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Le droit en débats

L’option MARD renforcée par la crise du covid-19 ? Comment la dématérialisation et l’oralité préservent leur continuité et le lien avec le justiciable

Les conséquences de la crise sanitaire actuelle se sont abattues soudainement sur la justice civile, que le Rapport d’étape de la commission des lois du Sénat du 29 avril 2020 sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire décrivait comme à l’arrêt, du fait de plans de continuité d’activité allant au-delà de ce qu’imposeraient les mesures sanitaires et d’un retard technologique dans les outils de dématérialisation des procédures et de travail à distance des magistrats.

Son redémarrage très progressif s’accompagne d’une évolution radicale, issue de l’ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 « portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété », dont l’article 8 autorise, lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, une procédure sans audience.

Présentée comme une mesure provisoire et sanitaire, accompagnant le déconfinement, cette évolution sert plus prosaïquement à tenter de résorber les stocks d’affaires en attente. Or, ces stocks existaient avant la crise, et l’on peut donc se demander si cette mesure sera réellement provisoire. Faut-il y voir le désintérêt du juge pour l’oralité, voire une défiance, en ce que l’audience contribuerait à la lenteur reprochée à la justice, elle-même justifiée par le temps de l’apaisement des passions, que l’audience raviverait ? Une justice moderne et efficace exclut-elle nécessairement l’oralité ?

Dans ces circonstances, les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) feront sans doute l’objet d’un intérêt renouvelé de la part des justiciables, notamment des entreprises.

L’arbitrage, par la liberté laissée aux parties d’organiser la procédure, et la souplesse de la plupart des règlements d’arbitrage (v., M. Danis et M. Valentini, L’arbitrage au-delà du confinement, Lettre ODA du 6 mai 2020), offre des solutions de continuité efficaces, tant pour l’introduction de nouvelles requêtes que pour l’instruction de celles en cours. À titre d’exemple, on citera le règlement d’arbitrage ICC, dont la « ICC Guidance Note on Possible Measures Aimed at Mitigating the Effects of the COVID-19 Pandemic » du 9 avril donne une interprétation large, permettant l’organisation d’audiences virtuelles, en ce comprises les auditions de témoins et d’experts, y compris même, le cas échéant, à défaut d’accord des parties.

La médiation qui place les parties au cœur du processus, par nature plus souple encore, autorise quant à elle le recours à tous les moyens technologiques disponibles pour faire que les parties s’écoutent et parviennent à construire une solution, jusqu’à la signature électronique d’un protocole, lorsque la médiation a permis d’y aboutir, qui la consacre et lui donne une portée conventionnelle ou transactionnelle.

Pour constituer l’alternative espérée, ces MARD devront néanmoins éviter certains écueils.

Ainsi, si l’arbitrage permet au tribunal de conduire n’importe quelle étape de l’instruction en visioconférence, il n’en demeure pas moins qu’enchaîner des jours et des semaines d’audience sous cette forme paraît délicat, voire contre-productif. Ceci pourrait contribuer, rejoignant le souhait d’une partie des praticiens, à limiter l’influence de procédures inspirées de la common law, mécanismes de discovery et de cross-examination, qui, même rationalisés, sont jugés généralement coûteux et chronophages (v., en réaction, les Règles de Prague, publiées le 14 déc. 2018, qui se proposent d’offrir une alternative de type beaucoup plus inquisitoire à ces procédures essentiellement accusatoires).

De même, une des clés de la médiation est souvent la faculté, pour le médiateur, d’avoir des échanges en aparté avec les parties. Les outils technologiques devront permettre de conserver cette faculté, de même que des arbitres devront pouvoir échanger, délibérer entre eux lors des interruptions d’audiences, tandis que les parties, elles, auront regagné leur break-out rooms virtuelles.

Rien d’insurmontable a priori, et le basculement en distanciel imposé par des crises sanitaires ne devrait pas nuire à l’efficacité de ces MARD, dès lors qu’ils conservent une place essentielle à l’écoute du justiciable, sans laquelle il ne peut y avoir de sentiment de justice et d’efficience. Dans l’oralité préservée résidera le sentiment des justiciables d’avoir été entendu et l’acceptation de la solution du conflit.

Les MARD pourraient ainsi ne plus être une solution alternative à la justice étatique mais la réponse nécessaire au besoin de justice ou plus prosaïquement de réponse et de solution à un conflit, dont les tensions de la société et de la compétition multiplient l’occurrence.

Le juge étatique, à l’exception du juge pénal, se cantonnerait alors à ne plus être que le juge de soutien et d’exequatur s’il persiste à vouloir abandonner l’audience. Il serait inspiré de préserver ses audiences et de les repenser en les rendant interactives ; c’est le moment du questionnement permettant la reconstruction des faits qui devront être qualifiés juridiquement et c’est le lieu – virtuel ou présentiel – de la compréhension des mobiles et des intérêts des justiciables.

Les MARD en s’étant construits autour de ce moment et de ce lieu de débat sont incontestablement une réponse au besoin de justice. Administrer n’est pas juger.