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Projet de code de DIP - Filiation : les articles 60 et 61 du projet de code de droit international privé (2/2)

Alors que le ministère de la Justice a soumis à la consultation publique le projet de code de droit international privé, les contributions des parties prenantes étant attendues jusqu’au 30 novembre inclus, Dalloz actualité vous propose, sous la direction des professeures Sandrine Clavel et Estelle Gallant, de suivre cette réflexion au travers d’une série de commentaires, généraux ou thématiques, de ce projet. La professeure Estelle Gallant décrypte ici les propositions formulées par le projet en matière de filiation (1/2 : Règle générale ; 2/2 : Règles spéciales).

Par Estelle Gallant le 22 Novembre 2022

Le projet de code de droit international privé consacre à la filiation une sous-section entière comprenant cinq paragraphes, lesquels permettent de distinguer divers aspects de la filiation internationale, ce qui est assurément une bonne initiative : la filiation biologique, l’assistance médicale assistée avec tiers donneur (on aurait peut-être pu préciser « la filiation issue de… »), la gestation pour autrui réalisée à l’étranger, les effets de la filiation et l’adoption sont ainsi visés par les articles 59 à 70 du projet de code.

Le projet de code consacre à la filiation biologique un premier paragraphe, contenant trois articles articulés autour d’une règle générale (art. 59 du projet de code) et deux règles spéciales (art. 60 et 61 du projet de code). Ces dispositions sont présentées par les rédacteurs du projet comme une refonte du système existant, figurant aux articles 311-14, 311-15 et 311-17 du code civil1. L’analyse montre que le projet reprend la structure et le système existants et que, finalement, seule la règle générale est véritablement refondue2, les règles spéciales étant simplement reformulées et précisées à la marge. Avec une formulation améliorée, l’ensemble constitue un dispositif clair et précis.

L’analyse a pu montrer qu’au sein de la règle générale, la substitution de la loi nationale de l’enfant à la loi nationale de la mère constitue l’apport le plus positif du projet. En revanche, les règles spéciales du projet restent en deçà des attentes, n’apportant pas toujours les simplifications ou clarifications attendues. Le présent commentaire s’attachera à présenter, brièvement, les deux règles spéciales en matière de filiation biologique, celle relative à la reconnaissance d’enfants et celle régissant la possession d’état.

La règle spéciale en matière de reconnaissance d’enfants (article 60 du projet de code)

Tout en innovant sur certains aspects, l’article 60 du projet de code constitue -pour l’essentiel- une reprise du droit positif, issue d’une combinaison entre l’article 311-17 du code civil et son interprétation par la jurisprudence. Si certaines difficultés pointées en doctrine et pas nécessairement résolues en jurisprudence ont pu être tranchées par le projet, toutes ne l’ont pas été.

Spécifiquement consacré à la reconnaissance volontaire d’enfant, paternelle ou maternelle, l’article 60 distingue entre validité au fond et validité en la forme de la reconnaissance, ce qui constitue une nouveauté par rapport au système actuel.

S’agissant de la validité au fond de la reconnaissance volontaire, l’article 60, alinéa 1er, innove en se présentant comme une exception aux dispositions générales. D’emblée il convient de signaler une erreur matérielle dans la rédaction du texte de l’article 60 qui constitue une dérogation à l’article 58 du projet, alors qu’il s’agit de toute évidence de l’article 59. La même maladresse se retrouvera à l’article 61.

La solution de la dérogation clôt une controverse doctrinale qui concernait tout à la fois la nature méthodologique de la règle de l’article 311-17 du code civil et son domaine d’application. En faisant de la règle sur la reconnaissance une dérogation à la règle générale, il en résulte que la règle générale est purement et simplement écartée dès lors qu’une reconnaissance d’enfant est concernée. Problématique dans le cadre du droit positif car contribuant à écarter la loi de la mère éventuellement favorable à la reconnaissance, la solution ne l’est plus dans le cadre du projet : même en dérogeant à la règle générale, la règle spéciale ne fait qu’offrir un rattachement alternatif supplémentaire à celui qui figure dans la règle générale. La dérogation ne semble ainsi plus contraire à l’esprit de faveur qui anime les dispositions sur la reconnaissance.

La règle de l’article 60, alinéa 1er, propose pour valider une reconnaissance d’enfant de recourir alternativement soit à la loi nationale de l’auteur de la reconnaissance, soit à la loi nationale de l’enfant au jour de la reconnaissance. On reconnaît la règle à rattachements alternatifs du droit positif, dont la nature méthodologique interroge : règle à coloration matérielle, règle d’application nécessaire, règle substantielle interne qui ordonne la prise en considération de lois étrangères ou peut-être même règle de reconnaissance d’une situation ? Les rédacteurs du projet de code sont restés sourds à ces interrogations et ont reproduit la disposition quasiment à l’identique. À vrai dire, la nature méthodologique du texte importe moins dès lors que son domaine est clairement établi et sa mise en œuvre clarifiée.

Afin de renforcer encore le principe de faveur à l’établissement d’une filiation par reconnaissance, le projet de code contient (art. 60, al. 4) ce qui peut s’analyser là encore en une clause spéciale d’ordre public, permettant de recourir à la loi française dans les hypothèses où aucune des deux lois nationales visées à l’alinéa 1er ne permet de valider la reconnaissance. La disposition est similaire à celle qui existe dans le cadre de l’article 59, mais le critère de déclenchement est toutefois différent, puisqu’en matière de reconnaissance, la loi française n’évincera la loi étrangère qui ne permet pas la reconnaissance que dans l’hypothèse où l’enfant est domicilié en France.

Enfin, on pourra regretter que le projet de code n’ait pas pris soin de préciser la notion de reconnaissance volontaire d’enfants. La jurisprudence a en effet révélé une difficulté de qualification dans des situations qui auraient requis une attention particulière, comme l’hypothèse dans laquelle l’enfant dispose d’un acte de naissance mentionnant le nom de la mère ou bien le nom du père. De telles hypothèses ont été traitées sous l’empire de l’article 311-17 du code civil alors que cela mériterait assurément d’être discuté.

Contestations de reconnaissance

Dans le prolongement de l’article 60, alinéa 1er, l’article 60, alinéa 2, consacre la solution jurisprudentielle admise depuis 1999 selon laquelle les contestations, qu’il s’agisse de celles relatives à la véracité de la reconnaissance ou de celles relatives à sa validité, sont soumises cumulativement à la loi nationale de son auteur et à la loi nationale de l’enfant au jour de la reconnaissance3. La faveur à la reconnaissance, qui se manifeste par le jeu des rattachements alternatifs lorsqu’il s’agit de valider la reconnaissance, trouve son pendant dans la défaveur qui imprègne la contestation d’une reconnaissance, laquelle est soumise aux exigences cumulées de deux lois. La solution n’étant pas exempte de critiques (notamment, pourquoi le fait d’empêcher un enfant de détruire un lien de filiation serait-il plus protecteur que l’inverse ?), on peut regretter qu’elle n’ait pas été repensée.

Validité en la forme de l’acte de reconnaissance

L’article 60, alinéa 3, propose une règle qui concerne les conditions de forme de l’acte de reconnaissance d’enfant et qui permet d’ajouter aux deux rattachements alternatifs déjà prévus pour les conditions de fond de la reconnaissance, un troisième rattachement visant la loi de l’État sur le territoire duquel l’acte de reconnaissance est dressé. La solution est classique en matière de forme des actes et permet de ne pas sanctionner outre mesure pour des raisons de forme un acte qui serait par ailleurs valable au fond.

Règle matérielle

Comme indiqué précédemment dans le cadre du commentaire de l’article 59, l’article 60, alinéa 5, contient une règle matérielle spécifique aux conflits de filiations et plus précisément aux conflits de reconnaissance. Reposant sur un principe chronologique, le texte indique qu’une « reconnaissance, tant qu’elle n’est pas annulée, prive d’effet toute reconnaissance ultérieure de l’enfant dans la même ligne ». On comprend ainsi qu’en présence de deux reconnaissances établies dans deux États différents, il faudrait d’abord contester la première pour pouvoir faire valoir la seconde. La solution est digne d’approbation, elle aurait peut-être mérité d’être généralisée à l’ensemble des filiations.

La règle spéciale en matière de possession d’état (article 61 du projet de code)

L’article 61 du projet de code de droit international privé reprend plus ou moins l’actuel article 311-15 du code civil en faisant produire effet aux dispositions matérielles de droit interne relatives à la possession d’état. Cependant, deux précisions sont apportées par le projet de texte.

D’une part, il en limite la portée en ne visant que les dispositions qui concernent l’établissement de la filiation (par ex. l’article 314 du code civil qui permet le rétablissement de la présomption de paternité du mari).

D’autre part, il indique que la disposition ne joue que par dérogation aux dispositions précédentes, c’est-à-dire aussi bien à l’égard de la règle générale qu’à l’égard de la règle spéciale en matière de reconnaissance (on retrouve ici l’erreur matérielle de numérotation déjà remarquée précédemment : le texte indique déroger aux articles 58 et 59, alors qu’il s’agit de toute évidence des articles 59 et 60). La précision quant au domaine de l’exception est intéressante, car la solution vient contrer celle qui a été adoptée très récemment par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 23 mars 2022 (n° 21-12.952, Dalloz actualité, 13 avr. 2022, obs. Amélie Panet-Marre ; D. 2022. 606 ; AJ fam. 2022. 225, obs. J. Houssier ; Rev. crit. DIP 2022. 521, note C. Chalas ) en effet, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que l’article 311-15 du code civil ne constituait une dérogation qu’au seul article 311-14 et non à la règle de l’article 311-17. Autrement dit, en droit positif, dès lors que l’article 311-17 est applicable, il exclut l’article 311-15 du code civil.

Même ainsi toilettée, on peut s’étonner du maintien dans le projet de code de cette disposition relative aux règles françaises relatives à la possession d’état, dont la complexité a été maintes fois dénoncée, dont l’application est extrêmement rare et l’utilité peu convaincante.

 

Notes

1. V. p. 35 du projet.

2. En ce sens, v. M. Farge, Le destin des articles 311-14 et suivants du code civil dans le projet de code de droit international privé, Dr. fam. n° 6, juin 2022, dossier 10, spéc. n° 5.

3. Civ. 1re, 6 juill. 1999, n° 97-19.453, D. 1999. 483 , concl. J. Sainte-Rose ; ibid. 2000. 162, obs. A. Bottiau .