La prévention subit un paradoxe : chacun s’accorde à reconnaître qu’elle est plutôt efficace, qu’il faut la privilégier voire l’encourager, et cependant, elle ne cesse d’être réformée, modifiée, parfois malmenée, dans des conditions qui deviennent parfois complexes. Il paraît donc utile d’y revenir pour faire une synthèse rapide des avancées faites au cours des deux dernières années, qui débouchent sur une situation contrastée avec des mesures transitoires qui se terminent et des mesures pérennes qui prennent le relais.
Le diagnostic : la prévention, un dispositif qui fonctionne
Rappelons en premier lieu que la prévention fonctionne bien, même si elle concerne essentiellement des grandes entreprises, les petites entreprises n’y ayant souvent pas accès par déficit d’informations ou par manque de moyen. Le rapport Richelme avait d’ailleurs pointé cette difficulté en souhaitant développer l’information des dirigeants (G. Richelme, Rapport de la mission « Justice économique », févr. 2021). Il faut cependant reconnaître que des progrès ont été réalisés, notamment grâce au concours des greffiers des tribunaux de commerce qui ont développé des sites dédiés aux dirigeants pour de l’auto-diagnostic, aux Centres d’information sur la prévention (CIP) qui se sont démenés pour mieux informer les dirigeants en difficulté, et à Bercy qui a mis au point des dispositifs destinés à aider les entreprises en difficulté en engageant une difficile coordination des services et fichiers, et en se réorganisant, notamment avec les mesures prises le 31 mai 2021 (Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, JO 1er juin) et la création des conseillers départementaux de sortie de crise.
Ces dispositifs ont permis aux petits dirigeants d’entreprise d’accéder à une meilleure information sur les dispositifs existants mais pour autant, malgré les efforts de la profession des administrateurs judiciaires qui a mis au point un kit bon marché pour les petites entreprises, celles comportant un effectif de moins de dix salariés – avec des coûts forfaitaires de l’ordre de 2 500 € par dossier –, les petites entreprises sont restées en dehors de la prévention.
Il était préconisé par le rapport Richelme de donner un plus grand rôle aux experts-comptables sur cette information en développant des missions spécifiques sur des diagnostics. Des régions ont souhaité s’investir dans le processus en favorisant l’aide aux dirigeants, notamment en leur facilitant la couverture de travaux comptables. Les très nombreuses initiatives qui ont été prises n’ont cependant pas débouché sur un boom de la prévention, qui reste plutôt atone dans les tribunaux de commerce, en général. Si certains grands tribunaux ont constaté une hausse des préventions, par exemple à Bobigny et à Paris, cela concerne surtout les grandes entreprises.
Le constat est donc encourageant avec une véritable prise de conscience de Bercy qui n’a pas ménagé sa peine, mais il reste cependant relativement décevant, les petites entreprises restant, en effet, le plus souvent écartées du crédit bancaire et ne disposant pas des structures suffisantes pour répondre à une complexité accrue de toutes les formalités nécessaires. Il est à craindre, à cet égard, qu’une véritable coupure existe au niveau numérique, la compétence des petits dirigeants étant souvent limitée en ce domaine.
Pour autant, faut-il baisser les bras et admettre la désertification de nos centres-villes qui ont beaucoup souffert et cela dès avant la crise de la covid ? À cet égard et dans le prolongement des propos du député Romain Grau et de sa mission d’enquête sur les entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire, il faudrait engager une véritable réflexion pour aider les petits commerçants, notamment en diminuant les taux de cotisations sociales.
Les URSSAF sont, en effet, devenues beaucoup trop contraignantes pour des petites entreprises, à la suite d’un déplafonnement des cotisations dont l’ampleur est devenue redoutable, aggravée par un rattrapage d’arriérés devenu très lourd.
Quelques principes en matière de prévention
Plutôt que d’entrer dans le détail des nombreuses mesures qui se sont additionnées tel un millefeuille pendant la crise de la covid, essayons de dégager quelques principes qui nous permettront de mieux comprendre l’évolution récente.
Nous connaissons bien le dispositif de la prévention qui consiste à favoriser une structure confidentielle de dialogue sous l’égide d’un mandataire compétent désigné par le président du tribunal afin de dispenser une information de qualité et égalitaire aux créanciers conviés à la prévention, dans un cadre juridique protecteur.
Ce procédé, assez ancien (l’essor date des années 1990) a donné de bons résultats avec un pourcentage de l’ordre de 60 à 70 % de succès selon les nombreuses statistiques plus ou moins complètes qui se sont succédé. Chacun s’est accordé à reconnaître qu’il fallait favoriser la prévention et pour cela, en laisser l’initiative au dirigeant, de façon à ce que soit créé un climat de confiance indispensable, et à favoriser la transparence des informations qu’il communiquera.
Cela a été développé avec la possibilité de choisir le mandataire ad hoc ou le conciliateur dans le cadre d’un devis préétabli qui clarifie la situation et rassure le dirigeant sur le coût. Ainsi, dans ce cadre confidentiel, un audit est en général établi pour faire un état des lieux crédible, déterminer une capacité validée de remboursement, ce qui permet d’asseoir la négociation avec des créanciers spécialisés souvent organisés en services spécifiques destinés à gérer cette prévention.
Les délais de dénonciation bancaire de l’ordre de soixante jours ont eu et ont un effet incitatif plutôt bienvenu afin que le dirigeant prenne conscience de ses difficultés et les affronte à temps, ce qui est certes encore problématique. Le dirigeant a, en effet, tendance à se masquer la réalité et les praticiens le constatent chaque jour.
Le tribunal continue à faire peur car il est le lieu de la sanction et cette question n’a jamais été véritablement réglée.
C’est cependant un constat globalement positif, même si la prévention n’a pas cessé d’être complexifiée depuis une trentaine d’années avec des ajouts successifs.
Le mandat ad hoc est resté moins encadré avec une durée illimitée, permettant de s’adapter aux difficultés à condition que l’entreprise ne soit pas en état de cessation des paiements pour ne pas favoriser une fuite en avant. Ce critère, examiné avec plus ou moins de souplesse, est en réalité un carcan, dès lors que les praticiens savent qu’un état de cessation des paiements peut être rapidement dissipé par les « stand still » (car il faut parler anglais) qui sont demandés dès l’ouverture de la prévention par les conciliateurs ou mandataires ad hoc.
Ainsi, un état de cessation des paiements peut cesser rapidement et ce critère devrait donc être assoupli, car ce qui compte n’est pas une vision statique d’un état de cessation des paiements mais la capacité de l’entreprise à envisager un redressement rapide avec une faculté de remboursement crédible, ce qui pose la question de la création et de la validation d’éléments prévisionnels fiables.
Une vision plus moderne de la prévention serait donc bienvenue.
Cependant, pour les dirigeants qui savent anticiper, cette prévention a été plutôt une aubaine et les créanciers ont été plutôt compréhensifs, comprenant que leur meilleur intérêt était de s’adapter à une capacité de remboursement si elle est suffisante, plutôt que de précipiter la perte d’une entreprise, et dès lors, d’obérer toute chance de remboursement sérieux.
Puis, des débats ont eu lieu qui ont abouti à complexifier la conciliation, vue avec une certaine défiance dès lors qu’elle était ouverte à des entreprises en état de cessation des paiements depuis moins de quarante-cinq jours. Ce critère a rigidifié la conciliation, dès lors qu’il fallait éviter là encore, une fuite en avant, limiter la durée de la conciliation pour éviter la pérennisation de cette situation, donner au procureur un rôle accru de contrôle qui a donné lieu à un certain nombre d’interprétations différentes, ce qui pouvait avoir pour certains dirigeants, un effet de repoussoir.
Cependant, cette conciliation offre un espace sécurisé de négociations et débouche sur des accords qui peuvent être constatés ou homologués par le tribunal, ce qui leur donne une certaine sécurité juridique.
Les banquiers y voient le moyen d’écarter totalement le risque de soutien abusif même si l’article L. 650-1 du code de commerce ne leur fait pas courir de grand risque. C’est dans ce contexte qui fonctionnait plutôt bien que la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité du 20 juin 2019 est venue imposer un cadre européen au fond assez différent de notre culture, avec un système anglo-saxon de classes de créanciers, une complexité assez incompatible avec la dimension habituelle de nos entreprises qui sont plutôt des PME et l’impératif de tâcher de mieux favoriser les créanciers, oubliant qu’en France, on a plutôt tendance à protéger l’entreprise qui est une création précieuse.
Le nouveau contexte lié à la crise de la covid
Adaptation des outils existants
L’exercice a été d’autant moins facile qu’il fallait en même temps répondre à la crise de la covid et la Chancellerie a relevé ce pari, avec un surcroît de travail considérable, épaulée par les services de Bercy qui n’ont pas ménagé leur peine. Ceci a donné lieu à plusieurs débats que nous résumons ici :
Dès mars et mai 2020, il est apparu qu’il fallait adapter la prévention à la crise en modifiant les outils existants :
* de facto, la suspension automatique des états de cessation des paiements au 12 mars 2020 pendant plusieurs mois a tari la prévention, sans pour autant l’interdire ; cette déconnexion est un enseignement utile car la cessation des paiements doit être vue d’une manière plus nuancée pour la prévention.
* au titre de la prévention/détection, il a été prévu d’accélérer considérablement la procédure d’alerte du commissaire aux comptes en permettant l’information du président dès la première phase si la réponse du dirigeant n’est pas estimée satisfaisante. Cette innovation pourtant peu suivie est encouragée et elle a été reprise d’une manière pérenne par l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce (art. 3 ; C. com., art. L. 611-2-2 nouv.). Il est en effet utile d’inciter à la prévention le plus rapidement possible et cette idée est bonne. En revanche, l’idée de l’alerte par un expert-comptable n’a pas eu un grand effet même si les experts-comptables ont été sensibilisés à ce travail de prévention dans des conditions qui restent d’ailleurs à poursuivre. Il est regrettable à cet égard que les réformes aient abouti à la disparition d’un grand nombre de commissaires aux comptes (Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, dite « loi PACTE », art. 20), alors même que leur utilité est ici reconnue.
* les mesures covid ont permis de favoriser des mesures pratiques de suspension rapide des poursuites en prévention, c’est-à-dire en conciliation. Cela a été possible sur requête et non pas sur assignation, ce qui a permis d’aller plus vite. Il était donc possible de demander la suspension des mesures d’exécution et un rééchelonnement pendant la conciliation, ce qui a été commode à un moment où les créanciers étaient récalcitrants et où les entreprises étaient en situation de grand péril. Il était ensuite possible aux créanciers de demander la rétractation de cette ordonnance avec des pratiques qui pouvaient paraître discutables, car l’idée d’assigner en référé droit commun au tribunal de commerce pouvait paraître incompatible avec l’exigence de confidentialité qui aurait commandé un référé spécifique devant le juge de la prévention. Il est à présent question que ce processus commode sur requête soit revu pour que cette procédure ne puisse être engagée que par assignation. De facto, les juges de la prévention ont à présent tendance à convoquer les créanciers, même dans les procédures sur requête, pour provoquer un débat contradictoire.
Conservation de certaines de ces adaptations par l’ordonnance du 15 septembre 2021
Quoi qu’il en soit, l’ordonnance du 15 septembre 2021 pérennise la possibilité de demander cette suspension des mesures d’exécution, dès lors que le créancier n’a pas répondu à la demande formulée par le conciliateur, c’est-à-dire avant même que les poursuites aient été engagées (art. 5 ; C. com., art. L. 611-7, al. 5 mod.). Cette mesure est bienvenue.
D’une manière pratique et concrète, il a été décidé de permettre cette demande par voie de requête pendant la période transitoire en sollicitant du débiteur qu’il fasse une assignation en référé pour demander un rééchelonnement dans les conditions de l’article 1345-1 du code civil. Ainsi, la suspension des mesures d’exécution restait valable pendant la durée de la conciliation, alors que la demande de délai pouvait être formulée pour une durée plus importante. Ce rééchelonnement pourra bien entendu être demandé, comme par le passé. La durée de deux ans est-elle suffisante ? La question reste posée.
D’une manière particulièrement opportune la durée de la conciliation a été portée à dix mois à titre transitoire pendant la crise jusqu’à la fin de l’année 2021 et en l’état, il n’est pas prévu de prolonger cette mesure, ce qui est dommage (Ord. n° 2020-1443 du 25 nov. 2020, art. 1er). En effet, si certains secteurs d’activités se redressent, d’autres ont encore de grandes difficultés (par ex., le secteur aéronautique, l’enseignement, etc.).
La crise a modifié de nombreuses habitudes, notamment au titre du travail à distance. Ce qui va sans doute provoquer un nouveau découpage sur les activités de bureaux, une réflexion sur la façon de dispenser des cours, des habitudes au titre des séminaires dont certains continueront à être dispensés à distance … Cette crise a créé d’une manière générale, un problème de visibilité, les prévisionnels ne pouvant être établis d’une manière crédible compte tenu des incertitudes créées par la pandémie. Il était donc normal de prolonger la période de la conciliation et cette idée a été bienvenue. Il serait sans doute utile de prolonger cette mesure au moins dans certains domaines d’activité car nous ne disposons pas toujours de la visibilité suffisante. En outre, pour les activités qui consistent à vendre des actifs, il faut constater que bon nombre d’actifs posent encore un problème de liquidité, ces actifs ayant été affectés dans leur valeur par les effets de la crise. Cette précarité peut déformer le débat sur la valeur dans le cadre de l’appréciation du critère du meilleur intérêt des créanciers pour la transposition de la directive et le fonctionnement des classes affectées de créanciers.
Le retour à une conciliation d’une durée de quatre mois risque donc d’être brutal voire inadapté et il convient sans doute d’y réfléchir. L’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a, en effet, pas prévu la reconduction de cette mesure.
Il faut ajouter à ces réformes la volonté de protéger les garants d’une manière accrue, ce qui a été prévu à l’ordonnance du 15 septembre 2021. Nous renvoyons au texte pour le détail. Cette idée est plutôt bonne, comme celle qui consiste à protéger les garants y compris pendant l’exécution du plan de continuation de redressement judiciaire, mais aussi dans le cadre de l’accord de conciliation ou dans le cadre de la déclaration des créances.
La prolifération des privilèges de new money y compris pendant la période d’observation et même après l’arrêté du plan « post money » (C. com., art. L. 626-10 mod.) va dans un sens courant qui consiste à multiplier les privilèges, ce qui est une mode bien française. Jadis, certains commentateurs disaient que trop de privilèges tuent les privilèges, et il faudra bien y réfléchir. Cela peut cependant avoir un effet rassurant et cette prolifération des privilèges est aussi encouragée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.
Enfin, et même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une mesure de prévention, la sauvegarde continue d’être bouleversée et pas seulement au titre de la procédure « européenne ». Cette sauvegarde qui était commode, dès lors qu’elle avait un effet rassurant par l’affirmation d’une absence d’état de cessation des paiements (dorénavant, elle sera possible en cessation des paiements depuis moins de 45 jours), va être encore modifiée par l’ordonnance du 15 septembre qui entre en vigueur au 1er octobre.
En effet, la durée de la sauvegarde sera de douze mois qui ne seront pas susceptibles d’être prolongés à la demande du procureur, ce qui est dommage (C. com., art. L. 621-3, al. 1er mod.). En effet, succombant à la mode de réduire tous les délais, la directive impose ce type de réduction qui n’est pas toujours légitime. Il peut en effet être nécessaire de disposer d’un délai de dix-huit mois pour arrêter un plan de sauvegarde, surtout lorsque la visibilité de l’activité est insuffisante, qu’il convient d’attendre pour établir des éléments prévisionnels crédibles ou redresser une entreprise. À cet égard, on pouvait faire confiance au procureur qui ne demandait qu’à bon escient, la prolongation du délai, si cela paraissait vraiment nécessaire, par exemple pour circulariser un plan de sauvegarde déjà prêt. Il est dommage de se priver de cette souplesse et l’ordonnance du 15 septembre 2021 referme la porte à cet égard.
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En résumé, notre prévention aurait pu être encore renforcée mais le texte du 15 septembre est plutôt satisfaisant et permettra d’y recourir même, si en l’état, le problème demeure pour les petites entreprises au titre d’un déficit de véritable appétence aux informations et de moyens.