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Le droit en débats

La PMA pour tout·tes devant le Conseil constitutionnel

Dans une décision du 12 mai 2022, le Conseil d’État a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’article L. 2141-2 du code de la santé publique en ce qu’il exclut les hommes en capacité de mener une grossesse.

Par Marie Mesnil le 07 Juin 2022

La question posée conteste la conformité à la Constitution, et notamment aux principes d’égalité devant la loi, d’égalité entre les hommes et les femmes, de liberté individuelle et au droit de mener une vie familiale normale, de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, en ce qu’il exclut de l’assistance médicale à la procréation (AMP) les personnes ayant changé la mention de leur sexe à l’état civil mais disposant de la capacité de mener une grossesse. Cette QPC a été posée par une association, le Groupe d’information et d’action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS)1, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir formé devant le Conseil d’État à l’encontre du décret n° 2021-1243 du 28 septembre 2021 fixant les conditions d’organisation et de prise en charge des parcours d’assistance médicale à la procréation.

Des conditions d’âge associant le sexe et les forces procréatives

En effet, le décret du 28 septembre 2021 définit trois séries d’âge visant à préciser les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation (CSP, art. R. 2141-38 et L. 2141-2, al. 6), l’intervalle d’âge pendant lequel une personne peut bénéficier de l’autoconservation de ses gamètes pour raison médicale (CSP, art. R. 2141-36 et L. 2141-11) et en absence de tout motif médical (CSP, art. R. 2141-37 et L. 2141-12). Par exemple, « les conditions d’âge requises par l’article L. 2141-2 du code de la santé publique pour bénéficier d’un prélèvement ou recueil de ses gamètes, en vue d’une assistance médicale à la procréation, sont fixées ainsi qu’il suit : 1° Le prélèvement d’ovocytes peut être réalisé chez la femme jusqu’à son quarante-troisième anniversaire ; 2° Le recueil de spermatozoïdes peut être réalisé chez l’homme jusqu’à son soixantième anniversaire » (CSP, art. R. 2141-36). Pour mettre ensuite en œuvre l’assistance médicale à la procréation, par insémination artificielle ou transfert d’embryons à la suite d’une fécondation in vitro, « la femme, non mariée ou au sein du couple, qui a vocation à porter l’enfant » doit être âgée de moins de 45 ans tandis que le « membre du couple qui n’a pas vocation à porter l’enfant » doit avoir moins de 60 ans (CSP, art. R. 2141-38).

La formulation retenue par le pouvoir réglementaire interpelle en ce qu’elle définit l’âge en faisant référence à la fois à la force reproductive en présence (spermatozoïdes, ovocytes ou le fait de porter l’enfant) et au sexe de la personne (homme ou femme). Une interprétation littérale de ces dispositions conduirait à exclure les personnes qui ont changé de sexe à l’état civil du bénéfice de l’autoconservation de gamètes, y compris lorsqu’il existe un motif médical2, mais également de limiter aux seules femmes la possibilité de bénéficier d’une insémination ou du transfert d’un embryon dans le cadre d’une AMP. En effet, la mention d’homme et de femme doit être entendue au sens de l’état civil. Cette interprétation est par ailleurs conforme à la volonté du législateur puisque ce point a été très clairement explicité lors des débats parlementaires à propos de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique3. Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, a expliqué que, « pour fixer ces règles générales, qui doivent être claires, l’inscription du sexe à l’état civil me paraît représenter un critère aussi clair qu’objectif, qui nous permettra ensuite de déterminer l’ouverture de la PMA » (Ass. nat., séance du 26 sept. 2019).

Démédicalisation du changement de sexe à l’état civil

Que faire lorsque la mention du sexe à l’état civil est toutefois en discordance avec les capacités reproductives des personnes, comme, en l’espèce, lorsqu’un homme souhaite le prélèvement de ses ovocytes ou une femme le recueil de ses spermatozoïdes ? Cette hypothèse est loin d’être anecdotique compte tenu de la démédicalisation du changement de la mention du sexe à l’état civil opérée par la loi du 18 novembre 2016 dite de modernisation de la justice au XXIe siècle. Pour obtenir la modification de la mention du sexe à l’état civil, il suffit de présenter par « une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel [la personne] se présente et dans lequel elle est connue » (C. civ., art. 61-5). Il a en outre été explicitement précisé que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande » (C. civ., art. 61-6, al. 3). Cette évolution du droit français était opportune en ce qu’elle anticipait une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 10 mars 2015, Y.Y. c. Turquie, n° 14793/08, Dalloz actualité, 19 mars 2015, obs. T. Coustet ; D. 2015. 1875, et les obs. , note P. Reigné ; ibid. 2016. 752, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 915, obs. REGINE ; AJ fam. 2015. 542, obs. P. Reigné ; RDSS 2015. 643, note S. Paricard ; RTD civ. 2015. 331, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 349, obs. J. Hauser ; 6 avr. 2017, Nicot et Garçon c. France, n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13, Dalloz actualité, 18 avr. 2007, obs. T. Coustet ; D. 2017. 1027, et les obs. , note J.-P. Vauthier et F. Vialla ; ibid. 994, point de vue B. Moron-Puech ; ibid. 2018. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2017. 299, obs. F. Viney ; ibid. 329, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2017. 350, obs. J. Hauser ; ibid. 825, obs. J.-P. Marguénaud ). Les conséquences d’une telle évolution n’ont toutefois pas été tirées au regard des droits familiaux et reproductifs des personnes trans. L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 9 février 2022 traite précisément de l’établissement de la filiation d’une femme trans ayant procréé avec ses spermatozoïdes. Dans cette affaire, les juges mettent en lumière que la loi du 18 novembre 2016 permet de faire « coexister des réalités juridique et biologique distinctes » (Toulouse, 9 févr. 2022, n° 20/03128, Dalloz actualité, 1er mars 2022, obs. S. Paricard ; D. 2022. 888 , note S. Paricard ; ibid. 846, point de vue M. Thevenot et B. Moron-Puech ; AJ fam. 2022. 222, obs. M. Mesnil ; ibid. 109, obs. A. Dionisi-Peyrusse ).

Un décret à la légalité contestée

La légalité du décret est attaquée devant le Conseil d’État dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir : en effet, les conditions d’âge pourraient faire obstacle à la mise en oeuvre de l’autoconservation de gamètes par les personnes ayant changé de mention du sexe à l’état civil alors que précisément, le législateur a ajouté un nouvel alinéa à l’article L. 2141-11 du code de la santé publique disposant que « la modification de la mention du sexe à l’état civil ne fait pas obstacle à l’application du présent article ». Cette disposition a été ajoutée afin de trancher le débat médico-juridique qui existait à propos de l’autoconservation de gamètes par des personnes en début d’un parcours médical de transition, et notamment lorsque celui-ci se limite à une prise d’hormones. Est-ce qu’une telle prise d’hormones peut caractériser une « prise en charge médicale [qui] est susceptible d’altérer la fertilité [de la personne] » ou « sa fertilité risque[-t-elle] d’être prématurément altérée » du fait de la prise d’hormones ? Les différentes instances consultées par le Défenseur des droits ont exprimé des réticences liées aux conditions de mise en œuvre ultérieure de l’assistance médicale à la procréation ou encore à l’établissement de la filiation. Dans son avis MSP-2015-009 du 22 octobre 2015, le Défenseur des droits conclut, quant à lui, à la pleine application des dispositions de l’article L. 2141-11 du code de la santé publique aux personnes entamant un parcours médical de transition.

Une question prioritaire de constitutionnalité posée

À l’occasion de ce recours pour excès de pouvoir, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été posée à propos de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique qui limite l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples formés d’un homme et d’une femme, de deux femmes ou aux femmes seules non mariées. Les hommes ayant changé de mention du sexe à l’état civil seraient ainsi exclus de l’accès à l’AMP quand bien même ils disposeraient des capacités de mener une grossesse4. Pour le GIAPS, la carence du législateur porte atteinte au principe d’égalité devant la loi et entre les femmes et les hommes dans la mesure où il existe une différence de traitement entre les hommes et les femmes, en capacité de porter un enfant, sur la base du sexe : seules les femmes peuvent en effet bénéficier d’un don de spermatozoïdes. Il est également invoqué une atteinte à la liberté personnelle et au droit à une vie familiale normale. Le ministère en charge de la santé défend, dans ses observations devant le Conseil d’État, que le législateur a fait le choix d’abandonner le critère d’accès de nature biologique qu’est l’infertilité au profit du seul critère juridique qu’est la mention du sexe inscrite à l’état civil et si les couples d’hommes et les hommes seuls ne sont pas visés par le texte, c’est du fait de l’interdiction de la technique dite de la gestation pour autrui (GPA), qui découle des principes d’indisponibilité et de non-patrimonialité du corps humain. Cet argumentaire qui consiste à occulter l’existence d’hommes en capacité de mener une grossesse sans qu’il ne soit besoin de recourir à la gestation pour autrui n’a semble-t-il pas convaincu le Conseil d’État qui a décidé, dans sa décision du 12 mai 2022, de renvoyer la question, jugée nouvelle, au Conseil constitutionnel.

Une question prioritaire de constitutionnalité jugée nouvelle

Le renvoi d’une QPC par le Conseil d’État suppose que la disposition contestée soit applicable au litige, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux (ord. n° 58-1067, 7 nov. 1958, art. 23-4). Le décret du 28 septembre 2021 attaqué fixe notamment les conditions d’âge prévues à l’article L. 2141-2 du code de la santé publique et cet article n’a pas été déclaré conforme à la Constitution lors du contrôle a priori effectué par le Conseil constitutionnel le 29 juillet 2021 (Cons. const. 29 juill. 2021, n° 2021-821 DC, Dalloz actualité, 7 sept. 2021, obs. E. Supiot ; AJDA 2022. 42 , note X. Bioy ; ibid. 2021. 1658 ; D. 2021. 1547, obs. C. const. ; ibid. 2022. 872, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2021. 448, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2021. 939, note J.-P. Camby ; RTD civ. 2021. 867, obs. A.-M. Leroyer ). Il s’agissait alors d’apprécier le troisième critère tenant à la nouveauté ou au caractère sérieux de la question. Le critère de la nouveauté s’apprécie notamment au regard de la norme de contrôle dont il est fait application (Cons. const. 3 déc. 2009, n° 2009-595 DC, consid. 21 ; CE 8 oct. 2010, n° 338505, Dalloz actualité, 18 oct. 2010, obs. S. Brondel ; Lebon ; AJDA 2010. 1911 ; ibid. 2433 , concl. S.-J. Liéber ; RFDA 2010. 1257, chron. A. Roblot-Troizier et T. Rambaud ; ibid. 2011. 353, étude G. Eveillard ; Constitutions 2011. 117, obs. V. Tchen ). Une QPC avait déjà été soulevée à propos de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique devant le Conseil d’État et il était alors avancé que les dispositions portaient déjà atteinte au principe d’égalité devant la loi en réservant l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples composés d’un homme et d’une femme, vivants, en âge de procréer et souffrant d’une infertilité médicalement diagnostiquée. Le Conseil d’État n’avait pas transmis la QPC au Conseil constitutionnel estimant que la question n’était pas nouvelle, ni ne présentait un caractère sérieux dans la mesure où elle ne portait pas atteinte au principe d’égalité (CE 28 sept. 2018, n° 421899, Dalloz actualité, 5 oct. 2018, obs. T. Coustet ; AJDA 2019. 533 , note T. Escach-Dubourg ; D. 2018. 1917 ; ibid. 2019. 663, obs. F. Granet-Lambrechts ; AJ fam. 2018. 687, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 497, obs. A. Dionisi-Peyrusse ).

Une nouveauté résultant d’un changement de circonstances ?

La QPC qui vient d’être transmise l’a été sur le critère de la nouveauté. La nouveauté pourrait résulter, même si cela n’est pas prévu pour ce critère par l’ordonnance du 7 novembre 1958, du changement de circonstances et en particulier des évolutions résultant de la loi du 18 novembre 2016 démédicalisant le changement de mention du sexe à l’état civil et de la loi du 2 août 2021 supprimant le critère d’infertilité biologique pour accéder à l’AMP. Si le Conseil d’État ne fait aucune mention du caractère sérieux de la question, sa transmission au Conseil constitutionnel ainsi que les questions juridiques qu’elle pose en témoignent !

En effet, cette QPC met en avant les difficultés que peuvent rencontrer les personnes ayant changé de mention du sexe à l’état civil lorsque le fait générateur d’une prestation ou d’un droit repose sur un élément biologique et vise les personnes dont le sexe est présupposé y correspondre. Deux options sont possibles dans ces situations. Ainsi, il serait possible de faire application des dispositions juridiques à l’égard de la personne même si la mention de son sexe à l’état civil ne correspond plus à celui du texte de loi. Dans le cadre contraire, cela reviendrait à priver les personnes qui ont changé de mention du sexe à l’état civil du bénéfice de certains droits dès lors que la rédaction du texte renvoie à un sexe qui n’est plus le leur. Dans cette seconde approche, le changement de la mention du sexe à l’état civil conduirait ainsi à restreindre l’application du droit et l’exercice des droits, en matière de reproduction (interruption volontaire de grossesse, contraception, etc.), pour les droits sociaux associés à un événement biologique (droit à un congé de maternité, visites médicales en lien avec la grossesse, etc.) mais aussi en matière de filiation. Il est temps de réfléchir à la manière d’appliquer le droit lorsque les personnes ont changé de mention du sexe à l’état civil.

Cette QPC montre également la manière dont les acteurs institutionnels tels que des associations se saisissent de la QPC, notamment à l’occasion d’un recours objectif (V. Champeil-Desplats, Les actions associatives pour la défense des droits et libertés que la constitution garantit devant le Conseil constitutionnel, Rev. dr. homme, 20/2021). La décision de renvoi du Conseil d’État va enrichir les QPC rendues en droit des personnes et de la famille, qui ne sont que peu nombreuses pour le moment ; elle peut également contribuer à reconnaître pleinement les droits reproductifs et familiaux des personnes trans.

 

Notes

1. L’autrice signale qu’elle a participé à ces recours devant le Conseil d’État et devant le Conseil constitutionnel.

2. M. Mesnil, L’autoconservation de gamètes : nouvelle donne ou nouveaux dons ?, JDSAM, n° 32, 2022, p. 37-43.

3. L. Carayon, Personnes trans et loi de bioéthique : histoire d’un silence, AJ fam. 2021. 543 .

4. M. Mesnil, Les angles morts de la loi de bioéthique en matière d’AMP, RDSS 2021. 790 .