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Le droit en débats

Ne rajoutons pas l’arbitraire à la catastrophe sanitaire

Par Pierre de Combles de Nayves le 22 Mars 2020

Depuis une semaine, les Français sont confinés. Cette exigence sanitaire s’est transcrite en droit d’abord par des arrêtés du ministre de la santé, puis par un décret pris par le premier ministre au regard des circonstances exceptionnelles. Ce dispositif repose davantage sur l’adhésion sociale que sur sa solidité juridique.

Qu’un ministre de la santé puisse, sur la base d’une disposition du code de la santé publique (art. L. 3131-1) jamais contrôlée par le Conseil constitutionnel, prendre des arrêtés limitant sur l’ensemble du territoire national la liberté de réunion, la liberté d’entreprendre ou même celle d’aller et venir est pour le moins contestable. Que ces mesures soient, par décret du premier ministre, punissables pénalement par des contraventions alors qu’elles sont particulièrement imprécises est tout aussi douteux.

Il ne s’agit pas ici de contester la légitimité sanitaire de telles mesures mais de constater que leur mise en œuvre sur le plan juridique est pour le moins hasardeuse.

Heureusement, cette situation n’a pas vocation à durer puisque le gouvernement a proposé au parlement d’adopter, en urgence, un cadre juridique plus approprié pour justifier de telles mesures. Ces discussions ont commencé jeudi au Sénat et se sont poursuivies jusqu’à la nuit de samedi à dimanche au sein de l’Assemblée nationale.

Mais, à l’occasion de cet examen, le gouvernement a proposé et l’Assemblée nationale a adopté, dans la nuit de samedi à dimanche, une disposition gravement attentatoire aux libertés publiques. Celle-ci a été entérinée dimanche par la commission mixte paritaire (CMP).

Un amendement (n° 256) du gouvernement prévoit que le non-respect des interdictions fixées par le ministre de la santé est sanctionné par une amende de 135 €. Il s’agit du dispositif actuellement en vigueur.

Le gouvernement est toutefois allé plus loin en aggravant la sanction si la personne réitère les faits dans les quinze jours : 1 500 € d’amende. Violation de l’interdiction à plus de trois reprises dans les trente jours : six mois d’emprisonnement, 3 750 € d’amende, suspension pendant trois années du permis de conduire.

Six mois, c’est le seuil minimal justifiant la procédure de comparution immédiate en flagrant délit. Ce n’est pas une hypothèse théorique. Dans la présentation de son amendement, le gouvernement note la possibilité de recourir à la comparution immédiate. C’est même la raison du choix de cette peine. 

Il suffirait qu’une personne ne remplisse pas, ou remplisse mal, ou que les fonctionnaires de police estiment qu’elle a mal rempli son attestation justifiant sa sortie du domicile pour qu’elle puisse être placée en garde à vue, présentée devant un tribunal sur le champ et fasse l’objet d’une incarcération.

Cette disposition porte atteinte directement à des principes essentiels du droit pénal qui existent depuis le XVIIIe siècle et font l’objet d’une protection constitutionnelle et conventionnelle.

Celui de la nécessité et de la proportionnalité des peines.

Comment justifier une telle peine de prison pour une personne dont la seule faute aurait été d’avoir quitté son domicile ? Choix étonnant que de punir celui qui a risqué le contact avec les autres en l’enfermant dans un espace confiné.

Celui de la légalité des délits et des peines aussi.

Le périmètre de l’infraction est défini par un arrêté du ministre de la santé et peut conduire à des peines de prison ferme alors que la définition des délits est du domaine de la loi et non des actes du gouvernement. Ces infractions sont, aussi, insuffisamment précises. Prenez le décret du 16 mars 2020 qui interdit la sortie du domicile sauf « achats de première nécessité » ou « déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle ». Chacun notera l’imprécision. Qu’est-ce qu’un déplacement bref ? 500 m ? 1 km ? 2 km ? Qu’est-ce qu’un produit de première nécessité ? Le beurre, oui. Une bouteille de soda ? Ces débats pouvaient être inutiles lorsqu’il s’agissait d’une contravention, mais qu’en sera-t-il lorsqu’il s’agira de s’interroger sur le prononcé d’une peine de six mois d’emprisonnement ? Cette nouvelle disposition contient un risque d’arbitraire et laisse un pouvoir exorbitant aux forces de l’ordre pour relever ou non l’infraction.

Non, ce n’est pas un risque théorique. Non, cela ne concerne pas que les autres. Chacun pourrait se retrouver dans cette situation liberticide.

Chacun a conscience que nous vivons une situation exceptionnelle qui commande des réactions fortes et sans précédent des pouvoirs publics. Chacun sait que nos soignants sont confrontés à une situation inédite alors que leurs moyens sont insuffisants. Chacun a compris la nécessité, en restant chez soi, de ralentir la propagation du virus pour que notre hôpital puisse faire face aux cas les plus graves. Nous prenons tous conscience que la mesure de confinement est insuffisamment suivie par la population et des mesures dissuasives peuvent être nécessaires. Mais l’arbitraire dans la définition d’une infraction ne sauve pas des vies. Ne rajoutons pas l’arbitraire à la catastrophe sanitaire.