« La promesse synallagmatique de vente vaut vente sauf lorsque les parties, quoique convenues du bien et du prix, subordonnent sa formation à un accord sur un autre élément ou à un accord passé dans une certaine forme. […] L’inexécution d’une promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente ne donne lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts [et ne peut déboucher sur la formation de la vente]. » Tels sont, fidèlement reproduits, les termes de l’article 15 de la seconde version de « l’offre de réforme du droit des contrats spéciaux » de l’association Henri Capitant ! Des termes à propos desquels il nous semble tant permis qu’irrésistiblement tentant, dans le cadre serein et fertile d’une pure disputatio universitaire, d’émettre humblement de franches réserves plutôt objectives. Il nous paraît, en effet, que la véritable et réelle nature juridique de la « promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente », parce que les parties ont « subordonn[é] sa formation à un accord sur un autre élément ou à un accord passé dans une certaine forme » (telle la réitération du compromis de vente par acte authentique), ne permet pas, normalement, de déduire de « l’inexécution d’une [telle] promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente […] l’octroi de dommages et intérêts ».
Certes, il est aujourd’hui incontestable et incontesté que l’énonciation, dans un acte sous seing privé portant d’ores et déjà accord sur la chose et le prix, qu’un accord sur un autre élément ou un accord passé dans une certaine forme (comme la régularisation de la promesse par acte notarié) n’a pas ordinairement pour effet de subordonner la formation de la vente à la survenance de cet « événement »1, de sorte que le refus ultérieur de l’une des parties de « se prêter au jeu » constituerait une défaillance contractuelle sanctionnable au moyen, notamment, de l’exécution forcée de l’acte juridique2. Néanmoins, il en va autrement s’il résulte clairement des termes de la convention ou, a minima, des circonstances de l’espèce que la volonté des parties a été de faire d’un « accord sur un autre élément ou un accord passé dans une certaine forme » un « élément constitutif de leur consentement »3. En effet, il apparaît – voire appert – que, dans cette situation particulière et plutôt rarissime au point de confiner à une vue de l’esprit, la « promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente » n’est tout simplement pas un contrat mais un simple projet de contrat ainsi « distinct […] de tout engagement, même unilatéral »4, et privé de toute obligatoriété5.
Pourtant, pour les éminents et célèbres rédacteurs de l’article 15 de « l’offre de réforme du droit des contrats spéciaux » de l’association Henri Capitant, une sanction juridique – « l’octroi de dommages et intérêts » au titre d’une responsabilité civile visiblement contractuelle – est « naturellement » attachée à cette prétendue « promesse synallagmatique de vente » en guise de brevet ou d’attestation de sa nature juridique contractuelle et, donc, de ses « vertus » obligationnelle et obligatoire. Erreur de casting sous l’angle de la qualification juridique appropriée ? Sans aucun doute ! Erreur d’aiguillage sous l’angle du régime juridique adéquat ? Fatalement ! En effet, le régime explicitement retenu (à propos de la sanction juridique énoncée) nous semble « indu » parce que la qualification implicite l’ayant induit serait elle-même « indue » : la « promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente » n’a pas la nature juridique d’un contrat mais celle d’un banal projet de contrat de vente qui, à ce titre, est dénué de toute portée obligationnelle et de toute force obligatoire6. Rappelons, si besoin est, que le contrat est « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations » (C. civ., art. 1101). Or, dans la « promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente », les protagonistes ont expressément, clairement et à dessein exprimé leur vœu et manifesté leur volonté de ne pas consentir, de ne pas contracter, de ne pas s’engager… dans l’attente d’un hypothétique « accord [de volontés] sur un autre élément » ou d’un éventuel « accord [de volontés] passé dans une certaine forme ». Il s’ensuit qu’il faut avouer, sans coup férir, qu’une « promesse synallagmatique de vente » vaut nécessairement vente (« lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et le prix ») ou ne vaut absolument pas vente et, dans ce dernier cas, elle ne vaut rien ou, plutôt, ne vaut rien d’autre qu’un simple projet de vente qui n’est pas source d’engagement ou de contrainte et pourrait ainsi ne rester qu’un vœu pieux7. « Comme on ne peut en même temps s’obliger et ne pas s’obliger »8, on ne peut pas légalement s’engager (dans la « promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente ») à s’engager librement (dans la vente) sous peine de sanctions (responsabilité civile) si l’on choisit finalement de ne pas s’engager (à vendre ou à acheter). N’est pas un engagement contractuel le soi-disant engagement (dans une prétendue promesse synallagmatique de vente) de s’engager (à vendre et à acheter) sans obligation de s’engager (à vendre ou à acheter). Simple question de logique ou de rationalité juridique !
L’élément « vital » au contrat que constitue le consentement ne pourrait pas y être l’objet d’une condition et si, par extraordinaire, il venait à l’y être, une telle « condition aberrante »9 serait sans aucun doute purement potestative de la part du ou des débiteurs et, donc, frappée d’une nullité10 vouée à rejaillir sur l’acte juridique passé sous une telle condition11. Force est dès lors d’admettre qu’une soi-disant « promesse synallagmatique de vente ne valant pas vente » ne constitue qu’un simple projet de vente, « marqué par l’absence de volonté de contracter »12, dont l’abandon ad nutum, qui n’est que « l’expression de la liberté de ne pas contracter »13, est à la discrétion des parties et ne saurait ainsi, en règle ordinaire, constituer un quelconque fait générateur de préjudice « passible » de responsabilité civile… Il ne pourrait ou ne devrait en être autrement que dans l’hypothèse d’école dans laquelle l’échec du projet serait susceptible, sur le fondement des articles 1112 et 1240 ou 1241 du code civil, d’être déduit de la violation fautive et dommageable par l’une des parties de l’obligation impérative de bonne foi devant présider à toutes négociations précontractuelles14.
1. Civ. 3e, 20 déc. 1994, n° 92-20.878, D. 1996. 9 , obs. O. Tournafond ; AJDI 1996. 2, étude M. Azencot ; RDI 1995. 341, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary-Houin ; JCP 1995. 353, note C. Larroumet ; JCP N 1996, p. 501, note D. Mainguy ; 18 févr. 2009, n° 08-10.677, AJDI 2009. 637 , obs. S. Prigent ; JCP N 2009, n° 23, 1194, note J.-J. Barbieri ; JCP 2009. 1209, note C. Sévely-Fournié ; 24 mars 2009, n° 07-16.550, AJDI 2009. 654 ; BRDA 8/2009, n° 10 ; 25 mars 2009, n° 08-11.326, D. 2009. 1020 ; ibid. 2010. 224, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2009. 317, obs. B. Fages ; Constr.-Urb. 2009. 41, n° 76, note C. Sizaire ; v. néanmoins, à propos du particularisme et même de l’autonomie du droit des assurances, Civ. 3e, 7 mai 2014, n° 13-16.400, D. 2014. 1152 ; ibid. 2015. 1231, obs. M. Bacache, D. Noguéro, L. Grynbaum et P. Pierre ; AJDI 2015. 58 , obs. F. Cohet ; BPIM 4/2014, inf. 273 : sauf clause contraire, l’acquéreur d’un immeuble a qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur des vendeurs garantissant les risques de catastrophe naturelle, même pour les dommages nés antérieurement à la vente ; Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-10.973, D. 2019. 534 ; AJ contrat 2019. 250, obs. B. Borius ; Constr.-Urb. 2019, n° 66, note C. Sizaire ; BPIM 2/2019, inf. 123.
2. Civ. 3e, 25 mars 2009, n° 08-11.326, préc. : le contractant victime d’une inexécution a la faculté de modifier son option entre poursuivre soit l’exécution de la vente, soit sa résolution, tant qu’il n’a pas été statué sur sa demande initiale par une décision passée en force de chose jugée.
3. Civ. 3e, 20 déc. 1994, n° 92-20.878, préc.
4. V., L. Rozès, Le projet de contrat, in Mélanges dédiés à Louis Boyer, Presses de l’université des sciences sociales de Toulouse, 1996. 639 s., spéc. 640.
5. V., P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 10e éd., LGDJ, 2018, n° 129 ; A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 13e éd., LGDJ, 2019, n° 106 : « en réalité, il n’y a alors pas de véritable engagement et la “promesse” n’est qu’un simple projet » ; F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, n° 74 : « le refus de signer l’acte authentique peut être légitime lorsque les parties se sont réservé ce droit, […] parce qu’elles ne se sont pas engagées [projet non obligatoire] » ; Civ. 3e, 10 sept. 2013, n° 12-22.883, RDC 2014. 54, obs. P. Brun ; JCP N 2014. 1255, obs. M. Mekki.
6. V., L. Rozès, art. préc., spéc. p. 640 et 642 : « le projet présenté ne vaut pas engagement de contracter ; pour devenir contrat l’acte suppose la manifestation du consentement de la part de chacun des contractants » ; « le projet se caractérise davantage par ce qu’il n’est pas que par ce qu’il est ; il n’est pas le contrat, il n’a pas de caractère obligatoire ; ce n’est même pas l’avant-contrat ; c’est l’avant du contrat, le non-droit. Sa place se situe dans le vide juridique, en amont de ce qui est obligatoire, dans le précontractuel ».
7. V., L. Rozès, art. préc., spéc. p. 653 : parce que « la liberté préside à son élaboration comme à son abandon », « le projet sans suite […] est une possibilité qui reste à la discrétion des parties ».
8. A. Bénabent, op. cit., n° 106.
9. F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, préc., n° 74.
10. P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, op. cit., n° 129. Rappr. A. Bénabent, op. cit., n° 106 : « En droit civil, une condition est un événement futur et incertain suspendant l’existence d’une obligation. Comme on ne peut en même temps s’obliger et ne pas s’obliger, seul un événement ne dépendant pas des parties peut constituer une condition, car lui seul est incertain. Si l’événement mis en condition est l’exercice par les parties d’un acte de volonté – telle la réitération de la promesse par acte authentique ou le paiement d’un prix –, l’acte n’est pas conditionnel et peut avoir deux significations, selon la volonté des parties. Ou bien, elles se sont engagées à exécuter cet acte ; l’événement n’est pas incertain, puisqu’elles peuvent y être contraintes ; il constitue un terme. Ou bien, il s’agit d’un simple projet, qui n’est pas obligatoire. »
11. Com. 23 sept. 1982, n° 81-10.131, Bull. civ. IV, n° 284 ; Civ. 3e, 7 juin 1983, n° 82-10.281, Bull. civ. III, n° 132 ; D. 1983. IR 481, obs. B. Audit.
12. L. Rozès, art. préc., spéc. p. 641.
13. L. Rozès, art. préc., spéc. p. 653. Contra : A. Bénabent, op. cit., n° 106 : « il faut toutefois admettre (à peine de dénier tout sens au mot “promesse”) qu’elle (la promesse de vente ne valant pas vente) peut à tout le moins fonder une condamnation à des dommages-intérêts de celui qui s’y soustrait et empêche la formation de la vente (par analogie avec le cas où une partie fait obstacle à la détermination du prix par un tiers) » ; néanmoins, la fragilité de cette proposition doctrinale et de la comparaison censée l’appuyer tient au fait qu’une sanction fondée sur l’article 1592 du code civil ne traduit rien d’autre que l’exécution d’un contrat de vente qui, lui, est d’ores et déjà valablement, incontestablement et définitivement formé.
14. En effet, « il n’en ira autrement que dans des circonstances particulières fondées sur l’abus de droit qui peut être source de responsabilité dans la rupture des pourparlers, responsabilité qui ne saurait être que délictuelle » (L. Rozès, art. préc., spéc. p. 654).
Cette chronique fait également l’objet d’une publication (en Point de vue) dans l’AJDI de février 2021