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Le droit en débats

Réformer la justice des mineurs par ordonnances ? Les prérequis pour une réforme de l’ordonnance de 1945

Le 11 décembre dernier, l’Assemblée nationale a voté en première lecture le projet de loi de programmation et de réforme de la justice nationale. Ce texte, en son article 52 A, a accueilli un amendement du Gouvernement habilitant ce dernier à réformer par voie d’ordonnance l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante1. Or, le vote de ces dispositions, présentées dans la précipitation, à la surprise générale et à un stade avancé de la navette parlementaire, ainsi que le moyen prévu interrogent.

Par Audrey L’Épée-Boulanger le 20 Décembre 2018

Une réforme indispensable …

De l’avis général, cette réforme s’impose, car l’ordonnance de 1945, modifiée par près d’une quarantaine de lois, est illisible et a perdu sa cohérence globale.

Déjà en 2008, la commission Varinard y avait réfléchi, mais le projet de code de justice pénale des mineurs annoncé par Rachida Dati a été abandonné. Plus récemment, Christiane Taubira puis Jean-Jacques Urvoas ont travaillé sur un projet de codification très aboutie. D’ailleurs, l’article 52 A reprend opportunément les annonces de François Hollande devant la Cour de cassation en 2013, lorsque le président de la République s’était exprimé pour « une loi [qui] clarifiera et simplifiera l’ordonnance de 1945, autour de quelques principes. [Pour] permettre […] de se prononcer rapidement sur la culpabilité du mineur […] avec, le cas échéant, un droit immédiat à la réparation pour les victimes ».

Bien que Nicole Belloubet ait annoncé dès novembre 2017 vouloir relancer le sujet, elle n’avait rien inscrit en ce sens dans le projet de loi initial, et a attendu le débat devant l’Assemblée nationale pour déposer son amendement. Il semble qu’il faille comprendre cette stratégie comme une réponse à une proposition de loi déposée le 7 novembre 2018 par Éric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, relative à la « lutte contre la délinquance des mineurs ». Le député propose l’abrogation de l’ordonnance de 1945 et la création d’un code de justice pénale des mineurs. Il s’agit pour lui de remobiliser son électorat autour d’un thème qui lui est cher mais aussi de défendre la suprématie d’une réponse pénale ferme, d’autant que le gouvernement a adopté une posture proche en annonçant la création de vingt centres éducatifs fermés, ou, plus récemment, une réflexion sur « une politique de responsabilisation des familles de mineurs qui vont trop loin » (J.-M. Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse).

Pourtant, au-delà de l’effet d’annonce, le contenu de cette proposition n’est guère inquiétant au regard de sa faible chance de survie à un contrôle de constitutionnalité. Ainsi, par exemple, « affirmer la primauté de la sanction sur toute autre réponse » se pose en contradiction avec les principes fondamentaux retenus par le Conseil constitutionnel (décision du 29 août 2002), et les engagements internationaux de la France (Convention internationale des droits de l’enfant du 20 nov. 1989 ; Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile du 14 déc. 1990), y compris en Europe (Recommandation du Comité des ministres sur les réactions sociales à la délinquance juvénile [n° R(87)20 du 17 septembre 1987]).

Mais Éric Ciotti n’hésite pas à recourir à de la désinformation lorsqu’il affirme vouloir « Supprimer la césure du procès pénal introduite par la loi du 18 novembre 2016 ». En effet, cette procédure a été introduite sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à l’occasion de la loi du 10 août 2011, à la suite d’un amendement déposé par Messieurs Warsmann et Huyghe, et voté par la commission des lois de l’Assemblée nationale dont Éric Ciotti était membre, avec le soutien explicite du garde des Sceaux d’alors, Michel Mercier.

… Mais qui doit répondre à des prérequis

Il semblerait que les travaux engagés par l’actuelle ministre, en plus de reprendre les principes posés par François Hollande, s’appuient sur ce qui avait été préparé sous son autorité. Si tel est bien son projet, la procédure d’ordonnance serait acceptable, sous réserve que d’éventuelles modifications de fond ne viennent pas aggraver la situation pénale des adolescents concernés.
En effet, les réajustements de l’ordonnance de 1945 opérés par la loi du 18 novembre 2016, sous le ministère de Jean-Jacques Urvoas, portaient en germe les grands axes de la réforme travaillée sous ce quinquennat. Ils permettent aujourd’hui de soutenir la faisabilité d’une réforme par la voie de l’ordonnance, puiqu’ont déjà été votés :

  • la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs ;
  • le rétablissement de la convocation devant le seul juge des enfants aux fins de jugement en cabinet pour les affaires les plus simples, sans instruction préalable ;
  • la prorogation du délai de césure du procès, pour donner plus de temps au travail éducatif ;
  • la possibilité de cumuler une peine avec toute mesure éducative, pour déplacer au stade post-sententiel le travail éducatif pour un jugement initial plus rapide.

Le seul aspect qui pourrait nécessiter un débat de fond serait la généralisation de la procédure de césure du procès pénal. Mais pour cela, encore faudrait-il qu’il existe une proposition alternative permettant de répondre aux exigences constitutionnelles. En effet, la question n’est pas de trancher s’il faut généraliser ou non la césure du procès pénal, mais de savoir quel dispositif procédural permettrait de répondre aux exigences constitutionnelles d’impartialité du juge. Celles-ci interdisent au juge des enfants qui a porté une appréciation sur les charges durant l’instruction de présider le tribunal pour enfants qui statue sur la culpabilité (Cons. const., 8 juill. 2011, n° 2011-147 QPC, D. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ fam. 2011. 435, obs. V. A.-R. ; ibid. 391, point de vue L. Gebler ; AJ pénal 2011. 596, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2011. 728, chron. C. Lazerges ; ibid. 2012. 227, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2011. 756, obs. J. Hauser ).

Ce principe, repris expressément par la loi du 26 décembre 2011, est en l’état du droit inapplicable par les juridictions de petite taille, qui ont dû développer des pratiques de contournement légalement contestables, les juges d’instruction n’étant pas en mesure d’absorber la masse de dossiers correspondant.

Or, il n’est pas acceptable que, selon la taille de la juridiction, la procédure appliquée soit différente, sous peine de créer une justice à deux vitesses. Il faut donc supprimer la phase d’instruction devant le juge des enfants et les professionnels du droit s’accordent pour dire que la césure du procès pénal est la seule réponse procédurale à cette contrainte. Toutefois, la généraliser constitue un changement de paradigme difficile à réaliser, du fait de son impact sur les pratiques. Cela ne saurait s’opérer sans un renforcement des moyens humains et des formations adéquates.

En définitive, on l’aura compris, une réforme par voie d’ordonnance n’est pas critiquable en soi, mais nécessite des préalables sur lesquels le gouvernement devra rapidement s’exprimer :

  • la non-abrogation de l’ordonnance de 1945 pour maintenir son préambule en droit positif ;
  • la diffusion immédiate du projet d’ordonnance, sur la base de la réforme préparée sous le précédent quinquennat, pour engager un débat2 ;
  • l’absence de modifications allant dans le sens d’une aggravation de la procédure, des contraintes ou de la situation pénale des mineurs ;
  • la communication de l’étude d’impact et des garanties budgétaires et de création de postes de magistrats et de professionnels de la Protection judiciaire de la jeunesse.

 

 

* Auteure de la note, Quelques prérequis pour réformer l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, publiée par le think tank L’Hétairie.
1. Art. 52 A : « I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour :
1° Modifier et compléter les dispositions relatives à la justice pénale des mineurs, dans le respect des principes constitutionnels qui lui sont applicables et des conventions internationales, afin de :
a) Simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants ;
b) Accélérer leur jugement pour qu’il soit statué rapidement sur leur culpabilité ;
c) Renforcer leur prise en charge par des mesures probatoires adaptées et efficaces avant le prononcé de leur peine ;
d) Améliorer la prise en compte de leurs victimes.
2° Regrouper et organiser ces dispositions dans un code de la justice pénale des mineurs.
II. - L’ordonnance est prise dans un délai de six mois suivant la publication de la présente loi.
III. - Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de l’ordonnance. »
2. L’Hétairie a publié le texte concerné pour accompagner la note précitée.