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Le droit en débats

L’ordonnance de protection en 24 heures : vitesse ou précipitation ?

Le 8 mars 2023, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la Première ministre, Élisabeth Borne, a présenté un plan interministériel quinquennal pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Parmi les quelques dizaines de mesures énoncées, se trouvait la réforme de la procédure relative à l’ordonnance de protection.

Cette mesure permet au juge aux affaires familiales de protéger les victimes de violences intra familiales dans un délai très rapproché.

Actuellement, l’ordonnance de protection doit être délivrée dans un délai de six jours. Néanmoins, face à l’urgence induite par les violences conjugales, la temporalité juridique s’essouffle. Les délais ne suffisent plus et le temps ne cesse d’être compressé.

Aussi, le 8 mars 2023, le gouvernement a mentionné la possibilité de mettre en place l’octroi d’une ordonnance de protection dans un délai de 24 heures.

Si nous ignorons pour l’heure les contours précis de cette mesure, celle-ci suscite, d’ores et déjà, quelques interrogations.

L’émergence de l’ordonnance de protection

Créée par la loi du 9 juillet 20101, l’ordonnance de protection est inspirée de l’ordonnance restrictive américaine « restraining order ».

Cette procédure permet à une victime de violences conjugales, selon les règles de la procédure civile, de se voir délivrer par le juge aux affaires familiales une décision portant, à titre principal, sur sa protection et, le cas échéant, celle de ses enfants. À titre complémentaire, le juge est en mesure de statuer provisoirement sur les modalités liées à l’exercice de l’autorité parentale ainsi que sur la jouissance du logement conjugal.

Deux conditions cumulatives doivent être établies par la requérante : la vraisemblance des violences et l’actualité du danger. À ce titre, si certaines preuves permettent de caractériser de manière indubitable l’existence de violences et donc, d’un danger, le faisceau d’indices est généralement ce qui permet au juge de statuer.

Concrètement, la victime de violences conjugales, seule ou avec le concours d’un avocat, rédige une requête2 et rassemble les éléments de preuve afin de déposer son dossier au greffe de la juridiction aux affaires familiales.

Le juge délivre alors une ordonnance fixant la date d’audience et autorisant la requérante à assigner. Celle-ci dispose d’un délai de deux jours à partir du lendemain du jour de fixation de l’audience afin de faire procéder à la signification.

À partir de la signification de la requête, le défendeur dispose d’un délai pour préparer sa défense qui correspond peu ou prou au délai restant jusqu’à la date de l’audience. À noter que, dans cet intervalle, le parquet est saisi et doit délivrer un avis sur la requête.

Actuellement, aux termes des dispositions de l’article 515-11 du code civil, le juge doit statuer sur le bien-fondé de la requête dans un délai de six jours à compter de la fixation de la date d’audience3 … Ce délai, qui s’est considérablement réduit depuis l’introduction de cette procédure en 20104, suscite en pratique quelques difficultés tant l’exigence de célérité se trouve parfois mise à mal par les réalités pratiques d’organisation et de fonctionnement des juridictions.

Cette contrainte s’ajoute également à la croissance exponentielle des ordonnances de protection sollicitées. En effet, la procédure s’impose désormais en tant qu’outil essentiel de la protection des victimes de violences conjugales, en particulier depuis les lois du 28 décembre 20195 et du 30 juillet 20206. Selon le Guide de l’ordonnance de protection, le nombre de requêtes, qui était de 54 en 2010, a atteint 5 700 en 2020 . À ce titre, l’intérêt et l’efficacité de cette mesure ne font guère de doute. À noter que les associations féministes ou spécialisées dans la lutte contre les violences conjugales appellent de leurs vœux que ce nombre atteigne entre 30 et 40 000 dans les années à venir, à l’instar du modèle espagnol7.

L’ordonnance de protection condense à elle seule toutes les interrogations liées à la temporalité. L’éternité de ceux qui souffrent fait face à la réalité de ceux qui jugent. L’urgence cherche un espace entre la précipitation et la nécessité. Si le délai de six jours fait parfois frémir, qu’en sera-t-il de la réduction drastique annoncée par le gouvernement ?

L’avenir de l’ordonnance de protection

Si la proposition du gouvernement s’inscrit dans un contexte général tendant à faire de la lutte contre les violences intra familiales une priorité, cette préconisation se heurte malheureusement à quelques difficultés pratiques et quelques limites juridiques.

Nul ne peut nier qu’en matière de violences conjugales, l’urgence est indispensable. Néanmoins, comment la concilier avec le travail des parties, celui du parquet et du siège ?

Tout d’abord, le délai de 24 heures relatif à la délivrance d’une ordonnance de protection ne saurait dissimuler le long et fastidieux travail réalisé en amont du dépôt de la requête par la victime et son conseil. En effet, la procédure civile fait peser la charge de la preuve sur le demandeur, à savoir, la victime. Aussi, il convient de compiler minutieusement et rigoureusement chaque élément tendant à justifier le prononcé d’une ordonnance de protection : copie des plaintes, collecte des certificats médicaux, attestations de témoins… Cette quête probatoire s’inscrit donc dans une temporalité certaine.

Rien de plus complexe pour une victime de violences conjugales, a fortiori lorsqu’elle n’a pas déposé plainte ou lorsqu’elle se trouve dans une situation de précarité, de se jeter corps et âme à la recherche des preuves attestant des violences qu’elle a pu subir. Matériellement et émotionnellement, cette démarche demande du temps et de l’énergie, ce dont manque généralement les victimes. L’urgence peut donc attendre… Aussi, le rôle du parquet peut s’avérer salutaire, si tant est qu’il soit en mesure de s’en saisir8.

Selon l’article 515-10 du code civil, dès réception de la requête, le juge fixe la date de l’audience et convoque les parties. Il saisit également le Ministère public pour avis. Actuellement, le rôle du parquet au stade de l’ordonnance de protection se borne majoritairement à émettre un avis qui informe le juge et les parties de sa position sur le bien-fondé de la requête.

Toutefois, dans certaines juridictions – et on ne peut que le saluer – le parquet émet un avis motivé et produit des éléments décisifs. En effet, si la plainte de la requérante n’est pas un préalable nécessaire à la délivrance d’une ordonnance de protection, l’existence d’une procédure initiée au pénal est bien souvent déterminante. Qui de mieux que le procureur de la République peut avoir connaissance de ces éléments, s’en saisir et les produire au soutien d’une telle procédure ? Il en va de même des antécédents judiciaires, des mains courantes ou des éventuels classements sans suite qui ne sont pas nécessairement accessibles à la victime.

Ainsi, l’avis du parquet est en mesure de palier les contraintes matérielles auxquelles peuvent se confronter les victimes et permettre de répondre à l’urgence de la situation qui ne se limite pas au délai d’audiencement, mais inclut nécessairement la collecte d’éléments probants.

Toutefois, force est de constater que le Ministère public, considérant son organisation et ses moyens actuels, n’est pas toujours en mesure d’occuper la place qui lui est offerte en la matière ; a fortiori dans un délai aussi contraint que celui imposé par la loi et qui tend de nouveau à se réduire.

En effet, la possibilité d’émettre un avis motivé nécessite un travail de recherche et de collecte susceptible d’emporter la conviction du juge. La réforme de 20199 enfermant dans un délai de six jours la délivrance d’une ordonnance de protection, a déjà eu pour effet d’imposer un rythme difficilement compatible avec un travail qualitatif. Il semble donc illusoire de penser que ce travail, indispensable, puisse être réalisé en quelques heures. À titre d’exemple, certains parquets qui ont pu se doter de services spécialisés en matière de violences conjugales10 ne sont pas toujours en capacité de réaliser cet avis motivé dans un délai de six jours. Qu’en sera-t-il lorsque l’avis devra être produit en quelques heures ?

Il est donc possible que, dans l’esprit de la nouvelle loi, il soit attendu du Ministère public qu’il soutienne la requête à l’audience et assiste aux débats devant le juge aux affaires familiales, à l’instar de sa présence aux débats contradictoires devant le juge des libertés et de la détention ou d’autres procédures d’urgence. Se posera alors la sempiternelle question de l’organisation des parquets et de leurs moyens humains pour permettre d’assumer cette charge nouvelle.

Face aux réalités pratiques, tout porte à croire que le rôle du parquet se limitera à celui d’une chambre d’enregistrement des requêtes, une sorte de machine automatisée à délivrer des avis.

In fine, la réduction du temps post requête se répercutera sur le délai nécessaire à la collecte de preuves par la victime, qui ne pourra plus compter sur le Ministère public pour lui venir en soutien. Malheureusement, les vases semblent communiquer.

Enfin, s’agissant des limites juridiques, se pose naturellement la question du contradictoire et des droits de la défense.

Outre les délais de signification du défendeur, à la charge de la requérante lorsqu’elle a un avocat et encadré dans un délai de deux jours à compter du lendemain de la fixation de l’audience11, qui devront être réformés, comment assurer la possibilité de se défendre dans un délai si restreint ? Force est de constater que le défendeur se verra confronter à une impossibilité temporelle de réunir les preuves qui lui sembleraient pertinentes, alors même que les juridictions constatent parfois l’usage détourné de l’ordonnance de protection soit au soutien d’une procédure au fond devant le juge aux affaires familiales, soit comme moyen d’obtenir une décision rapide sur l’exercice de l’autorité parentale, en dehors d’un contexte de violences conjugales12. Aussi, il convient donc d’être précautionneux quant au respect du contradictoire d’autant plus que l’article 1136-6 du code de procédure civile invite le juge à s’assurer « qu’il s’est écoulé un temps suffisant entre la convocation et l’audience pour que le défendeur ait pu préparer sa défense ». Si imprécise soit-elle, la lettre du texte ne saurait être respecté par l’instauration d’un délai de 24 heures. Espérons que le législateur, ou, tout du moins, le Conseil constitutionnel, ne fasse pas l’économie de cette étape essentielle à cette procédure particulièrement coercitive.

En définitive, le temps équilibré est difficile à trouver. La justice de l’urgence résonne parfois comme un oxymore. Nombreuses sont les questions qui restent à l’esprit suite à cette annonce. Réelles seront les réponses qui devront, en toute hypothèse, concilier à la fois l’impératif de protection des victimes, le respect des droits fondamentaux et la réalité pratique des juridictions.

 

1. Loi n° 2010-769 du 9 juill. 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
2. Elle peut également utiliser un formulaire « Cerfa ».
3. C. pr. civ., art. 1136-3 et s. La décision est généralement notifiée par voie de signification selon les diligences de la requérante, mais peut également être notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception si le juge le décide ou par voie administrative (par l’intermédiaire de la police ou de la gendarmerie) si l’urgence de la situation l’exige.
4. Il fallait bien souvent plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans certaines juridictions, avant d’obtenir une ordonnance de protection avant la réforme issue de la loi du 28 déc. 2019.
5. Loi n° 2019-1480 du 28 déc. 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
6. Loi n° 2020-936 du 30 juill. 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
7. Fédération nationale des victimes de féminicides. Selon le Guide de l’ordonnance de protection édité en novembre 2021 par le ministère de la Justice, en 2020 le nombre d’ordonnances de protection délivrées en Espagne s’élevait à 25 289.
8. Selon les dispositions de l’art. 515-10 c. civ., le ministère public a la faculté de saisir directement le juge aux affaires familiales aux fins de voir délivrer une ordonnance de protection à la victime.
9. Loi n° 2019-1480 du 28 déc. 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
10. Comme le parquet de Lyon qui s’est doté en 2021 d’une « Cellule violences conjugales ».
11. C. pr. civ., art. 1136-3.
12. S’il n’y a pas de chiffres précis sur ce sujet qui relève davantage d’un constat éprouvé au cours de la pratique, il semble que cela soit marginal.