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Le droit en débats

La sanction de Benalla : de jolis pas de cha-cha-cha

Par Lorène Carrère le 26 Juillet 2018

Un pas en avant : « Monsieur Benalla a touché pour le mois de mai son salaire intégral. En revanche, les quinze jours de suspension feront l’objet d’une retenue sur les droits à congés qu’il avait en reliquat au titre de l’année 2017. Il a de très nombreux jours de congés auxquels il a droit au titre de l’année 2017 et, dans son solde avant licenciement, ces congés ne seront pas payés. » C’est ainsi que Patrick Strzoda, directeur de cabinet du président de la République, s’exprimait devant la commission parlementaire du Sénat, hier.

Cette déclaration a de nouveau plongé l’avocate publiciste praticienne du droit de la fonction publique qu’est l’auteure de ces lignes1 dans un profond abîme de perplexité, alors même qu’une première tribune avait eu pour objectif d’éclaircir le débat.

En effet, s’il s’agissait d’une suspension d’une durée de quinze jours, à but conservatoire dans l’attente d’établir les faits, donc fondée sur l’article 43 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux agents contractuels de l’État2, elle était nécessairement rémunérée, alors que la privation de rémunération est une caractéristique de l’exclusion temporaire de fonctions, sanction disciplinaire relevant de l’article 43-2 du même décret3.

Deux pas en arrière : le président de la République lui-même a qualifié la décision de sanction, impliquant ainsi nécessairement une privation de rémunération.

Nouveau pas en avant, monsieur Strzoda explique que le décret de 1986 imposait le maintien du traitement durant la suspension mais que, si « on veut vraiment qu’il y ait une sanction financière, en termes de gestion, on a ce recours », à savoir la possibilité de récupérer la rémunération versée durant cette période sur les congés payés acquis par monsieur Benalla.

Cha-cha-cha et droit de la fonction publique ne font pas bon ménage : le joli cas pratique que voilà !

Revenons donc sur l’analyse juridique d’une telle affirmation.

En premier lieu, la suspension était donc tout à fait régulière : prise au vu de faits présentant, à la date de la suspension, outre une gravité particulière, un caractère de vraisemblance suffisant4, elle a pu être prononcée sans respect d’aucune formalité préalable5 (information du droit à consulter son dossier et à se faire assister, entretien préalable, etc.).

Et c’est ainsi tout à fait régulièrement que monsieur Benalla s’est vu servir son salaire sur cette période, puisque le décret de 1986 prévoit expressément que « l’agent non titulaire suspendu conserve sa rémunération ». Il est même probable qu’il soit mentionné dans le corps même de la décision – dont nous ne disposons pas à ce jour – qu’il sera rémunéré pendant cette période.

C’est donc en second lieu que se pose la question de la possibilité de transformer rétroactivement cette suspension en sanction en ne payant pas, plusieurs mois après, ses congés payés à l’agent, lesquels seraient mentionnés sur son « solde de tout compte » à la suite de son licenciement.

En effet, il a été annoncé qu’une procédure de licenciement pour faute a été engagée à l’encontre de monsieur Benalla au motif de la détention d’images non autorisées, à savoir qu’il aurait demandé à se voir communiquer les vidéos le concernant lors de la manifestation du 1er mai dernier, émanant de la préfecture de police.

Le solde de tout compte, prévu en droit du travail, n’existe pas en droit de la fonction publique : on n’en trouve ainsi nulle trace dans le décret de 1986 et pas plus dans la circulaire ministérielle d’application du 20 octobre 2016. Pour autant, son utilité pratique est indéniable, puisqu’il s’agit de régler les conditions financières entourant une fin de contrat. Mais force est de constater que son contenu et sa forme même ne sont pas encadrés pour les agents publics.

Ceci étant, il ne reste pas moins possible de déterminer, par application des textes – et notamment toujours du décret de 1986 – quelles sont les conditions financières d’un licenciement.

Le licenciement pour faute d’un agent contractuel de l’État est régi par l’article 43-2 du décret de 1986 (v. note 2), qui précise qu’il est prononcé sans indemnité et sans préavis dès lors naturellement que les garanties propres à la procédure disciplinaire auront été respectées6.

Or c’est uniquement dans le cadre de ce préavis qu’est envisagé le sort des congés annuels non pris par l’agent contractuel7, le décret prévoyant que la durée du préavis est justement augmentée des congés annuels restant à l’agent.

Mais par définition, s’il n’y a pas de préavis, sa durée ne peut être prorogée. C’est donc à ce moment du raisonnement qu’intervient la question du paiement d’une indemnité compensatrice de congés annuels.

À cet égard, le décret de 1986 permet le versement d’une telle indemnité lorsque l’agent n’a pas pu prendre ses congés, notamment en raison « de la définition par le chef de service du calendrier des congés annuels »8, et on suppose donc que c’est sur cette indemnité que seront prélevés les quinze jours de salaire de suspension-sanction.

Mais c’est là que le bât blesse : cette disposition exclut expressément les licenciements disciplinaires9.

Ne pouvant percevoir d’indemnité compensatrice de congés payés ni d’indemnité de licenciement, on se demande bien sur quoi vont être prélevés les quinze jours de salaire, en admettant qu’une compensation puisse se faire, le mécanisme étant rigoureusement encadré.

Reste une dernière hypothèse : que les contractuels de l’Élysée disposent d’un compte épargne temps, sur lequel monsieur Benalla aurait pu placer vingt jours (nombre annuel maximum10). En effet, il n’existe, s’agissant de ce compte, aucune disposition qui permette de s’opposer à leur versement.

Dans ces conditions, il faudrait comprendre que, lors de la monétisation du compte, seuls cinq jours lui seraient versés.

Naturellement, au regard de l’intention et des effets d’une telle décision, le risque majeur encouru est celui d’une requalification de cette retenue en sanction disciplinaire déguisée, mais il semble que cela soit en réalité le but poursuivi, et il est surtout peu probable que le tribunal administratif de Paris soit saisi de cette question.

Il n’en demeure pas moins que l’histoire se rappellera qu’au mois de juillet 2018, en pleine canicule, la France s’est passionnée pour une question de droit de la fonction publique : qui l’eût cru ?

 

 

1. Et qui tient d’ailleurs à remercier deux précieux twittos pour leur aide : @bismatoj et @Le_Droit_Public.
2. En cas de faute grave commise par un agent non titulaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité définie à l’article 44. La durée de la suspension ne peut toutefois excéder celle du contrat. L’agent non titulaire suspendu conserve sa rémunération et les prestations familiales obligatoires. […]
3. Les sanctions disciplinaires susceptibles d’être appliquées aux agents contractuels sont les suivantes : 1°
 L’avertissement ; 2° Le blâme ; 3° L’exclusion temporaire des fonctions avec retenue de traitement pour une durée maximale de six mois pour les agents recrutés pour une durée déterminée et d’un an pour les agents sous contrat à durée indéterminée ; 4° Le licenciement, sans préavis ni indemnité de licenciement. La décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée.
4. CE 11 juin 1997, req. n° 142167.
5. CE 7 nov. 1986,
Edwige, Lebon T. p. 350 ; 23 janv. 1953, Sieur Shong-Wa, Lebon p. 34.
6. À cet égard on notera utilement que monsieur Strzoda a reconnu qu’il n’existait pas de commission consultative paritaire pour les agents contractuels de l’Élysée, ce qui n’est pas conforme aux dispositions de l’art. 1-2 du décr. de 1986 mais qui n’entachera pas la décision de licenciement d’irrégularité pour autant : on considère alors qu’il s’agit là d’une «
 formalité impossible ».
7. Décr. n° 86-83, 
art. 47-1.
8. Décr. n° 86-83, art. 10, II.
9. « en cas de licenciement n’intervenant pas à titre de sanction disciplinaire ».
10. Décr. n° 2002-634, 29 avr. 2002, art. 5.