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Le droit en débats

Proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite et cavaliers législatifs

La proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite déposée par des députés de la majorité est en cours de discussion devant les assemblées. Au fil des lectures, elle s’est enrichie de divers amendements qui amènent à se poser la question de l’existence d’éventuels cavaliers législatifs qui seraient inconstitutionnels car dénaturant la cohérence initiale du texte. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel pourrait les censurer, même d’office, pour méconnaissance de la procédure d’adoption des lois.

Par Michel Verpeaux le 14 Février 2023

Dans la décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020, Loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), le Conseil constitutionnel avait censuré, d’office, c’est-à-dire sans que le grief ait été soulevé par les requérants, 26 articles introduits en première lecture comme cavaliers législatifs. Ceux-ci désignent une disposition introduite dans une loi, principalement ordinaire par un amendement dépourvu de lien suffisant avec le projet ou la proposition de loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie, en méconnaissance de l’article 45, alinéa 1er, de la Constitution. Parmi eux, figurait dans la loi ASAP, l’article 74 de la loi qui aggravait les peines pour violation de domicile. Le Conseil avait en effet jugé que « Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles de l’article 8 du projet de loi initial qui, au titre de la suppression ou du regroupement de certaines commissions administratives, supprimaient le comité de suivi du droit au logement opposable et confiaient ses missions au haut comité pour le logement des personnes défavorisées » (§ 69 de la décision). Cet article 74 prévoyait d’aggraver les sanctions prévues à l’article 226-4 du code pénal qui disposait, à cette date, que « L’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende / Le maintien dans le domicile d’autrui à la suite de l’introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines » (rédaction issue de la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015). Ces dispositions censurées par le Conseil ne visaient à réprimer que ce qui est désigné sous le nom de « squat ».

Cavaliers législatifs et autres motifs d’inconstitutionnalité

Néanmoins et de manière désormais constante depuis la décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019 sur la loi d’orientation des mobilités, le Conseil a précisé dans sa décision 2020-807, que la censure de dispositions, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution et qui sont considérées comme des cavaliers législatifs, ne préjuge pas de la conformité de leur contenu aux autres exigences constitutionnelles. Sous-entendu, d’autres motifs d’inconstitutionnalité pourraient ensuite être relevées, notamment dans le cadre d’une QPC ultérieure. Sont ainsi distingués un contrôle de la procédure parlementaire et un contrôle au fond.

Depuis 2020, et pour contourner cette censure, une quinzaine de propositions de loi ont été déposées sur le sujet sur le bureau des assemblées. Dans la XVIe législature en cours, des parlementaires de la majorité ont voulu inscrire des dispositions similaires dans une proposition de loi autonome par rapport à un texte ayant un objet différent et portant l’intitulé générique de « proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite ».

La proposition de loi a été déposée le 18 octobre 2022 par le député Guillaume Kasbarian et portée par les groupes Renaissance et Horizons appartenant à la majorité présidentielle. Elle a été aussi soutenue par les groupes Les Républicains et Rassemblement national. Le 2 décembre 2022, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, avec modifications, la proposition (Dalloz actualité, 6 déc. 2022, obs. P. Januel) et le 2 février 2023, le Sénat l’a adoptée en première lecture, avec d’assez nombreux compléments et modifications, à une large majorité (Dalloz actualité, 6 févr. 2023, obs. P. Januel). À ce jour le texte est examiné en seconde lecture par l’Assemblée nationale.

Caractère non décisif de l’exposé des motifs, du titre du projet ou de l’intitulé de ses parties

La question posée est celle de l’existence d’un cavalier législatif susceptible d’être censuré en tant que tel.

L’intitulé de la proposition et, a priori, de la future loi, ne serait pas en adéquation avec son contenu, notamment pas avec les dispositions relatives à la sécurisation des rapports locatifs.

L’article 45 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision du 23 juillet 2008, dispose que « Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l’adoption d’un texte identique. Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Ce texte ne vise que les amendements et non les projets ou propositions de loi. La volonté de combattre les cavaliers législatifs a ainsi conduit le juge constitutionnel puis le constituant en 2008 à supprimer les nombreux ajouts apportés à un texte en cours de discussion. Ceux-ci présentent en effet l’inconvénient de dénaturer un texte et de lui faire perdre sa cohérence initiale. Ce contrôle s’exerce au regard du contenu du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie, que ce soit par le Premier ministre ou par l’auteur de la proposition de loi. L’exposé des motifs, le titre du projet ou l’intitulé de ses parties ne venant éventuellement que conforter ce contenu sans être décisifs pour son appréciation.

Il n’est pas aisé, y compris du point de vue statistique, de déterminer un indice permettant de détecter par avance un cavalier législatif.

Règle de l’entonnoir

En outre, le Conseil veille également au respect de la règle de l’entonnoir. Cette dernière traduit l’exigence qu’au fur et à mesure des lectures successives d’un texte devant les assemblées, ne soient pas examinées d’autres dispositions que celles qui restent en discussion, comme le précise le Conseil dans sa formulation récente (Cons. const. 25 oct. 2018, n° 2018-771 DC du 25 oct. 2018, Loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, § 3, AJDA 2018. 2107 ). Elle interdit donc, en principe, l’ajout d’articles additionnels ou l’adoption d’amendements après la première lecture, qui ne soient pas en relation directe avec une disposition du texte restant en discussion. Comme le précise une étude récente rédigée par le Secrétaire général du Conseil constitutionnel, la règle de l’entonnoir se distingue de la règle relative aux cavaliers sous trois aspects : le moment où elle intervient (après la première lecture et non au moment de celle-ci), le lien exigé (un lien direct et non au moins indirect) et le texte pris en compte (le texte restant en discussion et non le texte d’origine ; J. Maïa, Le contrôle des cavaliers législatifs, entre continuité et innovations, titre VII, n° 4, avr. 2020).

S’agissant de la proposition de loi « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite » en cours de discussion, c’est afin de se prémunir contre le risque de censure de cavaliers législatifs que les auteurs de la proposition de loi, éclairée par l’exposé des motifs justifiant le texte comme étant destiné à protéger notamment les petits propriétaires, ont voulu donner au texte une cohésion qui apparaît assez nettement. Pour autant, le gouvernement est intervenu plusieurs fois pour essayer de faire modifier le texte, et différencier squatteurs et « mauvais payeurs », appelant notamment à mieux distinguer les cas des squatteurs de celui des locataires « mauvais payeurs ». Le garde des Sceaux comptait sur la navette parlementaire pour affiner le texte.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture comprend deux chapitres, le premier est intitulé « Mieux réprimer le squat du logement », tandis que le second veut « Sécuriser les rapports locatifs ». Son rapporteur Guillaume Kasbarian a précisé que l’objectif était de protéger avant tout des « petits propriétaires qui ne roulent pas sur l’or », parfois confrontés à des années de procédures judiciaires pour retrouver l’usage de leur bien.

Les députés ont complété le texte pour créer un nouveau délit « d’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage économique » visant le squat mais aussi les locataires défaillants qui se maintiennent dans un logement une fois la procédure judiciaire d’expulsion terminée. Le texte ambitionne de sécuriser ainsi les bailleurs en cas d’impayés de loyers. Pour cela, il prévoit l’insertion systématique d’une clause de résiliation automatique en cas d’impayés de loyers dans les contrats de location, autorisant un propriétaire à « provoquer la résiliation automatique du bail lorsqu’un commandement de payer est demeuré infructueux », sans avoir à engager une action en justice. Les locataires susceptibles d’être concernés par la trêve hivernale ou ceux bénéficiant d’une décision de sursis à expulsion ou d’un logement social ne seraient pas concernés. Le texte réduit enfin certains délais dans les procédures contentieuses du traitement des impayés de loyers, en particulier pour les locataires de mauvaise foi.

Après son examen par le Sénat, le texte comprend un nouveau Chapitre III intitulé « Renforcer l’accompagnement des locataires en difficulté » visant à modifier l’article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement ainsi que l’article L. 824-2 du code de la construction et de l’habitation ».

Les deux questions à se poser

Il est alors nécessaire de distinguer deux questions.

Tout d’abord, en l’état actuel, il ne semble pas exister un contrôle de l’adéquation du contenu d’un texte par rapport à son intitulé. Quand bien même, il est possible de soutenir que l’occupation illicite, objet générique de la loi, recouvre non seulement les hypothèses de squat mais aussi les cas dans lesquels le locataire ne payant plus ses loyers se place dans une situation qui rompt le contrat.

Ensuite, il est nécessaire d’envisager les ajouts apportés à la proposition de loi et à son objet tel qu’il est présenté aussi dans l’exposé des motifs sous la forme d’amendements. Dans ce deuxième cas, la vigilance est de mise au regard des diverses jurisprudences mentionnées, tant en ce qui concerne les cavaliers législatifs que le respect de la règle de l’entonnoir. La multiplication des lectures devant les deux assemblées augmente les risques de dénaturation du texte initial.