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Le droit en débats

Pratiques CumEx/CumCum : vers une pénalisation des stratégies d’arbitrage de dividendes ?

Les premières condamnations pénales prononcées en Allemagne et récemment confirmées par la Cour fédérale, à la suite des révélations du scandale « CumEx/CumCum Files » en 2017, ont donné un nouvel élan à la lutte contre les stratégies d’arbitrage de dividendes. Si la France est jusqu’à présent beaucoup moins agressive que ce n’est le cas outre-Rhin, elle semble néanmoins vouloir sévir face à ces pratiques, dont le coût est évalué à plus de 33 milliards d’euros. Ce regain pose la question de la légalité des stratégies d’arbitrage de dividendes et, au-delà, de la notion même d’optimisation fiscale.

Par Salomé Lemasson et Mathieu Valeteau le 23 Novembre 2021

Qu’est-ce que le CumEx ou CumCum

Les transactions CumEx/CumCum reposent sur la notion cardinale d’« arbitrage de dividendes », qui consiste à transférer rapidement et entre plusieurs intervenants la propriété d’actions, de droits ou de titres avec et sans droits à dividendes dans l’objectif d’échapper aux retenues à la source applicables.

Dans le cadre du montage CumEx cet arbitrage de dividendes, associé à des opérations de vente à découvert d’actions avec (Cum) et sans (Ex) droits à dividendes entre différents intermédiaires permet non seulement d’échapper à l’impôt mais également d’obtenir plusieurs remboursements de retenue à la source non payés à travers des demandes de crédits d’impôt. Ce premier type de montage n’est techniquement plus possible en France depuis la suppression de l’avoir fiscal en 2005. C’est ce dispositif qui fait l’objet de toutes les attentions en Allemagne.

A contrario, il est toujours possible pour un propriétaire de titres non résident français, d’échapper à la retenue à la source prévue par l’article 119 bis, 2, du code général des impôts, et ce notamment par le biais de transactions CumCum. Sous la forme d’un montage « interne », le résident français à qui ont été transférés temporairement les titres avant la date de versement des dividendes encaisse le dividende sans retenue à la source et le rétrocède ensuite à son bénéficiaire réel sous la forme d’un flux financier. Dans le cadre d’un montage « externe », le non-résident transfère cette fois-ci ses titres à un résident d’un État ayant signé avec la France une convention bilatérale ne prévoyant aucune retenue à la source. Les dividendes sont distribués au résident de cet État en franchise de retenue à la source. Les titres sont ensuite restitués avec les dividendes au détenteur d’origine, toujours sans paiement de la retenue à la source (mais moyennant paiement d’une commission au détenteur temporaire).

Dispositifs en vigueur en matière de lutte contre l’arbitrage de dividendes

L’administration fiscale dispose d’ores et déjà d’un grand nombre de dispositifs lui permettant d’écarter les arbitrages de dividendes et le transfert artificiel de propriété des titres. Nous pouvons par exemple citer les procédures d’abus de droit fiscal et de « mini » abus de droit fiscal pour les opérations ayant un motif respectivement « exclusivement » ou « principalement » fiscal ou encore le récent dispositif de l’article 119 bis A du code général des impôts, destiné spécifiquement à éviter les transferts artificiels de titres pour des raisons fiscales.

Ce renforcement de l’arsenal à la disposition de l’administration fiscale pour lutter contre les pratiques d’optimisation fiscale agressives ainsi que l’assouplissement du régime procédural applicable en matière pénale à la lutte contre la fraude fiscale via la levée du « verrou de Bercy » interrogent sur la possibilité de qualifier les pratiques CumEx/CumCum de fraudes fiscales, et plus généralement sur la frontière entre optimisation et fraude fiscale.

CumEx/CumCum : comment réagir ?

Inévitablement, l’actualité invite tous les acteurs directs et indirects ayant potentiellement participé à ces stratégies d’arbitrage de dividendes à effectuer des investigations internes pour évaluer leur éventuelle exposition au risque, tant de nature fiscale que pénale.

Ainsi convient-il de s’assurer que toute documentation en lien avec ces pratiques est conservée de manière appropriée (notamment via la mise en place d’un litigation hold) afin que les données ne soient pas automatiquement détruites par application des politiques d’archivages informatiques.

Par ailleurs, conduire une enquête interne robuste peut permettre de déterminer l’existence d’éventuels manquements et identifier le cas échéant les actions correctives à mettre en œuvre afin d’y mettre un terme et de bénéficier de coefficient de minoration dans l’éventualité où des négociations seraient ouvertes. Une telle enquête pourrait également permettre d’identifier l’opportunité, le cas échéant, d’un self-reporting auprès des autorités concernées, en France et/ou à l’étranger.

Enfin, renforcer les politiques et procédures de conformité permettra de prévenir tout manquement à l’avenir.

Conclusion

L’actualité récente suggère que la France semble vouloir sévir en matière d’arbitrage de dividendes, à l’instar de l’Allemagne. Si l’on demeure loin des premières condamnations pénales prononcées outre-Rhin, la pratique de l’arbitrage de dividende (légale à ce jour) est dans le collimateur de l’administration fiscale. Si le législateur français semble, pour l’heure, avoir abandonné toute velléité d’évaluation et de remise en cause de ces dispositifs conventionnels permettant d’échapper aux retenues à la source sur dividendes, les acteurs du marché seraient toutefois avisés d’évaluer leur exposition aux risques fiscal et pénal découlant de leur éventuelle implication dans ces stratégies d’arbitrage de dividendes.