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Le droit en débats

La Ligue du LOL, la prescription ne tient plus qu’à un tweet

À la suite des révélations concernant des faits de cyberharcèlement qui se seraient déroulés entre 2009 et 2012, madame la secrétaire d’État Marlène Schiappa, apportant son soutien sur Twitter, a été interpellée d’un tweet de l’une des concernées : « Merci pour ça. Mais ça ne résout pas le problème de la prescription… ». Une belle occasion d’affichage politique et de réflexions juridiques autour de la prescription de l’action publique.

Par Salomé Papillon le 21 Février 2019

Ces derniers jours ont laissé éclore de multiples accusations de cyberharcèlements qui se seraient déroulés entre 2009 et 2012, émanant d’un groupe Facebook : la Ligue du LOL. Ses membres, notamment des journalistes, communicants ou publicitaires, auraient harcelé un grand nombre de personnes sur Twitter, essentiellement des femmes aux revendications féministes.

Il n’en fallut pas moins pour qu’une vague d’indignation s’empare de la toile, secoue les médias et hashtag les politiques. Au premier rang des incompréhensions et revendications apparaît sans surprise la prescription de l’action publique. Rappelons que, depuis 20171, le délai de prescription pour les délits a doublé pour atteindre six ans2. Toutefois, bien que d’application immédiate, ce délai ne s’applique pas aux infractions déjà prescrites avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi3, ce qui semble être le cas d’espèce.

Interpellée sur la question, la secrétaire d’État Marlène Schiappa, a déclaré sur Twitter que : « rien n’empêche d’étudier l’allongement des délais de prescription », rappelant que l’« on vient de l’allonger de dix ans pour les viols sur mineurs ».

Peut-on encore s’étonner d’une telle proposition ? Sans doute pas. Toutefois, il est encore permis de s’en indigner. Malmenée, étirée jusqu’à l’écartèlement, de la prescription de l’action publique il ne reste que la carcasse. Véritable outil de politique pénale, tout est mis en place pour lui échapper comme si son acquisition n’avait aucune utilité, si ce n’est l’impunité. Aussi subsiste la question du sens donné à une institution anéantie à chaque nouvel événement médiatique, à chaque nouveau tweet.

Cet événement témoigne une nouvelle fois de l’élasticité de la prescription de l’action publique, dont les fondements ne semblent pas suffisamment solides pour justifier son existence.


L’illustration d’une institution malléable

L’intervention virtuelle de Marlène Schiappa, proposant d’étudier l’allongement des délais de prescription en matière de cyberharcèlement, éclaire parfaitement sur le sort réservé à l’institution. Sans cesse évitée et contournée, l’hostilité qu’elle procure n’est pas nouvelle.

Une réforme insatisfaisante

Antérieurement à la loi du 27 février 2017, le régime de la prescription était particulièrement incertain. Souvent imprévisible4, parfois contra legem5, la jurisprudence multipliait les subterfuges pour repousser son acquisition. Aussi, l’intervention du législateur était souhaitable, voire nécessaire. Néanmoins, malgré l’allongement conséquent des délais6 et la légalisation de certains procédés tendant à faire efficacement échec à l’acquisition de la prescription de l’action publique7, la réforme n’a pas eu pour effet d’apaiser les passions ni d’éliminer l’animosité dirigée contre ce mécanisme juridique.

Une prescription sacrifiée

L’élan de solidarité suscité par la victime, s’il est naturel, conduit à utiliser cet élément de la procédure pénale comme une sucrerie que l’on donnerait à l’enfant qui pleure. À l’image d’un tableau de Jackson Pollock, les articles 7 et suivants du code de procédure pénale continuent d’être modifiés par saccade. Aussi, comme le rappelle madame Schiappa, le délai vient d’être allongé pour certaines infractions sexuelles sur mineur8 moins d’une année après la réforme majeure qu’a connue la prescription de l’action publique. Si l’extension de ces délais suffit à satisfaire, indépendamment de l’effectivité des poursuites et des condamnations, alors pourquoi ne pas en faire autant pour le cyberharcèlement ? Sous l’impulsion émotionnelle, le droit se plie de façon presque instinctive et la prescription de l’action publique se mue en un véritable instrument politique.

Une suggestion déconcertante

Cette actualité témoigne parfaitement de l’influence de l’information de masse, instantanée et polymorphe, qui tend à exacerber la réactivité des réponses apportées, dépourvues de cohérence et de réflexion juridique.

Sur la forme, l’allongement du délai de prescription en matière de cyberharcèlement est alarmant car il contrevient à la cohérence de la répartition tripartite et ne trouve aucune justification particulière. En effet, si l’on perçoit aisément ce qui anime les dérogations concernant les infractions sexuelles sur mineurs, à savoir les difficultés que peuvent éprouver les victimes à dénoncer de tels faits, principalement en raison de leur âge et du contexte au sein duquel ils se produisent, le raisonnement ne saurait être transposé au cyberharcèlement. En la matière, la difficulté relève davantage du culte du silence que des délais de prescription. Or la libération de la parole semble progressivement s’imposer comme en témoigne cet événement ou le phénomène #metoo. De plus, celle-ci trouve désormais une oreille juridique puisque le 4° de l’article 222-33-2-2 du code pénal9, créé par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (JO 5 août), se réfère précisément à de tels comportements. À en croire cette évolution, le cyberharcèlement nécessiterait davantage une sensibilisation qu’une extension des délais de prescription. Outre l’efficacité de l’éducation, cette réponse permettrait d’éviter des réformes pulsionnelles.

Enfin, sur le fond, cette prise en otage de la prescription de l’action publique, qui s’ébranle à chaque nouveau fait divers, témoigne d’une difficulté à comprendre le sens et l’intérêt de l’institution. En effet, cette intervention illustre à la perfection la fragilité de ce mécanisme juridique, perçue avant tout comme un obstacle à surmonter. Incomprise, assimilée à l’impunité par excellence, la prescription de l’action publique suscite les plus vives hostilités. Ce rejet s’explique notamment par les fondements traditionnels sur lesquels elle s’érige. Dès que l’on s’en approche, le sens de la prescription nous échappe, si bien qu’il devient désormais plus simple de la modifier plutôt que de l’expliquer.


La manifestation de fondements instables

Légitimer la prescription n’est pas une tâche aisée. Si l’intuition la considère nécessaire, la diversité des arguments à son origine sème le doute. Au fil des années et des auteurs, la prescription s’est enrichie de nombreux fondements s’articulant autour de logiques qui leur sont propres. En effet, qu’elles soient morales, sociales ou techniques, les sources de ces justifications apparaissent particulièrement disparates. Si la solidité des fondements de la prescription est essentielle pour une bonne application de son régime, leur abondance et leur diversité interrogent ; à croire qu’aucun argument n’est suffisamment pertinent pour légitimer l’institution tout entière.

La prescription et l’oubli

Traditionnellement, la prescription et l’oubli sont intimement liés. Le principal argument relatif à l’oubli considère qu’au fil des années, la tourmente se dissipe, les conséquences de l’infraction s’évanouissent et l’agitation collective disparaît. Ainsi, la prescription consacrerait juridiquement la fin du trouble à l’ordre public. Cela revient à supposer que, si l’agitation a disparu, le déclenchement de l’action publique aurait pour unique effet la réouverture de blessures cicatrisées.

Parallèlement, l’oubli se manifeste sous une autre forme, celle de l’apaisement de la victime. Selon cet argument, la victime n’aurait plus besoin de réponse pénale, passé un certain temps.

Toutefois, fonder l’institution sur la notion d’oubli rencontre rapidement quelques limites. En effet, nous évoluons dans une société hypermnésique car avant tout médiatique. Défiant l’effet du temps, internet peut faire ressurgir des événements que le législateur considérait pourtant comme « oubliés ». En témoignent les faits d’espèce, puisque ces cyberharcèlements réapparaissent après plusieurs années de silence. Rien ne s’efface. De même, il est difficile d’interpréter le silence comme un apaisement ou une renonciation. L’esprit humain ne semble pas si limpide et l’on sait pertinemment que nombreuses peuvent en être les causes. La peur, la culpabilité, le refoulement… Rien ne permet d’affirmer que tout silence signifie renonciation et oubli. User de celui de la victime pour fonder la prescription serait en abuser. À cet égard, les révélations concernant la Ligue du LOL illustrent parfaitement le fait que les victimes étaient loin d’avoir oublié. Des années après, les blessures n’étaient toujours pas cicatrisées.

La situation semble plus complexe qu’il n’y paraît, « “la grande loi de l’oubli” n’apparaît plus dans notre société, tout à la fois société médiatique et de mémoire, comme une loi sociale si évidente qu’elle puisse fonder la prescription de l’action publique »10. Il nous est donc permis de nous interroger sur la connexion qui peut être faite entre prescription et sanction. Prescription pour mettre fin à la sanction, mais également prescription en tant que sanction.

La prescription et la sanction

Autour de l’idée de sanction gravitent deux fondements usuellement rattachés à la prescription. Le premier recouvre un aspect moral et touche au délinquant lui-même. Il se déduit de l’idée selon laquelle la vie du délinquant en attente d’une potentielle poursuite ne peut être qu’une vie effroyable, faite de crainte et d’angoisse. Finalement, une sanction en soi.

À l’inverse, le second fondement s’éloigne du délinquant pour se rapprocher du ministère public. Il cristallise l’idée selon laquelle la prescription servirait à sanctionner le parquet pour son inaction et sa négligence, celle de ne pas avoir agi dans le temps imparti.

Ce premier fondement est empreint de romantisme juridique. En effet, cette généralisation du temps et de son effet paraît fragile. L’impunité ne signifie pas forcément la prudence mais peut, au contraire, inciter le délinquant à recommencer en renforçant son sentiment d’impunité. Ainsi, il ne semble pas que les membres de la Ligue du LOL se soient terrés dans l’angoisse et la crainte dès le premier fait de harcèlement. Le phénomène s’est au contraire étendu sur plusieurs années et concerne vraisemblablement de nombreuses victimes, ce qui engloutit la potentielle reconnaissance d’un tel argument.

Concernant la sanction des autorités de poursuite, il s’agit là d’un fondement rationnel. Pour autant, est-il nécessaire de mettre en place un tel mécanisme, qui serait par ailleurs de nature à entacher, au-delà du ministère public, la victime et la société tout entière ? Est-il réellement concevable d’envisager la prescription des faits d’espèce comme une sanction du ministère public ? Se serait-on trompé de coupable ?

La sanction pour négligence n’apparaît pas suffisamment solide pour justifier la prescription de l’action publique. C’est pourquoi il s’agit à présent d’espérer que l’interférence entre la prescription et la preuve permette de comprendre et justifier ce mécanisme.

La prescription et la preuve

Le dépérissement des preuves est également évoqué au secours de la prescription afin de justifier son existence. Cet argument soutient qu’au fil des années, les preuves peuvent se dégrader et se détériorer. De fait, ce raisonnement concerne tant la preuve scientifique que celle qui émane des mots, ceux des témoins ou des victimes. Ainsi, la prescription permettrait de se prémunir contre la dissolution des éléments de preuves et la modification des souvenirs sous le poids du temps.

Toutefois, l’évolution exponentielle des moyens techniques vient heurter l’argument du dépérissement des preuves scientifiques. Dans le cas d’espèce, internet laisse des traces que le temps ne saurait effacer. In fine, il semble que ce soit au contraire la prescription elle-même qui les anéantisse.

Concernant les souvenirs, il peut être opposé le fait que l’émotion ressentie chez les témoins, mais surtout chez les victimes d’infractions, a un effet direct sur leur conservation. L’émotion permettrait de cristalliser l’instant, à tel point que, bien des années plus tard, la victime serait en mesure de se souvenir avec exactitude des conditions de l’infraction11. De plus, peut-on réellement attribuer cette fonction à la prescription, à l’image de l’adage in dubio pro reo ? Lorsque les preuves ne sont pas assez viables ou convaincantes, la règle veut que le doute profite au mis en cause et que le tribunal prononce une relaxe afin de sauvegarder la présomption d’innocence et éviter toute erreur judiciaire. Ainsi, le sens de la prescription fondé sur le dépérissement des preuves laisse perplexe, d’autant plus que certaines infractions, telles que le viol ou l’agression sexuelle, connaissent des délais de prescription particulièrement dérogatoires, alors même que, les concernant, la preuve peut être extrêmement délicate à rapporter.

Finalement, cette affluence de fondements nous révèle une réalité particulièrement grinçante : « La variété et le nombre de fondements proposés ne trahissent-ils pas la difficulté que l’on éprouve à justifier une règle, dont on ressent intuitivement la nécessité mais qui ne s’impose pas par un argument péremptoire »12 ? Si autant d’idées tentent de légitimer la prescription, c’est sans doute qu’aucune n’est encore parvenue à convaincre et rallier autour d’elle toutes les convictions. Or l’abondance des fondements n’est pas sans effet sur le régime de l’institution.

La volonté d’étendre les délais de prescription de l’action publique fonctionne comme un leitmotiv, car son sens et son utilité n’apparaissent pas immédiatement. Cette hostilité prend racine dans l’incompréhension. Comment construire un régime stable et cohérent si rien ne permet de contrebalancer le sentiment d’impunité ?

Face à ce constat, deux possibilités semblent s’offrir. La première serait de supprimer purement et simplement ce mécanisme juridique afin d’éviter les nombreux stratagèmes pour lui échapper. L’autre possibilité consisterait à repenser les fondements de la prescription de l’action publique, afin de les inscrire dans une réflexion globale. Le temps est venu d’instaurer de nouveaux fondements à l’institution, afin que celle-ci soit comprise et non subie. À cet égard, peut-être faudrait-il s’intéresser au tri objectif et égalitaire qu’elle opère entre les affaires, aux garde-fous qu’elle dresse contre les peines uniquement rétributives ou à la contre-productivité d’une sanction trop tardive. L’étude et la révélation des fondements juridiques de la prescription semblent être la condition sine qua non à sa survie. Enfin, cette actualité conduit à interroger la place la victime : n’est-il pas temps d’offrir à cette dernière une place nouvelle et satisfaisante, en dehors du système pénal, plutôt que de tenter maladroitement de lui adapter la procédure ?

 

 

1. L. n° 2017-242, 27 févr. 2017, portant réforme de la prescription en matière pénale, JO 28 févr.
2. C. pr. pén, art. 8.
3. V. Dalloz actualité, 20 févr. 2017, Le droit en débats, par C. Ingrain et R. Lorrain.
4. À cet égard, l’exemple des actes interruptifs de prescription est éclairant. Alors que selon l’ancien article 7 du code de procédure pénale, la prescription était interrompue par les actes « d’instruction ou de poursuite », la jurisprudence n’a pas hésité à étendre cette définition en utilisant le critère de finalité. Ainsi, la prescription était interrompue par tous les actes ayant pour « objet de constater les délits, d’en découvrir et d’en convaincre (ou connaître) les auteurs », (Crim. 19 et 25 nov. 1887, D. 1888. 1. 191 ; 7 mars 1961, Bull. crim. n° 142 ; 13 mai 1985, n° 83-91.344, Bull. crim. n° 181), indépendamment de la personne qui les réalise. Les actes interruptifs se sont étendus au fil des décisions, tel l’inventaire de Prévert, sans qu’il soit possible de les déterminer par avance.
5. Tel est le cas du développement exponentiel des infractions dites « clandestines ». Débuté en 1935 concernant l’abus de biens sociaux (Crim. 4 janv. 1935, Gaz. Pal. 1935. 1. 353 ; RSC 1936. 86, obs. Carrive), ce procédé n’a cessé de s’étendre de façon imprévisible et
contra legem.
6. Ces derniers sont passés de dix à vingt ans en matière criminelle et de trois à six ans en matière délictuelle.
7. L’article 9-1 du code de procédure pénale a légalisé le recours aux infractions clandestines : « Par dérogation au premier alinéa des articles 7 et 8 du présent code, le délai de prescription de l’action publique de l’infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l’infraction a été commise ».
8. L. n° 2018-703, 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, JO 5 août.
9. « L’infraction [de harcèlement moral] est également constituée : […] 4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ».
10. J. Danet, La prescription de l’action publique, un enjeu de politique criminelle, Archives de politique criminelle 2006, n° 75, p. 86.
11. E. Phelps, Quand l’émotion renforce la mémoire,
in « Les performance de la mémoire humaine », Science et Vie, sept. 2000, n° 212, p. 94.
12. A. Varinard,
La prescription de l’action publique. Sa nature juridique : droit matériel, droit formel, thèse, Lyon, 1973, n° 17, p. 14.