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Le droit en débats

Radiation d’Alex Ursulet : « J’éprouve un sentiment de désappartenance »

Par Jean-Marc Delas le 26 Février 2020

Apprendre, alors que rien ne le laissait raisonnablement présager, la mort, fût-elle professionnelle, d’un ami est d’une rare violence.

« Alex est radié ». Trois mots, et, à peine lus, d’instinct, la certitude que ce n’est pas la justice qui a été rendue, mais autre chose.

Qu’Alex Ursulet n’a pas eu droit, en dehors des apparences, évidemment respectées, c’est bien le moins, à un procès normal.

Qu’il est un trophée qu’il faudrait offrir en pâture à « celles et ceux » qui, vent portant, mènent le combat à la mode, celui des violences faites aux femmes.

Qu’il y avait une attente très forte, de ce côté, et qu’il fallait que ce sacrifice soit offert au plus tôt pour satisfaire la détermination affichée de l’ordre sur cette question.

L’accusation est grave et si elle n’était fondée que sur une impression, l’auteur de ces lignes la garderait pour lui, mais cette phrase de Péguy « il voit ce qu’il voit, et il dit ce qu’il voit » lui impose de ne pas rester aux abris.

Très peu aujourd’hui ont ce privilège, que l’avocat maîtrise bien : hurler contre les loups et les louves.

Alors, allons-y.

On savait vaguement, deux ou trois articles de presse ici et là et quelques propos de couloirs à l’appui, qu’Alex Ursulet était embarqué dans ce que l’on appelle communément une mauvaise affaire.

On avait bien compris qu’une jeune femme, avocate stagiaire, s’était plainte de faits susceptibles, s’ils étaient vrais, d’être qualifiés de viol, qu’ils étaient vigoureusement niés, que les zones d’ombre étaient, pour le moins, nombreuses.

Bref, on était circonspect.

L’ordre avait été saisi, une plainte semble-t-il déposée auprès du procureur de la République, une enquête préliminaire peut-être ordonnée.

Il restait à faire confiance à la justice de son pays, selon la formule qui fait toujours peur, même aux magistrats, et… à la sagesse de ses pairs.

Patatras. Ce sont des avocats, juges d’un jour, qui ont confectionné avec soin le cercueil professionnel dans lequel ils ont placé Alex Ursulet et que des juges de tous les jours, en appel, n’ont plus, s’ils cèdent à l’air du temps et à la paresse toujours tentante d’une confirmation, qu’à sceller.

Pour quiconque, avocat ou non, est vaguement attaché à une notion aussi simple à comprendre que l’innocence présumée, c’est saisissant.

Pour celui qui sait à quel point être juge disciplinaire est difficile (et découvrir à l’occasion à quel point certains étaient enfermés dans des préjugés), c’est un choc.

Il n’existe en effet qu’un nombre infime d’exemples où, dans de telles circonstances, un sursis à statuer n’est pas accordé.

L’effet de sidération n’est pas atténué, bien au contraire, quand on lit l’arrêté disciplinaire.

Passons sur le style. On y lit d’abord, s’agissant du rejet de la demande de sursis à statuer, qu’« il ne sera pas question de venir dire et juger s’il y aurait eu viol ou non, au sens pénal du terme, mais si les éléments factuels dont dispose la formation de jugement disciplinaire sont ou non en infraction avec les grands principes de la profession d’avocat ».

Soit.

Blanc, je connais, disait Coluche dans un sketch célèbre, mais plus blanc que blanc, je ne vois pas… Viol au sens pénal du terme, on voit à peu près, viol sans dimension pénale… il faut y penser.

C’est insaisissable en fait, et c’est inconnu du droit.

Donc on ne juge pas le viol, mais on juge le viol. Même les sophistes les plus durs n’auraient pas osé.

Eux, si. C’est à cela, toujours, qu’on les reconnaît.

La motivation qui suit n’est que la lente, inexorable et triste déclinaison de cette approche même s’il est établi que C. M., jeune stagiaire avocate, est entrée dans un premier temps dans le jeu d’Alex Ursulet. « La lecture des échanges de SMS permet de constater un climat de domination qui n’est évidemment pas admissible dans des relations entre un maître de stage et une stagiaire. »

Soit.

Mais de là à la radiation, il y a un, et même plusieurs océans à traverser.

Il faut bien aborder la question du viol. Fastoche. Deux phrases de motivation, pas une de plus, sur ce point. Les voici :

« Madame C. M. a raconté les faits avec suffisamment de précision dès le mardi 30 janvier au soir (jour des faits présumés) à madame J. F. » et « les témoins qui ont rencontré madame C. M. après les faits relatés l’ont qualifiée d’authentique, de sincère tant dans sa description parfois pudique des agissements dont elle a été la cible que dans l’état de choc, de sidération et de peur dans lequel elle se trouvait. »

Fermez le ban.

Nul besoin de la procédure pénale, de son cortège d’investigations, d’expertise psychiatrique et médico-psychologique.

Pourquoi s’embarrasser de ces garanties de la défense ?

On sait, on croit la victime (cela devient insolent d’ajouter le mot présumée à victime) et on n’a pas la main qui tremble au moment de trancher.

Venant d’avocats, qui sont loin du juge pénitent de Camus, cela fait peur.

Ne parlons pas de l’écœurement que cela suscite chez quiconque déteste voir la justice rendue comme cela.

Quand on apprend ensuite que l’autorité de poursuite, délégation du bâtonnier, s’est déchaînée contre Alex Ursulet, qu’un renvoi a été refusé parce qu’il fallait absolument que la décision soit rendue avant le 1er janvier 2020 pour couronner un bâtonnat qui ne se sera singularisé par rien d’autre, quand le décryptage de tout ce qui entoure cette décision paraît aussi simple, il reste à prendre la plume pour le partager.

Nous en sommes là.

Heureusement, il reste une chance à Alex Ursulet : il va être jugé par des juges professionnels, magistrats pour qui l’application de la règle de droit, l’habitude d’une motivation sérieuse et exempte de contradiction et l’humanité sont, pour les meilleurs d’entre eux, un guide précieux.

Alors pour l’ordre, l’infirmation prononcée, il reste le goudron et la plume.

On ne s’est jamais senti aussi proche de la phrase de Finkelkraut : « J’éprouve un sentiment de désappartenance ».