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Le droit en débats

L’exploitation des marques dans le cadre de la Coupe du Monde de Rugby

France 2022, 2023, 2024. Si la succession des compétitions sportives d’envergure internationale fait le bonheur des passionnés de sport, elle fait également celui de certains opérateurs économiques y voyant là l’occasion de nouvelles opportunités commerciales. Celles impulsées par la Coupe du Monde de Rugby suscitent une mêlée d’interrogations inhérentes au droit des marques et imposent autant de précautions, tant du côté des sponsors officiels que du côté des tiers désireux de profiter de cette dynamique. Pick and go !

Par Pierre Favilli le 09 Octobre 2023

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Marque de l’Union européenne n° 018170215

L’exploitation réalisée par le sponsor

La Coupe du Monde de Rugby 2023 dénombre plus d’une trentaine de sponsors, répartis en quatre catégories (partenaire majeur, sponsor officiel, fournisseur officiel et supporter officiel). La contrepartie associée à chacun de ces partenariats est évidemment fonction de l’importance de l’investissement réalisé par le sponsor.

L’image associée à la marque du sponsor et son pouvoir d’attractivité se trouvent incontestablement confortés par le succès médiatique de la compétition. La jurisprudence a ainsi pu définir ces effets attachés à la marque au travers de la notion de fonction d’investissement. Elle s’entend comme le moyen d’acquérir ou de conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser le consommateur (CJUE 22 sept. 2011, Interflora, aff. C-323/09, D. 2011. 2332, obs. C. Manara ; ibid. 2012. 1362, obs. S. Durrande ; ibid. 2343, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; Légipresse 2011. 592 et les obs. ).

Parallèlement, la Coupe du Monde se révèle aussi comme un instrument de choix en faveur de la reconnaissance ou de la confirmation de la renommée de la marque du sponsor. Avec un match d’ouverture France-Nouvelle Zélande réunissant 16 millions de téléspectateurs en France, les scores d’audience laissent préfigurer une augmentation des chiffres enregistrés sur l’édition 2019, qui avait réuni plus de 850 millions de téléspectateurs à travers le monde. Ainsi, si les marques des sponsors ne bénéficient pas encore toutes du statut de marque de renommée, nul doute qu’une telle exposition médiatique auprès d’une partie substantielle du public européen favorisera une telle reconnaissance, laquelle revêt un grand intérêt en matière de défense des droits.

La reconnaissance de l’atteinte à la renommée d’une marque est subordonnée à plusieurs conditions cumulatives (TUE 22 mars 2007, VIPS, aff. T‑215/03). La marque dont on invoque la renommée doit d’abord être enregistrée. De plus, la marque de renommée et la marque contestée doivent être identiques ou similaires. Enfin, l’usage de cette dernière doit conduire au risque qu’un profit puisse être indûment tiré ou qu’un préjudice puisse être porté au caractère distinctif ou à la renommée de la marque antérieure.

La jurisprudence déduit de cette dernière exigence qu’elle suppose l’existence d’un lien entre les signes en cause, dans l’esprit du public concerné par les produits ou services pour lesquels la marque antérieure bénéficie d’une renommée (CJUE 26 juill. 2017, Staatliche Porzellan-Manufaktur Meissen c/ EUIPO, aff. C‑471/16 P).

Ainsi, l’appréciation de ce lien doit être réalisée globalement et permet de se dégager de l’appréciation classique de la similarité entre les produits et services en cause, bien qu’une certaine proximité entre ces derniers concoure à reconnaitre l’existence du lien dans l’esprit du public. La dérogation au principe de spécialité est donc relative.

Un degré de protection supérieur pourrait toutefois être conféré aux marques des sponsors bénéficiant déjà d’une renommée. Grâce à la surexposition médiatique offerte par la Coupe du Monde de Rugby, ces marques pourraient en effet bénéficier d’une exceptionnelle renommée, laquelle dépasse alors le seul public initialement concerné (TUE 6 juill. 2012, Jackson International c/ OHMI – Royal Shakespeare, aff. T‑60/10).

Si la confortation de la fonction d’investissement de la marque du sponsor et la possible acquisition d’une renommée ou d’une exceptionnelle renommée constituent de réels avantages, ceux-ci ne doivent pas occulter certaines limites, tenant notamment à l’étendue de son usage sérieux.

Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle, en vue d’acquérir ou de maintenir des parts de marché (CJCE 11 mars 2003, Ansul BV c/ Ajax Brandbeveiliging BV, aff. C-40/01, D. 2003. 2691, et les obs. , obs. S. Durrande ; RTD com. 2003. 602, obs. M. Luby ). Cet usage peut être réalisé directement par le titulaire ou par l’intermédiaire d’un tiers, avec son consentement.

La Cour de cassation a récemment rendu un arrêt d’importance, lequel précise les conséquences de la qualité du tiers réalisant l’usage de la marque sur l’étendue de cet usage (Com. 22 juin 2022, n° 21-10.051 F-D, D. 2023. 311, obs. Centre de droit et d’économie du sport (OMIJ-CDES), Université de Limoges ; Légipresse 2022. 409 et les obs. ; ibid. 557, étude Y. Basire ; RTD com. 2022. 763, obs. J. Passa ).

Dans cette affaire, les sociétés L’Équipe et Intra presse ont assigné la société Sport Co et Marquage en contrefaçon de la marque antérieure L’Équipe. Cette dernière a présenté une demande reconventionnelle en déchéance, pour défaut d’usage sérieux de la marque L’Équipe, notamment à l’encontre des services d’« Éducation ; formation ; divertissement ; activités sportives et culturelles » en classe 41.

Si les juges considèrent que le contrat de licence, assimilable à un contrat de louage, permet de reconnaitre la validité de l’usage de la marque pour les produits et services proposés par le licencié, tel n’est pas le cas en matière de sponsoring.

Dans l’affaire portée devant la Cour, les sociétés requérantes font ainsi valoir une pratique de naming afin de prouver l’usage sérieux, par un tiers, de la marque antérieure L’Équipe. Elles invoquent ainsi le fait que depuis plusieurs années, une société tierce organise un événement sportif intitulé « 10 km L’Équipe », avec le consentement de la société L’Équipe, titulaire de la marque. Les sociétés requérantes soutiennent que ce partenariat justifie de l’usage sérieux de la marque antérieure L’Équipe pour les services suscités de la classe 41.

La Cour de cassation retient le contraire. En effet, elle assimile le contrat de sponsoring à un contrat à seule vocation publicitaire, assurant ainsi la promotion de la marque pour les produits et services proposés par le sponsor.

En conséquence, l’exploitation réalisée par les organisateurs de la Coupe du Monde de Rugby ne permettra pas au sponsor de voir reconnaitre un usage sérieux de sa marque pour des services de divertissement et d’activités sportives, mais vaudra uniquement pour son cœur d’activité. Il s’agit là d’une précision d’importance, anticipant tout débat dans le cadre de litiges mettant en cause l’usage sérieux des marques des sponsors, lesquelles couvrent parfois de nombreux produits et services dont certains ne font pas l’objet d’exploitation.

L’exploitation réalisée par le tiers

À l’issue de la Coupe du Monde de Rugby 2019 qui s’est déroulée au Japon, de nombreuses marques ont été déposées par la Rugby World Cup Limited dans la perspective de l’édition française à venir. Parmi celles-ci, notons diverses marques complexes associant les termes Coupe du Monde de Rugby ou Rugby World Cup à la représentation du logo propre à l’édition 2023.

Le risque majeur pour la Rugby World Cup Limited et les organisateurs de la compétition ne réside probablement pas dans la réalisation d’actes contrefaisants de la part de tiers, conscients des risques judiciaires qu’ils encourent. Les actes de concurrence déloyale sont en revanche susceptibles d’être bien plus nombreux. Dans le cadre de manifestations sportives, ceux-ci s’expriment sous la forme bien particulière de l’ambush marketing.

L’ambush marketing consiste pour une entreprise à se rendre visible du public à l’occasion d’une manifestation sportive ou culturelle afin d’y associer son image, tout en évitant de rémunérer les organisateurs et de devenir un sponsor officiel (Paris, pôle 5 - 2e ch., 10 févr. 2012, n° 10/23711). Si la pratique n’est pas interdite, elle est condamnable dès lors qu’elle est assimilable à un comportement parasitaire. Ainsi, toute entreprise se plaçant dans le sillage de la Coupe du Monde de Rugby afin de bénéficier de sa notoriété sans bourse délier pourra être condamnée en application de l’article 1240 du code civil.

Les agissements condamnables peuvent prendre une multiplicité de formes tel que l’illustre le cas des Dim-Dim Girls qui exhibaient leurs dessous lors de matchs de la Coupe du Monde de Rugby 2007. Il s’agit là du premier cas d’ambush marketing condamné en France. Relevons également le cas des Bavaria Girls qui, vêtues aux couleurs de l’entreprise, animaient les tribunes de la compétition. Le résultat est sans appel, Bavaria a vendu bien plus de bières que son concurrent Budweiser, pourtant sponsor officiel.

Ainsi, l’on peut en déduire que sera aisément condamnable l’association de termes faisant référence à la Coupe du Monde de Rugby avec la marque d’un tiers, afin de faire penser au consommateur que cette dernière fait l’objet d’un partenariat officiel. Est donc déconseillée la reprise de ces termes, qu’ils soient ou non enregistrés à titre de marque. Parmi ceux-ci, notons notamment l’expression France 2023, protégée par le biais de la marque de l’Union européenne n° 018396859 représentée ci-dessous :

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Dans une décision d’opposition OP21-3366 du 5 juillet 2022, l’INPI a reconnu l’absence de similarité entre la marque antérieure Paris 2024 et la demande contestée Horizon 2024, malgré la présence commune de l’année 2024. L’Institut relève notamment les différences intellectuelles entre ces signes, puisque si la marque antérieure évoque un événement se déroulant à Paris en 2024, à savoir les Jeux Olympiques, cette évocation est absente de la demande contestée.

Parallèlement, l’Institut a reconnu la similarité entre les signes Paris 2024 et Seine-Saint-Denis 2024 dans une décision d’opposition OPP18-2335 du 27 novembre 2018, au motif qu’ils font pareillement référence aux Jeux à venir.

Il est donc possible d’en déduire que l’utilisation d’un terme géographique (a fortiori s’il fait référence à une ville hôte de la Coupe du Monde de Rugby) suivi de l’année 2023 pourrait être constitutif d’actes d’ambush marketing condamnables au titre du parasitisme, si une entreprise décidait de les exploiter dans le cadre de son activité commerciale, notamment en association avec sa propre marque.

Il convient toutefois de relativiser l’exploitation des informations en lien avec la compétition, à l’aune de la position de la Cour de cassation, qui a confirmé l’absence de faute du constructeur Fiat publiant des images d’un de ses modèles, accompagnées du texte suivant : « France 13 Angleterre 24, La Fiat 500 félicite l’Angleterre pour sa victoire et donne rendez-vous à l’équipe de France le 9 mars pour France-Italie » (Com. 20 mai 2014, n° 13-12.102, D. 2014. 1428 , note J.-M. Marmayou ; Légipresse 2014. 398 et les obs. ). Les juges ont considéré que cette communication se bornait à diffuser une information sportive, sans volonté de détournement du flux économique attaché à l’événement.

La communication commerciale parallèle à la tenue d’un événement sportif impose donc de réelles précautions que doivent prendre en compte les opérateurs économiques. La Coupe du Monde de Rugby permet d’en appréhender les contours. Toutefois, à l’approche des Jeux Olympiques 2024 et au regard des règles spéciales les protégeant, ces mêmes opérateurs devront faire preuve d’une vigilance supplémentaire – ou d’une prudence olympienne – afin d’éviter tout hors-jeu !