Tous les criminels et délinquants financiers rêvent d’un monde où ils n’auraient pas à rendre de comptes.
Depuis ces dernières années, le parquet national financier (PNF), dont la création remonte à 2013, a été un acteur de premier plan dans la lutte contre la criminalité financière et un allié de poids pour les associations de lutte contre la corruption. Ce parquet spécialisé, à compétence nationale, dirige son action contre la délinquance économique et financière. Panama Papers, Football Leaks, affaire Kohler, etc., sont autant d’affaires publiques évoquant sa dynamique et ses succès.
Vendredi 18 septembre, le nouveau ministre de la justice a demandé l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de trois magistrats du PNF. Il faut rappeler que, quelques semaines auparavant, Le Point révélait qu’en 2014, le parquet national financier avait demandé à des enquêteurs d’éplucher les relevés téléphoniques de plusieurs avocats, dont il faisait alors partie, pour identifier la taupe qui aurait pu informer Nicolas Sarkozy et son avocat, également ami du même nouveau ministre de la justice. Éric Dupont-Moretti redoutait alors le risque de basculer dans une « république des juges ».
Rappelons également qu’Éric Ciotti, député LR, avait annoncé, en juin 2020, le dépôt d’une proposition de loi pour supprimer le PNF en dénonçant le fait que la justice était « aujourd’hui touchée par le poison du soupçon de la politisation », formulation habile et soignée ayant indéniablement pour but de mettre à l’abri les intérêts personnels de nos « élites ».
Indépendamment de l’aspect inhérent au conflit d’intérêts, cette décision interpelle. En effet, nul ne conteste la nécessité de mettre un terme à des dérives qui peuvent toucher le fonctionnement de la justice, qu’elles soient par ailleurs structurelles ou individuelles. La justice n’est pas un service exempt de tout reproche et l’accroissement des pouvoirs des parquets spécialisés, pour ne citer que ceux-ci, appelle à la plus grande vigilance. La parole du parquet, PNF ou non, n’est pas non plus parole d’évangile. C’est aussi le rôle des avocats que de pouvoir rétablir l’équilibre. Plus récemment encore, la répression des mouvements sociaux a également montré que la justice pouvait s’assimiler à un bras armé obéissant à des logiques éminemment politiques. Sur un autre plan, la libération de l’expression des victimes d’agressions sexuelles a mis en exergue de graves carences dans la manière dont elles pouvaient être traitées par la machine judiciaire.
Cependant, ce combat pour l’amélioration du fonctionnement de la justice doit être cohérent, uniforme et, surtout, ne pas servir les intérêts personnels de ceux qui le portent, sous forme de revanche à l’encontre du PNF dans le cas présent. S’ils souhaitent conserver une certaine crédibilité, les dirigeants publics ont une responsabilité certaine dans la manière dont ils présentent les carences de la justice.
En outre, le fait de s’attaquer à des magistrats du PNF entretient un ressentiment fort à l’encontre de la justice, qui est de plus partagé par une partie de la population. Cela ne peut que conduire à diluer le sentiment de confiance, non seulement envers la justice mais, plus généralement, à l’égard des pouvoirs publics. Le ministre de la justice porte une responsabilité dans la diffusion du sentiment selon lequel les juges incarneraient une caste corporatiste. Méfions-nous des logiques aussi tranchées, d’autant plus lorsqu’elles sont animées par des motivations personnelles.
À l’heure où le populisme est roi, galvaniser la défiance envers les magistrats est non seulement facile, mais surtout dangereux. Cela paraît d’autant plus suspect que le combat est sélectif et inégal. En effet, une partie de la population est confrontée à une certaine méfiance envers la justice, mais l’on peut se demander dans ce cas précis à qui profite cette suspicion lorsqu’elle vise des magistrats luttant contre la criminalité financière.
Ce fait est d’autant plus grave que l’on demande au même corps judiciaire de faire preuve d’une rigueur exemplaire face à l’insécurité ou face au « séparatisme ». En revanche, il devrait être muselé dans son combat contre la délinquance économique et financière…
Dans la réalité, le citoyen ordinaire n’est pas traité de la même manière par cette justice, qui oriente avant tout, et peut-être malgré elle, son action au profit des « élites ». Pour s’en convaincre, il suffit par exemple de rappeler que des journalistes ont révélé l’existence de notes légitimant le recours à des arrestations préventives contre les Gilets jaunes, et donc illégales. De telles révélations n’ont pas donné lieu à la même réaction du gouvernement que celle adoptée face au PNF.
Il faut donc croire que la justice financière, qui concerne ceux-là même qui sont les premiers à la critiquer, serait l’unique responsable de tous les maux. Méfions-nous de telles décisions, encore plus lorsqu’elles occultent les réelles problématiques de fond et, in fine, décrédibilisent nos dirigeants.