Les contrats unit-linked sont des contrats collectifs d’assurance-vie à capital variable liés à des fonds de placement, soit une assurance-vie en unités de compte. S’agissant d’un placement risqué – les primes converties en parts du fonds de placement sont réinvesties dans des instruments financiers –, il n’est pas surprenant que le droit des assurances impose une obligation d’information précontractuelle à destination du signataire d’un tel contrat complexe afin qu’il effectue un choix éclairé conforme à ses besoins1. La Cour de justice de l’Union européenne a effectivement eu l’occasion de préciser la portée de cette obligation quand le consommateur souscrit ces produits unit-linked auprès d’une entreprise preneuse d’assurance2. La compagnie d’assurance doit communiquer au preneur d’assurance les informations imposées par la directive 2002/23/CE en vue de les transmette au consommateur final avant son adhésion. Leur non-communication peut constituer une omission trompeuse au sens de la directive 2005/29/CE3.
Dans la présente affaire jugée le 2 février 2023, c’est encore un contrat unit-linked souscrit par un consommateur polonais, mais cette fois par l’intermédiaire d’un établissement bancaire, qui pose difficulté et justifie quatre questions préjudicielles4. Insatisfait par la dépréciation de ses parts dans le fonds de placement au regard des primes versées, l’adhérent sollicite en justice la résiliation du contrat et la restitution de certaines sommes, comme le prévoyaient les conditions générales remises par un employé de la banque. Il soutient aussi que sa déclaration d’adhésion est nulle comme consécutive à une pratique commerciale déloyale de la compagnie d’assurance et, de plus, que certaines clauses du contrat sont abusives faute d’être claires et précises.
Les trois premières questions préjudicielles sont relatives à l’interprétation de la directive 2005/29/CE, la quatrième relevant de la directive 93/13/CEE5. Cette dernière question n’ayant pas été tranchée par la Cour, nous concentrerons nos propos sur celles-là. Le fil conducteur de l’arrêt est alors le suivant : comment s’applique le droit des pratiques commerciales déloyales lorsqu’un professionnel de l’assurance conçoit un contrat-type trompeur commercialisé, auprès de consommateurs, par un autre professionnel ?
La rédaction d’un contrat collectif d’assurance-vie constitutif d’une pratique commerciale déloyale et son imputabilité
La Cour devait d’abord répondre à cette question : la notion de pratique commerciale déloyale ne vise-t-elle que les circonstances entourant la conclusion du contrat et la présentation du produit au consommateur ou couvre-t-elle aussi la rédaction, par le professionnel concepteur du produit, d’un contrat-type trompeur servant de base à l’offre commerciale préparée par un autre professionnel ?
De fait, dans l’assurance de groupe examinée on doit distinguer la phase aval d’adhésion, correspondant à la commercialisation de l’assurance par la banque au client, de la conception en amont du modèle de contrat auquel le client va adhérer6. La question se pose de savoir comment ce schéma tripartie s’articule avec la notion de pratique commerciale déloyale du droit de l’Union européenne.
Pour le juge européen, d’une part l’offre d’adhésion à un contrat collectif constitue une pratique commerciale (§ 60). Il reprend la solution déjà rendue à propos des assurances unit-linked et fondée sur la notion « accueillante » de pratique commerciale : toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale (…) d’un professionnel en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs7. La cour a, en effet, précisé que les termes « en relation directe » couvrent toute mesure prise en relation avec la conclusion d’un contrat et que, en conséquence, la notion de pratique commerciale peut s’appliquer aux agissements du preneur d’assurance proposant l’adhésion du contrat collectif au consommateur8. Ici, on admet qu’elle peut viser le contrat-type lui-même, bien qu’il ne soit pas commercialisé directement par l’assureur rédacteur.
D’autre part, la pratique revêt un caractère déloyal en raison de l’insuffisance des informations transmises au consommateur, au moyen des clauses contractuelles types, avant son adhésion au contrat collectif (§ 61). C’est une pratique commerciale trompeuse par omission9. En l’espèce, des informations substantielles n’ont pas été communiquées en temps au consommateur par l’employé de la banque distribuant l’assurance, le privant ainsi de la possibilité de prendre une décision en connaissance de cause. Selon l’assuré, les clauses types ne lui ont pas permis de déterminer la nature et la structuration du produit d’assurance proposé et des risques qui y étaient liés. Or il a été jugé que, dans le cas des contrats unit-linked, les informations doivent comprendre des indications sur les caractéristiques essentielles des actifs représentatifs du contrat collectif10.
Contrairement à d’autres affaires de distribution d’assurance collective où les débats se concentraient sur l’intermédiaire preneur d’assurance11, ici les projecteurs sont braqués sur la compagnie rédactrice. D’où la deuxième question préjudicielle : quel professionnel est responsable de la pratique commerciale déloyale ? Est-ce celui qui a élaboré le contrat-type trompeur, ou celui qui a présenté au consommateur le produit fondé sur cet accord-cadre et qui l’a commercialisé directement, ou bien les deux ?
En défense, la compagnie faisait valoir que les pratiques portent uniquement sur le processus de vente du produit réalisé par la banque. La position du juge européen est sans ambiguïté : l’entreprise d’assurance qui a rédigé de manière trompeuse le contrat collectif transmis au consommateur avant son adhésion doit, en principe, être tenue pour responsable (§ 70). La responsabilité du contrat-type incompréhensible remonte directement à elle. En toute logique, la Cour laisse la possibilité de rechercher la responsabilité de la banque, intermédiaire d’assurance, pour le cas où une autre pratique commerciale serait en lien avec le processus d’adhésion du consom3mateur au contrat collectif (§ 71).
La nullité du contrat d’assurance conclu consécutivement à une pratique commerciale déloyale
Selon la directive 2005/29/CE, les pratiques commerciales déloyales sont interdites (art. 5, § 1) et les États membres doivent veiller « à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre » ces comportements (art. 11, § 1). Ainsi, la troisième question préjudicielle traitait de la sanction civile du contrat conclu par le consommateur sous l’influence d’une pratique commerciale déloyale. Le droit polonais conférant au consommateur le droit de demander l’annulation, le juge national se questionnait sur le caractère proportionné de cette sanction. Au cas où elle serait non conforme, il s’interrogeait sur la possibilité de fonder la nullité du contrat sur la directive 93/13/CEE (art. 5), laquelle impose des clauses claires et compréhensibles.
Le juge européen rappelle la marge de manœuvre des États membres, faute d’harmonisation imposée. Ensuite, il considère que l’article 3, § 2 – selon lequel la directive 2005/29/CE s’applique sans préjudice du droit des contrats – ne s’oppose pas à ce qu’une règle nationale confère au consommateur le droit de demander l’annulation du contrat (§ 82). Il précise enfin que la nullité répond à la triple exigence d’une sanction effective, proportionnée et dissuasive posée par le droit européen12.
Dès lors, l’adhérent à une assurance-vie, dont le consentement a été vicié du fait de la rédaction trompeuse du contrat-type par omission de certains risques, peut en demander l’annulation. Notons que le droit français, outre des sanctions pénales, n’a pas prévu de sanctionner une pratique trompeuse par une indemnisation ou l’invalidité du contrat conclu à sa suite, alors qu’il retient une nullité de plein droit pour une pratique agressive (C. consom., art. L. 132-10). Or la récente directive Omnibus modifiant la directive 2005/29/CE13 prévoit, pour les victimes de pratiques commerciales déloyales, que les recours comprennent la réparation des dommages subis par le consommateur et, le cas échéant, une réduction du prix ou la fin du contrat14. L’avenir dira si le droit français peut se contenter de renvoyer à la jurisprudence annulant, sur le droit commun des vices du consentement dont la charge de la preuve pèse sur la victime, les contrats conclus par des consommateurs dont le consentement a été altéré par une pratique commerciale trompeuse. Le contentieux des assurances permettra peut-être de d’apporter une réponse à cette question…
1. Dir. 2002/83/CE du 5 nov. 2002 concernant l’assurance directe sur la vie remplacée par la directive 2009/138/CE du 25 nov. 2009 sur l’accès aux activités de l’assurance et de la réassurance et leur exercice.
2. CJUE 24 févr. 2022, aff. C-143/20 et C-213/20, RGDA, juill.-août 2022, p. 37, obs. G. Parleani.
3. Dir. du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur.
4. Dalloz actualité, 7 févr. 2023, obs. C. Hélaine.
5. Dir. du 5 avr. 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.
6. R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 164.
7. Dir. 2005/29/CE, art. 2, sous d.
8. CJUE 24 févr. 2022, préc.
9. Dir. 2005/29/CE, art. 7.
10. CJUE 24 févr. 2022, préc.
11. CJUE 24 févr. 2022, préc. ; 29 sept. 2022, aff. C-633/20, Dalloz actualité, 14 oct. 2022, obs. J. Delayen.
12. Dir. 2005/29/CE, art. 13.
13. Dir. (UE) 2019/ 2161 du Parlement Européen et du Conseil du 27 nov. 2019, art. 11 bis.
14. S. Bernheim-Desvaux et N. Sauphanor-Brouillaud, Analyse de la transposition des sanctions issues de la directive relative à une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs, CCC 2022. Étude 4.