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Le droit en débats

Les « QER » : jugés coupables avant l’heure

Daesh a-t-il réussi à instaurer un climat de peur et créer un climat de défiance et de suspicion au sein de la population française ? Il faudra certainement attendre une décennie pour avoir suffisamment de recul pour répondre à cette question. Ce qui est certain, c’est que le phénomène de terrorisme a bouleversé notre pays, fragilisé les institutions et a abouti à renforcer un arsenal juridique qui a déjà fait l’objet de critiques.

À présent, sous couvert de ce nouveau phénomène dit « de détenus terroristes islamistes » et au vu de leur nombre, l’administration pénitentiaire elle-même s’interroge. Faut-il les regrouper ? Ou faut-il les séparer ? Faut-il les intégrer dans la masse des détenus dits « de droit commun » ? Ou faut-il les isoler ?

C’est dans ce contexte que les quartiers d’évaluation de la radicalisation ou « QER » ont fait leur apparition.

Les QER sont des unités dont la création a été annoncée par le garde des Sceaux, le 25 octobre 20161.

Par définition, il s’agit d’unités mises en place dans des établissements pénitentiaires, qui sont dédiées à l’évaluation de personnes détenues, mises en examen dans des procédures dites terroristes ou revêtues d’une qualification dite terroriste.

L’analyse du régime juridique applicable à ces unités pose une multitude de questions dans la mesure où aucun texte législatif ou réglementaire n’encadre ce dispositif spécial.

Pour tout citoyen confronté à la multiplication des attentats sur le sol français et à leur incidence dans leur quotidien, c’est un dispositif qui ne pose aucune difficulté. Mais pour un juriste, c’est un dispositif qui interroge : en l’absence d’encadrement textuel, quels sont les détenus qui y sont soumis ? L’ensemble des personnes mises en examen dans des dossiers dits de terrorisme ou uniquement une partie d’entre elles ? Quels détenus y vont ? Qui décide ? Quels acteurs ont accès au rapport final ? Est-il possible d’exercer un recours contre un transfert en QER ?

De chacune de ces interrogations découlent des problèmes juridiques qui se résument essentiellement à l’absence de contrôle juridique et au non-respect du principe de la présomption d’innocence.

L’absence d’une possibilité de contrôle juridique des QER

Les informations existantes sur les QER

Très peu de données existent au sujet de ces structures.

Aucun texte ne permet d’avoir des renseignements exacts sur la mission et l’organisation des QER.

Les seules, communiquées par voie de presse à destination du grand public, sont les suivantes :

• trois de ces unités ont été mises en place en Île-de-France (à Fleury-Mérogis, Fresnes et Osny), ce qui peut logiquement s’expliquer par le fait que le législateur ait prévu une centralisation des affaires de terrorisme2 à Paris. Trois autres QER ont vu le jour en 2018, dont deux à Vendin-le-Veil et un à Condé-sur-Sarthe ;

• ces QER ont succédé aux unités de prévention de la radicalisation (UPRA), lesquelles existaient dans les quatre maisons d’arrêt d’Île-de-France précitées ;

• ces unités accueillent des personnes détenues pour une durée de quatre mois ;

• pendant cette durée, une évaluation est conduite par des éducateurs, des personnels de surveillance, des psychologues, des membres du service pénitentiaire d’insertion et de probation ;

• à l’issue de cette évaluation, les personnes détenues sont orientées en fonction de leur dangerosité dans différents établissements pénitentiaires ;

Est-il normal dans une société comme la nôtre d’avoir des informations par voie de presse ?

L’absence de critères clairs de dangerosité et l’absence de voie de recours

À ce jour, aucun critère objectif ne permet de déterminer quel est le degré de dangerosité d’un prévenu et de justifier son placement en QER. Cette orientation carcérale aura pourtant une incidence considérable tant sur le quotidien du détenu que sur le traitement de son dossier par l’autorité judiciaire.

Dans la mesure où il n’existe en effet que trois QER, tous situés en région parisienne, la décision de placer un détenu dans l’une de ces unités conduit potentiellement à une violation du droit au respect de la vie familiale. Cette décision peut paraître contre-productive dans la lutte contre la radicalisation dans la mesure où elle entraîne un groupe de détenus radicalisé dans des unités dédiées couplé à un éloignement de sa région d’origine et de sa famille, dont le rôle est essentiel dans les efforts de réinsertion menés par l’administration pénitentiaire et les services d’application des peines.

Une personne transférée en QER ne dispose à ce jour d’aucune voie de recours contre une telle décision. Il n’existe aucune information préalable du détenu, aucun débat contradictoire, aucune transparence sur les critères de placement en QER, celui-ci entraînant pourtant des conséquences importantes et portant atteinte aux principes de présomption d’innocence et de respect du droit des détenus à une vie privée et familiale.

En pratique, une multitude de personnes mises en examen dans des procédures pour terrorisme sont incarcérées au contact des détenus dit « de droit commun ». Elles partagent leurs cellules, les côtoient durant les activités proposées par la maison d’arrêt (activités sportives, bibliothèque, etc.) et en cour de promenade.

Après plusieurs mois de détention « normale », elles peuvent se retrouver transférées d’un établissement n’accueillant pas de QER (par ex. : les maisons d’arrêt de Villepinte, Bois-d’Arcy ou Nanterre) dans des établissements comme Fleury-Mérogis où elles se retrouvent avec un statut semblable à celui des détenus isolés (cellule individuelle, promenade en effectif réduit, etc.).

Il n’y a donc, à l’heure actuelle, aucun contrôle juridique possible par le pouvoir judiciaire des QER, dispositif mis en place par le pouvoir exécutif.

Le risque pointé du doigt par un certain nombre de juristes3 est celui qui verrait l’apparition d’une forme de régime de détention dérogatoire au droit commun sans base légale expressément prévue par le législateur et sans aucune garantie ni aucun contrôle de l’autorité judiciaire.

De fait, les détenus placés en QER sont soumis à un régime de détention plus sévère que les autres détenus : isolement, surveillance renforcée, stigmatisation de la part des surveillants et des autres détenus, fouilles régulières, etc. Autant de mesures qui, plutôt que de permettre au détenu de renouer avec la société, l’écartent et l’éloignent de plus en plus de toute forme de socialisation.

Une atteinte aux droits fondamentaux

C’est le point le plus problématique. Comment accepter un tel dispositif sans reconnaître qu’il s’agit purement et simplement d’une forme de préjugement portant atteinte à un certain nombre de droits fondamentaux ?

L’impossible contrôle des QER par le Conseil constitutionnel et la question du respect de la présomption d’innocence

Soumettre la création de ces QER à travers un projet de loi aurait permis aux députés de saisir le Conseil constitutionnel pour que ce dernier puisse vérifier la constitutionnalité de la loi, donc de faire application de l’article 61 de la Constitution française.

Mettre en place une voie de recours contre le transfert dans un QER aurait permis à un avocat de saisir ce même Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Ces deux cas de figure ont une véritable importance dans le cas des QER.

Les établissements pénitentiaires d’Île-de-France qui accueillent des QER (deux à Fleury-Mérogis, un à Fresnes et un à Osny) sont des « maisons d’arrêt » qui accueillent, en principe, des personnes prévenues (qui n’ont pas été définitivement condamnées)4. En ce sens, il est question de personnes « détenues » et non de personnes « condamnées » dans le plan d’action du garde des Sceaux à l’origine du dispositif en 2016. Cette distinction a une importance juridique capitale : les personnes détenues ayant le statut de prévenus sont présumées innocentes, jusqu’au moment où elles sont reconnues coupables par une juridiction de jugement, comme le rappel la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 17895 (texte à valeur constitutionnel) et le code de procédure pénale6.

En conséquence, les QER en eux même posent une véritable difficulté au regard du principe de présomption d’innocence et soumettre le texte mettant en place les QER au Conseil constitutionnel aurait pu emporter de véritables conséquences juridiques. La mise en place des QER est très préoccupante.

En réalité, il semble assez clair que le placement d’un détenu en unité QER constitue une forme de préjugement qui aura un impact non négligeable sur son parcours judiciaire.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ont d’ailleurs manifesté leurs inquiétudes dans deux Rapports sur les potentielles dérives et risques liés à ce dispositif, sans que le gouvernement y prête une grande attention.

La lutte contre la radicalisation est indispensable et doit être menée avec fermeté. Néanmoins, la peur suscitée par cette violence sourde et imprévisible a conduit à des dérives préoccupantes pour le respect des libertés individuelles.

Les principes de droit pénal ont ainsi été totalement bouleversés par des réformes qui cherchent à apporter une réponse pénale de plus en plus rapide et de plus en plus en amont de la commission d’infractions.

On pense notamment au développement de textes à visée préventive, comme la consultation de sites djihadistes, qui a été déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans une décision du 10 février 20177.

L’existence d’une solution déjà mise en place

« La critique est aisée et l’art est difficile » (Destouches). La gestion des personnes incarcérées dans des dossiers de terrorisme est un sujet sensible, et le respect des libertés fondamentales des personnes concernées n’est pas la préoccupation principale des Français qui approuvent à 82 % le jugement des djihadistes français en Irak. Néanmoins, il y a lieu de s’assurer du respect des libertés fondamentales en ce qu’elles sont le socle de notre système démocratique. Le respect de ces libertés est possible.

Conclusion

L’article 730-2-1 du code de procédure pénale, créé par la loi du 3 juin 2016 prévoit précisément que, lorsqu’une personne a été condamnée à une peine privative de liberté pour une ou plusieurs infractions mentionnées dans le chapitre consacré aux actes de terrorisme8, la libération conditionnelle ne peut être accordée qu’après avis d’une commission chargée de procéder à une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée et qu’un décret précise les conditions d’application de cet article.

Il existe d’ores et déjà un dispositif permettant d’évaluer la radicalisation des personnes mises en causes pour des actes de terrorisme. Il impose que la personne soit condamnée, donc juridiquement reconnue coupable par une juridiction, ce qui permet de surmonter l’ensemble des difficultés énumérées ci-dessus.

 

Bibliographie

 

 

1. Plan d’action de Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, 25 oct. 2016, Sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente.
2. V. C. pr. pén., art. 706-16 s.
3. RSC 2018. 541, obs. F. Habouzit .
4. C. pr. pén., art. 714.
5. DDH, art. 9.
6. C. pr. pén., art. préliminaire.
7. Dalloz actualité, 14 févr. 2017, obs. D. Goetz isset(node/183357) ? node/183357 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>183357.
8. C. pén., art. 421-1 à 421-6.