Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

La question de l’ordre et l’ordre des questions : à propos des débuts du procès V13

Par Jean-Christophe Muller le 27 Septembre 2021

Les premières semaines du procès des attentats du 13 novembre 2015 révèlent à l’opinion publique et même aux professionnels de la justice des aspects variés, et pour certains d’entre eux nouveaux, du fonctionnement de la justice criminelle. Le plus saisissant restera à l’évidence l’horreur béante de l’évocation orale et filmée de la matérialité des attentats, dont le souvenir est présent dans toutes les mémoires mais que l’examen sous le prisme de la loi, du débat contradictoire et de la technique d’analyse policière achève de restituer dans leur dimension tragique à la fois intime et universelle. À cet égard, ce procès a d’ores et déjà réussi d’être en lui-même une forme de mémorial.

Un deuxième aspect du procès qui débute est aussi de mettre en évidence les différents niveaux de lecture de la réalité terrible qu’il aborde. Et c’est le propre de la justice criminelle de permettre ainsi la juxtaposition des points de vue et donc une prise de distances, souvent salutaire, avec les faits évoqués et les propos tenus à l’audience. Le principal accusé s’exprime désormais, aisément, après cinq ans de silence. On perçoit déjà ce que ses paroles révèlent de sa personnalité et de son implication. Par leur outrance assumée et leur candeur feinte, certaines d’entre elles ont provoqué l’incroyable dans les rangs des parties civiles : l’irruption du rire. C’est là le signe certain que la vie et l’humanité l’ont emporté sur les ténèbres et la barbarie et que le procès, là aussi, a déjà rempli l’une de ses fonctions sociales.

Aucun de ces deux premiers enseignements n’aurait pu advenir sans la direction magistrale du président Jean-Louis Péries, faite d’humanité, de fermeté et de finesse conjuguées et qui donne vie aux prescriptions de l’article 309 du code de procédure pénale selon lesquelles le président « a la police de l’audience et la direction des débats ; il rejette tout ce qui tendrait à compromettre leur dignité ». S’agissant du déroulement et de la tenue des débats, la question de l’ordre est ainsi résolue d’emblée dans toutes ses dimensions par le président. Il s’agit non seulement de la dignité et de la sérénité du déroulement des débats, mais aussi de leur ordonnancement, c’est-à-dire de la manière dont le président organise la chronologie des témoignages et des prises de parole.

C’est donc aussi sur l’ordre des questions que le déroulement du procès apporte d’intéressantes précisions, quelque décalé que puisse sembler ce sujet au regard de l’objet du procès, comme le faisait observer Pascale Robert-Diard dans le Monde du 14 septembre dernier. En présence de quelques 350 avocats, 1 800 parties civiles et 3 avocats généraux, le président Péries a en effet décidé qu’après la déposition des témoins et les questions du président, la parole serait donnée en premier aux avocats généraux pour poser des questions aux accusés et aux témoins cités par le parquet. La parole étant ensuite donnée aux avocats des parties civiles et enfin, comme toujours, à la défense.

Le sujet a été débattu par les professionnels au commencement des débats au nom d’un usage prétendu qui voudrait que durant l’instruction à l’audience, l’ordre de parole fasse en toutes circonstances intervenir en premier la partie civile, puis le ministère public et enfin la défense. Le président et la cour en ont pourtant décidé autrement.

Cette décision ne peut qu’être approuvée car l’examen des dispositions du code de procédure pénale ne permet d’en trouver aucune qui donnerait force de loi à un tour de parole faisant obligatoirement se succéder partie civile, ministère public et défense durant l’instruction à l’audience. Seul l’article 346 du code de procédure pénale dispose : « une fois l’instruction terminée, la partie civile ou son avocat est entendu. Le ministère public prend ses réquisitions. L’accusé et son avocat présentent leurs défenses. La réplique est permise à la partie civile et au ministère public, mais l’accusé ou son avocat auront toujours la parole en dernier ». Mais ces dispositions ne s’appliquent qu’une fois venu le temps des plaidoiries et des réquisitions, la défense devant naturellement répondre directement et immédiatement aux arguments de l’accusation. Or l’article 346 ne s’applique « qu’une fois l’instruction terminée » et par conséquent ne concerne pas la phase de discussion des preuves, ni la déposition des témoins et des experts, ni l’interrogatoire des accusés.

Tout au contraire, les articles 312 et 332 du code de procédure pénale suggèrent par leur rédaction un ordre de parole différent durant les débats eux-mêmes. Selon le premier de ces textes, « le ministère public et les avocats des parties peuvent poser directement des questions à l’accusé, à la partie civile, aux témoins et à toute personne appelée à la barre en demandant la parole au président ». Le second article précise : « après chaque déposition, le président peut poser des questions aux témoins. Le ministère public ainsi que les conseils l’accusé et de la partie civile, l’accusé et la partie civile ont la même faculté, dans les conditions déterminées par l’article 312 ». Il est bon de rappeler qu’en toutes circonstances, la prise de parole pour questionner un témoin ou un accusé est subordonnée à une demande faite au président, qui tient de son pouvoir de direction des débats la possibilité de le refuser.

L’intervention prioritaire du ministère public pour questionner, avant la partie civile, aussi bien un témoin qu’il a cité qu’un accusé ne relève donc pas de la susceptibilité froissée, de la défiance ou du confort, pas plus que d’une quelconque appréciation qualitative sur la place et le rôle de la partie civile dans le procès pénal. Elle n’est pas que la conséquence de la construction grammaticale des articles 312 et 332. Elle découle au contraire de la stricte application de la loi, adossée au principe selon lequel le ministère public, y compris lorsque techniquement il n’est pas l’accusateur, représente l’intérêt général dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu. L’intervention prioritaire du ministère public, dût-il la reconquérir, matérialise enfin l’épine dorsale de tout procès criminel : celui d’un accusé face à « la société qui l’accuse », pour reprendre l’impressionnante formule de l’article 304 du code de procédure pénale.

Gageons que bientôt dans toutes les cours d’assises et demain dans les cours criminelles départementales, à la lumière des enseignements du procès V13, l’ordre des questions redeviendra une question d’ordre.