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Le droit en débats

Mon travail comme rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile

Une rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) raconte son quotidien de l’intérieur. Une série en cinq épisodes. 

Par Lou Mazer le 16 Septembre 2019

Le droit d’asile est truffé d’imprécisions et de préjugés lorsqu’il en est question dans les médias tant de la part des personnes politiques et des associations que des journalistes eux-mêmes. Je suis parfois exaspérée de trouver tant d’inexactitudes sur mon travail et sur l’asile en général. Non, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ne « propose » pas l’asile1. Oui, nous savons que la Guinée condamne l’homosexualité2. Non, la Cour n’a pas de quotas.

J’ai donc choisi de livrer ma vision du droit d’asile et de mon expérience comme rapporteure à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Je ne serai ni neutre ni manichéenne. Dans chaque ensemble, il y a des nuances dont je m’efforcerai de faire état.

Être un outil au service de la juridiction

Je suis arrivée à la CNDA peu après la fin de mes études. J’aurais aimé travailler en association dans les droits humains mais les postes auxquels je pouvais prétendre étaient rares et la compétition rude.

J’avais toutefois un problème de conscience avec l’impression de rejoindre le camp de ceux qui refusent le séjour à de nombreuses personnes vulnérables. Je me suis convaincue, à tort ou à raison, qu’en tant que rapporteure, je n’étais qu’un outil au service de la juridiction. Mon travail consiste ainsi à aider les juges à prendre la meilleure décision possible, en apportant une analyse géopolitique et jurisprudentielle de la problématique posée par le dossier ainsi qu’en suggérant des questions destinées à clarifier des zones d’ombres dans le parcours du demandeur d’asile.

Le rapporteur rédige un rapport sur la demande d’asile d’une personne ; il le présente lors de l’audience puis rédige la décision prise par les juges. Nous préparons une audience de treize dossiers en à peu près six jours, soit environ deux rapports par jour. Puis vient l’audience, une longue journée dont nous sortons éreintés. Et vient ensuite le moment tant redouté de la rédaction des décisions, ce qui, en général, est la partie la plus mal-aimée de notre travail et dure environ deux jours.

La Cour recrute plusieurs fois dans l’année, par série d’une vingtaine de rapporteurs. Je me suis ainsi retrouvée dans une promotion. J’ai pu découvrir que de nombreuses personnes étaient, comme moi, désireuses d’aider les demandeurs d’asile. Certaines se sont même donné comme mission de sauver le plus de personnes possible, influençant les décisions des juges pour bénéficier aux demandeurs d’asile.

Du devoir d’humanité aux critères juridiques

Si nombre de personnes considèrent l’asile comme un devoir d’humanité consistant à aider les personnes dans le besoin, il n’en est rien. Il s’agit d’un domaine du droit technique. S’il permet ainsi de protéger des personnes qui ont des craintes d’être persécutées dans leur pays, il laisse de côté nombre de personnes vulnérables qui ont fui leur pays au péril de leur vie.

Les critères de l’asile ont été définis par la Convention de Genève en 1951 et ont été complétés par le Protocole de New York de 1967. Ils permettent de protéger toute personne qui craint d’être persécutée, dans son pays d’origine, pour des questions de race (il s’agit des termes de la Convention), de religion, de nationalité, d’appartenance à un certain groupe social ou d’opinions politiques. Ils incluent, en effet, de nombreuses situations : des personnes d’ethnie zaghawa au Darfour, des chrétiens au Pakistan ou des opposants politiques en République démocratique du Congo.

Le groupe social donne ainsi la possibilité aux États de s’adapter aux évolutions des sociétés et de protéger des personnes persécutées pour leur appartenance à un groupe particulier, défini par la jurisprudence, c’est-à-dire des décisions de la CNDA ou du Conseil d’État. Constituent ainsi des groupes sociaux les homosexuels dans pratiquement tous les pays d’origine des demandeurs d’asile, les jeunes filles et adolescentes menacées d’être excisées ainsi que leurs parents dans certains pays, les femmes victimes de mariage forcé et les personnes étant parvenues à s’enfuir d’un réseau de traite.

Le droit a également ajouté des critères qui permettent d’octroyer une protection, toutefois moins protectrice que le statut de réfugié, à des personnes risquant d’être tuées ou de subir des traitements inhumains ou dégradants, notamment dans le cadre d’un conflit armé dans sa région. Ce dernier critère permet, aujourd’hui, de protéger les Syriens et Afghans.

Dans ces conditions, de nombreuses personnes sont exclues du droit d’asile et doivent trouver un autre moyen pour obtenir un titre de séjour. Par exemple, une personne ayant échappé à un massacre perpétré par une milice ou un groupe rebelle. Quand bien-même elle aurait perdu toute sa famille et été elle-même blessée dans le massacre, elle ne serait protégée qu’à la condition de prouver qu’elle aurait des craintes d’être menacée en cas de retour. Une personne d’origine rom, de nationalité albanaise ou kosovienne, ne sera, quant à elle, protégée que si elle parvient à démontrer que les discriminations subies l’ont empêchée d’obtenir des papiers d’identité, de recevoir des soins ou d’être éduquée, qu’elle a subi des violences physiques et qu’elle a sollicité la protection des autorités, en vain. Enfin, une personne qui n’a pas les moyens financiers de construire une vie dans un pays où elle n’a aucune famille ni aucun proche, verra également sa demande refusée.

Toutefois, les personnes déboutées du droit d’asile, c’est-à-dire dont la demande a été rejetée, le sont majoritairement quand l’OFPRA et la Cour considèrent qu’elles n’ont pas vécu ce qu’elles disent avoir vécu. Dans le jargon, on parle de FNE, pour faits non établis. La tâche tant du rapporteur que de la formation de jugement, consiste à déterminer si les déclarations de la personne sont plausibles, cohérentes avec la situation dans son pays d’origine, en s’appuyant sur des rapports d’ONG ou des articles de presse principalement, et personnalisées. C’est-à-dire si elle est capable de parler d’un événement marquant en apportant des anecdotes ou appréciations qu’une personne qui n’aurait pas vécu la même chose ne pourrait pas connaître.

Ce travail de vérification des faits qui inclut recherches géopolitiques et analyse des déclarations d’un demandeur d’asile est un outil essentiel pour le bon examen d’une demande d’asile permettant ainsi de protéger les personnes correspondant aux critères de l’asile et ne pouvant donc pas retourner dans leur pays. Il est, cependant, semé d’embûches.

Des responsabilités partagées

Il existe de nombreux problèmes et obstacles rendant difficile un examen juste et éclairé de la demande d’asile en France et portant parfois atteinte au droit d’asile.

Il s’agit d’abord de la loi, enrichie par la récente mais paraît-il « obsolète »3 loi Collomb, qui a fait de la procédure de demande d’asile un véritable parcours du combattant et des délais une course à la montre. La ligne du gouvernement a également un impact sur notre travail avec la création de nombreux postes ainsi que la pression exercée sur la direction afin de rendre un maximum de décisions le plus vite possible. La direction met alors, à son tour la pression sur ses agents afin d’accélérer les procédures, notamment en évitant les renvois.

Il existe également des problèmes causés par notre propre travail à la Cour et à l’exigence de respecter notre jurisprudence. En effet, certaines décisions prises par certains magistrats et désignées comme importantes, peuvent être contestables. Tout est, bien sûr, question de point de vue et d’autres agents de la Cour ne sont pas du même avis que moi sur ces problèmes. Il peut s’agir de la détermination d’une province ou d’un pays comme zone de violence généralisée de haute intensité ou, plus problématique, comme absence de détermination en ce sens, ainsi que du sens d’une décision sur des thématiques précises telles que la demande d’asile des Syriens pour insoumission.

Enfin, l’asile est un domaine où coopèrent de nombreux acteurs et chacun a sa part de responsabilité dans l’examen d’une demande d’asile. Si je n’ai travaillé qu’à la CNDA et ne pourrai donc pas livrer un récit exhaustif du travail de ces autres acteurs que sont, par exemple, les avocats, les associations et l’OFPRA.

 

 

1. Tweet de C. Castaner, 2 juin 2019 : « L’asile lui sera naturellement proposé. L’@Ofpra me l’a confirmé. Ses services sont en contact avec elle, son dossier examiné avec l’attention bienveillante due à sa situation ».
2. Communiqué de l’association Aides, 30 avr. 2018 : « Renvoyer des gay, bi-es, lesbiennes ou trans dans des pays qui criminalisent l’homosexualité et les persécutent, des pays dans lesquels les agressions homophobes sont encouragées par l’État ou les autorités religieuses, est une politique migratoire indigne et criminelle. […] Notre pays est-il devenu fou ? Où sont les droits de l’homme ? Où est la tradition d’hospitalité ? Où est la solidarité ? AIDES exige la libération immédiate de Moussa et le réexamen de sa demande d’asile par l’OFPRA ».
3. Tweet d’A. Aubaret, 11 juin 2019 : « Aux députés LREM, le Président aurait annoncé « que la loi asile et immigration, dite "loi Collomb", entrée en vigueur au 1er janv., est "déjà obsolète" ». #obsolesenceprogrammée ».