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Le droit en débats

RSE et e-commerce : entre obligations juridiques et valeurs éthiques

La prise en compte de la responsabilité sociétale (RSE) est un enjeu majeur pour les acteurs du e-commerce, autant pour répondre à des obligations juridiques, dont l’évolution implique un engagement toujours renforcé des entreprises, que pour des raisons éthiques portées par les exigences des consommateurs. L’engagement sociétal et environnemental des entreprises du e-commerce n’est plus une option pour survivre dans un environnement très concurrentiel.

Par Imane Bello et Yuna Lesteven le 21 Mai 2021

Fin mars 2021, deux fonds d’investissement, Aberdeen Standard Investments et Aviva Investors (Royaume-Uni), faisaient part de leur volonté de ne pas investir dans la société Deliveroo dans le cadre de son entrée en bourse. La raison ? La volonté d’inscrire leurs investissements dans un modèle durable et éthique.

Ceci n’est qu’un exemple, parmi tant d’autres, de la valeur ajoutée qu’est la responsabilité sociétale des entreprises (ci-après « RSE ») pour les acteurs du e-commerce.

Définie par la Commission européenne comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes », la RSE est identifiée comme un axe de résilience et de durabilité de l’entreprise, facteurs stratégiques clés.

La crise sanitaire l’a démontré : la RSE est un facteur clé de résilience et se place au cœur de la stratégie des sociétés.

Déjà en 2012, la Fédération des entreprises de vente à distance (Fevad) créait un code déontologique, regroupant un code professionnel ainsi qu’une charte qualité, des acteurs du e-commerce. Actualisée régulièrement afin de mieux capturer les évolutions législatives, l’adhésion à ces règles déontologiques se cristallise par l’apposition du logo de la Fevad sur le site de l’acteur concerné.

La RSE se retrouve tant dans des obligations juridiques, qui ont cristallisé des valeurs éthiques, que dans l’implication active et volontaire de certains acteurs du e-commerce ayant choisi de se différencier de leurs concurrents.

Le respect des obligations juridiques pour les acteurs du e-commerce : un enjeu de conformité et de RSE

La délibération de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) du 28 juillet 2020, rendue sur les manquements aux dispositions du règlement général sur la protection des données1 (RGPD) est un bon rappel des obligations à respecter pour une activité de commerce en ligne.

Le respect des droits et libertés des personnes au regard de l’utilisation de leurs données à caractère personnel relève de la responsabilité sociétale de l’entreprise2 autant que de ses obligations légales. La protection des données est devenue, avec l’entrée en vigueur du RGPD, un critère transverse de la politique RSE d’une entreprise.

Dans cette espèce, l’acteur de vente en ligne SPARTOO a ainsi été condamné pour manquement aux principes de minimisation, limitation de la durée de conservation des données, obligation d’information et sécurité des données.

Le RGPD érige en effet en principe la minimisation des données, lesquelles ne doivent être traitées que lorsqu’elles sont adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire3. L’enregistrement de données personnelles, s’agissant des salariés ou des clients, doit répondre à ce principe.

Les données personnelles doivent également être conservées pour une durée adéquate et respectueuse de la réglementation4, afin d’assurer un meilleur contrôle de la personne concernée sur ses données.

Ce contrôle suppose bien entendu une information des personnes concernées5, transparence nécessaire à toute démarche de conformité et préalable à l’exercice effectif des droits de la personne concernée sur la façon dont ses données personnelles sont traitées, qu’elles soient transférées à des tiers dans des pays étrangers ou encore recueillies pour une finalité précise. L’information doit par ailleurs être claire, simple et accessible.

Enfin, et pour n’en citer que quelques-unes, l’acteur de vente en ligne s’était également vu condamner du fait d’un manquement à l’obligation de sécurité des données.

L’ensemble de ces obligations tendent vers un même objectif : placer la personne concernée au cœur de la gouvernance de sa donnée personnelle. D’autres réglementations partagent cet objectif et peuvent être citées.

C’est par exemple le cas du code de la consommation, qui pose des obligations d’informations spécifiques aux sites de vente en ligne, telles que la délivrance d’une information claire, loyale et transparente sur les conditions générales d’utilisation d’un service d’intermédiation6 ou encore une obligation relative au droit de rétractation, ses conditions et modalités d’exercice7.

Tout manquement aux obligations d’information prévues par certaines dispositions du code de la consommation expose par ailleurs les personnes morales (ou physiques) à une amende administrative8.

Si le caractère loyal, transparent et accessible de l’information est exigé par les textes, la RSE permet également de répondre à l’obligation posée par le texte en créant un environnement conforme et une expérience utilisateur agréable.

Ainsi, s’agissant de la réglementation cookies9, l’éditeur d’un site internet doit non seulement s’assurer du respect des règles telles qu’elles lui sont imposées par la réglementation, mais encore prendre en compte le confort de l’utilisateur dans l’exercice de ses droits. Les lignes directrices et la recommandation de la CNIL en la matière incitent ainsi les éditeurs à fluidifier l’expérience de l’utilisateur, par exemple en simplifiant l’acceptation ou le refus global des cookies.

Tout utilisateur a déjà été énervé par un bandeau cookies qui ne se ferme pas ou a été désorienté devant un bon de rétractation difficilement compréhensible.

Engagé dans une démarche RSE, un éditeur de site e-commerce se doit d’offrir à l’utilisateur une expérience favorisant l’exercice de ses droits. L’adoption du legal design, centré sur l’utilisateur, est une voie à prendre en compte.

Une prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux pour se différencier des concurrents : une implication active

La part du e-commerce en France est en constante augmentation et ce secteur est très fortement impacté par la prise de conscience de la responsabilité sociale, sociétale et environnementale des entreprises par les consommateurs et clients.

Les consommateurs sont ainsi de plus en plus nombreux à tenir compte des éléments environnementaux, responsables ou éthiques dans leur consommation de produits ou services en ligne (53 %), à privilégier les sites internet mettant en avant une démarche responsable (70 %) et à favoriser les sites français (68 %)10.

L’engagement RSE permet aux acteurs de la vente en ligne d’améliorer leur image de marque, critère de distinction important pour les clients, mais aussi pour les candidats, investisseurs, collaborateurs et, de manière générale, toute partie prenante.

L’attente des consommateurs en la matière implique une évolution des pratiques des e-commerçants. Comme la transition numérique dans les années 2000, la transition vers les engagements sociétaux et environnementaux est aujourd’hui indispensable pour se différencier des concurrents ou, à tout le moins, ne pas se laisser distancer.

La RSE se retrouve ainsi dans les actions mise en œuvre par les acteurs du e-commerce soucieux de se différencier. Le site internet peut ainsi être l’objet et la vitrine des engagements RSE de l’entreprise, à charge pour le e-commerçant d’y intégrer des fonctionnalités « RSE » dès la conception et l’animation de son site internet.

Les modalités techniques et les fonctionnalités proposées aux utilisateurs deviennent alors intrinsèquement des mesures renforçant l’engagement de l’entreprise.

L’implication active du e-commerçant sur son site peut se matérialiser par différents moyens : accessibilité, inclusion, donation, durabilité.

Pour citer quelques exemples, certains acteurs axent leur démarche sur l’accessibilité de leur site internet aux personnes en situation de handicap. Ce prérequis pour les services publics et les plus grosses entreprises11 permet de contribuer à rendre la société plus inclusive, d’améliorer sa e-réputation et, plus prosaïquement, de toucher un public élargi12.

Il est également possible de se démarquer en prenant des mesures visant à améliorer l’inclusivité des produits et services proposés. À titre d’exemple, le site e-commerce du Printemps met à l’honneur des marques inclusives (grandes tailles, unisexes, etc.) et propose une catégorie « mixte » entre les traditionnelles catégories homme et femme.

La prise en compte de l’impact environnemental du développement d’internet13, en ayant recours à des sites écoconçus, permet de limiter l’impact de ses activités pour l’entreprise et est un autre moyen de démontrer ses engagements environnementaux. Des outils de mesure ont d’ailleurs été mis en place pour calculer l’impact des plus gros sites e-commerce.

Enfin, les acteurs du commerce en ligne peuvent envisager le recours à un dispositif de microdon, offrant aux clients la possibilité de faire un don reversé à une association, pour afficher leurs valeurs (selon l’association choisie).

L’engagement des entreprises sociétal ou environnemental n’est plus une option pour le secteur du e-commerce, qui doit prendre en compte les exigences des consommateurs en la matière, déjà différenciant et essentiel.

Cette prise en compte des exigences RSE à partir du site internet de l’entreprise implique un engagement global de l’entreprise. Il convient à ce titre de rappeler les écueils des engagements RSE qui ne seraient pas suivis des faits.

Outre une image catastrophique, l’entreprise qui communique sur ses engagements sans les mettre en œuvre s’expose à des sanctions pénales. Le code de la consommation14 réprime ainsi, par le délit de pratiques commerciales déloyales, les allégations trompeuses de nature à induire en erreur le consommateur.

Il convient de noter à ce titre que le projet de loi climat et résilience a fait l’objet d’un amendement15 qui prévoit de définir « l’écoblanchiment » ou greenwashing et de confirmer cette pratique comme étant déloyale, passible d’une amende rendue publique.

Une réelle politique sociétale et environnementale – engageant plusieurs acteurs de manière transverse : responsable du e-commerce, délégué à la protection des données, référent accessibilité, directeur de la compliance et, le cas échéant, leurs conseils – devra être mise en œuvre afin de permettre au e-commerçant de prendre le tournant essentiel de la RSE.

 

Notes

1. Règl. (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, 27 avr. 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

2. La protection des données à caractère personnel est considérée comme un principe directeur de l’OCDE (instrument concernant la responsabilité des entreprises auquel quarante-huit pays ont adhéré, dont la France) qui précise que les organisations « respectent la vie privée des consommateurs et prennent des mesures raisonnables pour assurer la sécurité des données à caractère personnel qu’elles collectent, conservent, traitent ou diffusent ». OCDE, Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, éd. 2011, p. 62.

3. RGPD, art. 5-1 c.

4. RGPD, art. 5-1 b.

5. RGPD, art. 13 et 14.

6. C. consom., art. L. 111-7.

7. C. consom., art. L. 221-5.

8. C. consom., art. L. 242-10.

9. Art. 82, L. n° 78-17, 6 janv. 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

10. Étude KPMG / FEVAD, The Green Deal, 2020.

11. Art. 47, L. n° 2005-102, 11 févr. 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

12. Un ensemble de bonnes pratiques a été développé, fondé sur des recommandations du WCAG 2.1 (Web Content Accessibility Guidelines) ou du RGAA (référentiel général d’amélioration de l’accessibilité).

13. Une étude montre que de bonnes pratiques de développement permettent d’économiser entre 20 et 25 % d’énergie lors de l’utilisation d’un site internet, v. Étude Web Energy Archive : la consommation énergétique des sites web, côté utilisateur, 4 juill. 2014.

14. C. consom., art. 121-1.

15. Amendement n° 5419 au projet de loi n° 3875 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, 10 févr. 2021.