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Le droit en débats

Pour une formation commune avocats et magistrats

Par Pascal Rouiller le 07 Juin 2019

La formation des avocats, d’une part, et celle des magistrats, d’autre part, fait actuellement l’objet d’un vif débat.

S’agissant des premiers, le bilan est assez sombre. Comme le relève Kami Haeri, avocat au barreau de Paris, dans son rapport sur l’avenir de la profession d’avocat rédigé avec Me Sophie Challan-Belval, Me Éléonore Hannezo et Me Bernard Lamon, remis en 2017 au garde des Sceaux, « le consensus est malheureusement très large. Le temps de la formation initiale est considéré comme du temps perdu : enseignements inadaptés, redites avec l’université, etc. La liste des griefs est impressionnante. […] L’une des priorités d’une réforme à intervenir doit être la remise à plat de l’ensemble des systèmes de formation, la frustration exprimée étant dans ce domaine unanime ».

Pour l’École nationale de la magistrature (ENM), le constat est différent : la qualité de la formation est largement reconnue mais certains, en tête desquels l’avocat Éric Dupond-Moretti, reprochent aux magistrats un entre-soi, une méconnaissance des justiciables et une défiance à l’égard des avocats. La formation des magistrats fait d’ailleurs partie de celles que Frédéric Thiriez, nommé par Emmanuel Macron pour réformer la fonction publique, envisage de modifier au profit d’une formation commune à l’ensemble des hauts fonctionnaires.

Pourtant, le magistrat n’est pas un fonctionnaire comme les autres. En réalité, il partage bien plus de points communs avec l’avocat, auxiliaire de justice avec lequel il est constamment en relation, qu’avec quiconque. De nombreuses qualités sont ainsi nécessaires pour exercer ces deux professions : technicité, rigueur, qualité de l’expression orale et écrite, clarté de pensée, ouverture d’esprit, écoute et attention portée à l’autre, faculté à travailler en équipe, etc. Les griefs échangés, parfois violemment, entre professionnels se concentrent toujours sur ces aspects, ce qui montre à quel point ces qualités correspondent en réalité à des attentes communes.

De nombreuses initiatives ont d’ailleurs déjà été mises en place pour rapprocher la formation des avocats et des magistrats. À titre d’exemple, les auditeurs de justice effectuent un stage de plusieurs mois au sein d’un cabinet d’avocats, tandis qu’à Bordeaux, des élèves avocats assistent aux cours délivrés par l’ENM.

Ces initiatives sont à encourager, et l’on pourrait aujourd’hui imaginer aller plus loin. Pourquoi ne pas mettre en place une véritable formation commune aux futurs magistrats et futurs avocats ?

En effet, de nombreuses matières intéressent tant la profession d’avocat que celle de magistrat ; les matières transversales d’abord (sociologie, économie, etc.), déjà enseignées à l’ENM et que Me Haeri propose de mettre au programme des écoles d’avocats. La déontologie, ensuite, qui obéit pour partie à des principes communs. Les mises en situation, enfin : on imagine aisément des ateliers où élèves magistrats et élèves avocats mettraient en scène des procès fictifs.

En pratique, on pourrait sans difficulté concevoir une formation commune de quelques mois. Pour conserver la qualité de la formation et assurer son homogénéité, il serait alors nécessaire de concentrer les cours dans quelques centres, disséminés sur le territoire, par exemple un par région ou grande région.

Une telle organisation permettrait aux magistrats et aux avocats non seulement de disposer d’un socle commun de formation, en complément des années déjà partagées à l’université, mais encore de mieux se connaître et de mieux se comprendre. Cela limiterait l’incompréhension – pour ne pas dire la défiance – qui oppose parfois les deux professions. Les avocats, mieux informés du mode de raisonnement des magistrats, seraient plus à même de conseiller leurs clients. Les magistrats, pour leur part, appréhenderaient davantage le rôle, les contraintes et les attentes des avocats.

Se former ensemble pour mieux travailler ensemble ; faisons le pari qu’au final, chaque profession et, plus encore, les justiciables en bénéficieraient.