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Le droit en débats

Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux : le contrat d’entreprise - Présentation générale

Par Sophie Moreil le 11 Octobre 2022

La détermination des règles applicables au contrat d’entreprise constitue l’un des chantiers importants de la réforme du droit des contrats spéciaux. Le contrat d’entreprise correspond en effet à la catégorie qui accueille la plupart des contrats de prestation de services, ceux qui ne relèvent pas d’une autre qualification, apparaissant ainsi comme une catégorie résiduelle1. Il est à ce titre devenu le second pilier de notre économie de biens et services2. Or, comme l’ont relevé les rédacteurs de l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, le chapitre consacré au louage d’ouvrage et d’industrie – terme employé dans le code pour désigner ce qui est aujourd’hui nommé « contrat d’entreprise » – « était devenu l’un des plus lacunaires au regard de l’empire conquis par l’opération qu’il contemplait »3.

En effet, ce chapitre traite de « trois espèces principales » de louage d’ouvrage et d’industrie, à savoir le « louage de service » (C. civ., art. 1779, 1°, réd. loi n° 2009-526 du 12 mai 2009), expression qui a remplacé celle de « louage des gens de travail qui s’engagent au service de quelqu’un », employée en 1804 et qui avait vocation à désigner des contrats qui relèvent aujourd’hui du droit du travail, le louage des voituriers (art. 1779, 2°), qui correspond au contrat de transport, et le louage des architectes et entrepreneurs d’ouvrage par suite de devis et marché (art. 1779, 3°), qui a été conçu pour encadrer les contrats de construction immobilière.

Mais l’autonomie prise par le contrat de travail et le contrat de transport l’ont vidé de sa substance. Reste uniquement la section consacrée aux devis et marchés, qui ne contient que treize articles, lesquels sont largement insuffisants pour encadrer un contrat dont le domaine n’a cessé de s’étendre, ne serait-ce que parce qu’ils ont été conçus en contemplation de prestations matérielles.

De ce fait, en 2022, l’essentiel du droit applicable au contrat d’entreprise résulte du droit commun des contrats, de règles élaborées par la jurisprudence, ou de dispositions très spéciales. Il était dès lors devenu indispensable de réécrire cette partie du code, afin que le titre consacré à ce contrat soit plus clair, plus accessible, et surtout qu’il constitue le reflet fidèle du droit qui lui est applicable. Les rédacteurs de l’avant-projet s’y sont employés à travers quarante-deux articles insérés au sein d’un nouveau Titre VIII bis, intitulé « contrat d’entreprise ».

S’y retrouvent bien entendu des dispositions anciennes, qui sont reprises telles qu’elles figurent déjà dans le code, auxquelles ont été rajoutées des solutions dégagées en jurisprudence, qui trouvent ainsi un ancrage textuel, comme celles relatives à la fixation et la révision du prix (art. 1760 s.), dont la pérennité avait semblé remise en cause après la réforme du droit commun des contrats. Des règles sont encore simplifiées. Les anciens articles 1788 et suivants ont par exemple été remplacés par un texte unique, l’article 1786, beaucoup plus simple, réglant la question des risques de la chose, objet du contrat.

Mais l’intérêt de l’avant-projet est surtout de compléter le code avec des solutions nouvelles et de prendre position sur des questions jusque-là controversées. Le chapitre premier contient ainsi des dispositions nombreuses, relatives à la fois à la formation du contrat, son exécution, et même sa fin. Il traite notamment de la co-traitance et la sous-traitance, jusqu’ici absentes du code civil, ou encore de l’obligation de réception, qu’il généralise à juste titre4 à l’ensemble des contrats d’entreprise. Le droit applicable au contrat d’entreprise est ainsi clarifié, modernisé et enrichi de dispositions nouvelles. Cela se constate dès les premiers articles du Titre VIII bis qui lui est consacré.

Texte de l’avant-projet

TITRE VIII BIS : DU CONTRAT D’ENTREPRISE

Article 1755
Le contrat d’entreprise est celui par lequel l’entrepreneur réalise, de façon indépendante, un ouvrage au profit de son client, maître de l’ouvrage.
L’ouvrage peut être matériel ou intellectuel.
Il consiste en un bien ou un service.

CHAPITRE I - Dispositions communes à tous les contrats d’entreprise

Article 1756
Le contrat d’entreprise peut être gratuit ou onéreux.
Il est présumé onéreux lorsque l’ouvrage à réaliser s’inscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur.

Article 1757
Lorsque l’ouvrage requiert, pour sa parfaite exécution, des prestations relevant habituellement d’autres contrats nommés, telles que la mise à disposition, la garde, la conservation, le déplacement d’un bien ou la conclusion d’actes juridiques, ces prestations obéissent, en tant que de raison, aux règles particulières régissant ces contrats.
Il en va de même s’agissant du transfert de propriété quand la réalisation de l’ouvrage emporte un tel effet.

Analyse

Qualification du contrat

Moderniser le droit applicable au contrat d’entreprise supposait d’abord de faire évoluer le vocabulaire employé. C’est ainsi que, alors que le code civil parle encore de « louage d’ouvrage et d’industrie », l’avant-projet remplace ces termes par l’expression « contrat d’entreprise ».

Cela doit être salué. En effet, outre son aspect désuet, l’expression « louage d’ouvrage » traduit une parenté avec le louage de choses qui n’est plus admissible5. Elle renvoie en outre au contrat de construction immobilière, pour lequel elle reste largement utilisée, alors que le domaine du contrat ainsi envisagé est beaucoup plus vaste et n’a cessé de s’élargir : initialement conçu comme portant sur une prestation matérielle, principalement immobilière, il englobe désormais des contrats portant sur une prestation intellectuelle6. Il était donc impossible de maintenir un vocable d’un autre temps.

Il n’est par ailleurs pas certain qu’il aurait été préférable de suivre la proposition faite dans l’offre de réforme rédigée par l’Association Henri Capitant, dont le Titre X est consacré au « contrat de prestation de service ».

Cette proposition avait vocation à modifier le périmètre du contrat d’entreprise. Le « contrat de prestation de service » a en effet un domaine plus vaste que celui de l’actuel contrat d’entreprise : il aurait couvert l’ensemble des contrats par lequel une personne s’engage à effectuer un travail à titre indépendant7. Cette nouvelle qualification n’était pas exempte de critiques. En effet, l’expression retenue était source de confusion : en droit de l’Union européenne, constitue un service toute prestation fournie normalement contre rémunération, dans la mesure où elle n’est pas régie par les dispositions relatives à la libre circulation (TFUE, art. 57, al. 1er), ce qui en fait une catégorie large. De plus, comme cela a pu être relevé, dans la sphère civile, la notion de prestation de services ne semble exclure véritablement que les contrats emportant un transfert de propriété8. À tout le moins, elle inclut des contrats qui, comme le mandat ou le dépôt, ne paraissent pas devoir être confondus avec le contrat d’entreprise9, même renouvelé.

L’expression contrat d’entreprise, si elle n’évite pas toutes les difficultés de qualification et qu’elle n’est pas nécessairement claire pour le non juriste, qui aura du mal à imaginer qu’il conclut un contrat d’entreprise en allant chez le coiffeur ou le dentiste10, présente l’avantage de renvoyer à une réalité connue, puisqu’elle est communément employée depuis les années 193011 et que ses contours ont été dessinés progressivement par la jurisprudence. Elle évite en outre tout risque de chevauchement avec d’autres contrats nommés portant sur une prestation de service exécutée à titre indépendant.

Reste que l’expression « contrat de prestation de service » a déjà fait son entrée dans le code civil avec l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime et de la preuve de l’obligation, qui a introduit deux articles l’utilisant, les articles 1165 et 1352-8. Or, si le choix de retenir l’expression « contrat d’entreprise » plutôt que celle de « contrat de prestation de service » dans le titre VIII bis permet de signifier qu’il n’y a pas d’identité de domaine entre ces articles et les dispositions figurant au sein du titre VIII bis, une difficulté apparaît : le contrat d’entreprise constitue une espèce de contrat de prestation de service, de sorte qu’il faudra déterminer l’articulation entre les dispositions du nouveau Titre VIII bis et les articles 116512 et 1352-8. Il aurait de ce fait été intéressant que les rédacteurs de l’avant-projet prennent parti sur la question13.

Place dans l’avant-projet

On notera par ailleurs que la parenté avec le louage aurait été rompu de manière plus nette si les rédacteurs de l’avant-projet avaient choisi de modifier le plan de l’avant-projet. En effet, pour des raisons historiques qui n’ont plus de lieu d’être14, le contrat de louage d’ouvrage est considéré comme une forme de louage, au côté du contrat de louage de chose (C. civ., art. 1708), et est de ce fait présenté au sein du Titre VIII consacré au louage. Moderniser ce contrat supposait d’en affirmer l’autonomie.

C’est ce qu’on fait les auteurs de l’avant-projet en changeant de vocabulaire, et en décidant de parler de contrat d’entreprise, aux lieu et place de « louage d’ouvrage ». Mais la rupture aurait pu être plus franche encore. En effet, outre le fait que le client de l’entrepreneur reste qualifié de « maître de l’ouvrage », les rédacteurs ont choisi de modifier le plan du code le moins possible, sans doute pour éviter les bouleversements inutiles, et pour maintenir la numérotation de certains articles considérés comme emblématiques, comme l’article 1793. Le contrat d’entreprise n’est de ce fait plus réglementé au Titre VIII, mais au sein d’un nouveau Titre VIII bis, qui lui est entièrement consacré.

Or, même en mettant de côté ce qui n’est sans doute qu’une erreur de plume, à savoir le fait que la numérotation des sections est continue entre le titre VIII et le Titre VIII bis, le chapitre I de ce dernier titre commençant par une section IV, la séparation d’avec l’ancien louage de choses, rebaptisé « contrat de location » ou « bail », n’est pas totale. Elle aurait été plus nette si la numérotation avait été modifiée au profit d’un IX plutôt qu’un VIII bis, qui maintient une forme de lien avec le titre qui le précède.

Il aurait même sans doute été préférable de regrouper les contrats identifiés comme étant des contrats de service dans une seconde partie de l’avant-projet, les autres contrats étant traité avant. Le prêt, que les auteurs de l’avant-projet ne conçoivent pas comme un contrat de service aurait ainsi été traité plus tôt, le contrat d’entreprise, au contraire, traité plus loin, à proximité du mandat15. Outre l’intérêt intellectuel lié au regroupement de contrats qui sont proches, cela aurait présenté le mérite de séparer physiquement le bail et le contrat d’entreprise et de lever les dernières ambiguïtés.

Définition (art. 1755)

Quoi qu’il en soit, le choix du vocabulaire est à saluer. Il en va de même de la définition du contrat d’entreprise, présentée à l’article 1755. L’alinéa 1er de cet article le décrit en effet comme le contrat « par lequel l’entrepreneur réalise, de façon indépendante, un ouvrage au profit de son client, maitre de l’ouvrage ». Cette formule se veut plus précise que celle figurant à l’actuel article 1710, lequel dispose que ce contrat correspond à celui « par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre moyennant un prix convenu entre elles » . En effet, d’une part, elle met l’accent sur ce qui constitue le critère de distinction entre le contrat d’entreprise et le contrat de travail, à savoir l’indépendance de celui qui s’engage17, et qui ne ressort sans doute pas suffisamment de la définition actuelle. D’autre part, elle abandonne la formule très large selon laquelle l’entrepreneur s’engage à « faire quelque chose », pour la remplacer par l’indication selon laquelle il « réalise (…) un ouvrage ». Cela doit permettre de mieux délimiter les contours du contrat d’entreprise, tout en évitant de créer de nouveaux risques de confusion. Le terme de « travail », un temps envisagé, aurait à l’inverse brouillé les frontières avec le contrat de travail.

Il est vrai que le terme « ouvrage » renvoie au premier abord à une prestation matérielle, alors que le contrat d’entreprise peut également porter sur des prestations intellectuelles18. En outre, à partir du moment où les auteurs de l’avant-projet ont pris le parti de ne plus parler de « louage d’ouvrage », il ne paraissait pas aberrant d’abandonner définitivement le terme « ouvrage », ou de le réserver aux contrats d’entreprises portant sur la fabrication d’un bien mobilier ou immobilier, auxquels ils consacrent par ailleurs des dispositions spécifiques (art. 1786 s. de l’avant-projet). Pourtant, ce choix est à saluer. En effet, le terme ouvrage présente le mérite de disposer de deux sens complémentaires. Selon le dictionnaire Le Littré, il désigne à la fois « l’action de faire une œuvre, de travailler », et « ce que produit un ouvrier »19. Ce terme permet ainsi de tenir compte du fait que, dans le contrat d’entreprise, l’entrepreneur s’engage à la fois à fournir un travail et à transmettre le produit de son travail, ce que les autres expressions qui auraient pu être adoptées, notamment celle de « prestation », n’auraient pas pu traduire.

Là où le choix du vocabulaire semble pouvoir être discuté, c’est en ce qui concerne la dénomination du cocontractant de l’entrepreneur, pour lequel la qualification de « maître de l’ouvrage » a été conservée, il est vrai aux côtés de celle de « client ». En effet, ce terme est peu usité en dehors des opérations de construction. Qui qualifierait le client d’une esthéticienne, d’un coiffeur ou d’un cabinet de conseil en développement personnel de « maître de l’ouvrage » ? Ce vocable est en outre parfois source de confusion en matière immobilière, les non-initiés ayant tendance à employer les termes « maître de l’ouvrage » et « maître d’œuvre » pour synonymes, alors que le premier sollicite la prestation d’un service, là où le second est lui-même un entrepreneur. Il aurait, de ce fait, sans doute été préférable de ne retenir que le mot « client », voire celui de « donneur d’ordre », si l’on souhaite tenir compte de ce que le contrat d’entreprise pourrait désormais être conclu à titre gratuit20.

Les alinéas 2 et 3 de l’article 1755 complètent la définition donnée par l’alinéa 1er de manière intéressante. Ils précisent en effet ce qu’il faut entendre par ouvrage, confirmant à la fois que les auteurs de l’avant-projet ont entendu s’appuyer sur les deux sens du terme ouvrage, et que le périmètre du contrat d’entreprise n’est pas modifié. Cet ouvrage peut en effet « être matériel ou intellectuel » (art. 1755, al. 2). Il « consiste en un bien ou un service » (art. 1755, al. 3). C’est dire que, parmi les contrats d’entreprise, certains emportent une activité purement matérielle – l’entrepreneur fabrique un bien, le répare ; il coiffe son client, etc. – quand d’autres impliquent la réalisation d’un travail intellectuel – une consultation juridique, par exemple –. Par ailleurs, parmi les prestations matérielles, certaines conduisent à la fabrication d’un bien. D’autres constituent un simple service. Tel est le cas de la prestation réalisée par un teinturier ou un garagiste21. L’emploi du terme « bien », de préférence à celui de « chose » à l’alinéa 3 permet en outre d’inclure les prestations relatives à un bien incorporel, telles que la création ou la maintenance de logiciels spécifiques22.

Caractère onéreux ou gratuit (art. 1756)

Certaines dispositions contiennent par ailleurs de vraies innovations. Tel est le cas de l’article 1756, qui précise que le contrat d’entreprise peut être gratuit ou onéreux, et qu’il est présumé onéreux lorsque l’ouvrage à réaliser est en rapport direct avec l’activité professionnelle de l’entrepreneur.

Il est vrai que la solution n’est pas entièrement nouvelle. Les tribunaux affirment de longue date que le contrat d’entreprise est « présumé » conclu à titre onéreux lorsque les parties ne se sont pas accordées sur le montant de la rémunération de l’entrepreneur dès la conclusion du contrat23, ce qui postule qu’il peut être conclu à titre gratuit.

Pourtant, à l’heure actuelle, le contrat d’entreprise est présenté comme un contrat conclu à titre onéreux. La jurisprudence peine d’ailleurs à admettre l’existence d’un contrat en présence d’une prestation de service réalisée à titre gratuit24. En outre, lorsqu’un contrat est malgré tout identifié, c’est le plus souvent25pour permettre d’engager la responsabilité de l’assisté dans le cas où son intervention aurait abouti à lui faire subir un dommage26, et non pour tirer les conséquences de l’engagement de celui qui a fourni le service.

Quoi qu’il en soit, la solution retenue dans l’avant-projet mérite d’être saluée. Elle est appelée de leurs vœux par un certain nombre d’auteurs27, qui rappellent que la distinction entre le mandat et le louage d’ouvrage ne s’opérant plus en fonction de la nature gratuite ou onéreuse du contrat, mais en fonction de l’obligation principale du prestataire, il n’y a plus de raison de considérer que le contrat d’entreprise est un contrat par essence conclu à titre gratuit.

On s’interrogera simplement sur le point de savoir si, plutôt que de faire dépendre la présomption d’onérosité du fait que le contrat ait un « rapport direct » avec l’activité professionnelle de l’entrepreneur, critère qui a montré ses limites en droit de la consommation, il ne serait pas préférable de prévoir qu’elle jouerait toutes les fois que le professionnel agit « dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle ».

Renvoi au droit applicable à d’autres contrats (art. 1757)

L’alinéa 1er de l’article 1757 dispose que, lorsque l’ouvrage requiert, pour sa parfaite exécution, des prestations relevant habituellement d’autres contrats nommés, ces prestations obéissent, en tant que de raison, aux règles particulières régissant ces contrats. Il donne par ailleurs des exemples de ces prestations : « la mise à disposition, la garde, la conservation, le déplacement d’un bien ou la conclusion d’actes juridiques ». L’alinéa 2 ajoute qu’il en va de même s’agissant du transfert de propriété quand la réalisation de l’ouvrage emporte un tel effet.

Cet article s’explique par le fait que la bonne exécution du contrat d’entreprise passe souvent par l’exécution d’obligations – l’avant-projet parle de « prestations » – complémentaires à celle de réaliser l’ouvrage, telles que l’obligation d’assurer la conservation des biens du client ou encore celle d’en effectuer le déplacement, obligations que l’on retrouve dans d’autres contrats et dont il est nécessaire d’établir le régime. L’alinéa 2 consacre quant à lui à juste titre le caractère éventuellement translatif de propriété du contrat d’entreprise28, caractère qui apparaît toutes les fois que l’entrepreneur utilise des matériaux qu’il se procure par lui-même pour exécuter sa prestation avant de les transmettre à son client29 .

On peut toutefois s’interroger sur l’utilité de cet article. En effet, d’abord, il traduit une règle plus générale, qui n’est pas propre au contrat d’entreprise : lorsqu’un contrat fait naître une obligation qui ne lui est pas propre et qu’il faut en déterminer le régime, on s’appuie sur d’autres contrats nommés qui font habituellement naître cette obligation, voire sur le droit commun des contrats. Le contrat de dépôt sert par exemple de source d’inspiration pour déterminer le régime de l’obligation de conservation qui peut naître à l’occasion d’un contrat d’entreprise, mais également d’un contrat de vente si le vendeur conserve entre les mains un bien dont l’acquéreur est déjà devenu propriétaire30. Pourquoi, de ce fait, prévoir cette règle dans le Titre consacré au contrat d’entreprise, alors qu’elle est d’application générale ? Ensuite, on peine parfois à imaginer quelles informations supplémentaires le droit propre à un autre contrat serait susceptible de fournir. Tel est le cas en matière de transfert de propriété, qui est évoqué aux articles 1778, 1788 et 1791 de l’avant-projet, auxquels le droit commun des contrats (C. civ., art. 1196 s.) semble apporter un complément suffisant. À cela s’ajoute le fait que le renvoi général est parfois doublé d’un deuxième renvoi plus précis, qui rend le premier sans intérêt. L’article 1789 précise par deux fois que, dans le contrat d’entreprise mobilière, l’entrepreneur est tenu de certaines obligations du vendeur.

Proposition alternative

TITRE IX : DU CONTRAT D’ENTREPRISE

La numérotation du Titre relatif au contrat d’entreprise paraît devoir être modifiée pour entériner la rupture entre le contrat de louage et le contrat d’entreprise. Il est donc proposé de faire du Titre VIII bis un Titre IX, voire de retenir un chiffre ultérieur, si l’on décide de modifier le plan de l’avant-projet, pour regrouper ensemble les contrats de service, et rapprocher ainsi le contrat d’entreprise du contrat de mandat.

Article 1755
Le contrat d’entreprise est celui par lequel l’entrepreneur réalise, de façon indépendante, un ouvrage au profit de son client.
L’ouvrage peut être matériel ou intellectuel.
Il consiste en un bien ou un service

L’article 1755 prend en compte les spécificités du contrat d’entreprise. Il n’est, de ce fait, pas proposé de le modifier en profondeur. Seul le terme « maître de l’ouvrage » est ôté, qui renvoie à un vocable maintenant le lien avec l’ancien louage d’ouvrage et qui n’est pas compris des non juristes.

Article 1756
Le contrat d’entreprise peut être gratuit ou onéreux.
Il est présumé onéreux lorsque l’ouvrage à réaliser s’inscrit dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur.

L’article 1756 complète utilement la définition adoptée à l’article 1755. Elle paraît de ce fait devoir être remontée en chapeau introductif du titre, avant l’annonce du Chapitre I.

Article 1757
Suppression

L’article 1757 renvoie aux règles applicables à d’autres contrats pour les prestations que l’entrepreneur serait tenu de fournir alors qu’elles se rattachent principalement à d’autres contrats nommés, ainsi que pour le transfert de propriété. Mais cet article contient une règle plus générale qui ne semble pas avoir sa place au sein des dispositions propres à un contrat spécial donné. Par ailleurs, le Titre VIII bis traite déjà de certaines de ces « prestations » pour lesquelles le renvoi est proposé, ce qui le rend peu utile. C’est la raison pour laquelle il est proposé de le supprimer.

 

1. A. Bénabent, Les principaux contrats civils et commerciaux, 14e éd., LGDJ, 2021, n° 475, p. 351 ; P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 12e éd., LGDJ, 2022, n° 497, p. 453.
2. A. Bénabent, op. cit., n° 476, p. 352.
3. P. Stoffel-Munck (ss. dir.), Avant-projet de réforme du contrat d’entreprise, juill. 2022, p. 74.
4. Sur la place à accorder à l’obligation de réception, v. S. Moreil, Les obligations nées du contrat d’entreprise, Thèse Dactyl., Université Paris 2, 2009, spéc. p. 840 s.
5. Sur l’évolution historique de ce contrat et son détachement progressif de la catégorie des louages, v. not. P. Puig, La qualification du contrat d’entreprise, Éditions Panthéon Assas, 2002, p. 13 s., spéc. n° 7 ; F. Labarthe et C. Noblot, Le contrat d’entreprise, LGDJ, 2008, p. 6 s., nos 7 s.
6. Civ. 3e, 28 févr. 1984, Bull. civ. III, n° 51. Sur l’évolution du domaine de ce contrat, v. F. Labarthe, Du louage d’ouvrage au contrat d’entreprise, la dilution d’une notion, in Études offertes à J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 489 s., not. nos 11 s.
7. Association Henri Capitant, Offre de réforme du droit des contrats spéciaux, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », juin 2020, p. 36.
8. G. Lardeux, Le contrat de prestation de service dans les nouvelles dispositions du code civil, D. 2016. 1659, spéc. p. 1661 .
9. Ils ne le sont pas dans l’avant-projet de réforme, qui consacre des dispositions propres à chacun de ces contrats : le dépôt est réglementé dans un Titre XI (art. 1915 s.), et le mandat dans un Titre XIII (art. 1984 s.).
10. Sur cette difficulté, v. not. J. Huet, Offre de réforme du droit des contrats spéciaux. Réflexions critiques sur le recours à la notion de « prestation de service » au détriment de celle de « travail indépendant », RDC sept. 2020, n° 117b5, p. 186.
11. V. supra.
12. Sur lequel, v. not., F. Labarthe, La fixation unilatérale du prix dans les contrats cadre et prestations de service. Regards interrogatifs sur les articles 1164 et 1165 du code civil, JCP 2016. 642 ; J. Moury, La détermination du prix dans le « nouveau » droit commun des contrats, D. 2016. 1013 .
13. Sur laquelle, v. not. S. Moreil, Le contenu du contrat d’entreprise, Dalloz actualité, à paraître.
14. Sur ce point, v. not. P. Puig, op. cit. ; F. Labarthe et C. Noblot, op. cit.
15. Plaidant en ce sens, v. not., G. Chantepie et M. Latina, Observations générales sur l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, D. 2022, à paraître.
16. F. Labarthe, Du louage d’ouvrage au contrat d’entreprise, la dilution d’une notion, art. préc., p. 489 s., spéc. n° 19.
17. V. insistant sur ce critère, Civ. 1re, 19 févr. 1968, Bull. civ. I, n° 69. Le salarié, au contraire, est lié à son employeur par un lien de subordination juridique ; v. Soc. 13 nov. 1996, n° 94-13.187 P, D. 1996. 268 ; Dr. soc. 1996. 1067, note J.-J. Dupeyroux ; RDSS 1997. 847, note J.-C. Dosdat
18. V. supra.
19. E. Littré, Dictionnaire de la langue française, T. 3, Ouvrage, Paris, 1873-1874.
20. Art. 1746 de l’avant-projet.
21. Reprenant une classification comparable, v. not., S. Moreil, Les obligations nées du contrat d’entreprise, Thèse Dactyl., Université Paris 2, 2009, spéc. p. 50 s.
22. S. Moreil, op. cit., spéc. p. 54 s.
23. Civ. 3e, 17 déc. 1997, n° 94-20.709 P.
24. En ce sens, v. not. Civ. 2e , 22 juin 1955, D. 1956. Somm. 48 ; 21 mai 1997, n° 95-19.118 ; 24 oct. 1963, D. 1964. Somm. 73 ; 26 janv. 1994, n° 92-14.398. V. toutefois, à propos d’une prestation fournie par un architecte, Civ. 3e, 3 juill. 1996, nos 94-16.827 et 94-18.377, RDI 1996. 579, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; ibid. 581, obs. P. Malinvaud et B. Boubli .
25. Civ. 3e, 3 juill. 1996, nos 94-16.827 et 94-18.377, préc.
26. Civ. 1re, 27 janv. 1993, n° 91-12-131 P.
27. v. not., S. Moreil, op. cit., passim., not. p. 24 et les réf. citées, spéc. J. Huet, Les principaux contrats spéciaux. Traité de droit civil, 2e éd., LGDJ, 2001, n° 32113, p. 1250 s. ; J.-F. Overstake, Essai de classification des contrats spéciaux, LGDJ, Bibl. droit privé, 1969, p. 213 ; P. Puig, La qualification du contrat d’entreprise, op. cit., n° 29.
28. Reprenant les débats autour de ce caractère translatif du contrat d’entreprise, v. not. S. Moreil, op. cit., nos 896 s., p. 867 s. ; v. aussi, P. Puig, Le contrat d’entreprise translatif de propriété, in Etudes offertes à Jacques Dupichot, Liber amicorum, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 393 s.
29. On retrouve à ce titre la mention du transfert de propriété aux art. 1788 et 1791 de l’avant-projet, respectivement relatifs au contrat d’entreprise mobilière et au contrat de construction.
30. Une telle obligation naît toutes les fois qu’une personne a le bien d’autrui entre les mains. Sur laquelle, v. not., C. Brunetti-Pons, L’obligation de conservation, PUAM, coll. « Institut de droit des affaires », 2003.