Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Libre cours : Que restera-t-il de l’Europe après la crise du coronavirus ?

Par Sylvaine Poillot Peruzzetto le 06 Avril 2020

Peu de chose, a priori, si l’on constate, précisément, à défaut de politique commune de santé, l’absence de réponse européenne à la crise et, face à un même virus, le déploiement de réponses nationales, diverses, dans des contextes sanitaires variés. Encore moins si l’on additionne les états d’urgence prononcés, tandis que l’État de droit est condition d’entrée à l’Union. Et, moins encore, si l’on observe la libre circulation des personnes, noyau dur de la citoyenneté européenne, se fracasser contre l’obligation de confinement et, finalement, contre la fermeture des frontières.

Et d’ailleurs, qui pourrait vouloir encore la sauver ? Cette Europe devenue si prompte à se noyer dans les détails et dans les procédures, sans savoir retrouver le pourquoi essentiel de chacune de ses actions. Cette Europe si affaiblie du Brexit et des populismes, en partie nés de sa propre faiblesse. Cette Europe si naïve, oublieuse de ce que la fermeté de la conviction est nécessaire au maintien du cap premier. Cette Europe qui a fait du marché intérieur un défi majeur, sans avoir réussi l’articulation entre l’économique et le politique par le pari de l’harmonisation sociale et fiscale. Cette Europe qui a bien du mal à communiquer sur ses autres avancées. Bref, cette Europe qui semble avoir perdu son sens.

L’histoire rappelle ce qu’elle fut.

L’Europe, qui, avant d’être l’Union européenne, fut la Communauté européenne du charbon et de l’acier, puis Euratom et la Communauté économique européenne, s’est construite, il y a plus de soixante ans, pour la paix, afin de sortir du cercle infernal des guerres incessantes entre les États d’Europe. Parce que toutes les familles avaient subi des pertes, les pères fondateurs ne pouvaient, pour y parvenir, que proposer une coopération économique par la construction d’un marché commun, devenu marché intérieur. Ils anticipaient cependant, par une conception finalement marxiste, que cette infrastructure économique conduirait à des rapprochements culturels et politiques. La paix pour les peuples d’Europe était l’objectif, le rapprochement économique, un moyen.

Aujourd’hui, l’Europe fait face à guerre nouvelle, mais d’un autre genre, car venue d’ailleurs.

D’abord, la guerre contre le coronavirus est présente dans tous les États. Comment, à cet égard, ne pas se réjouir de ce sursaut qui conduit les médecins allemands, au nom de la solidarité européenne, à accueillir les malades venus de France ? Comment ne pas rappeler qu’un essai clinique européen a été lancé dimanche pour traiter quatre traitements expérimentaux contre le coronavirus dans sept États au moins ? La diversité des situations et des ressources, en ce temps de guerre, ne fait pas, au contraire, obstacle à l’Union, dont les nappes phréatiques restent imprégnées de sa belle devise : « unie dans la diversité ».

En outre, la guerre contre le risque de « déshumanité », dès lors que la technologie permet à un État autoritaire de contrôler quotidiennement les individus, par la maîtrise des données personnelles. Comment oublier que, si l’Union peut prêter le flanc à bien des critiques, elle fut à l’origine d’un extraordinaire règlement permettant aux individus de garder le contrôle de leurs données personnelles ? Elle donne le moyen de défendre un modèle de société où les données peuvent être analysées mais doivent être anonymisées.

L’Europe, grâce à la crise, a retrouvé un sens profond.

Dans le vaste monde, les Européens ont leur mot à dire sur le statut des données personnelles, comme sur la caractérisation du risque majeur qui permet, pour un temps, l’état d’urgence, dans le strict cadre d’un État de droit.

Mais ces défis, et le contexte dans lequel ils s’inscrivent, diffèrent de ceux de l’origine de la construction de l’Union. Partant, les modalités et la nature de la réponse doivent être revues. L’objectif premier d’un rapprochement politique est aujourd’hui, à la différence d’il y a soixante ans, non seulement possible mais indispensable. C’est pour affirmer, dans le cadre d’un État de droit suffisamment solide pour dépasser les crises, un modèle de société où prime la liberté individuelle (qui va absolument de pair avec l’acceptation de la différence de l’autre), pacte social des citoyens européens, que l’Europe doit d’abord resserrer les liens politiques. Mais, pour peser dans les débats, elle doit être économiquement forte et suffisamment autonome : le grand marché et l’européanisation des structures essentielles en seront son filet plutôt que son objectif, un filet aux mailles serrées de l’économie sociale et durable.

Ainsi, de l’économique au politique d’abord et, aujourd’hui, du politique à l’économique, en creusant dans les soubassements, l’âme de l’Europe, son essentiel de paix, loin d’être perdue, subsiste. Aux Européens, pour l’après-coronavirus, de la prendre délicatement dans leurs mains et construire l’Europe de demain.