Alors que beaucoup la pensaient reportée sine die, que certains la comptaient parmi les victimes du coronavirus et que d’autres ne la pensaient faisable qu’au cours du prochain quinquennat, on vient d’apprendre que la réforme des retraites restait une priorité pour le président de la République.
Son nouveau Premier ministre indique qu’il veut régler le dossier « à court terme ».
Vient donc de s’ouvrir un nouvel opus de cette magnifique série française que le monde nous envie, « La réforme des retraites », dont aucun des scénaristes les plus retors œuvrant pour Netflix n’aurait osé imaginer, à partir du programme du candidat Macron, autant de rebondissements.
Pour rappel, dans la saison 1, on a vu, le premier rôle confié à Jean-Paul Delevoye nommé dès le 14 septembre 2017 au poste de haut-commissaire aux retraites délégué auprès d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités, et le dossier trainailler sous couvert d’une consultation d’un type très particulier qui voulait que le consultant répète ad nauseam aux consultés ce qu’il avait décidé et reste imperméable à la parole et aux arguments de ces derniers.
On a également vu ce projet paralysé par la révolte des gilets jaunes, puis en attente des conclusions du grand débat, avant de déboucher, à l’été 2019 sur le rapport Delevoye. S’en est suivie son entrée au gouvernement et celle de bon nombre de français entrer en résistance contre une réforme, mal calibrée, mal ficelée et mal présentée.
Aurait pu être programmée une série de lois qui se seraient succédées sur la définition de l’âge de départ à la retraite et/ou l’âge pivot, la réversion aux conjoints survivants, les majorations pour enfants, etc. la création d’un nouveau régime pour les salariés et fonctionnaires, le devenir des fameux régimes spéciaux et le sort des régimes autonomes des indépendants et professions libérales.
Au lieu de ce faire, le gouvernement allait préférer un projet de loi unique qui sous couvert de traiter tous les problèmes, renvoyait la définition de la quasi totalité du contenu à vingt-neuf ordonnances qu’il aurait rédigées après s’être fait habilité par ladite loi.
C’est dans ces conditions que les scénaristes de la première saison nous ont gratifié :
- - de changements d’acteurs inattendus. Ainsi Monsieur Delevoye parce qu’il cumulait ses cachets pour le rôle avec d’autres sources de revenus qu’il avait tus et Madame Buzyn parce qu’elle avait préféré un éphémère premier rôle dans une superproduction concurrente ayant trait à la conquête de la mairie de Paris, ont abandonné la série avant la fin.
- - de scènes classiques telles la grève dans les transports et d’autres qui l’étaient moins comme l’extraordinaire mobilisation du barreau français, qui allait simplement dire non à un projet qui remettait en cause son modèle économique à moyen terme et, à très court terme, sa nécessaire indépendance que la gestion autonome de ses retraites consolide.
Nous avions benoîtement cru que le traitement du débat parlementaire par le scénario ne serait qu’une reprise des meilleures productions passées, allant de l’avalanche d’amendements au 49-3 final, sans voir que la covid-19 s’était invitée au casting et allait imposer une autre fin, le confinement et l’arrêt du travail parlementaire terminait cette première saison qui avait tenu le haut de l’affiche pendant plus de trente mois.
Moins de quatre mois plus tard est annoncé la reprise de ce feuilleton, alors que le déconfinement n’est pas total, la réforme des retraites bénéficie d’un traitement de faveur par rapport aux concerts, boîtes de nuit et manifestations sportives comme les championnats de France de football et de rugby qui n’ont pu reprendre là où ils s’étaient arrêtés.
En fait, là est la question, la réforme va-t-elle reprendre là où elle s’est arrêtée, c’est à dire par l’examen à venir du Sénat du texte adopté par l’assemblée nationale le 4 mars 2020, soit treize jours avant le confinement…
On a cru comprendre que non et bien que le détail de la nouvelle mouture est inconnu, condition sine qua non pour tenir en haleine les spectateurs jusqu’à la fin du dernier épisode de la saison à venir que le producteur de la série, Emmanuel Macron, a décidé de lancer.
On peut espérer, qu’au delà du casting encore retouché, Jean Castex reprenant le rôle d’Édouard Philippe désormais se cantonner à la scène locale du Havre, la voix des avocats, et plus généralement celle des libéraux et indépendants, aura une chance d’être entendue.
Il est à espérer qu’Éric Dupont-Moretti, le nouveau garde des Sceaux, succédant à Nicole Belloubet, qui s’était complu dans un second rôle qui la limitait à la reprise et à la diffusion de la parole officielle, saura, à la différence de sa prédécesseure, relayer la voix des professionnels rattachés à son ministère, au premier rang desquels figurent les avocats.
Ceux-ci ne trouvant nul écho à leurs revendications avaient très majoritairement suivi le mouvement de grève national et, jusqu’à fin février/début mars 2020, ont cessé de plaider, avant que quelques jours plus tard les tribunaux ne cessent du fait du confinement de fonctionner.
La plupart d’entre eux, financièrement exsangues à la fin du premier semestre 2020, n’auront ni l’envie, ni les moyens de guerroyer à nouveau contre la version 2 de la réforme.
Ce n’est pas pour autant que le gouvernement pourra faire n’importe quoi.
Car les avocats feront ce qu’ils savent faire le mieux, ce qu’ils font au quotidien pour leurs clients, à savoir étudier, analyser et critiquer la position soutenue par la partie adverse et tout faire pour convaincre du bien-fondé de leur position.
Et le gouvernement aurait grand tort, à quelques encablures d’échéances électorales majeures, alors que l’on ne peut pas dire que celles qui viennent de survenir aient été pour ses soutiens un franc succès, de ne pas écouter une profession dont les demandes sont éminemment raisonnables alors que rien ne la destinait à s’opposer aussi frontalement à un président que beaucoup de ses membres avaient, en 2017, soutenu au premier et/ou au second tour de la présidentielle.
Est-il en effet déraisonnable de demander que les assurés auprès de caisses autonomes largement excédentaires, comme l’était la CNBF avant le coronavirus, ne soient pas fondus dans un régime aux contours flous, financièrement pénalisant, qui n’avait, au surplus, d’universel que le nom.
Est-il déraisonnable de vouloir conserver quelque chose qui ne fonctionne pas si mal, qui ne coûte pas un euro à l’état ou à la collectivité et qui a été en mesure d’apporter des aides financières à ses assurés en ces temps de crise économique, comme l’ont fait les caisses de retraite autonomes dont la CNBF et ce sans rien ajouter à l’abyssal déficit budgétaire français.
Est-il déraisonnable de, pragmatiquement, constater que réformer les retraites est une tâche tellement considérable qu’il serait sage, près de trois ans après le lancement de cette réforme, de revoir son périmètre et de le limiter aux grands problèmes en la matière, à savoir :
- - 1/ Pour tous, âge de départ, majorations en cas de départ retardé et éventuelles minorations en cas de départ avant un certain âge (dit pivot), durée de cotisations, majoration pour enfants, pension de réversion, pension minimale, mesure tendant à établir ou rétablir l’égalité entre femmes et hommes, règles du cumul retraite/emploi…
- - 2/ Modification et fusion du régime général des salariés avec ceux des fonctionnaires et assimilés pour créer un système commun, à point, puisque tel est le credo présidentiel.
- - 3/ Fixation d’une trajectoire pour le devenir des régimes spéciaux largement déficitaires et subventionnés par la collectivité.
Est-il déraisonnable d’imaginer que durant les quelques mois encore qui précèdent le début de la campagne électorale pour la présidentielle de mai 2022, il sera déjà bien difficile apporter des réponses législatives recueillant l’approbation du plus grand nombre sur ces trois sujets ?
Ne peut-on imaginer que le gouvernement convienne que leur maintien est souhaitable, après avoir constaté la qualité de la réponse des caisses autonomes de retraites aux difficultés économiques de leurs assurés, dont celle de la CNBF qui est parvenue, sans se départir de la rigueur de gestion qui sied à de telles institutions, à débloquer des aides à destination principalement des avocats les plus fragiles.
Il se simplifierait ainsi considérablement la tâche.
Il ne s’agirait pas d’une non application de la réforme à venir aux libéraux et indépendants puisque l’ensemble des règles définies pour la totalité des assurés (v. pt 1 ci-dessus) leur serait applicable.
Resteraient à répondre à un argument pertinent qui nous fût opposé, concernant la complexité et les possibles pertes de droits qu’a à subir l’assuré qui n’a pas réalisé toute sa carrière sous un seul régime de retraite, ainsi qu’à la question de savoir jusqu’à quand l’autonomie serait maintenue.
Dans les deux cas, imaginer des réponses, qui ne seraient définitives qu’à l’issue d’une véritable concertation, est assez aisé.
Pour le premier, le maintien d’un régime proche du régime actuel obligerait à définir ou maintenir, pour le versement complet de la retraite de base, un nombre minimal d’années de cotisations.
Il suffirait alors de décider que toute personne qui a cotisé à un régime autonome qui prend sa retraite a droit, sans lui imposer un nombre minimum d’années d’affiliation, au titre de ces années là, au versement d’une fraction de la pension de retraite de base, proportionnel aux années de cotisations ainsi qu’au versement au titre de la complémentaire des sommes correspondantes aux points acquis.
Ainsi, un retraité ayant travaillé trois ans comme avocat, recevrait de la CNBF à son départ à la retraite 3/42e de la retraite de base et au titre de la complémentaire une somme égale au produit entre le nombre de points acquis durant ces trois années d’avocats et la valeur du point.
Quant au fait de savoir jusqu’à quand ces régimes pourraient demeurer autonomes, il ne doit pas être très compliqué de définir les conditions qui leur permettraient, les obligeraient ou les dispenseraient de rejoindre le système universel.
Si celui-ci est aussi idyllique qu’annoncé à longueurs de discours présidentiels ou ministériels, il n’est pas douteux que certaines professions souhaiteront le rejoindre.
Devrait donc être définies les conditions dans lesquelles une caisse, une profession ou un ensemble de professions peuvent décider de rallier le système universel et le sort des réserves de la caisse ou de la fraction correspondant aux cotisations des retrayants.
Etre et rester autonome suppose d’en avoir les moyens et de les conserver.
Il ne s’agit pas de revendiquer la conservation de l’autonomie pour le régime de retraite des avocats jusqu’à ce que les caisses soient vides, les réserves épuisées, pour que dans dix, vingt, trente ou quarante ans les avocats qui nous succéderont n’aient d’autres choix que d’en appeler à la solidarité nationale pour faire face aux pensions dues aux retraités.
En contrepartie du maintien de l’autonomie, doivent être établies les règles qui imposeront à une caisse autonome dont les perspectives économiques, à moyen ou long terme, ne seraient plus de nature à garantir le maintien de sa totale autonomie financière, d’agir sur le niveau de ses prestations et/ou celui de ses cotisations pour maintenir ou retrouver les marges qui lui sont nécessaires.
Pour le cas où cela se révélerait impossible, ou en cas de refus, elle devrait décider de rallier le système universel
Ainsi pourrait être réussi, pour les libéraux et indépendants, ce que le rapport Delevoye, et les projets qui l’ont suivi, ont allègrement raté, à savoir la nécessaire prise en compte de leur spécificité en matière de retraite, dès lors que leurs caisses autonomes sont excédentaires, tout en unifiant les régimes, en simplifiant et garantissant le versement de prestations à un assuré par chacune des caisses auxquelles il a cotisé et en fixant les conditions financières du maintien de l’autonomie des caisses.
Pour les avocats, l’autonomie de leur caisse est une condition de leur indépendance et celle-ci leur est consubstantielle.
Il n’y a pas d’état de droit sans avocats indépendants, qui impénitents impertinents questionnent au quotidien notre démocratie, l’étendue de nos libertés et le bien fondé des restrictions que tout pouvoir est tenté de leur imposer.
À cet égard, il suffit de consulter les interventions régulières du défenseur des droits, ces derniers mois, pour constater que l’actuel pouvoir ne fait, en la matière, pas exception.
Les avocats ne veulent pas, au-delà des difficultés économiques que leur créerait le régime universel, voir s’accroître leur dépendance au pouvoir en place ou à ceux qui lui succéderont.
Sachant comment l’état les maltraite, au quotidien, au travers de l’aide juridictionnelle, ils sont fondés à refuser que l’état s’immisce dans la définition du montant de leurs cotisations retraites ou dans celui des prestations qui leur seront servis.
Si la France était à la hauteur de ses proclamations en la matière, elle prendrait en compte cette spécificité du barreau et, au nom de l’état de droit, ne chercherait plus à empiéter sur l’autonomie de son régime de retraite et de sa caisse autonome.
Et gageons que la farouche volonté d’indépendance des avocats les conduirait à tout faire pour la conserver.
Telle pourrait être la saison 2 de la réforme des retraites, si nos gouvernants, aiguillonnés par des avocats qui auraient enfin trouvé des interlocuteurs désireux de dialoguer, choisissent de lui donner une fin consensuelle pour les avocats et les autres indépendants et libéraux.