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Le droit en débats

S’inspirer de L’Art de la guerre de Sun Tzu pour mettre en œuvre l’obligation d’engager des négociations sincères et loyales

Par Jean-Édouard Robiou du Pont le 02 Juillet 2019

Un arrêt topique de la Cour de cassation

Un arrêt récent de la Cour de cassation (Soc. 17 avr. 2019, n° 18-22.948, Dalloz actualité, 14 mai 2019, obs. H. Ciray  ; Dr. soc. 2019. 574, obs. M. Gadrat ), rendu en matière d’établissements distincts et de mise en place du comité social et économique (CSE), rappelle qu’il résulte des dispositions des articles L. 2313-2 et L. 2313-4 du code travail que : « ce n’est que lorsqu’à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu, que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts ».

Au-delà du contexte particulier du dialogue social se généralise, parce qu’elle se révèle efficace, l’obligation de « passer par la case » mode amiable de règlement des différends avant (le cas échéant comme condition de recevabilité de la demande) ou pendant la saisine du juge.

Quelques observations à titre liminaire

À titre liminaire, quelques observations s’imposent.

1. Cette obligation est le plus souvent nommée « obligation de tenter une négociation (une médiation, une conciliation, etc.) ». Pour simplifier l’exposé, nous utiliserons les termes « tentative de négociation ».

2. L’obligation d’une tentative loyale de négociation s’impose nécessairement aux deux parties et non pas seulement à l’initiateur de la négociation.

3. S’agissant d’une obligation légale, son respect, ou non, sera nécessairement « instrumentalisé » par celui qui y aura intérêt.

4. Cette notion est délicate au regard des deux termes : « tentative » et « négociation ». S’agissant du mot négociation, il est le plus souvent défini par le législateur en termes d’administration (date de rendez-vous, personnes à convoquer, sujets à aborder, etc.) et rien n’est dit sur le processus. Rappelons que le processus est là pour structurer et rendre plus sûre l’avancée vers l’accord. Autrement exprimé, c’est le processus qui fait la négociation. Apparaît ainsi l’équation négocier = tenter. Jusque-là, tout va bien. La difficulté survient avec le terme « tentative ». Littéralement, au regard de ce qui vient d’être exposé, on doit entendre que la tentative de négociation consiste à « tenter de tenter ». Ainsi, même si l’intention d’imposer une tentative de négociation est bonne, les termes employés suggèrent une forme d’inefficacité, tant il est vrai qu’il est difficile de tenter de tenter, sans prendre le risque de ne rien faire du tout au bout du compte.

Du pragmatisme

Pour passer outre cette incongruité sémantique, il faut revenir au droit des contrats et à l’obligation de bonne foi (C. civ., art. 1104). C’est ce qu’a fait, en l’espèce, la Cour de cassation en retenant dans sa motivation l’obligation « d’engager des négociations sincères et loyales ». Cette nouvelle dénomination de la tentative a, à notre sens, vocation à être étendue à l’ensemble des cas où la loi préconise ou impose une tentative de négociation.

Reste à mesurer la réalité d’un engagement ainsi que sa sincérité et sa loyauté.

La preuve de l’engagement sincère et loyal

Comment rapporter la preuve de la mise en œuvre d’une méthode d’où résulte la démonstration de la bonne foi à s’engager dans un processus de négociation ? À l’évidence, il est pertinent que cette méthode s’inspire de la gestion de projet, le projet étant entendu comme celui de trouver un accord ou, en tout cas, de sortir d’une situation. Ainsi vont tout d’abord être examinés les avantages et les inconvénients du projet. C’est le fameux go/no go. Il faut cependant aller un peu plus loin et poser directement ou indirectement la question du niveau minimal de confiance nécessaire pour s’engager dans une négociation.

Confiance : arrêts sur images

Si les notions d’avantages et d’inconvénients sont faciles à circonscrire, il en va autrement de la notion de confiance. Cette notion est souvent traitée de manière conceptuelle ou sur un mode incantatoire, comme tout ce qui est difficile à définir de manière pragmatique. Les quelques éclairages qui suivent ont pour objectif de se risquer à ce pragmatisme.

1. Il est tout d’abord proposé comme premier élément de définition que la confiance résulte de la croyance en un certain niveau (de morale, de valeur, de compétence, d’expérience, etc.) que l’on attribue à l’autre. Ce premier élément est complété par le constat que, s’agissant d’une croyance, tant qu’elle n’a pas été remplacée par une autre, il est impossible d’imaginer que l’autre ne soit pas au niveau où on l’a placé.

2. La confiance se rapproche de la fiabilité qui en est la version « foi » ou « croyance » passée à la moulinette des statistiques.

3. La confiance est un bel « objet » systémique : plus on tente de me démontrer que je peux avoir confiance, plus je m’interroge sur la nécessité de cette démonstration, ce qui génère chez moi de la défiance.

4. Plus qu’un acte, la confiance est une demande de l’un acceptée par l’autre.

La demande peut s’analyser en ces termes :

  • a. Qui demande, ou au nom de qui ou de quoi la demande est formulée ?
     
  • b. Qui demande quoi ?
     
  • c. À qui ?
     
  • d. Pour faire quoi ?
     
  • e. Pourquoi maintenant ?

Le demandeur doit en outre s’interroger sur la valeur qu’il attribue à l’autre, sur la manière et les critères avec lesquels il évalue cette valeur. Enfin et surtout, le demandeur doit s’interroger sur ce qu’il fera de sa déception si l’autre n’est pas à la hauteur de la valeur qu’il lui a attribuée.

Le récipiendaire de la confiance gagnerait pour sa part à s’interroger sur les points suivants :

  • a. Accepte-t-il ou non cette confiance qui lui est donnée ?
     
  • b. L’accepte-t-il sans limites, ou avec, et, dans cette hypothèse, quelles limites ?
     
  • c. Quel est le niveau de valeur qui lui est attribuée et en sera-t-il à la hauteur ?
     
  • d. Pourquoi accepte-t-il cette confiance et pour en faire quoi ?

Enfin, notons que la confiance de bonne foi, même si elle n’est pas réfléchie, oblige les deux protagonistes : le récipiendaire étant tenu d’être à la hauteur et le donataire étant soumis aux conséquences de l’irrespect éventuel de l’obligation du premier.

Mais nous nous trouvons rarement dans ce monde idyllique où chacun prendrait ce temps de réflexion.

Sur quoi faire porter la confiance

A priori, la confiance concerne les protagonistes qui envisagent de mener une négociation. Il ne faut cependant pas oublier qu’au stade contentieux où ils sont rendus, la défiance est de mise et il paraît, au choix, utopique, aventureux ou irresponsable de tenter d’aborder ce thème immédiatement. Il est préférable de passer par un détour, une sorte de médiation préalable. Plutôt que de travailler sur la confiance qui devrait les unir, il ainsi est astucieux de tenter de rapprocher les parties sur la confiance qu’elles pourraient avoir dans tel ou tel processus de négociation.

En pratique, comment fait-on ?

1. Il apparaît difficile que les parties puissent s’attribuer elles-mêmes et pour elles-mêmes un certificat de bonne foi. Il apparaît donc indispensable de recourir à un tiers.

2. Les médiateurs, qui ont l’expérience de ce rôle de tiers, ont tout intérêt à mettre au point des méthodes explicites de prénégociation ou de prémédiation. L’énoncé de la méthode devra être suffisamment explicite et structuré pour pouvoir faire apparaître la bonne foi mise à s’engager dans un processus de négociation.

3. Il peut s’agir d’inviter les parties à examiner, ensemble et dans le même temps et le même espace :

  • a. les inconvénients de s’engager dans une négociation,
     
  • b. les avantages de s’engager dans une négociation,
     
  • c. la question de la confiance, ce qui permet d’élaborer la manière dont devra s’articuler le processus de négociation lui-même.

En pratique, chacune des parties exprime son point de vue sur chacun de ces trois items (inconvénients, confiance, avantages) et le point de vue qu’elle suppose être celui de l’autre. Cette manière de procéder, ce trust test, d’inspiration systémique, crée le potentiel de situation qui fait la réussite d’une opération, cher à l’art de la paix (de la guerre) de Sun Tzu.