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Le droit en débats

La sanction numérique de « name and shame » en droit des affaires

Par Juliette Jombart le 04 Février 2022

La « diversification des sanctions »1 fait émerger de nouvelles formes de sanctions telles que le « name and shame ». Issu du droit anglo-saxon, le « name and shame » est littéralement traduit par « nommer et faire la honte » ou encore « honte à celui qui est nommé ». À l’origine, le « name and shame » est l’apanage des tabloïds britanniques. C’est en 2009 que la pratique émerge avec la diffusion, par le Daily Telegraph, d’une liste de parlementaires à qui il est reproché d’avoir reçu le remboursement de dépenses non autorisées pour un montant d’un million de livres2. Bien que la terminologie de « name and shame » ne soit pas consacrée dans la loi française, l’expression est clairement entrée dans le langage courant. En France, la pratique du « name and shame » se développe depuis une dizaine d’années principalement envers les entreprises. Le « name and shame » français est donc un procédé récent. Dès sa genèse, située au moment du plan d’urgence pour la prévention du stress au travail mis en place par le ministre du Travail3, il est focalisé sur les entreprises. Le ministère du Travail désigne alors publiquement celles qui accordent le moins d’importance à la qualité de vie au travail.

Qualifié de « pilori »4, ou plus précisément de « pilori immatériel »5, le « name and shame » numérique des entreprises bouscule la sanction en droit des affaires. Si cette sanction met en œuvre un levier connu – la publicité de la sanction – elle soulève néanmoins des problématiques nouvelles en raison de l’utilisation du support numérique. Le « name and shame » renouvelle le caractère infâmant de la sanction, l’infamie ne se limitant plus à un simple affichage public de la condamnation prononcée à l’encontre de la personne morale. La désignation publique de l’entreprise est effectuée au moyen du support numérique et par diverses entités. Cependant, le « name and shame » prend des formes hétérogènes. Il est tantôt prononcé par une autorité publique, juridiction ou autorité administrative indépendante, tantôt décidé par un acteur privé comme une organisation non gouvernementale ou un lanceur d’alerte. En outre, cette dénonciation publique des entreprises résulte aussi bien de la violation de règles de « hard law » que de celle de « soft law »6. La polymorphie du « name and shame » soulève donc la question de sa nature juridique.

Ce qui est constant, c’est que la mise au pilori public constitue une sanction particulièrement crainte par les entreprises. L’effet du « name and shame », mettant en jeu la réputation même des entreprises, semble donc bien plus dissuasif que celui des sanctions pécuniaires. Mais si au regard d’une telle efficacité, le champ d’application ratione materiae et personae du « name and shame » s’élargit constamment, il n’en reste pas moins que cette nouvelle pratique nécessite d’en esquisser un cadre, sous peine d’être dévoyée.

Le champ d’application de la sanction numérique de « name and shame »

S’agissant d’une sanction, avec un haut potentiel punitif de par son caractère infamant, le « name and shame » pourrait trouver un terrain de prédilection devant les juridictions pénales. Le champ pénal est toutefois contraint. C’est plutôt en dehors du cadre pénal – et même du cadre judiciaire – que la pratique se développe.

Le champ pénal, un champ contraint pour le « name and shame »

Le caractère infamant du « name and shame » se retrouve dans les peines d’affichage et de diffusion des décisions de condamnation pénale, qui figurent parmi les peines complémentaires applicables aux personnes physiques7 et parmi les peines principales encourues par les personnes morales8. Ces peines, qui ont pu être qualifiées de « sorte de version douce du pilori »9, sont sans aucun doute celles qui affectent plus particulièrement l’honneur ou la réputation du condamné. En ce sens, la diffusion de la condamnation s’apparente à une forme classique et ancienne du « name and shame ». Les peines d’affichage et de diffusion consistent en l’affichage ou la diffusion de l’intégralité ou d’une partie de la décision ou d’un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci. La juridiction pénale peut même le cas échéant déterminer les extraits de la décision et les termes du communiqué qui devront être affichés ou diffusés10. En cela, elles rappellent le procédé de « name and shame » qui, comme le suggère la traduction même de l’expression, consiste à désigner publiquement une entreprise pour blâmer ses comportements et ainsi menacer de nuire à sa réputation. À l’instar des autres modalités de « name and shame », la peine d’affichage et de diffusion est d’ailleurs, en pratique, principalement infligée aux personnes morales11. Ainsi, la publicité de la condamnation pénale n’a pas seulement pour fonction de sanctionner l’auteur de l’infraction et de favoriser son amendement, ainsi que le prévoit l’article 130-1 du code pénal, mais elle a aussi pour but de susciter l’infamie et la réprobation de la société12. Au-delà de l’humiliation qu’elle engendre13, la peine d’affichage et de diffusion de la condamnation a aussi une vocation pédagogique14. Cette vocation justifie que les moyens de diffusion ou d’affichage soient particulièrement étendus. Ainsi, la publicité d’une décision de condamnation pénale peut se faire largement « soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique »15.

Faute de définition, l’étude du champ du « name and shame » ne peut être dissociée de celle du régime qui lui est applicable. En effet, la distinction entre les différentes formes du « name and shame » se fonde sur le régime dévolu. Dans le champ pénal du « name and shame », la diffusion numérique d’une décision de condamnation pénale est strictement encadrée à la différence des autres manifestations. Le principe de la légalité impose tout d’abord que la peine soit prévue dans la loi et qu’elle soit ainsi conforme à l’exigence de prévisibilité16. La publicité de la condamnation pénale se limite donc à des infractions délictuelles et criminelles précises17 et pour lesquelles la loi a prévu, à titre complémentaire pour les personnes physiques, ou à titre principal pour les personnes morales, que cette peine soit encourue. Le principe de la légalité impose encore que la peine de diffusion ou d’affichage soit mesurée ou proportionnée18. L’affichage ne peut donc se faire que dans un temps limité, qui n’excède pas deux mois19 et bien que les frais de la publicité de la condamnation soient à la charge du condamné, ils ne peuvent excéder la somme de l’amende maximale encourue20. Le principe de l’individualisation des peines doit lui aussi être respecté21, ce qui pose difficulté lorsque la peine complémentaire d’affichage et de diffusion n’est pas facultative mais automatique. Certes, le Haut Conseil a pu décider de la constitutionnalité de la peine complémentaire obligatoire de publicité de la condamnation pour pratiques commerciales trompeuses, dans la mesure où le juge peut tout de même individualiser les modalités d’exécution de cette peine, en faisant varier l’importance et la durée de la publication22. Mais il a décidé de l’inconstitutionnalité de la peine d’affichage et de diffusion prévue par l’article 174 du code général des impôts23, eu égard à la faible marge de manœuvre laissée au juge pour fixer les modalités de cette peine, ce qui est constitutif d’une violation de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen24.

Au-delà du respect de ces principes, qui forment l’ossature du droit pénal, la peine d’affichage et de diffusion des condamnations pénales doit encore être conforme aux exigences de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme25. Quant à la procédure pénale qui aboutit à son prononcé, elle doit encore répondre aux exigences du procès équitable, notamment celles relatives au respect du contradictoire. Si les modalités de la publicité numérique des condamnations pénales sont encadrées, on ne retrouve pas ces mêmes exigences et garde-fous dans le domaine expansif du « name and shame », à savoir le domaine extra-judiciaire.

Le champ extra-pénal ou le champ des possibles pour le « name and shame »

La sanction numérique du « name and shame » est de plus en plus usitée par les autorités publiques. Les autorités administratives et les ministères ont repris à leur compte cette pratique, en publiant sur leur propre site les condamnations pénales des entreprises ou alors en diffusant les sanctions administratives qu’elles prononcent à leur encontre. En application de la loi Savary du 10 juillet 2014, le ministère du Travail a ainsi publié, par décret, une « liste noire » des entreprises mettant ainsi en balance les entreprises défaillantes et celles vertueuses en matière de lutte contre le travail illégal26. Avec la loi Sapin II du 9 décembre 2016, la pratique du « name and shame » est consacrée dans le code de commerce, qui donne une base légale à la pratique de publication par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation de ses décisions de sanction consécutives au non-respect constaté des règles de concurrence27. Dans cette même logique, la loi no 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite loi PACTE autorise la publication sur le site Internet de la DGCCRF28 mais aussi parfois sur le site Internet des entreprises défaillantes des sanctions prises à leur encontre. L’objectif est clairement de prévenir collectivement, en jetant l’opprobre sur les entreprises qui ne respectent pas les délais de paiement. La forme administrative du « name and shame » prend donc de l’ampleur tout en se diversifiant. Au-delà de la publication numérique des condamnations prononcées par des juridictions pénales à l’égard des entreprises, les autorités administratives rendent également publiques leurs propres décisions de condamnation. Tel est le cas en matière de fraudes fiscales29, de sanctions prononcées par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers30, de retards de délais de paiement31 ou de pratiques anti-concurrentielles32

Mais le champ d’application du « name and shame » peut s’étendre aussi au « soft law ». Ainsi, l’Autorité des marchés financiers (AMF) en 2012 s’est emparée de la pratique afin de sanctionner plus facilement et plus efficacement les entreprises qui ne respectent pas le code AFEP-MEDEF ou ses recommandations de l’AMF33. De même, le Ministre de l’Économie et des finances a demandé à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et au gouverneur de la Banque de France « de rendre publics les noms des établissements bancaires [qui n’ont] pas respecté les engagements pris par la Fédération bancaire française ; c’est une manière de sanctionner »34. Ici pourtant, la pratique du « name and shame » soulève des difficultés au regard du principe de la présomption d’innocence, même si tout l’enjeu relève du caractère punitif ou non de la mesure. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, la publication immédiate de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers ne viole pas le principe de présomption d’innocence englobé dans le droit au procès équitable35. Mais la possibilité pour une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, de prononcer des sanctions ayant le caractère d’une punition36 ne l’autorise pas à s’affranchir du principe de légalité ainsi que les droits de la défense37. Le Conseil constitutionnel apprécie au cas par cas le caractère punitif de chaque sanction. En ce sens, il a pu considérer que l’article L. 423-19 du code de la consommation permettant l’exécution provisoire des mesures de publicité « destinée à permettre aux consommateurs de se déclarer dans le délai imparti » n’est pas constitutif d’une sanction ayant le caractère d’une punition38.

A minima, le champ d’application du « name and shame » devrait être restreint par le principe de proportionnalité. Dans un arrêt du 15 octobre 2020, le Conseil d’État a exercé ce contrôle sur la sanction de publication prononcée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution39. Après avoir mis en balance les intérêts en présence, à savoir les conséquences de la publication sur l’entreprise avec la gravité des manquements et le maintien de l’ordre public, la Haute juridiction a contrôlé plus précisément les modalités de publication, notamment le support de diffusion choisi, la durée de libre accessibilité de la publication et le contenu du projet de publication. Or, il résulte de ce contrôle de proportionnalité que la décision de publication ne doit pas mentionner les noms de clients ou de sociétés tierces à la procédure, ni ceux des pays concernés par les opérations litigieuses40. Si cette décision est prometteuse dans le sens d’une limitation de la pratique à ce qui est strictement nécessaire, il reste qu’elle ne saurait en aucun cas résoudre les hypothèses dénuées de fondement légal. En effet, la mise au pilori de la société n’est pas toujours le fruit d’une procédure pénale ou administrative, le « name and shame » est parfois dévoyé, détaché de la sanction même d’une violation de règle juridique.

Le dévoiement d’une publicité numérique dénuée de cadre

Le dévoiement du « name and shame » se retrouve de manière symptomatique dans l’hypothèse où sont rendues publiques des allégations de violation de la règle de droit ou de simples manquements en dehors de tout fondement légal. L’entreprise est dénoncée publiquement pour servir une cause alors même qu’elle n’a pas bénéficié d’une procédure de sanction. Cette pratique implique la nécessité de prévoir des garanties pour les entreprises ainsi visées médiatiquement.

Les dérives du « name and shame » : de la publicité d’une sanction à la publicité d’un manquement

Si certaines autorités administratives sont spécialement autorisées par la loi à publier sur Internet les sanctions prises à l’égard des entreprises41, d’autres, qui ne le sont pas, prennent pourtant l’initiative de rendre publics les manquements qu’elles ont pu constater et qu’elles souhaitent faire cesser. Il ne s’agit plus alors de publier une sanction prononcée à la suite d’une procédure diligentée par l’autorité, mais simplement de dénoncer, sur le support numérique, un ou plusieurs manquements commis par une entreprise. Dans cet esprit, la dénonciation revêt la forme d’une sanction alors même qu’aucune violation à la règle de droit n’est juridiquement constatée. Certes, on peut y voir une finalité pédagogique, de nature à faire évoluer les comportements des opérateurs économiques, mais on peut aussi identifier un certain dévoiement de la publicité numérique, dans l’objectif d’atteindre la réputation et l’honneur, et donc de punir. À ce titre, le président de la République a évoqué une « politique de name and shame »42 consistant à « valoriser les opérateurs qui décident de jouer le jeu et en creux, [et] dénoncer les opérateurs qui décident de ne pas jouer le jeu »43. Autrement dit, le « name and shame » peut être utilisé comme un instrument de contrainte ou de régulation de l’activité économique. Suivant cette logique, l’identité de deux entreprises a été rendue publique par le gouvernement comme figurant « parmi les dernières du baromètre Éthics and Boards sur la féminisation des instances dirigeantes et ayant refusé d’être sensibilisées au sujet gratuitement »44. De même, le ministère du Travail a publié le ratio homme-femme des entreprises de plus 1 000 salariés45. Si ces informations sont collectées sur un fondement légal46, la diffusion elle-même de ces données n’est pas visée par les textes. La pratique du « name and shame » est ici d’autant plus critiquable qu’elle n’est pas le fruit d’une procédure contradictoire, mais résulte d’une étude fondée sur une méthodologie et des critères tout à fait contestables et subjectifs47. Dans le même sens, le gouvernement a publié une étude du CNRS résultant d’une opération de testing sur les discriminations à l’embauche et pointant les entreprises qui ont des pratiques discriminatoires48. En outre, les associations, organisations non gouvernementales et plus généralement des entités privées ainsi que la société civile mettent au pilori les entreprises en alléguant des manquements aux règles de droit. Or, le « name and shame » constitue parfois un moyen de pression pour les organisations non gouvernementales sur les entreprises, qui sert à faire avancer leur cause. Tel est le cas par exemple avec la mise en ligne d’une vidéo sur la présence d’huile de palme dans un produit de l’entreprise Nestlé49.

Ces hypothèses de « name and shame » montrent un glissement de la publicité de la sanction vers la publicité du seul manquement. À cet égard, un auteur qualifie la pratique de « sanction médiatique »50. L’utilisation du support numérique accentue le caractère punitif de la mesure car elle discrédite l’image de l’entreprise aux yeux de tous. L’atteinte à la réputation de l’entreprise au moyen d’un support numérique peut engendrer des répercussions économiques préjudiciables telles que la perte de confiance des consommateurs, la désaffection des investisseurs ou la dégradation de l’image de marque. Pire encore, il arrive que les entreprises subissent la vindicte populaire par la dénonciation sur un support numérique de pratiques immorales.

Ainsi, le « name and shame » n’est pas seulement un moyen de faire respecter les règles de « soft law » ou de « hard law »51, il est instrumentalisé pour rendre les entreprises plus vertueuses. Dans certains cas, le « name and shame » atteint l’image de l’entreprise en dénonçant un comportement personnel d’un dirigeant immoral. À titre d’illustration, la diffusion sur internet d’images de gérants d’un supermarché dans un safari de chasse, a contraint ces derniers à démissionner52. Dès qu’un évènement ou un comportement des dirigeants ou cadres de l’entreprise est moralement répréhensible et diffusé sur le numérique, l’opinion publique attend de l’entreprise qu’elle prenne des mesures fortes telles que le licenciement d’un salarié atteignant publiquement l’image de son employeur53.

Même si la dénonciation sur le numérique de pratiques illégales ou immorales des entreprises peut être source de changement ou de prise de conscience, la pratique du « name and shame » ne peut être considérée comme la panacée. Ainsi, l’utilisation de cette pratique pour les retards de paiement des entreprises a certes montré une réduction du nombre de jours de retard, mais n’a toutefois pas suffi à endiguer les retards de paiement induits par la crise sanitaire54. D’aucuns ont dénoncé une certaine injustice dans la pratique du « name and shame » . En dépit de cette remarque, le « name and shame »55 reste indéniablement source de crainte pour les entreprises, impliquant des garanties.

La nécessité de garanties à la pratique du « name and shame »

Dans le cas où le « name and shame » n’est pas le fruit d’une procédure pénale ou administrative contradictoire, les moyens d’action en justice de l’entreprise s’amenuisent. Tout le processus antérieur aboutissant sur le prononcé du « name and shame » est inexistant. Le manquement allégué est donc soumis à la vindicte populaire, laissant peu de place aux principes fondamentaux de la procédure de sanction : absence de contradictoire, absence d’éléments de preuve, violation de la présomption d’innocence voire du principe de légalité. Cette « épée de Damoclès »56 pour les entreprises doit nécessairement s’accompagner de garanties. Face à une telle dénonciation, le droit de réponse de l’entreprise visée ne laisse pas entrevoir un espoir de réhabilitation immédiate. Outre le droit de réponse, les voies pour l’entreprise mise au pilori par la société civile sont réduites : la poursuite pour diffamation57 ou encore l’invocation du délit d’information fausse ou trompeuse dans le cas où les titres de l’entreprise sont négociés sur un marché réglementé58, ou un abus de la liberté d’expression59. Même dans l’hypothèse où l’entreprise obtient gain de cause auprès de l’institution judiciaire, la réhabilitation intervenant bien après le « name and shame » a un effet positif moindre sur l’entreprise. La pratique pose la problématique plus large du temps judiciaire par rapport au temps médiatique et numérique. La décision de publication et d’affichage peut être prononcée dans le cadre d’une réhabilitation de l’entreprise injustement accusée60. La nécessité de prévoir des voies de recours efficaces et rapides pour les entreprises injustement dénoncées est indispensable au droit des affaires.

Par ailleurs, s’agissant des entreprises subissant le « name and shame » à juste titre, la question du droit à l’oubli numérique et du référencement61 de la dénonciation se pose avec acuité, notamment dans l’hypothèse où la décision de condamnation ou la sanction administrative est diffusée sur le support numérique via un autre site ou encore dans le cas où le « name and shame » provient d’une entité privée. Si l’autorité administrative ou judiciaire utilise la sanction de « name and shame » dans un cadre juridique clair et précis en mentionnant les modalités de publication (durée, contenu, support utilisé), tel n’est pas le cas des organisations non gouvernementales ou de la société civile. Dans la mesure où le risque de lynchage médiatique est fort, il convient à cet égard de prévoir des moyens efficaces permettant la mise en œuvre du droit à l’oubli. La mise en application du droit à l’oubli, conférée aux moteurs de recherche, peut être particulièrement problématique en matière de « name and shame ». En effet, dans l’hypothèse où l’entreprise victime de « name and shame » est un moteur de recherche, l’appréciation du déréférencement par ces derniers les met dans une position de juge et partie. L’expansion de cette pratique fait rejaillir avec force les difficultés existantes sur le contrôle de la diffusion numérique d’un contenu.

 

1. V. Malabat, Les sanctions en droit pénal. Diversification ou perte d’identité ?, in C. Chainais et D. Fenouillet, Les sanctions en droit contemporain, la sanction, entre technique et politique, vol. 1, Dalloz, 2012, p. 70.
2. S. Le Samany, Compliance & éthique : quelles sont les limites de la pratique du « name and shame » ?, Option finance, n° 1549, 9 mars 2020, p. 40.
3. F.-R. Benois, Le name and shame, Revue des juristes de sciences Po, n° 20, févr. 2021, p. 1.
4. J.-H. Robert, La fin d’un pilori, Dr. pénal n° 2, févr. 2011, comm. 23.
5. V.-O. Dervieux, « Name and shame » : publication et affichage, l’impossible droit a l’oubli ?, Gaz. Pal. 1er mars 2016, n° 9, p. 29.
6. N. Cuzacq, Le mécanisme du name and shame ou la sanction médiatique comme mode de régulation des entreprises, RTD com. 2017. 473 .
7. C. pén., art. 131-10.
8. C. pén., art. 131-39-9°.
9. F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, 16e éd. 2009, Économica, n° 847.
10. C. pén., art. 131-5.
11. Consulté le 1er déc. 2021.
12. Sur les fonctions de la peine, E. Dreyer, L’objet de la sanction pénale, D. 2016. Chron. 2583 ; F. Ludwiczak et J.-M. Dit Falisse (dir.), Du sens de la peine, L’harmattan criminologie, 2017, plus spéc. F. Ludwiczak, Quelques réflexions relatives aux sens juridiques de la peine, ibid., p. 19 ; S. Humbert, Le sens de la peine, évolution des idées, ibid., p. 33 ; F. Archer, Quelques réflexions sur les sens de la peine, aujourd’hui, ibid., p. 217 ; M. Danti-juan, Réflexions sur le sens de la peine et l’individualisation, ibid., p. 237.
13. En ce sens, Rép. pén., Affichage ou diffusion de la décision, par Y. Lassalle, mars 2016, n° 8 considère qu’« il s’agit bien d’ajouter une opprobre, une ignominie, une honte supplementaires ».
14. J.-Cl. Code pénal,  Affichage ou diffusion de la décision prononcée, par D. Thomas, fasc. 20, 31 mai 2017, n° 2.
15. C. pén., art. 131-39-9°.
16. Crim. 13 mai 1997, n° 97-80.772, RSC 1998. 97, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 1997. 146, obs. J.-H. Robert : viole le principe de légalité l’arrêt ordonnant l’affichage et la diffusion de la condamnation pour travail clandestin alors que la loi prévoit un affichage ou une diffusion. V. sur le principe de légalité,  A. Guidicelli, Le principe de légalité en droit pénal français, aspects légistiques et jurisprudentiels, RSC 2007. 509 ; J. Calvo, La notion de prévisibilité infractionnelle, LPA 24 oct. 1997, n° 128, p. 4.
17. À titre d’illustration, l’art. L. 132-4 c. consom. prévoit la diffusion et l’affichage de la condamnation par le tribunal pour le délit de pratiques commerciales trompeuses. L’art. L. 8224-5 c. trav. prévoit également la peine complémentaire de publication de la condamnation pour travail dissimulé à l’encontre d’une personne morale.
18. La chambre criminelle de la Cour de cassation exerce un contrôle sur le respect des règles établies dans la loi : elle casse un arrêt des juges du fond omettant de fixer la durée de l’affichage de la condamnation dans la limite de deux mois prévus par la loi, Crim. 26 nov. 1985, n° 84-95.209 ; 16 févr. 1993, n° 92-82.416, RSC 1994. 103, obs. B. Bouloc .
19. C. pén., art. 131-35
20. Ibid.
21. M. Danti-juan, Réflexions sur le sens de la peine et l’individualisation, in ludwiczak, J.-M. Dit Falisse [dir.], du sens de la peine, op. cit., p. 217-222, p. 237-246 ; J.-B. Thierry, L’individualisation du droit criminel, RSC 2008. 59.
22. Cons. const. 29 sept. 2010, n° 2010-41 QPC, consid. n° 4, D. 2011. 54 , note B. Bouloc ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; Légipresse 2010. 337 et les obs. ; Constitutions 2011. 531, obs. A. Darsonville ; RSC 2011. 182, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; L. Mongin-Archambeaud, Le recul des sages dans la suppression des peines automatiques, Gaz. Pal. 31 oct. 2010, n° 304-308, p. 12-13 ; A. Lepage et H. Matsopoulou, Des peines complémentaires obligatoires déclarées conformes aux principes constitutionnels, JCP 2010, n° 47, p. 2168; J.-H. Robert, Pronostics déçus, Dr. pénal nov. 2010, n° 11, p. 41 ; M.-C. Sordino, Le principe de la personnalisation de la peine à l’épreuve de la question prioritaire de constitutionnalité : premières décisions, Gaz. Pal. 2 déc. 2010, n° 336, p. 19-23 ; B. Bouloc, La publication de la condamnation : une peine obligatoire, conforme a la constitution !, D. 2011. 54 ; A. Debet, La  QPC et le droit du commerce éléctronique, CCE, déc. 2010, n° 12, p. 30.
23. Cons. const. 10 déc. 2010, n° 2010-72/75/82 QPC, D. 2011. 929 , note B. Bouloc ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2011. 76, obs. J.-B. Perrier ; Rev. sociétés 2011. 377, note H. Matsopoulou ; Constitutions 2011. 531, obs. A. Darsonville ; RSC 2011. 193, chron. C. Lazerges ; ibid. 624, obs. S. Detraz ; ibid. 2012. 230, obs. B. de Lamy ; L. Ayrault, Pouvoir du juge pénal et peine complémentaire de publicité, Procédures, févr. 2011, n° 2, p. 38 ; J.-H. Robert, La fin d’un pilori, préc. ; J.-B. Perrier, Inconstitutionnalité de la peine de publication de la décision de condamnation pour des faits de fraude fiscale, AJ pénal 2011. 76 ; B. Bouloc, Flux, reflux, flux en matière de peine obligatoire, D. 2011. 929 ; H. Matsopoulou, La censure par le conseil constitutionnel de la peine de publication de la décision de condamnation applicable au délit de fraude fiscale, Rev. sociétés 2011. 377 ; M.-C. Sordino, L’inconstitutionnalité de l’article 1741, alinéa 4, du code général des impôts, nouvelle manifestation de la désaffection à l’encontre des peines automatiques, LPA 9-10 août 2010, n° 157-158, p. 11 ; M. Giacopelli, Les peines obligatoires, une nouvelle fois devant le conseil constitutionnel, revue française de droit constitutionnel, juill. 2011, n° 87, p. 576 ; S. Detraz, Réforme de la peine de publication et d’affichage de la condamnation pour fraude fiscale, RSC 2011. 624 ; B. de Lamy, Actualité de la constitutionnalisation des peines : maintien d’un clair obscur, RSC 2012. 230 ; Chronique de droit pénal constitutionnel, RSC 2012. 217.
24. Cons. const. 10 déc. 2010, n° 2010-72/75/82 QPC, consid. n° 5, préc..
25. Conforme à l’art. 3 de la Conv. EDH, Crim. 26 mars 1990, n° 89-82.637 P ; 29 mai 1990, n° 89-84.211.
26. C. trav., art. L. 8224-5 et Décr. n° 2015-1327 du 21 oct. 2015 relatif à la diffusion sur un site internet de condamnations prononcées pour travail illégal. L’art. L. 8224-5 c. trav. a été déclaré conforme à la constitution, Cons. const. 7 oct. 2021, n° 2021-937 QPC, AJ pénal 2021. 538 et les obs. ; RSC 2021. 861, obs. A. Cerf-Hollender .
27. C. com., art. 465-2, v devenu L. 470-2, v.
28. Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
29. Avec loi du n° 2018-898 du 23 oct. 2018. V. sur ce point, D. Gutmann, La pratique du « name and shame », D. 2018. 2224 .
30. C. mon. fin., art. L. 621-15, v.
31. C. com., art. L. 470-2, v.
32. L’art. L. 464-2, i, c. com. prévoit que l’Autorité de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision sanctionnant des pratiques anti-concurrentielles.
33. L’utilisation du « name and shame » est également utilisé par le haut comité pour la gouvernance des entreprises. En ce sens, O. De Baillencourt, Rapport 2021 du HCGE : des précisions apportées et des ambitions affichées, Dr. sociétés 2022. Comm. 4 ; P. Deumier, Le principe « appliquer ou expliquer », appliquer la norme autrement ?, RTD civ. 2013. 79 .
34. Consulté le 1er déc. 2021.
35. CEDH 24 mai 2011, n° 53466/07, Konstas c/ Grèce, § 34, RSC 2011. 711, obs. D. Roets ; CEDH, 5e sect., n° 6193/12, Sté Edelweiss gestion et Christian pire c/ France, §§ 31-32, Dalloz actualité, 15 mars 2017, obs. E. Autier.
36. V. sur cette distinction, E Dreyer, Le conseil constitutionnel et la « matière » pénale – la QPC et les attentes déçues…, JCP 2011. 976.
37. Cons. const. 13 mars 2014, n° 2014-690 DC, consid. n° 67, AJDA 2014. 589 ; D. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; ibid. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier ; Constitutions 2014. 166, chron. P. Bachschmidt ; ibid. 169, chron. P. Bachschmidt ; RTD com. 2014. 163, obs. D. Legeais ; V. Legrand, Loi « consommation » : les sages ont tranche (à propos de Cons. const. 13 mars 2014), LPA 25 avr. 2014, n° 83, p. 7-10 ; J.-H. Robert, Juridictionnalisation administrative, Dr. pénal juin 2014, n° 6, p. 46 ; Commerçants, lisez le nouvel article L. 213-1 du code de la consommation, Dr. pénal juin 2014, n° 6, p. 49 ; S. Detraz, Bis repetita non placent, Gaz. Pal. 27 au 29 juill. 2014, n° 208-210, p. 21-22 ; G. Sutter, Contrôle parlementaire des nominations présidentielles : la compétence incontournable du législateur organique, Constitutions, avril-juin 2014, n° 2014-2, p. 170.
38. Cons. const. 13 mars 2014, n° 2014-690 DC, consid. n° 23, préc..
39. CE 15 oct. 2020, n° 432873, Lebon ; AJDA 2021. 448 , note C. Faure .
40. Ibid., pts 26 et 27.
41. C. com., art. L. 470-2, v.
42. Consulté le 1er déc. 2021.
43. Ibid.
44. Propos de Mme M. Schiappa repris par G. Dupont, Le « name and shame » de Marlène Schiappa pour faire progresser l’égalité des sexes au travail, Le Monde, 13 sept. 2017, consulté le 1er déc. 2021.
45. Consulté le 1er déc. 2021.
46. En vertu de l’art. L. 1142-8 et l’art. D. 1142-5 c. trav. V. sur ce point, G. Santoro, La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel : de nouvelles exigences pour l’égalite salariale entre les femmes et les hommes, RDT 2019. 190 .
47. Tribune d’A.-S. Chazaud, Discrimination à l’embauche : la chasse aux sorcières de Marlène Schiappa, in Le Figaro, 22 janv. 2020.
48. Consulté le 1er déc. 2021.
49. B. Madeleine, Pour faire avancer leur cause, les ONG font de plus en plus pression sur les grosses entreprises, Le Monde, 6 mai 2019 (consulté le 1er déc. 2021).
50. N. Cuzacq, Le mécanisme du name and shame ou la sanction mediatique comme mode de regulation des entreprises, RTD com. 2017. 473 .
51. V. sur ce point, ibid.
52. Le Monde, 10 juill. 2019 (consulté le 1er déc. 2021).
53. Est justifié le licenciement pour faute d’un salarié portant atteinte à l’entreprise publiquement, Soc. 22 juin 2011, n° 10-10.856 ; 15 juin 2010, n° 09-41.550 ; 29 sept. 2010, n° 09-41.544, RDT 2010. 652, obs. P. Adam ; Légipresse 2011. 275 et les obs. .
54. Rapport de l’observatoire des délais de paiement, rapport annuel de 2020, p. 11 et p. 79 (consulté le 1er déc. 2021) ; A. Trebaul, Le name and shame marque le pas, Option finance, 14 déc. 2020, p. 18.
55. V. not., J. Bombadier, Le « name and shame » ou la nouvelle épée de damoclès des entreprises, Option finance, n° 1488, 3 déc. 2018, p. 40.
56. J. Bombadier, Le « name and shame » ou la nouvelle épée de Damoclès des entreprises, préc.
57. Art. 29, al. 1er, de loi du 29 juill. 1881 sur la liberté de la presse réprimant : « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incrimines ».
58. C. mon. fin., art. L. 465-2, al. 2.
59. V., Civ. 1re, 27 nov. 2013, n° 12-24.651, D. 2013. 2850 ; ibid. 2014. 2488, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; Légipresse 2014. 7 et les obs. ; ibid. 155, comm. C. Bigot ; RTD civ. 2014. 127, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 22-23 janv. 2014, obs. A. Guégan-Lecuyer.
60. V.-O. Dervieux, « Name and shame » : publication et affichage, l’impossible droit à l’oubli ?, Gaz. Pal. 1er mars 2016, n° 9, p. 29.
61. Consacré par la CJUE, gr. ch., 13 mai 2014, aff. C-131/12, Google Spain et Google inc c/ AEOD, AJDA 2014. 1147, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 1476 , note V.-L. Benabou et J. Rochfeld ; ibid. 1481, note N. Martial-Braz et J. Rochfeld ; ibid. 2317, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; AJCT 2014. 502, obs. O. Tambou ; Légipresse 2014. 330 et les obs. ; Constitutions 2014. 218, chron. D. de Bellescize ; RTD eur. 2014. 283, édito. J.-P. Jacqué ; ibid. 879, étude B. Hardy ; ibid. 2016. 249, étude O. Tambou ; Rev. UE 2016. 597, étude R. Perray ; v. égal. CJUE 24 sept. 2019, aff. C-136/17 et C-507/17 mettant en exergue les critères d’appréciation du droit à l’oubli pour les moteurs de recherche, AJDA 2019. 1839 ; ibid. 2291, chron. P. Bonneville, C. Gänser et S. Markarian ; D. 2020. 515 , note T. Douville ; ibid. 2019. 2022, note J.-L. Sauron ; ibid. 2020. 1262, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; Dalloz IP/IT 2019. 631, obs. N. Martial-Braz ; Légipresse 2019. 515 et les obs. ; ibid. 687, étude N. Mallet-Poujol ; RTD eur. 2020. 316, obs. F. Benoît-Rohmer . V. Sur cette question, C. Féral-schulhl, Praxis cyberdroit, chapitre 112 – des droits de la personne renforces –, op. cit., n°  112.15-112.52 ; J.-M. Brugière, Droit à l’oubli numérique et droit au respect de la vie privée : attention un droit peut en cacher un autre, in D. Dechenaud [dir.], Le droit à l’oubli numérique, données nominatives – approche comparée, Larcier, 2015, p. 51 ; H. Belrhali-Bernard, Droit à l’oubli des personnes condamnées versus liberté d’expression, in D. Dechenaud [dir.], Le droit à l’oubli numérique, données nominatives – approche comparée, op. cit., p. 65.