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Le droit en débats

Professionnaliser la formation initiale des avocats ?

La nécessité de réformer la formation initiale des avocats ne fait pas vraiment débat. Plusieurs pistes ont déjà été esquissées, notamment dans le cadre d’un rapport remis au ministre de la Justice à l’automne 2020. Sous la houlette de Sandrine Clavel, professeur à l’Université Versailles Saint Quentin et membre du Conseil supérieur de la magistrature depuis 2019, et Kami Haeri, avocat au barreau de Paris, le groupe de travail sur la formation des avocats a notamment proposé de renforcer le volet professionnalisant de la formation initiale des avocats. Cette professionnalisation soulève une question délicate : celle de l’importation dans un monde professionnel marqué par l’indépendance de ses acteurs de procédés et dispositifs venus du monde du travail salarié. À cet égard, Sandrine Clavel présente les pistes développées dans le rapport, soulignant combien la professionnalisation de la formation initiale relève de la confraternité qui structure la profession des avocats. Elle appelle de ses vœux une réforme du statut de l’élève-avocat, notamment par le développement de l’alternance. Favorable à l’émergence de l’avocat-apprenti, Cyril Wolmark, professeur à l’Université Paris Nanterre et ancien directeur de l’Institut d’études juridiques (IEJ) Motulsky, expose, dans la continuité d’un rapport remis au Syndicat des avocats de France en 2019, toutes les implications de la mise en place de l’alternance que rend possible la réforme de l’apprentissage introduite par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Par Sandrine Clavel et Cyril Wolmark le 05 Janvier 2022

Les textes ci-après sont issus de la rubrique Controverse du numéro de décembre de la Revue de droit du travail Dalloz.

 

Professionnaliser la formation initiale des avocats : une exigence de confraternité

Le groupe de travail sur la formation des avocats, que j’ai eu l’honneur et le plaisir de présider avec maître Kami Haeri, a remis ses propositions au garde des Sceaux le 6 octobre 2020, au terme de neuf mois de travaux perturbés par la pandémie de covid-19. L’une des lignes directrices de notre travail a été de « raccourcir et professionnaliser la formation initiale des avocats », selon la demande formulée tant par la Chancellerie que par la profession. Notre lettre de mission nous invitait en effet à réfléchir à l’opportunité « d’abandonner les contenus purement académiques », et « d’instaurer une formation théorique en alternance, centrée sur le stage avocat ». Nous étions invités à travailler vite, en évitant si possible toute modification législative, en vue d’une réforme par voie réglementaire susceptible d’intervenir avant l’été 2020. L’article 12 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques précise que « la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat est subordonnée à la réussite à un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle et comprend une formation théorique et pratique d’une durée d’au moins dix-huit mois, sanctionnée par le certificat d’aptitude à la profession d’avocat ». Notre cadre était donc fixé : pour ne pas changer la loi, il convenait de maintenir « une formation théorique et pratique », « d’une durée d’au moins dix-huit mois » ; mais il nous fallait la rendre « plus pratique ». Si d’autres sujets plus brûlants ont reporté cette réforme sine die, l’organisation de la formation professionnelle reste un enjeu d’actualité, d’autant plus que les écoles régionales de formation disposent d’une latitude importante dans l’exercice de leurs missions. Faut-il donc rendre la formation initiale des avocats plus « pratique », et si oui, comment ?

À la question de savoir si la formation des élèves-avocats doit être plus pratique, la réponse est sans hésitation positive. À l’école, l’apprentissage de la pratique professionnelle est tout à la fois nécessaire et suffisant. Il est nécessaire pour que les futurs avocats soient de véritables auxiliaires de justice, campés sur une déontologie solide et un savoir-faire opérationnel. Il est suffisant car les élèves-avocats ont, pour la quasi-totalité d’entre eux, suivi une formation juridique à l’université pendant quatre ans, voire plus souvent cinq ans. Notre rapport préconise d’ailleurs de porter formellement cette durée de formation juridique préalable obligatoire à cinq ans (obtention d’un master et non d’une simple maîtrise). Sauf à être redondante avec la formation universitaire, l’école ne doit donc pas former au droit, mais aux seules compétences professionnelles ; c’est sa raison d’être. Il faut toutefois s’entendre sur le sens des mots. Il est possible, et c’est un travers parfois observé, d’enseigner la pratique « en théorie ». Nous préconisons que l’enseignement « théorique » de la pratique professionnelle soit limité à trois mois. Au-delà, l’enseignement de la pratique doit se faire essentiellement… par la pratique.

Nous abordons alors la seconde question : comment former pratiquement à la pratique professionnelle ? Plusieurs voies sont envisageables. Les écoles ont ainsi conçu des modules professionnalisants reposant sur des mises en situation, qui sont en tous points remarquables. Pour autant, le stage reste la voie privilégiée pour aborder la pratique par la pratique. Mais de quel stage parlons-nous ? Notre groupe de travail a été conduit à s’interroger sur la pertinence d’une réintroduction de « l’obligation de stage », supprimée par la loi du 11 février 2004 (n° 2004-130). Avant 2004, la formation d’une année au sein de l’école, sanctionnée par le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA), était complétée par une période de stage obligatoire, attestée par un certificat de fin de stage. Le titulaire du CAPA, quoique portant le titre d’avocat, devait exercer comme salarié ou collaborateur d’un avocat chevronné pendant deux ans avant de pouvoir exercer seul. En dépit de certaines incohérences conceptuelles, cette pratique n’était pas dénuée de vertus. Le jeune avocat pouvait parfaire sa formation sous le regard (plus ou moins) attentif d’un confrère plus expérimenté. En matière de déontologie ou de savoir-être, le système était performant, et sa suppression explique peut-être, au moins en partie, les reproches formulés aujourd’hui à l’encontre de certains nouveaux entrants dans la profession. Aussi, nous sommes nous très sérieusement interrogés sur la pertinence de son rétablissement. Si les obstacles juridiques et les incohérences conceptuelles ne nous ont pas paru dirimants, car susceptibles d’être corrigés, deux considérations nous ont conduits à renoncer. La première est celle de la capacité de la profession à accueillir l’ensemble des stagiaires sur une durée longue, avec une forte disparité entre Paris et plus généralement les grandes métropoles, et le reste du territoire ; c’est une des raisons qui avaient justifié la réforme de 2004. La seconde, importante à nos yeux, est celle de l’injustice socio-économique pouvant découler d’un tel stage obligatoire, susceptible de favoriser un recrutement « de classe » et une reproduction des élites. Notre projet a toutefois cherché à réintroduire a minima la période probatoire que constituait l’ancien stage, en instaurant un « accompagnement » du jeune avocat, pendant ses deux premières années d’exercice professionnel, par « un avocat référent » désigné par le conseil de l’ordre, « chargé de parfaire [s]a formation pratique ». Le Conseil national des barreaux (CNB) a validé cette option, pour le compte de la profession. S’il pourra toujours s’installer immédiatement à son compte, tout nouvel avocat bénéficiera des conseils d’un avocat plus expérimenté. Ce dispositif repose toutefois sur la bonne volonté des uns et des autres, et au premier chef de l’avocat entrant, le référent n’ayant aucun titre à intervenir s’il n’est pas fait appel à lui.

En amont, notre groupe a longuement débattu du stage pré-CAPA. Dans le cadre du raccourcissement global de la formation initiale (de dix-huit mois à douze mois, CAPA inclus) que nous préconisons (exception au cadre législatif fixé, cette mesure pourrait cependant être adoptée par voie réglementaire si l’article 12 faisait l’objet d’un déclassement), neuf mois doivent être consacrés au stage. La durée minimale du stage en cabinet d’avocats est de six mois, trois mois pouvant être passés dans une autre structure, mais l’élève-avocat peut choisir d’accomplir neuf mois en cabinet. Un stage complémentaire d’une durée d’un an, optionnel, peut être réalisé chez un autre professionnel du droit, y compris dans un cabinet d’avocat établi dans un autre État membre de l’Union européenne. Ainsi, notre approche a résolument privilégié la formation pratique par le stage. Cependant, la question de la qualité du stage nous a beaucoup préoccupés. Des années de participation aux jurys du CAPA ont convaincu les membres du groupe du caractère très inégalement formateur des stages pré-CAPA ; nous avions tous en tête les mésaventures de certains élèves-avocats, laissés livrés à eux-mêmes par leurs maîtres de stages, ou affectés à des tâches de secrétariat, voire de majordome… Il s’agit véritablement, à mon sens, d’un enjeu dont la profession doit se saisir avec vigueur. Dans cette optique, notre groupe a inscrit dans son projet de décret révisé (art. 61, al. 4) une obligation, nouvelle pour les écoles, de désigner « un avocat formateur au centre, en qualité de référent pédagogique de l’élève lors de son stage », « tenu de s’assurer, à plusieurs reprises durant le stage, de sa qualité pédagogique et de sa conformité » aux objectifs du stage décrits à l’article 60 du décret. La formation des élèves-avocats relève de la responsabilité collective de leurs aînés et constitue le ciment du devoir de confraternité.

Le dernier point important qui a retenu notre attention est celui du statut de l’élève-avocat stagiaire. Nous avons souhaité tout d’abord faciliter le développement de l’alternance par les écoles. La possibilité de recourir aux contrats d’apprentissage dans la formation des avocats est inscrite dans la loi depuis la réforme de 2004. L’article 58-1 du décret comporte toutefois un verrou psychologique, en disposant qu’« à titre exceptionnel », le CNB peut autoriser une école à organiser les périodes de formation en alternance. Notre projet fait sauter ce verrou, en faisant passer l’alternance de l’exception à la norme, par la suppression de l’autorisation préalable du CNB. L’initiative relève de l’élève-avocat, et l’organisation de l’école qui « peut autoriser, à la demande de l’élève-avocat, que la période de formation théorique et la période de formation pratique soient effectuées sous forme d’alternance. L’organisation et les modalités de cette alternance sont définies » par le centre (art. 58-1, al. 3). On notera que l’école peut, et non doit, autoriser l’alternance ; il nous a semblé impossible de priver les écoles de toute marge de manœuvre, d’autant que nous sommes convaincus qu’elles sont prêtes à s’emparer du sujet. La réalisation d’un stage en alternance constitue la modalité de stage pré-CAPA se rapprochant le plus de l’ancien stage obligatoire post-CAPA, et à ce titre elle me semble devoir être encouragée, même si elle exige une véritable discipline, pour l’école, pour l’élève-avocat, et pour le maître de stage.

S’il développe quelque peu les dispositions relatives au statut juridique de l’élève-avocat, sans toutefois y apporter de modifications majeures, notre projet renforce aussi les outils d’une politique disciplinaire des écoles, pour diffuser « l’idée selon laquelle les principes déontologiques qui gouverneront la vie de l’avocat doivent être mis en œuvre dès la scolarité ». C’est sur le caractère fondamental de ce socle déontologique que je voudrais conclure. Kami Haeri a coutume de dire que l’avocature est plus qu’une profession. Je pense qu’il a raison ; c’est un office. On devrait entrer en avocature comme on entre en magistrature. L’avocat est « au service » du justiciable, et donc de la justice. Cette posture, essentielle, s’acquiert par la formation théorique, qui, si elle doit être resserrée, ne doit cependant pas être négligée et devrait à mon sens faire une part substantielle aux humanités. Elle s’acquiert aussi et surtout par l’exemple, dans un cadre de construction d’une relation de confiance avec le monde judiciaire. À cet égard, le stage – long et surtout qualitatif – reste à mes yeux un outil à nul autre pareil.

Sandrine Clavel

 

Les multiples vertus du statut d’élève-avocat apprenti

Réformée à de nombreuses reprises, la formation initiale des élèves-avocats a subi une dernière et profonde mutation avec la loi du 11 février 2004 dont l’un des objectifs est d’orienter davantage la formation vers la pratique professionnelle. Cette loi a supprimé le stage obligatoire d’une durée de deux ans à l’issue de l’obtention du CAPA mais a renforcé la pratique professionnelle au sein des écoles d’avocats. La loi a ainsi allongé la durée de la formation de douze à dix-huit mois. La scolarité a été divisée en trois temps : six mois de formation à l’école, six mois de stage en cabinet et six mois de projet personnel individualisé, lesquels prennent notamment la forme de stage en juridiction, en études, en entreprises ou encore dans des ONG. En dépit, ou selon certains, en raison de la réforme, les objectifs de professionnalisation et d’amélioration de la qualité de la formation n’ont pas été atteints. À dire vrai, passer d’un stage de deux ans de pratique professionnelle en cabinet à un stage de six mois ne pouvait que retentir sur la formation pratique des jeunes avocats (v. D. 2006. 266, obs. B. Blanchard ). Il convient donc de retrouver l’esprit de compagnonnage qui a toujours animé la profession. La généralisation de l’apprentissage dans les écoles d’avocats constitue une voie prometteuse qui préserve un temps de formation suffisant avant la possibilité de s’inscrire au barreau. Rappelons à cet égard que la France est l’un des pays où la formation entre l’université et l’inscription au barreau est la plus courte (v. les fiches d’information décrivant les systèmes de formation des avocats dans les États membres de l’Union européenne [données de 2014]).

Un constat partagé

Depuis 2004, la formation des avocats prête le flanc à une critique lancinante et la profession remet en permanence le travail sur le métier. Les rapports et les propositions du CNB se sont succédé (v. en dernier lieu, K. Haeri, L’avenir de la profession d’avocat, févr. 2017, Rapport au garde des Sceaux ; Groupe de travail sur la formation des avocats, S. Clavel et K. Haeri [dir.], Propositions au garde des Sceaux, 23 oct. 2020). Deux principaux reproches sont adressés au système actuel, en dépit des efforts considérables des écoles pour adapter leur formation.

D’une part, la formation est jugée insuffisamment professionnalisante, à la fois par les élèves et par les avocats. Il ne s’agit pas tant d’améliorer la formation théorique que de mieux l’articuler avec une pratique professionnelle encadrée. La durée de cette pratique doit être allongée. Un consensus se dégage pour estimer que la mise en situation professionnelle est aujourd’hui trop courte. Elle ne permet pas une véritable immersion dans le métier. Elle ne permet pas davantage aux cabinets de pouvoir travailler au long cours avec les élèves-avocats et de développer leurs compétences. La situation est donc insatisfaisante tant pour les cabinets que pour les élèves. Il convient d’ajouter que ce manque d’expérience à l’issue de l’école n’est pas sans risques pour les usagers du service public de la justice, dès lors qu’un élève titulaire du CAPA peut s’installer immédiatement.

D’autre part, le suivi des stagiaires est considéré comme perfectible. Si de nombreux stages se déroulent dans de bonnes conditions, deux situations limites sont évoquées : le stage dépourvu de mise en œuvre des connaissances, dont le spectre s’étend du simple stage d’observation au stage constitué principalement de recherches en bibliothèque ; le stage sans soutien qui confine à la collaboration déguisée. Si aucune formule ne permet d’éviter totalement ces deux écueils, des améliorations doivent être proposées.

De nouvelles opportunités pour une proposition ancienne

La réflexion relative à la formation initiale en alternance est désormais assez ancienne. Elle a été ouverte par la loi de 2004 qui, modifiant l’article 12 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, prévoit que la formation de l’élève avocat peut être délivrée dans le cadre du contrat d’apprentissage prévu par le code du travail. Cette possibilité n’a pas été mise en œuvre dans les écoles. Toutefois, des premières pistes de réflexion et de mise en place ont été explorées dès 2005 dans le cadre d’une étude réalisée par le cabinet Fromont-Briens, frayées de nouveau avec volontarisme dans le rapport Le statut de l’élève-avocat : vers un statut protéiforme, adopté par l’assemblée générale du CNB des 16 et 17 décembre 2011. Plus récemment, un rapport d’orientation élaboré par la Commission de la formation professionnelle et rendu le 14 décembre 2017 a abordé cette question. Un certain nombre d’obstacles avaient été identifiés et ont conduit à l’ajournement du projet. Mais la loi du 5 septembre 2018 dite « loi Avenir professionnel » a rendu caducs les obstacles repérés. Cette loi garantit le financement de l’apprentissage à partir d’un « coût contrat » versé aux CFA, ce coût étant déterminé par les branches professionnelles et France Compétence. La loi du 5 septembre ouvre de surcroît le marché des CFA et facilite leur création. La perspective de la mise en place de l’apprentissage s’est donc considérablement éclaircie depuis son entrée en vigueur. En ressort une véritable opportunité pour les écoles, les élèves et les cabinets.

Une rénovation de la scolarité

D’ores et déjà organismes de formation, les écoles d’avocat devraient créer en leur sein un CFA pour mettre en place une formation en alternance. Certaines écoles pratiquent du reste déjà une « alternance », en autorisant les élèves à réaliser parallèlement à leurs enseignements un stage en cabinet d’avocat. Mais la création d’un CFA impose le respect de quelques obligations supplémentaires à celles que tout organisme de formation doit remplir. Outre l’inscription de l’apprentissage dans leur règlement intérieur et la mise en place d’une comptabilité analytique, les écoles d’avocat seraient tenues d’assurer les missions prévues par l’article L. 6231-2 du code du travail. Aucune des quatorze missions énumérées par le code du travail n’est étrangère à l’activité des écoles d’avocats (EDA). Plus encore, les écoles ont pour la plupart mis en place des dispositifs qui d’ores et déjà y correspondent. Le respect de l’article L. 6231-2 du code du travail impliquerait principalement un effort de structuration et de formalisation de l’organisation de la scolarité, notamment en direction de l’accompagnement des élèves : accompagnement durant l’apprentissage, suivi social, promotion de la mobilité internationale (si ce n’est déjà le cas). Les écoles devront, à l’instar d’autres organismes de formation, désigner en leur sein un tuteur chargé de s’assurer que l’apprentissage se déroule dans de bonnes conditions. Le passage à l’alternance exige donc une mobilisation des écoles et des formateurs de celle-ci. Il constitue surtout l’occasion de resserrer les liens parfois distendus entre les élèves avocats et leur formation.

L’autre modification impliquée par l’apprentissage tient dans un réaménagement du volume et du rythme de la formation. Actuellement, la formation court sur dix-huit mois, partagés en trois périodes successives de six mois : six mois de PPI, six mois de stage, six mois de formation théorique à l’EDA. La mise en place de l’alternance conduirait à regrouper différemment ces trois composantes de la formation. Les études devraient être articulées autour de deux blocs. D’un côté, le PPI demeurerait autonome et pourrait conserver une durée de six mois. Un tel maintien du PPI nous paraît commandé par l’exigence d’une ouverture vers les professions avec lesquelles le futur avocat sera nécessairement en relations et par le choix de ne pas réduire la durée de la formation (comp. réso. AG CNB, 16 nov. 2018 : réduction à deux mois du PPI ; rapport Clavel Haeri : PPI optionnel d’une durée de trois mois) (bloc 1). De l’autre, les volets pratiques et théoriques seraient réunis dans un même bloc, afin de mettre en place l’alternance. Ce bloc couvrirait une durée de douze mois (bloc 2). Plusieurs formules sont envisageables : l’alternance à l’intérieur de la semaine, ou l’alternance à l’intérieur du mois. À titre d’illustration, l’alternance sur la semaine peut être organisée de la manière suivante : vingt-cinq semaines comprenant deux jours de formation théorique (sept heures d’enseignement par jour) ; vingt-cinq semaines à plein temps en cabinet d’avocats comprenant les congés payés, deux semaines pour les révisions et examens. L’alternance sur le mois conduirait au système suivant : dix mois durant lesquels alternent trois semaines d’apprentissage ou de professionnalisation et une semaine de formation théorique, un mois et demi en cabinet d’avocats à plein temps, quinze jours réservés à la révision des examens et à leur passage.

Les élèves non alternants, principalement ceux qui ne remplissent pas la condition d’âge (plus de 29 ans à la signature du contrat), ne sont pas exclus de l’école, bien évidemment. Certes, ils ne peuvent pas faire partie du centre des formations des apprentis (CFA). Mais ils pourront suivre les études (teneur, rythme, volume) que suivent les alternants sous le statut de stagiaire. Il ne paraît pas nécessaire d’adapter leur formation, sauf de manière marginale.

Un statut pour les élèves-avocats

Aujourd’hui, l’élève-avocat se situe dans un « entre-deux ». Il n’est plus inscrit à l’université et ne bénéficie donc pas du statut étudiant (les art. L. 124-1 s. du C. éduc. visent « les enseignements scolaires et universitaires »). N’ayant pas prêté serment, l’élève-avocat n’est pas encore entré dans la profession d’avocat et ne peut donc se prévaloir du statut de salarié ou de collaborateur. Seules les dispositions réglementaires du décret du 27 novembre 1991 précisent que l’élève-avocat dépend juridiquement du CRFPA auprès duquel il est inscrit même pendant ses stages (art. 62). Il est, à cet égard, soumis au régime disciplinaire du centre. La Chancellerie est venue rappeler cette situation, en 2015, en indiquant que la formation initiale des élèves-avocats ne relevait pas du service public de l’enseignement mais qu’il s’agissait d’une formation professionnelle organisée par les avocats.

Sortant de cette situation mal définie pour intégrer le dispositif d’alternance, les élèves avocats bénéficieraient des avantages attachés au statut d’apprenti : gratuité de la formation, heures de formation assimilées à du temps de travail, rémunération plus avantageuse sur la totalité du cycle de formation concerné, application des règles du code du travail relatives à l’apprentissage, bénéfice des allocations du régime d’assurance chômage en fin de contrat. En un mot, l’élève-avocat entre dans un véritable statut fait de droits et de devoirs.

Surtout, la durée de sa première expérience professionnelle serait multipliée par deux. Au regard du processus cumulatif de l’apprentissage pratique, une telle augmentation offrirait une base plus solide pour les collaborations, voire pour l’installation après l’école. S’étendant sur une année, l’alternance permettrait aux élèves de mieux appréhender la teneur et les réalités de la profession d’avocat.

Un investissement pour les cabinets d’avocat

Pour les cabinets d’avocat, deux avantages résulteraient du recrutement d’apprenti. D’une part, les incertitudes liées au statut des élèves stagiaires seraient levées. Notamment, il n’y aurait plus aucun doute sur le fait que les élèves avocats peuvent légalement réaliser des tâches qui relèvent de l’activité normale du cabinet. D’autre part, les cabinets pourraient avoir un véritable retour sur l’investissement que constitue la formation de futurs confrères et futures consœurs. Les cabinets bénéficieraient de l’expérience acquise par les avocats qu’ils ont formés sur un an et non sur six mois.

Sur le terrain financier, le coût annuel de l’embauche d’un apprenti, grâce aux allègements de charge, est inférieur à celui d’un stagiaire (sur un an) dès lors que l’apprenti a moins de 26 ans lors de la signature du contrat. En revanche, pour les apprentis plus âgés, le surcoût de l’apprentissage est nul pour les cabinets de plus de six salariés, pour les plus petits cabinets (de moins de cinq salariés), il varie entre 15 et 45 %. Ce surcoût pourrait être compensé par un mécanisme de solidarité interne à la profession. En effet, le passage à l’apprentissage ouvre une nouvelle voie de financement des écoles, par le système de droit commun piloté par France compétence, et permettrait à la profession de réduire les cotisations destinées à la formation initiale des avocats.

Un bénéfice pour la profession

Les conséquences financières positives du passage à l’alternance ne doivent pas être passées sous silence. En effet, les écoles d’avocat sont pour l’heure principalement financées par les cotisations ordinales des avocats. La mise en place de l’alternance conduirait les avocats à s’inscrire dans le système de solidarité nationale – et non plus professionnelle – mise en place par la loi du 5 septembre 2018. Dès lors, pour ce qui relève de la formation initiale des élèves, le financement des écoles d’avocat (de l’ordre de 20 millions d’euros) ne serait plus à la charge ni des élèves (disparition des frais de scolarité) ni de la profession.

La mise en place de l’alternance constituerait surtout un signe fort de la profession à l’attention des personnes qui souhaitent l’intégrer. Les liens nécessaires entre les écoles et les cabinets seraient resserrés dans la perspective d’un accès plus professionnalisant à l’exercice du métier. Le rythme de la formation bénéficierait tant aux élèves qu’à leur employeur. L’apprentissage constitue un cadre légal et robuste pour la transmission des connaissances, des savoirs et des pratiques d’une profession aux impétrants. Offrant un véritable statut aux élèves avocats, la profession concrétiserait la considération qu’elle leur porte.

Cyril Wolmark

 

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