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Le droit en débats

Les règles de procédure civile instaurées par la pratique : la valeur des règles*

Le 14 octobre 2022, l’Université Lumière Lyon 2 a organisé, sous la direction du professeur Jérémy Jourdan-Marques, un colloque intitulé Le droit concurrencé par la pratique. Réflexions autour de l’infraprocédure civile. Cet événement, qui réunissait universitaires, avocats, magistrats, greffiers, huissiers de justice et étudiants entendait poser une question : « La procédure civile se trouve-t-elle dans le code de procédure civile ? ».
Le constat dressé à l’issue du colloque est que les règles ne sont pas toujours identiques à Paris ou à Marseille, au conseil de prud’hommes et devant le juge aux affaires familiales. Faut-il voir dans ce vaste mouvement l’émergence d’une procédure civile infraréglementaire, une infraprocédure civile ?
Dans une série de quatre articles, les intervenants au colloque reviennent sur ces questions. À l’occasion du deuxième article, le professeur Jérémy Jourdan-Marques s’intéresse à la valeur des règles instaurées par la pratique.

Par Jérémy Jourdan-Marques le 24 Février 2023

En principe, la question de la valeur des règles créées par la pratique, la fameuse infraprocédure civile, devrait être rapidement réglée. La réponse à cette question devrait être simple et ne souffrir d’aucune ambiguïté : les règles infraprocédurales n’ont aucune valeur et elles peuvent, au mieux, être qualifiées de soft law et inciter les acteurs du procès à suivre de bonnes pratiques.

C’est d’ailleurs le sens de la jurisprudence, qui prive de toute portée les règles qui dérogent aux textes. Les solutions retenues en matière de protocole de procédure sont révélatrices1. La Cour de cassation énonce que « les conventions passées entre une cour d’appel et les barreaux de son ressort, aux fins de préciser les modalités de mise en œuvre de la transmission des actes de procédure par voie électronique, ne peuvent déroger aux dispositions de l’article 930-1 du code de procédure civile, notamment en en restreignant le champ d’application »2. Comme le remarque la doctrine, « les protocoles de procédure ne peuvent imposer des règles de droit dur au-delà du code de procédure civile »3. Si cette modification des règles procédurales est prohibée dans le cadre d’un accord entre la juridiction et le barreau4, il y a tout lieu de penser qu’il en va de même, a fortiori, pour les initiatives de la seule juridiction, des magistrats, des greffiers voire des informaticiens de la chancellerie.

D’ailleurs, si l’on regarde du côté de la jurisprudence relative à l’utilisation de la voie électronique, on se rappelle que la Cour de cassation en a retenu une appréciation très stricte – si ce n’est rigide – lorsqu’un arrêté technique venait à manquer. C’est ainsi que, pendant plusieurs années et jusqu’à un arrêté du 20 mai 2020, la saisine par voie électronique du premier président a été interdite5, en dépit de l’existence de « tuyaux »6. Ainsi, la deuxième chambre civile véhicule l’idée, somme toute audible, que le procès civil fait l’objet d’un encadrement textuel fort, où ce qui est autorisé, permis ou interdit ressort nécessairement du code de procédure civile ou des arrêtés pris en son application.

À ce titre, l’infraprocédure civile, si elle existe, ne devrait constituer que du droit souple. Elle ne devrait pas pouvoir être sanctionnée, faute d’autorisation pour les acteurs du procès civil de prévoir des règles additionnelles au code.

Ces solutions ne sont d’ailleurs pas sans logique. Ainsi, l’exigence de recourir à la voie législative ou réglementaire ouvre la voie à un contrôle juridictionnel des règles de procédure civile, aussi bien quant à son auteur que son contenu. La loi du 21 novembre 2019 a donné lieu à un contrôle complet de la part du Conseil constitutionnel et même à une annulation de certaines dispositions7. De même, la majorité des textes édictés en procédure civile fait l’objet d’une saisine du Conseil d’État, qui veille à leur légalité interne et externe. Un exemple marquant vient d’être donné par la décision du 22 septembre 2022, à l’occasion de laquelle une variété de dispositions du décret du 11 décembre 2019 a été examinée et certaines ont été annulées8. Il est vrai que, aussi bien devant le Conseil constitutionnel que devant le Conseil d’État, l’exercice est parfois frustrant. L’essentiel des dispositions est validé sur le fondement de l’objectif de bonne administration de la justice9, qui permet d’écarter toute atteinte excessive au droit d’accès au juge. Reste qu’un tel contrôle, en amont, de légalité, de conventionnalité et de constitutionnalité constitue un pilier de l’état de droit. À ce titre, faute de telles garanties, l’infraprocédure civile devrait être dénuée de toute portée.

C’est d’ailleurs, il faut bien l’admettre, très souvent le cas. Les règles infraprocédurales sont destinées à guider les parties, voire à les inciter à adopter un comportement. Dans un cas comme dans l’autre, aucune sanction ne découle de leur ignorance10. C’est ce qui résulte des discussions qui ont pu avoir lieu à l’occasion de la table ronde. L’exemple le plus révélateur est celui des guides édictés par une chambre au profit des justiciables afin d’éclairer les règles procédurales. La pratique contribue à mettre de « l’huile dans les rouages » et concourt à une bonne administration de la justice. Une telle logique, qu’elle relève d’une volonté de guider ou d’inciter, est salutaire et ne soulève guère de difficultés. Il en va tout autrement lorsque, derrière la règle, émerge une sanction. On passe alors de l’incitation à la contrainte.

Il faut d’abord se convaincre de l’existence d’une telle forme de contrainte, car cela n’a rien d’évident. Existe-t-il réellement des pratiques, outrepassant les dispositions du code de procédure civile, imposées au justiciable et sanctionnées à défaut d’observation ? Une fois cet état des lieux réalisé, il faudra s’intéresser à la contestation de cette contrainte, c’est-à-dire aux voies ouvertes au justiciable pour faire valoir ses droits lorsque rien n’est prévu par le code.

L’existence d’une contrainte résultant des pratiques d’infraprocédure civile

La jurisprudence de la Cour de cassation est très claire : il ne peut y avoir de règles s’imposant aux parties en dehors de celles fixées par les textes. Pourtant, nul ne peut contester qu’elles existent et le tableau dressé par le professeur Sylvain Jobert suffit à s’en convaincre11. Reste que c’est une chose que de dire que de telles pratiques existent, c’en est une autre que d’affirmer qu’elles sont contraignantes et assorties de sanctions. Au vrai, une partie des praticiens du droit ne saurait en douter : il s’agit des avocats, qui y sont confrontés quotidiennement12. En revanche, il est nécessaire de prouver leur existence aux yeux des autres acteurs, qu’il s’agisse des magistrats, des universitaires, des greffiers ou des justiciables. À cette fin, il faut voir que ces sanctions sont de sources très diverses, ce qui conduit à une grande hétérogénéité de leurs effets.

La diversité des sources

En procédure civile, en principe et sauf rares exceptions, la seule autorité susceptible de sanctionner un comportement contraire aux exigences du code est le juge, par l’exercice de son pouvoir juridictionnel. L’infraprocédure civile révèle une réalité différente. Le juge n’est plus le seul auteur de la sanction. Avec lui, le greffe voire l’outil informatique peuvent en être à l’origine. Pour le comprendre, il faut envisager la diversité de formes que peut revêtir la sanction.

Premièrement, il est des cas, en particulier pour l’outil informatique, où un acte ne peut tout simplement pas être réalisé. Le paramétrage du logiciel est à l’origine d’une incapacité matérielle de réaliser l’acte. C’est l’hypothèse classique où il est demandé une mention spécifique sans laquelle l’utilisateur ne peut passer à l’étape suivante13. Il faut alors « forcer » le logiciel, comme l’avait préconisé la Cour de cassation dans l’affaire Lucas14, faute de quoi il ne se passe rien.

Deuxièmement, le justiciable peut être confronté à un silence. Cette fois, l’acte est transmis, mais il ne produit pas les effets escomptés, sans que personne ne réagisse. Partant, la procédure n’est plus en mesure d’avancer. On peut imaginer une telle hypothèse si, pour une assignation, aucune date n’est disponible ou si une demande de fixation est réalisée et reste sans réponse. Cette dernière hypothèse est loin d’être théorique. Elle a donné lieu a une jurisprudence de la Cour de cassation révélant que les parties s’exposent à une péremption en dépit de leur demande de clôture et de fixation15.

Troisièmement, l’acte est rejeté sans décision formalisée. On se trouve ici dans une vaste catégorie ou des comportements variés peuvent signifier une chose identique : un refus de faire produire les effets escomptés à un acte. Celui-ci peut être écrit ou oral. L’hypothèse qui vient spontanément à l’esprit est celle des fameuses « irrecevabilités greffe »16 ou « avis de refus »17. La décision n’est pas juridictionnelle – au moins par la forme – mais elle en présente tous les atours dans ses effets. Les exemples sont variés. Le cas le plus classique est celui de l’erreur de numéro RG dans la transmission d’un acte de procédure par l’avocat18, à tel point que cette difficulté a déjà fait l’objet d’arrêts de la Cour de cassation19. Toutefois, d’autres situations existent, en particulier si le greffe estime que la chambre20 voire la juridiction21 saisie n’est pas la bonne. On se trouve ici au cœur du problème, dès lors que l’avis de refus est décidé par une personne dépourvue de toute autorité juridictionnelle et qu’il constitue un obstacle difficilement surmontable pour le justiciable22.

Quatrièmement, une véritable décision de justice formalise la mise en œuvre de la règle infraprocédurale. C’est le juge qui la prononce, à l’occasion de la décision qu’il rend. Rien ne différencie ici la règle infraprocédurale sanctionnée de la règle procédurale sanctionnée, si ce n’est que la sanction mise en œuvre ne résulte pas d’une disposition figurant dans le code. Les exemples sont très nombreux et il suffit de penser à toutes les jurisprudences de la Cour de cassation consacrant des solutions initiées par les juridictions inférieures. Pour n’en donner que deux exemples, citons la jurisprudence sur l’annexe de la déclaration d’appel23 ou celle sur l’effet dévolutif des conclusions24.

Pourquoi une telle typologie ? Tout simplement parce que toutes les sanctions ne soulèvent pas les mêmes difficultés. Là où il existe un traitement procédural codifié pour certaines décisions, en particulier celles qui émanent du juge – les voies des recours – c’est le néant pour d’autres, notamment lorsque l’on est confronté à un refus informel du greffe. Cette diversité est à l’origine d’une hétérogénéité des effets de la contrainte qui rend la problématique difficilement saisissable.

L’hétérogénéité des effets

La procédure civile connaît une riche palette de sanctions, d’intensité et d’efficacité variable : nullité(s), irrecevabilité, caducité, péremption, radiation, clôture, absence d’effet dévolutif, absence de saisine. Ces sanctions, si elles sont diverses et emportent des effets distincts, présentent certains traits communs. D’une part, elles sont toutes prononcées par la juridiction saisie de l’instance ; d’autre part, elles sont matérialisées par une décision qui prononce la sanction, de façon directe ou indirecte.

Cette double caractéristique est essentielle, puisqu’elle ouvre la voie à une contestation de la sanction. Certes, certaines sont insusceptibles de recours. C’est le cas lorsque le code prévoit que la sanction est prononcée par voie de mesure d’administration judiciaire25, en particulier la radiation26, ou encore lorsque le code exclut tout recours, comme pour l’ordonnance de clôture27. Reste que, même en ces matières, la jurisprudence évolue, au point d’avoir récemment consacré l’hypothèse d’un recours pour excès de pouvoir contre une mesure d’administration judiciaire de radiation28.

Il est donc nécessaire d’observer si, en matière de règles infraprocédurales, cette faculté bénéficie également aux parties. C’est le cas pour une partie d’entre elles, dès lors que la sanction présente toutes les caractéristiques d’une décision juridictionnelle. Il en va en revanche autrement pour les autres, que l’on pourrait considérer comme relevant d’une catégorie quasi juridictionnelle.

Les sanctions résultant d’une décision juridictionnelle

Il y a des règles d’infraprocédure civile pour lesquelles il ne fait pas de doute que la sanction prononcée est de nature juridictionnelle : elles sont mises en œuvre par une juridiction et rendues au moyen d’une décision de justice. C’est le cas, par exemple, chaque fois que le juge retient une irrecevabilité29 qui n’est pas issue d’un texte, mais d’une pratique.

Si cette situation n’éteint pas toutes les difficultés théoriques, la voie pour la contester est parfaitement connue. Par la nature de la sanction prononcée et par son auteur, la décision est susceptible de recours. S’il n’est jamais agréable d’en arriver là, le praticien sait qu’il est en mesure de faire remonter sa contestation et de faire trancher la légalité de la pratique. Au mieux, elle sera condamnée par les juridictions supérieures. Cela a permis notamment à la Cour de cassation de se prononcer sur les règles prévues dans les protocoles de procédure et de rappeler qu’elles ne pouvaient s’imposer30. Au pire, elle sera validée par les juridictions supérieures, qui transformeront la pratique en jurisprudence.

La consécration d’une pratique par la jurisprudence n’est d’ailleurs pas sans créer ses propres difficultés. À titre principal, elle conduit à généraliser une pratique parfois isolée et son application rétroactive peut emporter des effets délétères pour les justiciables31. Il faut toutefois en souligner certains avantages. Premièrement, par cette consécration, la règle est portée à la connaissance de tous, ce qui n’est pas anodin. Deuxièmement, bien que cela reste trop rare, il est possible que la Cour de cassation décide de moduler dans le temps les effets de la jurisprudence nouvelle32. Troisièmement, et quand bien même on peut s’étonner que la juridiction qui entérine la pratique soit aussi celle qui lui délivre un brevet de conventionnalité, on peut se réjouir de la possibilité de contester la solution au regard des exigences du procès équitable, le cas échéant en saisissant la Cour européenne des droits de l’homme.

Les sanctions résultant d’une décision quasi juridictionnelle

La question est plus complexe lorsque, par son auteur ou par sa forme, la sanction prononcée ne présente pas les atours d’une décision juridictionnelle. C’est le cas si la décision est prise, par exemple, par un greffier, voire directement par un logiciel informatique. C’est encore le cas si la décision n’est pas formalisée positivement, mais si elle résulte simplement d’un silence, d’une incapacité à obtenir quelque chose ou encore d’un blocage. L’exercice d’une voie de recours n’est pas possible, à tout le moins pas de façon immédiate.

Évacuons d’emblée l’hypothèse du silence gardé. Contrairement à une décision positive, qui est matérialisée et peut être contestée, un silence est insaisissable. C’est une vraie difficulté à laquelle le plaideur est confronté lorsqu’il se heurte à l’inertie de la juridiction, qui laisse le temps s’écouler, lequel peut conduire, à moyen terme, à une prescription, une forclusion, une péremption d’instance voire un déni de justice. Les praticiens usent de subterfuges pour échapper à cette situation. Le plus souvent, il s’agit de renouveler l’acte, dans l’espoir d’obtenir un effet et, à tout le moins de préserver ses droits33.

Envisageons ensuite l’hypothèse d’une sanction positive. Là encore, elles sont de nature variable.

Spontanément, on peut penser qu’il y a deux types de sanctions : les sanctions temporaires et les sanctions définitives. Les premières peuvent être considérées comme temporaires en ce qu’elles ne sont pas irréversibles : l’auteur de l’acte peut se conformer à l’exigence pour atteindre l’effet escompté ; à l’inverse, la sanction définitive n’autorise pas une réitération de l’acte : elle est de nature à mettre fin au procès ou, a minima, d’entraver l’exercice de ses droits par une partie. Pour le théoricien, il n’y a pas vraiment de différence entre les deux. Dans un cas comme dans l’autre, il y a bel et bien une sanction et celle-ci est prononcée en dépit de tout fondement textuel et, le plus souvent, par une autorité dépourvue de toute prérogative en ce sens. En revanche, pour le praticien, cela change tout. Il est à peu près certain, et c’est en tout cas ce qui résulte des discussions à l’occasion de la table ronde, qu’un avocat, s’il en a l’opportunité, préférera toujours réitérer son acte en respectant les formes imposées – indépendamment de leur légitimité – plutôt que de contester la sanction.

Disons-le, cette forme de sanction est la plus sournoise. Apparemment indolore, elle repose en réalité sur la faculté d’adaptation et de réaction des conseils. Pris entre le marteau de la juridiction et l’enclume du client, ces derniers n’ont d’autres choix que de s’y conformer. Ainsi, l’infraprocédure civile devient incontrôlée et incontrôlable. Elle est suffisamment contraignante pour dissuader quiconque de s’y opposer, tout en se gardant bien d’emporter des effets définitifs qui risqueraient d’ouvrir la voie à une contestation.

C’est toute la différence avec la sanction définitive. Immanquablement, le justiciable qui s’y trouve confronté tentera de faire valoir ses droits. Pour cela, il n’a d’autre choix que de forcer une voie de recours. On en trouve des illustrations en jurisprudence où, de façon indirecte, c’est la sanction du greffe qui est examinée. C’est le cas par exemple d’un message de refus du greffe qui conduit la partie à transmettre un second acte hors délai34 ou lorsque l’utilisation de certaines voies de communication prévues par le code sont refusées par la juridiction35. Cette contestation indirecte, lorsqu’elle est possible, doit être privilégiée. Elle consiste, le plus souvent, à réitérer l’acte, quitte à être hors délai ou nul, pour forcer la juridiction à trancher.

Malheureusement, cette voie n’est pas toujours possible. C’est le cas si l’obstacle ne peut pas être franchi et qu’aucune instance n’est susceptible de se matérialiser du fait d’une règle infraprocédurale. Il faut alors envisager l’hypothèse d’une voie de recours directement contre la « décision ».

La nécessité d’ouvrir une voie de recours contre les sanctions quasi juridictionnelle

Envisager la question d’une voie de recours contre des sanctions prononcées par une autorité dépourvue d’un tel pouvoir revient sans doute à prendre la question par le mauvais bout. En réalité, il faut bien le dire : seul un juge, dans l’exercice de sa mission juridictionnelle et par l’usage des formes appropriées, devrait pouvoir, en l’état du droit positif, sanctionner les erreurs procédurales des parties. Tel n’est pas le rôle des autres acteurs, en particulier du greffe, de constater le défaut d’une mention ou encore la saisine d’une mauvaise chambre36. Ceci étant, ces situations existent et il convient d’envisager une réponse appropriée, en particulier par l’aménagement d’une voie de recours. Deux formes de recours au moins sont envisageables.

La première consiste à suivre la logique judiciaire et à ouvrir un recours juridictionnel contre la décision du greffier. En l’état du droit positif, il n’y a aucun texte susceptible de fonder, de façon générale, un tel recours. Néanmoins, il existe très ponctuellement des hypothèses dans le code où une décision du greffier peut faire l’objet d’un recours. C’est le cas en matière de délivrance de copies d’actes37, de vérification du montant des dépens38, de mandat de protection future lorsque le greffier refuse de signer le mandat39 ou d’homologation par le greffe d’un accord contresigné par avocats40. C’est sans doute cette piste qui doit être privilégiée. On peut se demander si, à terme, il ne faudrait pas envisager la généralisation des voies de recours contre toute décision du greffe susceptible d’affecter les droits des parties.

La seconde forme est beaucoup plus audacieuse. Elle consiste à appliquer une logique de droit administratif pour tenter de contourner la difficulté. Dans un premier temps, cela peut passer par l’exercice d’un recours hiérarchique, en tout cas lorsque la décision émane du greffe. Le recours peut être exercé, selon les hypothèses, devant le directeur de greffe, qui dirige les services du greffe selon l’article R. 123-3, alinéa 1er, du code de l’organisation judiciaire ou devant le président du tribunal judiciaire, qui exerce une autorité hiérarchique sur le directeur de greffe selon l’article R. 123-3, alinéa 4, du code de l’organisation judiciaire. Toutefois, au-delà de ce premier recours hiérarchique, la question se pose d’une potentielle saisine des juridictions administratives d’un recours pour excès de pouvoir. L’hypothèse, si elle prête à sourire, ne doit pas être d’emblée rejetée. En principe, la compétence administrative est exclue, sur le fondement de la séparation des pouvoirs, lorsque la question porte sur l’exercice de la justice civile41. La question est toutefois plus délicate en matière d’organisation des services judiciaires. Un auteur souligne même que « la ligne de partage entre ce qui relève de l’organisation et du fonctionnement reste complexe et incertaine »42. Le Tribunal des conflits a admis l’exercice d’un recours devant les juridictions administratives contre une décision d’un procureur de la République43. Le critère retenu est que la décision n’influe pas sur le déroulement d’une procédure judiciaire44. À cet égard, lorsque l’on évoque l’infraprocédure civile, on se situe le plus souvent dans le champ de cette exception. Reste que certains auteurs ont récemment théorisé l’idée d’un « rapport de service public de la justice »45 et précisé que le lien unissant le justiciable et la juridiction voire le greffe peut, dans certaines hypothèses, être un lien « administratif ». Il y a des hypothèses qui pourraient potentiellement entrer dans cette catégorie, en particulier celles relatives à l’obtention d’une date d’audience.

Quoi qu’il en soit, il faut convenir que la situation actuelle ne peut satisfaire personne. On constate, d’une part, une multiplication des règles infraprocédurales contraignantes, qui résultent le plus souvent d’une nécessité d’organisation interne des juridictions. D’autre part, le traitement de ces difficultés est souvent délégué aux greffiers, sans aucun cadre légal. Il est aujourd’hui nécessaire de prendre conscience du rôle de plus en plus important joué par ces derniers, et de réfléchir, comme ça a été le cas auparavant, à reconnaître les compétences et le rôle qu’ils ont à jouer dans le déroulement de la procédure civile46.

 

Notes

* L’auteur tient à remercier les participants à la table ronde, Monsieur Simon Chardenoux, Maître Marine Martens et Madame Corinne Roucairol, dont les interventions ont enrichi la discussion dont le contenu constitue une source d’inspiration pour cet article.

1. Sur cette question, C. Bléry, Protocoles de procédure, in Droit et pratique de la procédure civile 2021/2022, Dalloz Action, 2021, n° 411.00 s.

2. Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; JCP 2019. 2072, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 25, obs. D. Bensaude ; Procédures 2019, n° 12, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 50, p. 45, note P. Casson ; v. égal., Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.234, Dalloz actualité, 7 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2353 , note C. Bléry ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal. 6 févr. 2017. 60, obs. N. Hoffschir ; 1er mars 2018, n° 16-25.462, Dalloz actualité, 13 mars 2018, obs. C. Bléry ; D. 2018. 517 ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne ; JCP 2018. 514, obs. L. Raschel.

3. C. Bléry, Le protocole, le recours en annulation et la communication par voie électronique, Dalloz actualité, 2 oct. 2019.

4. En dernier exemple, on citera la Charte de présentation des écritures signée à la Cour de cassation le 30 janvier 2023, qui évoque un « guide de bonnes pratiques non contraignant mis à la disposition des avocats et pouvant servir de base à la signature de protocoles locaux avec les juridictions ».

5. Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-20.047, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; JCP 2018. 1174, obs. Gerbay ; 6 juill. 2017, n° 17-01.695, Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 61, note C. Bléry.

6. Selon la fameuse expression de Corinne Bléry. V., en dernier lieu à ce sujet, C. Bléry, Application surprenante de la règle « quand il y a les tuyaux, il y a le droit », Dalloz actualité, 13 janv. 2023.

7. Cons. const. 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, v. différents commentaires sur Dalloz actualité ; AJDA 2019. 663 ; D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2019. 172, obs. V. Avena-Robardet ; Constitutions 2019. 40, chron. P. Bachschmidt .

8. CE 22 sept. 2022, n° 436939, Dalloz actualité, 2 oct. 2022 et 3 oct. 2022, obs. M. Barba ; Lebon ; AJDA 2022. 1817 ; D. 2022. 1912 ; ibid. 2096, entretien M. Barba .

9. CE 26 mars 2021, n° 438146, à propos des décrets n° 2009-1524 du 9 déc. 2009 relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile, n° 2010-1647 du 28 déc. 2010 modifiant la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile et n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile ; v. égal., CE 30 déc. 2020, n° 442116, à propos de l’art. 38 du décret n° 91-1266 du 19 déc. 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juill. 1991 relative à l’aide juridique, dans sa rédaction issue des décrets n° 2016-1876 du 27 déc. 2016 et n° 2017-891 du 6 mai 2017 ; CE 13 nov. 2019, n° 412255, à propos du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile ; v. encore, CE 30 déc. 2019, n° 436941, à propos d’un référé suspension du décret n° 2019-1333 du 11 déc. 2019 réformant la procédure civile, D. avocats 2020. 48, étude E. Raskin et Roy Spitz .

10. Même dans le code de procédure civile, il existe des règles dont l’objet est d’inciter à suivre une bonne pratique, sans pour autant en tirer une sanction immédiate et radicale. Les dispositions des art. 768 et 954 du code de procédure civile en offrent un bel exemple. Si certaines exigences sont rigoureusement sanctionnées, notamment l’obligation de faire figurer les prétentions au dispositif, d’autres sont appréciées plus souplement. Ainsi, l’exigence selon laquelle le juge « n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion » est dépourvue de sanction réelle, la jurisprudence admettant que certains moyens soient discutés en dehors d’une partie formellement intitulée discussion, Civ. 2e, 8 sept. 2022, n° 21-12.736, Dalloz actualité, 13 oct. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 1600 ; AJDI 2022. 775 .

11. S. Jobert, Les règles de procédure civile instaurées par la pratique : les sources des règles, Dalloz actualité, 20 févr. 2023.

12. V. not., sur le sujet, O. Hocher et C. Simon, Messages RPVA de refus du greffe : quelles solutions pratiques ?, Procédure n° 4, avr. 2023, à paraître.

13. La doctrine parle également d’irrecevabilité machine, C. Bléry, « Irrecevabilité » des « irrecevabilités-greffe » : cela va mieux en le disant !, JCP 2015. Act. 1125.

14. Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, préc.

15. Civ. 2e, 1er févr. 2018, n° 16-17.618, Dalloz actualité, 23 févr. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2018. 262, obs. M. Jean ; Gaz. Pal. 15 mai 2018, n° 17, p. 71, note L. Raschel.

16. Sur l’utilisation de cette notion, C. Bléry, « Irrecevabilité » des « irrecevabilités-greffe » : cela va mieux en le disant !, préc.

17. On trouve de nombreuses occurrences de cette notion d’« avis de refus » dans la jurisprudence, notamment en cour d’appel, Pau, 19 févr. 2018, n° 17/04111 ; Paris, 8 sept. 2016, n° 16/06983 ; Angers, 11 avr. 2019, n° 18/01510 ; Rouen, 21 déc. 2017, n° 17/04950.

18. On soulignera d’ailleurs que l’erreur de numéro de RG, si elle conduit parfois à un avis de refus, peut également donner lieu à une caducité. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit bien d’une règle infraprocédurale, cette exigence ne résultant d’aucun texte et étant identiquement écartée par la Cour de cassation, Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-14.745, Dalloz actualité, 31 août 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 1471 ; Rev. prat. rec. 2020. 6, chron. F. Kieffer, R. Laher et A. Provansal ; JCP 2020. Act. 1011, note C. Laporte ; Procédures 2020. Comm. 162, obs. R. Laffly.

19. Civ. 2e, 3 mars 2022, n° 20-17.868, Procédures 2022. Comm. 116, obs. S. Amrani Mekki ; 24 sept. 2015, n° 14-20.212, Dalloz actualité, 14 oct. 2015, obs. R. Laffly ; D. 2015. 1960 ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati .

20. Au regard de l’organisation interne du tribunal. Ainsi, il n’existe aucune liste nationale de répartition des tâches entre les chambres, ce qui peut conduire à des difficultés pour les avocats dans le cadre de la prise de date et des messages de rejet.

21. Par exemple si le greffe considère qu’une affaire relève du juge des contentieux de la protection plutôt que du tribunal judiciaire.

22. V. not., sur le sujet, O. Hocher et C. Simon, Messages RPVA de refus du greffe : quelles solutions pratiques ?, préc.

23. Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325 , note M. Barba ; ibid. 625, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon ; Gaz. Pal. 2022, n° 14, p. 48, obs. N. Hoffschir ; JCP 2022. Doctr. 436, obs. C. Lhermitte ; Dr. fam. 2022. Comm. 73, obs. V. Égéa.

24. Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, D. 2020. 2046 , note M. Barba ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol ; Procédures 2020. Comm. 190, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 26 janv. 2021, n° 395, 79, obs. N. Hoffschir. Dans cet arrêt, la cour d’appel n’avait pas retenu cette solution. Cependant, il est acquis qu’une telle interprétation était déjà retenue par d’autres cours d’appel, ce que l’on voit par exemple dans l’arrêt, Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 20-13.210, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1217 , note M. Barba ; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet ; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet .

25. C. pr. civ., art. 537.

26. C. pr. civ., art. 526.

27. C. pr. civ., art. 798.

28. Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-19.301, Dalloz actualité, 4 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 89 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2022. 21, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2020. 449, obs. P. Théry ; JCP 2020. 302, note R. Laher ; ibid., n° 23, doctr. 708, note E. Jeuland.

29. À tout le moins lorsqu’elle touche le droit d’action.

30. Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, préc.

31. Inutile de rappeler les effets de l’arrêt relatif à l’annexe.

32. On visera cette fois la solution relative à l’effet dévolutif des conclusions.

33. C’est notamment le cas de l’avocat qui renouvellera sa demande de fixation, aussi bien pour l’obtenir que pour échapper à la péremption.

34. Civ. 2e, 3 mars 2022, n° 20-17.868 ; 24 sept. 2015, n° 14-20.212, préc.

35. Civ. 2e, 15 oct. 2015, n° 14-22.355.

36. V. égal., C. Laporte, Quand une erreur de numéro de RG vient perturber la procédure d’appel !, JCP 2020. Act. 1011.

37. C. pr. civ., art. 1440-1 : « En cas de refus ou de silence gardé pendant deux mois à compter de la demande, le président du tribunal judiciaire ou, si le refus émane d’un greffier, le président de la juridiction auprès de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, saisi par requête, statue, le demandeur entendu ou appelé ».

38. C. pr. civ., art. 708 : « Celui qui entend contester la vérification peut toujours présenter lui-même une demande d’ordonnance de taxe ; il peut aussi le faire par l’intermédiaire de son représentant. La demande est faite oralement ou par écrit au greffe de la juridiction qui a vérifié le compte. Elle doit être motivée et être accompagnée du certificat de vérification » ; C. pr. civ., art. 709 : « Le président de la juridiction ou le magistrat délégué à cet effet statue par ordonnance au vu du compte vérifié et de tous autres documents utiles, après avoir recueilli les observations du défendeur à la contestation ou les lui avoir demandées ». V. égal., en matière commerciale, l’art. 725-1 du code de procédure civile : « par dérogation aux articles 704 à 708, les demandes ou contestations relatives aux frais, émoluments et débours, compris ou non dans les dépens des greffiers des tribunaux de commerce, sont portées directement devant le président du tribunal judiciaire dans le ressort duquel le greffier du tribunal de commerce exerce ses fonctions, sans qu’il y ait lieu d’établir préalablement un certificat de vérification ».

39. C. pr. civ., art. 1259 : « Dans ce cas, le bénéficiaire du mandat, le mandant ou le mandataire peut saisir le juge par requête ».

40. C. pr. civ., art. 1570 : « Toute personne intéressée peut former une demande aux fins de suppression de la formule exécutoire devant la juridiction dont le greffe a apposé cette formule ».

41. J. Waline, Droit administratif, 28e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 603.

42. T. Renoux, L’autorité judiciaire, un service public ?, Cah. just. 2017, n° 2, p. 331.

43. T. confl. 12 oct. 2015, n° C4019 : « la décision par laquelle un procureur de la République agrée ou refuse d’agréer, dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires mentionnées ci-dessus, une personne en vue de l’organisation de stages de sensibilisation à la sécurité routière, ne se rattache pas à la fonction juridictionnelle, sur l’exercice de laquelle les attributions de la personne agréée n’ont pas d’effets ; que par suite, elle constitue une mesure d’organisation du service public de la justice ; Considérant, d’autre part, que les litiges auxquels peut donner lieu cette décision du procureur de la République, n’étant pas de nature à influer sur le déroulement d’une procédure judiciaire et n’impliquant aucune appréciation sur la marche même des services judiciaires, sont de la compétence de la juridiction administrative », Lebon ; AJDA 2015. 1949 ; ibid. 2370 , chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet .

44. V. égal, par une appréciation a contrario, T. confl. 6 juin 2011, n° 11-03.795 ; v. égal., T. confl. 2 juill. 1979, n° 02134 ; 15 avr. 2013, n° 13-03.895 ; 10 mars 2014, n° C3933, AJDA 2014. 1420 .

45. E. Jeuland, De l’utilité du lien d’instance, in Mélanges en l’honneur de Philippe Théry, LGDJ, Dalloz, 2022, p. 325, spéc. p. 327.

46. V. not. le rapport Guinchard, L’ambition raisonnée d’une justice apaisée, 2008, p. 173 s.