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Le droit en débats

Les récentes mesures covid pour les entreprises en difficulté : quelques réflexions

Par Georges Teboul le 11 Janvier 2021

Contexte

Le gouvernement a réagi rapidement à l’occasion de la première vague de covid-19. Il a pris des mesures par une ordonnance succincte mais efficace du 27 mars 2020 (ord. n° 2020-341, JO 28 mars, sur laquelle v. notre art. L’adaptation du droit des entreprises en difficulté à la crise du coronavirus, D. 2020. 785 ).

Pour rappel, cette première ordonnance prorogeait des délais, notamment celui de la déclaration de cessation des paiements, et permettait de s’adapter à un blocage des tribunaux et de l’économie provoqué par le premier confinement, en prorogeant notamment la durée des conciliations. Il comprenait des dispositions pour organiser une communication bienvenue « par tout moyen », ce qui provoqua l’essor des audiences par visioconférences dans certains tribunaux de commerce.

Une deuxième ordonnance, plus consistante, du 20 mai 2020 aménagea un dispositif plus complexe, mais assez efficace, en organisant une procédure d’alerte plus rapide, en donnant des moyens plus radicaux d’imposer des délais et une suspension des poursuites lors de la conciliation, en facilitant la sauvegarde accélérée, les plans, la protection de la new money, l’aménagement d’une liquidation judiciaire simplifiée, la facilitation de la cession à des non-tiers pour la protection des emplois, notamment (ord. n° 2020-596, JO 21 mai ; P. Merle, Covid-19, les commissaires aux comptes et l’alerte, D. 2020. 1117 ). L’ordonnance revint en outre sur l’adaptation des délais, notamment en prolongeant la validité des mesures en fonction de l’évolution de l’état d’urgence sanitaire, essentiellement jusqu’au 23 août 2020 et en prévoyant une adaptation dans le temps de ces mesures, notamment sur la possibilité de prolonger les plans de continuation pour une durée de deux ans. Nous déplorions à l’époque qu’une méthode pointilliste soit choisie au lieu de repartir sur de nouvelles bases, compte tenu de la fin du confinement (G. Teboul, Covid-19 et nouvelles mesures pour les entreprises en difficulté : une tapisserie de Pénélope ?, Gaz. Pal. 2 juin 2020, n° 20, p. 19).

Puis, la machine s’emballa avec de très nombreux textes qu’il est impossible de résumer ici et particulièrement une circulaire du 16 juin 2020 (n° NOR : JUSC2014072C ; G. Teboul, Les effets de la crise du coronavirus sur les entreprises en difficulté : encore du nouveau !, Dalloz actualité, 1er juill. 2020). Cette circulaire commentait et complétait le précédent dispositif sur la délimitation des délais, l’alerte précoce du commissaire aux comptes, les conditions d’ouverture de la sauvegarde accélérée, l’adoption des plans de sauvegarde ou de redressement judiciaire et leur exécution avec des précisions parfois sibyllines sur l’acceptation dans le cadre d’un défaut de réponse pendant la consultation des créanciers « sauf s’il s’agit de remises de dettes ou de conversion en titres donnant ou pouvant donner accès au capital »…

Des commentaires ayant été formulés sur la question controversée de la cession des entreprises aux débiteurs, la circulaire formulait des appréciations, notamment sur l’expression à l’audience de la position du ministère public, la Chancellerie citant un arrêt inédit du 27 septembre 2017 (Com. 27 sept. 2017, n° 16-19.549)… D’autres débats encore naissaient sur la question de la force majeure, applicable dans la matière du droit des entreprises en difficulté du fait de la paralysie provoquée par la crise (G. Teboul, La force majeure et la crise du coronavirus : une application ou une évolution ?, Dalloz actualité, Le droit en débats, 8 sept. 2020) avec la possibilité de demander une renégociation du contrat avec l’autre partie qui n’était pas tenue de l’accepter… Il était évoqué à cet égard la possibilité d’une renégociation amiable en utilisant le principe de bonne foi prévu par l’article 1104 du code civil ainsi que les facilités en droit fiscal, notamment sur la déductibilité des renonciations aux loyers.

En dernier lieu, nous devons évoquer des textes récents sur lesquels il est utile de proposer des pistes de réflexion, tant ces textes ont vocation à être revus et corrigés sans cesse.

L’ordonnance n° 2020-443 du 25 novembre 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises aux conséquences de l’épidémie de covid-19

Cette ordonnance a prévu que la durée de la procédure de conciliation définie à l’article L. 611-6 du code de commerce peut être prorogée en une ou plusieurs fois à la demande du conciliateur par décision motivée, sans que la durée puisse excéder dix mois. L’article 2 prévoit une transmission rapide du relevé prévu à l’article L. 625-1 du code de commerce à l’AGS, ce qui n’appelle pas de commentaire particulier. Surtout, l’article 3 dispose que les communications effectuées dans le cadre des procédures du livre VI du code de commerce se font « par tout moyen », ce qui avait déjà été évoqué comme indiqué ci-avant. L’article 4 prévoit quant à lui l’application aux procédures en cours ouvertes à compter du 24 août 2020 et celles ouvertes à compter de l’entrée en vigueur de cette ordonnance.

L’ordonnance est précédée par un rapport au président de la République, ce qui est devenu une habitude. Il rappelle en premier lieu que le gouvernement a été habilité par une loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 à prendre des ordonnances jusqu’au 16 février 2021. Il est fait référence à l’ordonnance du 27 mars 2020 précitée en précisant que certaines des adaptations introduites par l’ordonnance n° 2020-341 sont modifiées pour tenir compte de l’évolution de la situation.

Ce rapport commente la possibilité d’allonger la conciliation jusqu’à dix mois. Il est précisé que cela ne concerne que les conciliations ouvertes entre le 23 août 2020 et le 1er janvier 2022, ce qui est suffisamment large.

Sur la prise en charge des créances salariales, il est souligné que la transmission rapide de l’état des créances des salariés devrait permettre une prise en charge plus rapide sous la seule signature du mandataire judiciaire. Le visa du juge-commissaire peut donc intervenir a posteriori, mais il devra être transmis.

En outre, le rapport précise « l’assouplissement procédural » concernant les communications par tout moyen avec le greffe du tribunal ainsi qu’avec les organes juridictionnels « répond à une attente des praticiens dans un contexte d’incertitude ». Cependant, lorsqu’il est prévu un dépôt au greffe par les textes du livre VI permettant aux débiteurs ou à des tiers de prendre connaissance des éléments déposés, cette obligation demeure. Cela concerne notamment le compte-rendu de fin de mission par l’administrateur ou le mandataire judiciaire.

Ces précisions sont bienvenues mais il nous paraît tout à fait regrettable que, par le procédé du rapport, des précisions soient ainsi indiquées alors qu’elles devraient figurer dans les textes eux-mêmes.

Plusieurs questions sont posées par ce texte.

Pourquoi avoir attendu le 25 novembre pour préciser et accompagner le second confinement qui avait commencé plusieurs semaines auparavant ? Si l’on peut admettre que le droit suit le fait, cela pouvait paraître gênant, notamment sur les organisations de visioconférences, alors même que la règle précédemment fixée n’était pas reconduite. Ne serait-il pas plus simple de prévoir un cadre homogène et complet applicable d’une manière facile à l’occasion de chaque crise grave, ce qui aurait le mérite de la simplicité en évitant de revenir sur un texte en l’aménageant, en le modifiant, parfois avec du retard ? Certes, il ne s’agit pas ici de critiquer les services de la Chancellerie qui sont actuellement submergés et font un travail important mais de prévoir un mode opératoire qui serait sans doute plus facile à mettre en œuvre, le moment venu.

Il faut aussi indiquer que tous les tribunaux ne sont pas égaux devant la visioconférence et, là encore, un effort important s’impose pour favoriser ces traitements en période de crise et pour aménager une articulation crédible avec le moment où tout sera redevenu normal, car de vives inquiétudes existent dans un contexte de privation plus ou moins acceptée de nos libertés. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’un débat sur ce sujet lorsque la sérénité sera revenue car les conséquences de l’état d’urgence, la possibilité de prendre des mesures au cas par cas et au coup par coup créent de plus en plus de difficultés.

La loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique dite ASAP

Le praticien ne pourra cacher un certain agacement devant un procédé devenu malheureusement banal qui est le « pâté de merles » ou le catalogue à la Prévert (L. n° 2020-1525, JO 8 déc.). Cette loi, qui fait 45 pages et 149 articles, comporte des dispositions concernant le code de la construction, la pêche, le code de la route, le code du travail, la destruction d’archives, le code de la santé publique avec les bonnes pratiques de laboratoires, le code de l’environnement, le code de la défense, le code de l’énergie – avec notamment aux articles 67 et suivants « diverses dispositions de simplification », dont bon nombre ont été déclarées non conformes à la constitution –, le code du tourisme, le code des transports, l’adhésion des pêcheurs aux associations agréées de pêche (art. 87), à nouveau le code de la santé publique, le développement de services aux familles (art. 99), l’inscription à une compétition sportive (art. 101), le code de la sécurité sociale, le code monétaire et financier, des dispositions fiscales, etc. Au milieu de ces nombreuses dispositions, on trouve un article 124 prévoyant que les dispositions des articles 1er à 6 de l’ordonnance du 20 mai 2020 sont prolongées jusqu’au 31 décembre 2021 inclus.

Un observateur attentif remarquerait que les dispositions permettant au débiteur de formuler une requête pour acquérir sa propre entreprise après l’ouverture d’une procédure collective n’ont pas été reconduites, ce dispositif étant trop controversé.

Il est dommage que les autres dispositions n’aient pas été aménagées car elles posent de nombreuses difficultés que nous allons tenter de résumer ici.

En premier lieu, les prolongations de délais et les suspensions de délais n’ont pas été reprises à l’occasion du second confinement, ce qui pourrait surprendre, les mêmes causes devant avoir les mêmes effets. Cela peut provoquer des distorsions, notamment sur la possibilité de demander la prolongation des plans sur une durée de deux ans et sur les requêtes qui devaient être déposées à cet effet, certains ayant prétendu que ces requêtes ne pouvaient plus être déposées après le 23 août 2020, ce que l’ordonnance du 20 mai et la circulaire pouvaient cependant permettre de contester. N’aurait-il pas été plus simple de reprendre tout ceci pour le clarifier afin d’éviter des querelles sibyllines ?

De la même manière, alors même que le gouvernement a prolongé des mesures concernant notamment les prêts garantis par l’État (PGE) en y ajoutant la possibilité d’obtenir des prêts participatifs en cas de refus de PGE, soi-disant accordés à 96 ou 98 % des entreprises qui en ont fait la demande (le taux réel est en réalité inférieur car il faut tenir compte des entreprises qui ont été dissuadées de faire cette demande), n’aurait-il pas été opportun de faire une incitation à la prévention en facilitant l’obtention de PGE à des entreprises dont la pérennité serait validée dans ce cadre ?

Il est dommage que la prévention soit peu encouragée malgré l’abréviation de la procédure d’alerte des commissaires aux comptes, les entreprises ayant en tout cas été incitées à un certain attentisme par la poursuite des mesures d’aides de l’État, notamment sur le chômage partiel, largement étendu et prolongé. Ces aides ont provoqué en outre une baisse des procédures collectives de l’ordre de 30 à 40 % (v. not. OCED, Bulletin de santé des entreprises en France et en Île-de-France, 1er oct. 2020). L’incitation à la prévention aurait sans doute mérité des mesures d’accompagnement plus précises pour dissuader les entreprises « zombies » de poursuivre un parcours erratique, alors même qu’elles sont déjà condamnées.

À cet égard, s’il est plutôt positif que des mesures de suspension des poursuites aient été prévues sur requêtes dans le cadre d’une conciliation modifiée, il serait sans doute utile de préciser la portée de cette suspension. En l’état, il s’agit de suspendre le paiement d’une somme d’argent et les poursuites y afférentes ou les cas de défaut imputables au non-paiement d’une somme d’argent, ce qui mériterait sans doute d’être précisé. En effet, la crise provoque des situations de préhension, certains créanciers y trouvant un effet d’aubaine pour tenter de réaliser des garanties, pour caractériser des cas de défaut au pire moment devant des entreprises démunies en situation de faiblesse du fait de la crise, dont elles ne sont certes pas responsables. Est-ce équitable ? Ne serait-il pas plutôt utile de favoriser un processus de suspension des effets de ce type de contrat pour ne pas permettre à un créancier d’obtenir un avantage indu, parfois en dehors de toute bonne foi ?

Il faudrait pouvoir permettre au président du tribunal de commerce d’apprécier la situation pour suspendre les cas de défaut nombreux qui peuvent être invoqués dans un tel contexte. Cela faciliterait sans doute le recours à la prévention en la rendant plus efficace.

De la même manière, le délai de deux ans (C. civ., art. 1345) qui peut être obtenu en conciliation est-il réellement adapté à notre crise qui se prolonge et dont personne ne connaît le terme ? Ne faudrait-il pas prévoir un processus d’adaptation plus souple, plutôt que d’imposer des carcans peu compatibles avec cette crise sans précédent ? Les mesures fixées par le président prennent fin avec la conciliation, ce qui peut provoquer des conséquences brutales. Là encore, il faut tenir compte d’une capacité vérifiée de redressement de l’entreprise et si sa viabilité est validée, il conviendrait d’en tenir compte.

Des procédures intéressantes devraient être facilitées telles que le prepack cession ou le prepack plan et, à cet égard, la possibilité d’obtenir des abandons de créances devrait être facilitée au-delà de ce qui est déjà prévu par les textes ci-dessus rappelés. Pourquoi formuler à cet égard des restrictions ? Si le créancier est taisant, ne conviendrait-il pas d’en tirer des conséquences plus bienveillantes ? La priorité doit être en effet donnée au sauvetage d’entreprises viables.

La prolongation de certaines mesures jusqu’à fin 2021, notamment sur la sauvegarde accélérée, sur la prise en compte d’un passif admis ou non contesté, sur le privilège de sauvegarde ou de redressement, devra sans doute être revue dans le cadre de la réforme en préparation (v. l’habilitation donnée par la loi PACTE n° 2019-486, 22 mai 2019, art. 196, JO 23 mai) de transposition de la directive du 20 juin 2019 sur la restructuration et l’insolvabilité (dir. [UE] 2019/1023, JOUE L. 172, 26 juin), c’est-à-dire à l’été 2021… Comment faire la césure entre le provisoire et le durable ? Ce dilemme sera sans doute source de complexités et d’interprétations délicates.

À titre d’exemple, la directive prescrit une suspension provisoire des poursuites de quatre mois avec une prolongation jusqu’à douze mois et la création de classes de créanciers pour voter sur les accords de restructurations, ces classes reflétant des intérêts économiques comparables avec au moins deux classes, l’une sur les chirographaires, l’autre sur les privilégiés, avec une incitation à créer une classe d’actionnaires…

Ne serait-on pas mieux avisé de penser à créer un droit simplifié et intelligible des TPE/PME avec une possibilité de rebond favorisée pour les autoentrepreneurs bénéficiant d’un réel statut simplifié ?