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Le droit en débats

La médiation : d’un changement de culture vers une politique nationale ?

Alors que le ministère de la Justice poursuit ses consultations sur les suites à donner aux propositions du comité des États généraux de la justice, auxquelles le Groupement européen des magistrats pour la médiation (GEMME) section France a été associé et que le décret sur la composition du Conseil national de la médiation devrait être prochainement publié, le moment est venu d’une véritable politique nationale en faveur de la médiation.

Par Frédérique Agostini et Fabrice Vert le 09 Septembre 2022

La loi n° 95-125 du 8 février 1995 instaurant la médiation judiciaire va bientôt fêter ses 30 ans et l’association GEMME ses 20 ans.

Si notre pays a été l’un des premiers à se doter d’une loi organisant et codifiant la médiation judiciaire, sa pratique reste marginale. Des expériences individuelles ont certes été conduites avec beaucoup d’énergie dans certaines juridictions1 mais la pérennité de ces dispositifs est rarement assurée.

La France n’est pas une société du compromis. Les prétoires sont des espaces d’affrontements et rarement des lieux où s’engage un dialogue autour de la recherche d’une solution amiable.

La pratique de la médiation judiciaire et de façon générale le recours aux MARD (modes amiables de résolution des différends) restent limités, la médiation représentant moins de 1 % des modes judiciaires de résolution des différends2.

Cependant, les efforts des pionniers de la médiation, avocats, magistrats, médiateurs, universitaires, représentants de la société civile commencent à porter leurs fruits avec l’acculturation progressive des acteurs judiciaires à l’amiable3.

À ce moment clé du développement de la médiation, le GEMME dispose de nombreuses propositions qui pourraient être reprises utilement dans le cadre de cette politique nationale.

Une acculturation progressive des acteurs judiciaires à la médiation

Les acteurs judiciaires commencent à regarder davantage la médiation et le recours à l’amiable non pas comme une déjudiciarisation destinée à diminuer les stocks des juridictions mais comme un mode qualitatif de résolution des différends tourné vers l’avenir, répondant aux besoins des justiciables, permettant à ces derniers dans le cadre d’un processus éthique de communication de renouer un dialogue et de trouver des solutions avec l’aide d’un tiers compétent, neutre et impartial.

Cette acculturation se traduit notamment, grâce à une collaboration étroite avec les avocats, les associations de médiateurs et les représentants de la société civile, par la multiplication des permanences de médiateurs et de conciliateurs, par une augmentation sensible des injonctions de rencontrer un médiateur délivrées par les juges à divers stades des procédures, par le développement de formations communes aux différents professionnels, par la mise en place, dans plusieurs ressorts judiciaires, d’unités des modes fédérant les partenaires.

À l’issue de réflexions collectives, la cour d’appel de Paris a établi deux rapports, l’un en 2008, l’autre en 20214 préconisant les réformes nécessaires pour institutionnaliser la médiation dans les juridictions sans la rigidifier, la souplesse et la liberté devant rester l’essence de ce processus.

Et sous l’impulsion de Chantal Arens, alors première présidente, la Cour de cassation a ordonné ses premières médiations judiciaires5.

Le législateur a accompagné ce mouvement :

• La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a constitué une étape importante en imposant à peine d’irrecevabilité de la déclaration au greffe du tribunal d’instance que le juge peut soulever d’office, une tentative de conciliation devant un conciliateur de justice (si l’objet du litige est inférieur à 4 000 €), en prévoyant la possibilité de recourir à la procédure participative assistée par avocat même si le juge est déjà saisi du litige, en introduisant la médiation judiciaire devant les tribunaux administratifs et en expérimentant une tentative de médiation obligatoire dans onze tribunaux en cas de demande modificative d’une décision ou d’une convention ayant fixé une contribution alimentaire pour l’entretien d’un enfant.

• La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a permis à tout juge, en application l’article 22-1 de la loi du 8 février 1995, de faire injonction aux parties de rencontrer un médiateur pour être informées sur l’objet et le déroulement d’un processus de médiation6.

• La loi n° 2021-1729 du 22 décembre pour la confiance dans l’institution judiciaire comporte plusieurs dispositions facilitant le recours aux MARD et créée le Conseil national de la médiation dont le GEMME se réjouit de la naissance qu’il appelait de ses vœux depuis de longues années et qui pourra être le fer de lance d’une politique nationale affirmée de médiation.

La médiation, c’est maintenant

Le rapport du comité des États généraux de la justice fait le constat d’une « crise majeure de l’institution judiciaire », laquelle se trouve dans un « état de délabrement avancé », « ne remplit plus son rôle et fait l’objet de remises en cause ». Ce constat concerne singulièrement la justice civile, « invisible dans les débats politiques » et victime d’« un lent déclassement ».

Le moment est donc venu d’engager une véritable politique nationale de l’amiable judiciaire en adoptant, comme le préconise le comité, « une démarche cohérente et organisée » déployant les MARD non pas comme un moyen de limiter les flux entrants mais comme un outil participant de la qualité de la justice civile7.

Le GEMME milite depuis longtemps en faveur la justice amiable, conçue comme une modalité de résolution des différends sous l’égide du juge.

Les avantages de la médiation, comme de la conciliation ou de la procédure participative assistée par avocats, sont connus : ils permettent de créer des solutions innovantes, adaptées aux besoins des parties ; ils rétablissent la pérennité, parfois essentielle, dans les relations des intéressés.

Il a été confirmé, dans certaines juridictions, qu’un développement significatif de la médiation et de la conciliation permet de traiter un pourcentage non négligeable du contentieux et de prévenir de futurs procès.

Économiquement, il est démontré qu’une dynamique de défiance, défavorable à l’activité, favorise l’inflation normative. Les modes amiables sont ainsi particulièrement mobilisables et souhaitables dans les contentieux économiques et commerciaux où leur souplesse est pleinement reconnue et favorise la confiance entre les acteurs8.

Le comité des États généraux de la justice a fait siennes les propositions du groupe thématique Simplification de la justice civile présidé par Stéphane Noel, président du tribunal judiciaire de Paris, fervent promoteur des modes amiables. Le rapport comporte un volet important concernant les MARD, soulignant la nécessité, notamment, d’une politique nationale volontariste en la matière et leur institutionnalisation au sein des juridictions.

Pour rendre les modes amiables effectifs à court terme, diverses propositions ont été soutenues par le GEMME et récemment suivies d’effet. Notamment, mettant un terme à l’obligation de consigner à la régie de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur, l’entrée en vigueur du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 a levé un frein au développement de la médiation, notamment en matière familiale.

Pour l’avenir, le développement des MARD passe par la création d’un outil informatique national, indispensable à l’enregistrement et au suivi des procédures amiables, à la prise en compte de l’engagement des magistrats et des fonctionnaires du greffe dans l’appui qu’ils y apportent, aux conséquences à en tirer sur l’organisation d’une juridiction. Combien d’injonctions ou de médiations ont été ordonnées ? Combien de désistements d’instance ont fait suite à une injonction de rencontrer un médiateur ou un conciliateur ou à une ordonnance de médiation ? Combien d’accords totaux ou partiels ont été homologués par les juges ou décisions sur désaccords persistants prononcés ? Cet outil permettrait en outre de disposer d’un indicateur de la qualité de la justice civile à laquelle concourent les dispositifs de promotion des MARD9.

L’intégration de la médiation dans les procédures judiciaires doit s’accompagner d’une mise en cohérence du régime juridique des modes amiables. Un livre autonome dans le code de procédure civile devrait regrouper les dispositions aujourd’hui éclatées et établir un droit commun des modes amiables, relatif notamment aux exigences de qualité (indépendance et impartialité du médiateur, etc.), aux mesures d’instruction et à l’homologation. La confidentialité de la médiation devrait ainsi être étendue à la réunion d’information qui se tient sur l’injonction du juge. Ce socle commun n’interdirait pas l’existence de règles propres à chacun des modes amiables, médiation, conciliation et procédure participative assistée par avocat.

Même si la médiation n’est pas la solution à tous les litiges, les parties doivent être incitées à s’informer sur les avantages d’une solution négociée et à s’engager dans une voie amiable. Le nombre d’unités de valeur octroyées aux avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle devrait être augmenté si les parties acceptent une médiation. Pour faciliter la recherche d’un accord, la durée de la médiation pourrait être modifiée : si le délai de trois mois prévu par le code de procédure civile est adapté dans un premier temps, le médiateur ou les parties devraient pouvoir en demander une prolongation dans un délai déterminé par le juge. La médiation post-sentencielle qui a fait ses preuves en matière familiale devrait être généralisée facilitant les césures du procès. Enfin, la partie qui, sans motif légitime, ne défère pas à l’injonction du juge de rencontrer un médiateur ou un conciliateur pourrait se voir privée du bénéfice de l’article 700 du code de procédure civile.

Selon l’article 21 du code de procédure civile, il entre dans la mission du juge de concilier les parties. Cette mission s’entend aujourd’hui pour le juge qui l’oriente et appuie les parties dans la recherche d’une solution en tout ou partie amiable. Cette mission nous paraît participer de « l’éthique de la discussion selon une procédure interactive ouverte » appelée de ses vœux par C. Soulard, nouveau président de la Cour de cassation10.

Selon un sondage récemment commandé par la commission des lois du Sénat11, nos concitoyens plébiscitent à 90 % le développement de la médiation et de la conciliation. Soutenus par une politique nationale mobilisant les leviers juridiques, techniques et financiers adaptés, ne les décevons pas !

 

Notes

1. F. Vert, Le juge des référés et l’amiable, Gaz. Pal. 24 et 25 avr. 2015. Le GEMME a activement participé à cette évolution favorable ; v. à propos de cette association : gemme-mediation.eu et gemmeeurope.org.

2. C. Arens et N. Fricero, Médiation et conciliation : modes premiers de règlement des litiges, Gaz. Pal. 24 et 25 avr. 2015.

3. V. Lasserre, Les graves lacunes de la réforme de la procédure de médiation, D. 2019. 441 .

4. J.-M. Hayat et V. Lasserre, Promotion et encadrement des MARD : publication du rapport de la cour d’appel de Paris, Dalloz actualité, interview, 25 mars 2021.

5. C. Arens et F. Molinié, La médiation devant la Cour de cassation, pourquoi pas ?, Dalloz actualité, 7 juill. 2021.

6. C. Féral-Schuhl et F. Vert L’injonction de rencontrer un médiateur : regards croisés d’un juge prescripteur et d’une avocate médiatrice, Gaz. Pal. 13 mai 2021.

7. S. Amrani-Mekki, L’amiable : concevoir et construire, Gaz. Pal. 14 avr. 2020, p. 5 ; F. Vert et M. Chapuis, Un moyen disruptif pour réduire les stocks des tribunaux :et si on essayait l’amiable, Dalloz actualité, Le droit en débats, 1er mars 2021.

8. Le développement de la culture de médiation dans les juridictions de l’ordre judiciaire, in L’ouvrage la médiation, Archives de philosophie du droit, t. 61, Dalloz, 2019.

9. V. tableau de bord de la justice dans l’Union – figure 29.

10. C. Soulard, Le juge et les valeurs fondamentales : pour une éthique de la discussion, Cah. just. 2022. 65 .

11. Sondage réalisé par le CSA Research en septembre 2021 pour le Sénat : le rapport des Français à la justice.