Pour beaucoup d’avocats pénalistes, l’instruction, au sens large (incluant donc sa juridiction d’appel, la chambre de l’instruction, surnommée dans de nombreux ressorts « chambre des confirmations », ce qui n’est pas le cas dans le mien) est, en général, plutôt à charge qu’à décharge, plutôt déséquilibrée au profit de l’accusation et au détriment de la défense, plutôt un nid à détention provisoire qu’un temple de la présomption d’innocence et du principe selon lequel une personne soupçonnée doit rester libre sauf « impossible ».
Que l’on soit ou pas d’accord, elle est en tout cas – c’est le seul point sur lequel je les rejoins sans réserve à titre personnel – truffée de règles procédurales soit obsolètes, soit parfaitement stupides. En vrac et sans souci de classement ni d’exhaustivité :
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l’obligation d’attendre que son client soit mis en examen, ou entendu s’il est partie civile, pour avoir droit à une copie du dossier, à laquelle on aura droit la seconde d’après ;
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la pratique voulant qu’une démise en examen formée en cours de procédure et non pas seulement in fine n’ait pratiquement aucune chance d’aboutir (ni même d’être examinée, a-t-on souvent l’impression) ;
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les formalités de constitution et de désignation souvent un peu plus exigeantes que les textes (se constituer partie civile implique de plus en plus souvent actuellement de fournir une lettre de désignation, par exemple, que rien n’exige pourtant, et qui suppose que l’avocat s’amuse à se constituer pour des personnes qui ne lui ont pas demandé de le faire…) ;
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le fait qu’un mémoire signé d’un collaborateur devant la chambre sera irrecevable, sauf s’il imite correctement la vôtre ;
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les critères légaux de détention provisoire du célébrissime article 144 du code de procédure pénale, qui continue à permettre de feindre de croire que la détention interdit toute communication entre mis en examen ou vers l’extérieur, la succession possible des « renouvellements exceptionnels » de cette mesure pourtant tout à fait extraordinaire à en croire le code ;
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les demandes d’actes à enregistrer sur place, depuis peu possible aussi par lettre recommandée même dans son propre ressort, mais toujours pas par simples mails sécurisés ;
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l’absence d’accès permanent numérique aux dossiers, qui éviterait des courriers incessants entre l’avocat et le greffe sur ce seul sujet et des copies inutiles à répétition sur CD ;
- les notifications par lettres recommandées uniquement des actes importants, autant de fois que l’avocat représente de victimes, même si c’est le même acte et qu’elles sont toutes domiciliées en son cabinet…
Je m’arrête ici mais il y en aurait encore des dizaines, de ces règles absurdes, inutilement coûteuses, la plupart du temps issues du code et certaines des pratiques cinquantenaires parfois qui en ont découlées.
Dans ces conditions, l’annonce tonitruante d’une grande réforme, révolutionnaire, simplificatrice, pragmatique et respectueuse de l’égalité des armes et des droits de la défense, de la procédure pénale (entre autres), ne pouvait qu’être – initialement – qu’une très bonne nouvelle pour tous les avocats (et greffiers, et magistrats, cela va sans dire) se collectant tous les jours avec ces pertes de temps inutiles.
C’est dans ces conditions que la « Grande Réforme» annoncée (rapidement dénoncée par nombre de praticiens, vous savez, ces gens qui connaissent le sujet « en pratique ») a, entre autres, accouché d’une nouvelle rédaction de l’article 175 du code de procédure pénale, complété d’un nouvel alinéa III, entrée en vigueur le 1er juin 2019, date qui ne restera pas dans les annales judiciaires.
Comme l’écrivait Boileau, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire arrivent aisément »
On le sait, cet article du code, dans sa rédaction issue de la réforme dite « Outreau », avait instauré plus de contradictoire dans une fin d’information judiciaire qui jusqu’alors n’en comportait guère. Avant celle-ci, les avocats prenaient déjà des mémoires pour tenter de s’opposer au réquisitoire définitif en donnant « l’autre point de vue » à lire au juge d’instruction, celui de la victime ou du mis en examen. Aucun texte ne prévoyait cette pratique, ni n’imposait de tenir compte de cet écrit. En clair, lesdits avocats avaient nettement l’impression que ce travail servait de brouillon à ses lecteurs putatifs…
Le marasme de l’affaire d’Outreau a incité le législateur à instaurer officiellement ce qui, dans son esprit trop timide, se voulait être un débat final argumenté entre toutes les parties : lorsque le magistrat notifierait aux parties qu’il estimait l’instruction terminée, cette notification ferait désormais courir des délais pour toutes les parties pour former des demandes nouvelles complémentaires, soulever des nullités de procédure ou plus généralement former des observations soit spontanées soit en réplique au lu des arguments des autres. Le juge ne tranchant finalement qu’avec tous ces travaux et points de vue supplémentaires. Il devait même y répondre impérativement.
Pour nombre de confrères, tout ceci était toujours aussi vain qu’auparavant et ce n’était qu’un beau texte de plus ajouté pour « faire joli » puisque personne ne tient réellement compte de ces arguments écrits finaux. Je ne suis toujours pas d’accord, mais, il faut bien le dire, un peu plus tout de même. Ces règles ont néanmoins le mérite d’exister et d’être, finalement, assez simples.
Perfectibles certes : on aurait pu, par exemple, pour accélérer le règlement des dossiers, sanctionner le parquet qui ne respecterait pas les délais légaux (celui de 3 mois pour les mis en examens libres notamment) en produisant son réquisitoire parfois deux ans plus tard (si, je l’ai vu) par la même irrecevabilité qui frappe le mémoire d’un avocat parvenu au bout de trois mois et un jour…
Ne rêvons pas.
Ce débat final avait donc le mérite d’exister, de réserver de plein droit des possibilités complémentaires aux parties et en particulier à la défense de s’exprimer. Il faut savoir apprécier les bonnes choses et cela au moins était un acquis.
Croyait-on.
Jusqu’à l’arrivée fracassante de ce nouvel article 175-III, qu’il a fallu relire de nombreuses fois pour être bien certain d’une chose : il est non seulement laid et inutile, mais constitue au surplus une lourde régression.
Retenant ses larmes, l’on constatera avec amertume qu’il a été créé par l’article 56 de la loi de réforme du 23 mars 2019, article inscrit avec humour dans un titre quatre intitulé «dispositions portant simplification et renforcement de l’efficacité de la procédure pénale »…
Il est vrai qu’en réduisant les possibilités d’exercice d’un droit, on simplifie.
Voici la bête :
« III.- Dans un délai de quinze jours à compter soit de chaque interrogatoire ou audition réalisé au cours de l’information, soit de l’envoi de l’avis prévu au I du présent article, les parties peuvent faire connaître au juge d’instruction, selon les modalités prévues à l’avant-dernier alinéa de l’article 81, qu’elles souhaitent exercer l’un ou plusieurs des droits prévus aux IV et VI du présent article. »
Précisons immédiatement que l’exercice de tous les droits offerts aux parties par l’article 175 est désormais soumis au fait d’avoir effectivement effectué cette déclaration : faute de la faire dans le délai imparti et dans les formes requises, aucune des demandes qu’il permet n’est plus recevable désormais.
Je me demande soudain si le procureur en charge du règlement du dossier sera considéré comme l’une des « parties », au sens de ce texte, et soumis donc aux mêmes obligations – quelque chose me dit que non.
En tout cas, ce qui était donc un droit, c’est-à-dire une prérogative que l’on a le choix d’exercer ou pas, se voit soudainement limité par la nécessité de déclarer préalablement que l’on exercera ce droit – comme si le simple fait d’être une partie au dossier ne contenait pas cette possibilité, comme si, par ailleurs et de façon plus kafkaïenne encore, le fait d’être avocat ne contenait pas intrinsèquement la possibilité d’exercer tous les droits nécessaires à l’assistance ou à la défense de celui que l’on représente !
Travaux parlementaires consultés, lecture d’une circulaire pour l’instant réservée aux magistrats et greffiers mais qui, je suppose finira par être d’accès libre, c’est pourtant exactement ce que l’on voulait : ne plus faire de ce droit une liberté par défaut, mais le rendre optionnel, et imposer pour qu’il existe que l’on indique préalablement le souhaiter – au motif que cela permettrait d’accélérer le règlement des dossiers à l’instruction. J’avoue ne pas voir le rapport.
Je ne connais pas d’équivalent en procédure pénale.
Devra-t-on un jour, avant de plaider en correctionnelle ou aux assises, indiquer par demande de donner acte obligatoire que l’on usera du droit d’appel si la décision s’avère décevante..?
Mais comme si cette régression totalement inutile ne suffisait pas, on a, de façon encore plus incompréhensible, ajouté la possibilité d’effectuer cette « déclaration de demande de prise d’acte de volonté d’exercer un droit » (pardon pour cette formulation-mirliton mais je n’en trouve aucune plus simple) non seulement, plus logiquement, dans les quinze jours suivant l’avis de fin d’information, mais également, et là pas logiquement du tout, « après chaque interrogatoire ou audition au cours de l’information ».
C’est, certes, une facilité donnée aux parties, qui disposent ainsi de plusieurs « occasions » en cours d’information d’effectuer cette formalité désolante – tant mieux pour elles – et, nous connaissant, quel avocat va se priver de l’effectuer « à toutes fins » dès la première audition quelle qu’en soit la nature, pour ne pas l’omettre par la suite ?
Mais quel sens aura alors cette déclaration ? Comment saurait-on dans les quinze jours d’un interrogatoire de première comparution que l’on va ou pas, des années plus tard, avoir besoin après notification de l’avis de fin d’information demander des actes ? Qu’il sera nécessaire de soulever la nullité de tel ou tel acte potentiellement non encore effectué, et mieux encore : de répliquer par observations aux réquisitions du procureur, dont l’on n’a pas encore la moindre idée du contenu, et pour cause ?
Cette édifiante mesure de simplification et d’efficacité aura aussi d’autres conséquences utiles pour les greffiers et magistrats en charge de ces dossiers, dont j’imagine le bonheur, dans un dossier d’une vingtaine de mis en cause et une cinquantaine de victimes, de devoir aller, au moment de la notification 175, vérifier le tome « procédure », cote par cote et sur les quatre années d’instruction écoulées, pour vérifier quel avocat aura effectué ou pas, la fameuse déclaration, le rendant, ou pas, recevable à une demande 175…
Quel avocat ou quelle partie. Car il faut enfin rappeler « accessoirement » que nombre de victimes et, moins souvent mais parfois, de mis en cause, n’ont pas d’avocats à l’instruction. Ils exerceront ainsi leurs droits avec une facilité accrue par ce texte désolant.
De toute évidence Franz Kafka n’est pas mort : il rédige désormais les textes de réforme de la procédure pénale en France.
Il y avait tant à faire, pourtant, si simplement parfois. Voilà pourtant ce que l’on a trouvé : une nouveauté procédurale nécessitant son enregistrement mais aucune réponse, amenuisant les possibilités d’exercer un droit, compliquant encore l’exercice par chacun de ses fonctions, impliquant une affirmation qu’il faudra bien systématiser mais qui pour autant sera vide de tout sens.
On m’indique que cette disposition a été approuvée parmi le flot qui lui était soumis et sans doute sans grand recul (encore fallait-il d’ailleurs la comprendre à première lecture vue sa rédaction disons, romantique), par le Conseil constitutionnel : j’espère que les praticiens que nous sommes trouveront un autre moyen de l’anéantir.
Et qu’une autre fois, mais nous l’avons si souvent demandé, Conseil national des barreaux en tête, l’on nous demandera de proposer et rédiger ces réformes, via une commission plurimétiers judiciaires, ça me semble si simple et évident.
Ce serait, disons-le,… reposant.