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Libre cours : Si j’étais encore directrice de prison

Par Christelle Rotach le 28 Avril 2020

Si j’étais encore directrice de prison …

Je vous aurais dit le quotidien des personnes détenues comme des personnels.

Un quotidien si différent de ce qu’il est habituellement, dans les maisons d’arrêt où j’ai exercé.

Mais voilà, je ne suis plus directrice de prison, je télétravaille depuis un mois.

La tribune qui m’est offerte, j’ai voulu l’utiliser pour rendre hommage aux femmes et aux hommes de l’ombre, indistinctement, directrices et directeurs de prison, personnels de surveillance, d’insertion et de probation, administratifs, techniques, contractuels, toutes et tous qui, chaque jour, assurent la continuité du service public pénitentiaire, malgré les difficultés d’information, d’acheminement de matériel, d’organisation du service, malgré aussi les maladies ou les deuils parmi les proches qui peuvent toucher certains d’entre eux…

Enfermement et confinement, ce n’est pas la même chose. L’enfermement c’est la privation de la liberté d’aller et venir hors les murs. Désormais et depuis plusieurs semaines déjà, le confinement s’ajoute à l’enfermement.

Dans les murs, les leviers de gestion de la détention et du temps sont nombreux : le travail, la formation professionnelle, l’enseignement, le sport, les activités culturelles, occupationnelles ou ludiques, la promenade, les visites des familles ou des avocats … C’est aussi les intervenants, professionnels de santé, de l’enseignement, les employeurs, les bénévoles qui vont et viennent chaque jour aux côtés des personnels pénitentiaires. Les activités comme les acteurs scandent la journée de détention et maintiennent le lien social.

Depuis, il y a eu le stade 2 de l’épidémie de covid-19 et les instructions de renforcement des règles sanitaires, de limitation des risques de propagation et de strict respect des gestes barrière. Les établissements et services pénitentiaires ont alors activé les plans de continuité d’activité, recherché des lieux d’isolement pour les personnes détenues infectées, recensé le matériel à disposition. L’administration pénitentiaire l’avait déjà fait à plusieurs reprises, en 2009-2010 lors de l’épidémie de Grippe A (H1N1) et dans une moindre mesure géographique dans les cas d’épidémies ultramarines de dengue, de chikungunya ou de zika.

Puis, le 15 mars dernier, le stade 3 de l’épidémie est décrété, et le confinement s’est organisé au sein même des lieux d’enfermement : forte restriction des déplacements, y compris les transferts et les extractions, suspension des activités et des parloirs. Une telle mesure n’avait jamais été prise à une telle échelle et pour une telle durée. Allait-on tenir alors que le maintien des liens familiaux est l’un des piliers essentiels de sérénité des détentions ? Question essentielle. Passée la sidération, c’est la colère, la contestation qui gronde dans les établissements pénitentiaires, et qui se manifeste dans les structures mais jamais dans la mesure des scènes de violence extrême qu’ont connu les établissements pénitentiaires italiens. Rapidement, des mesures compensatoires sont décidées, expliquées aux personnes détenues qui les accueillent bien : la gratuité de la télévision, l’accès élargi au téléphone, le développement de messagerie vocale pour les familles et les avocats, un crédit téléphonique supplémentaire, un soutien financier doublé au profit des personnes détenues). Ainsi, l’accès au téléphone en cellule est-il une avancée indéniable dans de telles circonstances.

Une lutte active contre la pandémie et contre les risques de tension en détention s’est organisée avec des initiatives locales à saluer :

  • la prolongation des horaires de promenade, l’aménagement des espaces extérieurs avec l’installation de tables de ping-pong ou la mise à disposition de ballons, ou l’organisation de douches supplémentaires dans les établissements où elles sont encore collectives ;
  • la distribution des produits d’hygiène complémentaires et de lessive, l’organisation d’un système de blanchisserie dans la mesure où les familles ne prennent plus en charge le linge ;
  • s’agissant de la diffusion de l’information, elle prend des formes variées, avec l’usage des canaux vidéos internes, l’organisation de rencontres régulières de groupes de personnes détenues pour expliquer les mesures plus restrictives parfois rendues nécessaires par l’évolution de la situation. Des soignants y participent parfois. Dans d’autres sites, un numéro vert est mis en place pour joindre le CPIP ou rester en contact avec son médecin.

Deux phénomènes ont eu une influence significative sur les effectifs de personnes détenues hébergées en établissement pénitentiaire alors que la surpopulation pénale présentait un risque majeur de catastrophe sanitaire : la baisse de l’activité judiciaire a diminué considérablement les entrées d’une part, les mesures d’urgence de libérations anticipées ont accéléré les sorties d’autre part. Le travail conjoint des autorités judiciaires, des SPIP et des greffes des établissements pénitentiaires a permis la libération de plus de 9 000 personnes en France en application de l’ordonnance du 25 mars 2020 et la diminution de la densité carcérale notamment des maisons d’arrêt. Ces mesures contribuent au respect de la prophylaxie.

Tout cela n’aurait pas pu se mettre en place sans les personnels de santé, très présents et actifs dans les établissements pénitentiaires. Mais surtout tout cela n’est possible que grâce aux personnels pénitentiaires. Au quotidien, ils assurent leur service. Alors certes, parmi eux aussi, il est des personnes vulnérables qui sont confinées et ne sont plus aux côtés de leurs collègues, mais tous les autres sont là, au front toujours, malgré les doutes, dans les établissements, les services, en première ligne, mais aussi dans les directions interrégionales. Parfois, certaines, certains sont eux-mêmes touchés par la maladie, il faut être là, soutenir. Les services se sont organisés pour un respect strict des règles sanitaires : des réunions d’informations ont été organisées au profit des personnels, les prises de services sont parfois décalées et les arrivées de personnels perlées pour éviter l’affluence dans les vestiaires. Les uns et les autres inventent de nouvelles façons de travail, de nouvelles façons d’être présents auprès des personnes détenues qui leur sont confiées. Tel moniteur de sport a élaboré des programmes de mises en forme à pratiquer en cellule, tel technicien des recettes de cuisine, les surveillants prennent plus de temps pour discuter.

Des réunions virtuelles ont lieu entre les échelons nationaux, interrégionaux et locaux pour que l’information circule au plus vite, au plus juste : quels matériels au profit des personnels ? Gants, masques, gels hydroalcooliques ? Dans quel délai seront-ils mis à disposition ? Dans quelles circonstances, les différents matériels seront-ils utilisés ? Comment s’organisent les repos, les congés, la rémunération des heures supplémentaires ? D’autres initiatives encore ont été prises pour lutter contre l’angoisse créée par le confinement comme des permanences téléphoniques assurées par les psychologues des personnels ou des débriefings par visioconférence. D’autres solidarités se mettent en œuvre jour après jour.

Alors bien sûr, à tort ou à raison, certains diront que tout n’est pas comme ainsi décrit, qu’il y a des tensions, fortes parfois, des violences verbales ou physiques à l’endroit des personnels en première ligne, que les informations ne sont pas communiquées, que le matériel n’est pas distribué, que la gestion administrative est défaillante. Peut-être, sans doute même. Mais n’est-il préférable de dire que les personnels pénitentiaires, face à un phénomène inédit, ont réagi toutes et tous en serviteurs de l’État, qu’une fois encore, face aux épreuves auxquelles ils sont confrontés, à titre personnel ou professionnel, ils ont fait leur travail, ils se sont surpassés.

Mais, je ne suis plus directrice de prison.

À toutes et tous, je voulais rendre cet hommage, leur dire mon soutien et mon profond respect.

Eux aussi des héros, sans doute.