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Le droit en débats

Le mythe de la responsabilisation des assurés sociaux et le risque du renoncement aux soins

Le droit de la sécurité sociale renferme de nombreux dispositifs qui ont pour objet ou pour effet de refréner, voire sanctionner, la consommation de soins et de biens médicaux. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2025 accuse un peu plus l’existant. Si l’intention est entendable plus encore dans un contexte d’aggravation du déficit des comptes sociaux, le doute ne laisse pas d’interroger l’observateur. C’est que l’usager du système de santé n’est pas l’ordonnateur de la dépense… À quoi bon rechercher sa responsabilité ?

Il est courant de défendre que le déficit des comptes sociaux est causé, entre autres raisons, par des assurés sociaux qui se comporteraient comme des consommateurs de biens et de produits de santé insatiables, passagers insouciants du bateau assurance maladie qui à la manière du tristement célèbre Titanic finiront par faire naufrage. Et pour préserver le navire, tandis qu’on sauvegarderait par la même occasion le système de protection sociale dans son ensemble, il a été convenu de les responsabiliser.

La responsabilisation a plein de visages : ticket modérateur, participation forfaitaire, délai de carence, taxe « lapin »… Les lois de financement de la sécurité sociale, qui se suivent et se ressemblent assez à cet égard, renferment nombre de dispositifs de cet acabit. Le ministère de la Santé et de l’accès aux soins n’est pas en reste, qui est désireux de baisser le taux de remboursement des consultations médicales par les organismes de sécurité sociale.

À l’analyse, ces techniques ne servent pas à refreiner la consommation de soins et de biens médicaux mais bien plus sûrement à externaliser une fraction des dépenses de santé en les faisant supporter par l’assurance maladie complémentaire aux lieu et place de l’assurance maladie obligatoire (dont le déficit compte significativement dans la dette publique) en faisant croire au patient-cotisant-consommateur qu’il ne s’agirait que d’un banal jeu d’écritures comptables sans aucune conséquence sur son pouvoir d’achat. Quant à laisser penser que les complémentaires santé ne sauraient répercuter les effets des politiques de réduction des coûts, c’est faire peu de cas de l’impérieuse nécessité pour les organismes d’assurance de procéder ni de l’intelligence fine de nos concitoyens pour autant qu’ils soient couverts… ce qui n’est pas vrai pour une frange croissante de la population qui n’est pas éligible à la complémentaire santé solidaire.

Il n’est pas de bonne méthode de continuer sur cette pente de la responsabilisation tous azimuts. Et il y a une bonne raison à cela : les usagers du système de santé ne sont pas les ordonnateurs de la dépense. La responsabilisation est donc douteuse.

Il y a pire. La mesure est indifférente pour les plus riches, qui ne souffrent pas ou bien peu les conséquences du reste à charge, mais handicapante pour les plus pauvres qui vont devoir reporter le recours aux soins (pourtant rendus plus nécessaires encore en raison de leur état de santé plus fragile que pour les classes aisées de la population), aggraver possiblement leurs pathologies et ordonner des dépenses de santé plus onéreuses le moment venu.

Tandis donc qu’il existe un droit fondamental à la sécurité sociale et à la santé, que l’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale, que près d’un quart de la rémunération brute d’un travailleur est affecté au financement de la branche maladie, la discrimination des plus pauvres de nos concitoyens et bientôt des classes moyennes ferait office de soupape de sécurité du système ?

Si responsabilisation il doit y avoir, c’est plus sûrement du côté des professionnels de santé qu’il faut se tourner dont les modalités d’exercice d’un certain nombre renchérissent les coûts pour la collectivité et les organismes d’assurance. C’est aussi encore du côté des femmes et des hommes en responsabilité politique qui sont manifestement mal informés de tous les tenants et aboutissants des réformes paramétriques qu’ils commandent.

La pratique du stop and go observée ces quinze dernières années par les ministères sociaux en termes de ressources humaines a interdit de penser la baisse de la démographie des professionnels de santé. Un rapport sénatorial publié en novembre 2022 renseigne que la France a perdu 5 000 médecins généralistes entre 2010 et 2021, quand parallèlement elle gagnait 2,5 millions d’habitants. Au résultat, l’accès à la santé en 2024 est devenu désormais une source de très grande préoccupation. Un rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie est en ce sens. On accordera certes que le renfort des médecins venus de l’étranger est appréciable mais c’est alors et inévitablement priver de leurs professionnels de santé les populations délaissées.

Les déserts médicaux sont un concept que l’expression ne renseigne pas bien. Aussi contre-intuitif que ce soit, il est un fait (et il n’est pas isolé) : Paris, ses arrondissements et sa grande banlieue sont concernés. Dire qu’il y a une désertification de l’offre, c’est indiquer qu’il n’y a plus assez de médecins (1er problème) mais davantage qui exercent en secteur 2 à honoraires libres (2nd problème). Non seulement, le nombre de professionnels de santé qui proposent leurs services en secteur 2 croît tous les mois mais certains médecins se déconventionnent purement et simplement. Au final, l’offre est raréfiée en raison des prix pratiqués – ce qui est bien su – mais également en raison de la diminution du temps de travail de certains professionnels de santé qui en ont désormais les moyens – ce qui est moins vu. Au résultat, de plus en plus de d’usagers sont contraints de traverser (à leurs frais) plusieurs départements pour obtenir une consultation.

Pratiquer en secteur 2 est tentant. La complémentaire santé étant à présent bien distribuée, les dépassements d’honoraires sont solvabilisés. Ils ne le sont certes que dans la mesure où les contrats d’assurance le prévoient et pour les montants convenus. Seulement voilà, cette digue, qui a été construite par le législateur et qui retient le flot des dépassements tous azimuts, se fragilise dans le contexte. C’est que la pénurie de professionnels, le plein emploi et la difficulté de recrutement des collaborateurs pourraient changer la donne.

La loi n’interdit pas formellement aux organismes d’assurance de commercialiser des produits offrant une bien meilleure couverture des dépassements d’honoraires et un bien meilleur rendement que les contrats collectifs frais de soins de santé à adhésion obligatoire. Et s’il se trouve des employeurs disposés à compenser la majoration du prix de la mutuelle d’entreprise pour fidéliser et attirer à eux les talents, on aura alors fini par renouer avec la solvabilisation renforcée des dépassements d’honoraires et une dispensation facilitée des soins en secteur à honoraires libres.

Comment ne pas s’étonner que la trajectoire, qui affecte incontestablement les plus pauvres de nos concitoyens, et qui aggravera inévitablement les inégalités devant la maladie et l’accès aux soins, ne soit pas vue par celles et ceux en responsabilité ?