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Le droit en débats

La médiation préalable obligatoire en contentieux administratif et les litiges sociaux : l’arbre procédural qui cache la forêt des laissés-pour-compte numériques ?

Si désormais l’incursion de la médiation préalable obligatoire est acquise dans les règles du contentieux administratif, son versant obligatoire interroge cependant sur plusieurs points. Notamment, concernant les litiges sociaux, une réflexion sur le contentieux qu’il suscite doit nécessairement se déplacer sur les causes de ces incompréhensions de la part des administrés et non uniquement sur ses conséquences, auxquelles la médiation tente de répondre. La médiation préalable obligatoire semble se présenter ainsi comme un filet de sécurité sans doute bien fragile face à l’immensité des problèmes des démarches administratives numérisées en la matière et constatés notamment par le Défenseur des droits, naguère figure de la première expérimentation.

Par Marie-Odile Diemer le 01 Avril 2022

Le décret n° 2022-433 du 25 mars 2022 relatif à la procédure de médiation préalable obligatoire applicable à certains litiges de la fonction publique et à certains litiges sociaux vient clore un cycle d’expérimentation débuté en février 2018 (Décr. n° 2018-101 du 16 févr. 2018 portant expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux modifié par le décret n° 2020-1303 du 27 octobre 2020) et ayant pris fin le 31 décembre 2021 en droit administratif.

À la faveur d’un bilan plutôt optimiste opéré par le Conseil d’État en septembre 2021 (Expérimentation de la médiation préalable obligatoire : bilan et perspectives, sept. 2021), ce dispositif a ainsi été pérennisé dans la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 sur la confiance dans l’institution judiciaire. Le code de justice administrative a donc vu l’occurrence « médiation » se multiplier en son sein puisque désormais l’article L. 213-11 prévoit que : « Les recours formés contre les décisions individuelles qui concernent la situation de personnes physiques et dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’État sont, à peine d’irrecevabilité, précédés d’une tentative de médiation. Ce décret en Conseil d’État précise en outre le médiateur relevant de l’administration chargé d’assurer la médiation ».

Il restait ainsi à attendre le fameux décret afin de préciser le champ d’application de cette médiation préalable obligatoire, qui, on s’en doutait, n’allait pas être généralisé à l’ensemble des décisions individuelles défavorables du droit administratif. Sans surprise, le décret reprend donc une bonne partie des dispositions mises en œuvre pendant l’expérimentation et conserve les domaines particuliers et partiels de la fonction publique et des litiges sociaux.

Pour mémoire, la médiation en droit administratif se décline selon deux modalités : soit elle est dite conventionnelle et permet aux parties, en dehors de toute procédure judiciaire ou procédure administrative de choisir la voie de la médiation et de chercher à apaiser le conflit qui les oppose (CJA, art. L. 213-1) ; soit elle est institutionnelle et la figure du médiateur passe au premier plan puisque les parties ont ainsi un repère administratif identifié qui cherchera à résoudre leur différend.

La médiation préalable obligatoire s’intègre quant à elle au sein de la mécanique de la médiation institutionnelle.

Le réclamant, comme le nomme les textes, devra, sous peine d’irrecevabilité de sa demande contentieuse, passer par un médiateur institutionnel avant d’éventuellement entamer un recours contentieux juridictionnel.

Dès la phase de l’expérimentation, les litiges sociaux se sont présentés comme un domaine idoine en la matière. Ils semblent en effet être au carrefour de la raison d’être de la médiation, à savoir rechercher une solution amiable ou expliquer la décision administrative (appelée « médiation pédagogique »), et de la nécessité de filtrer le flux du contentieux juridictionnel.

Identifiées comme contentieux de masse, les questions relatives aux bénéficiaires d’allocations ou de primes concernent en effet les plus désœuvrés face aux démarches administratives, dont la dématérialisation accrue et à marche forcée depuis quelques années (v. le chantier Action publique 2022) n’a fait que renforcer leur précarité administrative et leur précarité numérique.

La médiation semble une réponse opportune aux administrés considérés comme vulnérables, et elle répond dans le cadre précis des litiges sociaux à plusieurs besoins des administrés à savoir le besoin de dialogue social, ou encore le besoin d’écoute et d’accompagnement. En effet, la lourdeur des procédures administratives, la méconnaissance du fonctionnement des administrations, l’incompréhension face aux multiples formulaires à remplir permet à la médiation de répondre en aval à la disparition en amont des agents physiques. Face à la dématérialisation des démarches concernant le fonctionnement des services publics, la médiation se présente alors comme une alternative et un retour parallèle au dialogue et à la discussion, plutôt qu’au vide laissé par un site internet en maintenance. Elle est alors une réponse particulièrement intéressante et une piste à explorer. Le Défenseur des droits a d’ailleurs souligné dans un rapport en 2021 (Recours à la médiation préalable obligatoire, étude auprès des réclamants, juin 2021) le versant particulièrement positif de l’expérimentation de la médiation qui offre un meilleur accès aux droits.

Cependant, le décret du 25 mars dernier ne renouvelle pas le mandat confié au Défenseur des droits pendant la phase expérimentale, mais revalorise la place du médiateur Pôle emploi qui se voit confier une multitude de décisions en la matière, comme les décisions relatives à la cessation ou à la radiation d’inscription sur les listes des demandeurs d’emploi ou encore concernant les décisions de suppression de revenu de remplacement qui devront donc désormais faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire.

En effet, le décret de 2018 avait octroyé une compétence précise à l’autorité administrative indépendante qu’est le Défenseur des droits : il est ainsi devenu le référent médiation en matière de décisions relatives au revenu de solidarité active, de décisions relatives aux aides exceptionnelles de fin d’année et aux décisions relatives à l’aide personnalisée au logement. Seulement, ces décisions faisaient déjà l’objet d’un recours administratif préalable obligatoire (CASF, art. L. 262-47 ; CCH, art. L. 351-14).

La superposition et le chevauchement des procédures ne pouvaient que desservir l’objectif d’accessibilité aux droits. Le Conseil d’État lui-même avait constaté la quasi-inanité du maintien de la médiation préalable obligatoire dans ces domaines. Les décisions qui sont désormais maintenues dans le champ de la médiation préalable obligatoire ont en effet été un succès expérimental que le pouvoir réglementaire a donc jugé utile de prolonger uniquement au profit du médiateur Pôle emploi.

Cependant, ces différentes dimensions optimistes de la médiation et le constat réaliste du chevauchement inutile des procédures qu’il fallait effacer peuvent-ils réellement être résolus par sa dimension obligatoire ?

Est-ce finalement un aveu de faiblesse ou au contraire la réponse adéquate aux laissés pour compte de la vague numérique procédurale ? Car la question de la médiation préalable obligatoire ne peut s’envisager sans comprendre la mécanique préalable administrative des usagers effectuant les démarches au départ en dehors de tout contentieux.

La numérisation des procédures administratives s’inscrit pourtant globalement dans la perspective de renouveler le rapport de confiance entre les administrés et l’administration.

Elle facilite a priori les échanges entre les administrations (v. not. le développement du partage automatisé de données entre administrations qui a été initié par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 « pour un État au service d’une société de confiance », et complété par le décret du 20 janvier 2019 relatif aux échanges d’informations et de données entre administrations) et entre l’administration et les usagers grâce au développement de plusieurs applications ou de sites internet favorisant un accès rapide et efficace aux démarches administratives.

Toutefois, cette dématérialisation généralisée révèle une vulnérabilité numérique particulièrement marquée. La figure de l’usager est renouvelée. L’usager devient utilisateur et délaisse une partie des autres usagers par l’exclusivité de l’utilisation numérique. Cet usager non utilisateur doit-il devenir nécessairement un usager « médié » ?

Les rapports en la matière dénonçant le manque d’autonomie numérique des administrés ou expliquant ce qu’est la conditionnalité numérique des droits ne manquent pas ces derniers mois (Défenseur des droits, Dématérialisation des services publics, trois ans après, où en est-on ?, févr. 2022 ; L’Observatoire de l’éthique publique [OEP], Livre blanc, La digitalisation du service public, pour une éthique numérique inclusive, oct. 2021).

Il est donc véritablement nécessaire de réfléchir au terme d’usager ou encore à la notion d’usager-utilisateur qui, dans son défaut d’accès aux démarches, ne doit pas automatiquement devenir un futur « médié ». Ce serait là détourner le sens même de ce qu’est une médiation.

Cette question se pose notamment dans les services dématérialisés qui conditionnent l’accès à certains droits et les litiges sociaux en sont l’exemple topique.

L’utilité de la médiation est donc incontestable et l’auteure de ces lignes ne songerait pas à la condamner tant son développement et sa mécanique sont réellement utiles pour certains litiges, mais elle ne doit certainement pas servir de pansement, par son caractère obligatoire à un défaut de précautions de la part des politiques publiques se félicitant de la dématérialisation des démarches mais laissant une bonne partie de la population démunie numériquement et donc démunie juridiquement. La médiation est une technique juridique profondément particulière et ne doit pas être détournée de son sens initial, sauf à changer alors sa dénomination et son mode de fonctionnement.