l’acquisition de la force exécutoire permettra également d’accélérer les délais puisque les parties n’auront pas besoin d’attendre la tenue de la seconde audience.

Les critères de sélection par les magistrats en perspective, ou non, de l’ARA

Reste à savoir dans quels cas les magistrats orienteront plutôt un dossier vers une ARA même en l’absence de demande en ce sens par les parties.

Ces critères sont les mêmes que pour tout MARD.

Pour rappel, les MARD ont notamment pour objectif de rétablir un dialogue altéré, voire anéanti, entre des parties qui devraient pourtant être normalement amenées à continuer à se côtoyer. Ce dans un espace d’écoute serein. Les MARD permettent par ailleurs de clarifier les besoins par le dialogue, plutôt que de se cantonner à des écrits judiciaires dont la violence est inhérente.

Ainsi, les juges pourront notamment proposer une ARA dans le cas d’affaires à fort contenu émotionnel, en cas de constat de nombreuses procédures en cours entre les mêmes parties, lorsque l’application de la règle de droit semble inadaptée à la résolution du conflit, lorsque la décision qu’ils prendraient serait difficilement exécutable, ou encore pour respecter les enjeux liés au secret des affaires. Les relations de proximité entre les parties, qu’elles soient personnelles, professionnelles ou physiques entrent évidemment en ligne de compte.

Au contraire, il est fort peu probable qu’une ARA soit proposée par le juge, voire acceptée en cas de demande par l’une des parties, lorsqu’une solution juridique est nécessaire, lorsque le litige porte exclusivement sur des droits indisponibles, ou en cas de déséquilibre manifeste entre les parties.

La césure, à l’origine d’un jugement assorti d’un règlement amiable

Institué par le même décret que l’ARA, le mécanisme de la césure concerne la procédure écrite ordinaire avec représentation obligatoire (par avocat) devant le tribunal judiciaire.

La césure permet aux parties, par l’intermédiaire de leur conseil, de demander au juge de la mise en état, initialement saisi de l’intégralité du litige, de limiter dans un premier temps l’instruction de leur affaire à certaines prétentions et de prononcer la clôture partielle de l’instruction à ce titre. À l’appui de cette demande, les parties doivent produire un acte contresigné par avocats qui énumère les prétentions à l’égard desquelles elles sollicitent un jugement partiel.

Ce mécanisme a notamment pour objet de soumettre une question de droit au juge tout en laissant ultérieurement la possibilité aux parties d’essayer de régler les conséquences patrimoniales à l’amiable.

La place de l’avocat est donc également prépondérante dans cette nouveauté procédurale : il lui appartient de cerner d’une part les enjeux qui devront nécessairement faire l’objet d’une décision judiciaire, soit pour une question de droit, soit parce qu’aucun accord n’a pu être trouvé au préalable entre les parties, et d’autre part ceux susceptibles d’être négociés de façon subséquente.

Naturellement, à supposer qu’aucun accord ne survienne dans ce cadre, le tribunal devra rendre un autre jugement sur ces points.

À l’instar des autres MARD, la césure permet également de préserver les délais : délais de prescription, mais aussi délais de péremption ! Pour ce faire, les parties ne devront cependant pas manquer de demander au juge de la mise en état de prononcer un sursis à statuer à propos des points non tranchés par elle, jusqu’à obtention d’une décision définitive sur les prétentions qui lui sont soumises.

Elle permet également une maîtrise des délais et une rapidité accrue de la justice : dans l’hypothèse où le jugement partiel ferait l’objet d’un appel, celui-ci serait traité par la procédure à bref délai.

Attention néanmoins : en cas de deuxième jugement faute pour les parties d’être parvenues à un accord, ce dernier jugement sera « définitif » et non plus partiel. L’éventuel appel subséquent sera alors traité de manière « ordinaire ».

Dans l’hypothèse favorable où, au contraire, les parties parviennent à un accord, elles doivent alors solliciter son homologation auprès du juge, et déposer des conclusions à fin de désistement d’instance et d’action pour éteindre l’instance initiale.

L’avantage de la césure est donc de permettre la poursuite de discussions amiables sur certains points malgré la nécessité, pour les parties, d’obtenir un jugement sur d’autres dans un premier temps.

Sa mise en œuvre est néanmoins subordonnée à l’existence de prétentions distinctes qui peuvent de surcroît être tranchées par deux décisions distinctes.

Si certains pouvaient craindre, à terme, la disparition des juges compte tenu de la montée en puissance des MARD et de l’intelligence artificielle, cela n’a plus lieu d’être puisqu’ils sont désormais pleinement acteurs de « l’amiable ».

Certes il s’agit d’une gestion amiable sous l’égide du juge et adaptée aux besoins et contraintes de notre modèle judiciaire.

Grâce à des juges formés aux techniques de la médiation et disposant de pouvoirs supplémentaires par rapport à d’autres tiers intervenant dans les MARD, la décision judiciaire va de nouveau retrouver tout son attrait et ne sera plus considérée comme l’ultime issue, en cas d’échec de l’amiable.

De même, l’avocat représentant son client au contentieux ne risquera plus d’être considéré comme un avocat belliqueux, mais bien comme un avocat qui use de toutes les voies de droit pour défendre au mieux les intérêts de son client.

Une fois l’instance judiciaire engagée, les avocats devront continuer à échanger entre confrères sur leur ressenti de la situation et leur appréciation globale de la situation afin de solliciter l’ARA ou la césure au moment le plus opportun.