Par une décision du 24 septembre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « si, selon les principes rappelés par l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, les documents et les correspondances échangés entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couverts par le secret professionnel, il demeure qu’ils peuvent notamment être saisis dans le cadre des opérations de visite prévues par l’article L. 450-4 du code de commerce dès lors qu’ils ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense »2.
Cette décision n’est pas une nouveauté. On relève ainsi un arrêt du 25 novembre 20203 sur la saisie d’une correspondance entre un avocat et son client lors d’une visite en matière de concurrence, par lequel la Cour de cassation avait déjà jugé la même chose, presque mot pour mot.
En remontant dans le temps, déjà en 1994, la Cour avait rejeté une demande d’annulation de saisie d’une correspondance entre un avocat et son client au motif qu’il « demeure que le juge d’instruction tient de l’article 97 du code de procédure pénale le pouvoir de saisir [les correspondances] dès lors qu’elles ne concernent pas l’exercice des droits de la défense »4.
La jurisprudence de la Cour de cassation est donc stable sur le sujet depuis au moins 19945.
Elle dit en substance qu’un document couvert par le secret professionnel selon les dispositions de la loi de 1971 peut être saisi lors d’une perquisition chez l’avocat ou le client si ce document ne relève pas de l’exercice des droits de la défense.
Vrai malentendu de fond ou faux-semblant ?
Ce qui trouble dans ces décisions, c’est qu’elles paraissent directement contraires aux termes de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, qui dispose que « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ».
Le trouble est encore plus profond lorsque l’on observe que ce texte est le fruit d’une longue évolution qui paraît avoir été destinée à contrer l’interprétation qu’en donne la Cour de cassation. En 1971, la loi était muette sur le secret professionnel. La première version de l’article 66-5 insérée par la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 disposait : « Les consultations adressées par un avocat à son client et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel ». Ensuite, chaque étape de l’évolution du texte a paru être une réponse du législateur à des décisions de la Cour de cassation, qui aurait continué de faire la sourde oreille en refusant de donner au secret professionnel la portée qui aurait dû résulter du texte de la loi. On a vu dans cette évolution une sorte de « guerre de positions que se livrent avocats et magistrats depuis trois décennies » et dont les étapes ont été maintes fois rappelées6.
Le trouble se mue en incompréhension lorsque l’on observe que le code de procédure pénale dispose dans son article préliminaire que « Le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code », alinéa ajouté à cet article par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, et où l’on a vu une consécration du « secret professionnel de l’avocat en tant que principe directeur de la procédure pénale, équivalent au principe de la présomption d’innocence, de l’équité ou encore du contradictoire »7.
En l’état de ces textes, comment comprendre que la Cour de cassation continue de juger que les seules correspondances avocat-client pouvant échapper à la saisie sont celles qui relèvent de l’exercice des droits de la défense ? On pourrait être tenté de conclure avec certains commentateurs que la Cour « ajoute à l’article 66-5 de la loi de 1971 une condition qu’elle ne contient pas : celle du lien entre le courrier et l’exercice des droits de la défense »8.
Est-on en présence d’un vrai malentendu de fond sur la portée des textes ou d’une sorte de prise de position pour tenter de les faire évoluer ? La posture, ou le faux-semblant, consisterait à feindre de croire que l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 édicte une règle opposable à un juge d’instruction en cas de saisie, pour ensuite s’offusquer de ce que la Cour de cassation ignore cette règle. Mais ce serait préempter la question essentielle : le périmètre large que le législateur a assigné au secret professionnel par ce texte signifie-t-il que les documents soumis à ce secret deviennent ipso facto insaisissables dans le cadre d’une perquisition ?
Il faut une clarification
On sait que la notion de secret professionnel de l’avocat recouvre deux sujets9 :
- l’un est l’obligation que la loi fait peser sur l’avocat de ne pas révéler les confidences qu’il reçoit de ses clients. Ici, l’article 66-5 de la loi de 1971 a donné à cette obligation un périmètre très large. En bref, que l’avocat agisse dans le domaine du conseil ou du contentieux, il ne peut rien révéler : ni les consultations qu’il adresse à son client, ni les correspondances échangées avec son client ou des confrères, ni des notes d’entretien et de manière générale aucune pièce du dossier ;
- l’autre sujet est celui de l’opposabilité de ce secret. Il s’agit de savoir pour quels documents, soumis à son obligation de secret, l’avocat ou le client peut invoquer le secret professionnel pour faire obstacle à une mesure de saisie dans le cadre d’une perquisition.
Évidemment, on pourrait argumenter que les deux sujets n’en font qu’un, et que ce qui fait l’objet de l’obligation de secret de l’avocat fait aussi l’objet du pouvoir de s’opposer à une mesure de saisie. Mais aucun texte ne dispose que ce qui est soumis au secret professionnel de l’avocat selon l’article 66-5 de la loi de 1971 est ipso facto insaisissable par un juge d’instruction dans le cadre des pouvoirs que lui donne le code de procédure pénale. Pour être clair, le législateur n’a exprimé aucune intention sur le sujet, ni dans le code de procédure pénale, ni ailleurs.
D’où vient alors la notion de droits de la défense utilisée par la Cour de cassation et où certains auteurs ont vu l’ajout d’une condition non prévue par les textes ?
C’est en examinant cette question que l’on devient moins certain que les critiques faites à la Cour de cassation sont justifiées. Il existe en effet des indications montrant qu’elle n’a pas inventé de toute pièce cette notion comme critère permettant de définir ce qui peut ou ne peut pas être saisi parmi les communications avocat-client.
L’article 56-1 du code de procédure pénale dispose en effet : « Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d’avocat et à ce qu’aucun document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé ».
Donc, pour qu’un document soit à l’abri d’une saisie, il faut qu’il réunisse deux conditions : être couvert par le secret professionnel selon l’article 66-5 de la loi de 1971 et relever de l’exercice des droits de la défense.
Entre l’article 66-5 de la loi de 1971, qui ne vise pas les perquisitions au cabinet ou au domicile d’un avocat, et l’article 56-1 du code de procédure pénale qui est entièrement consacré à ces perquisitions, on voit mal sur quel fondement le premier devrait prendre le pas sur le second et le rendre inopérant. On voit assez bien, en revanche, en quoi le premier peut faire figure de norme générale et le second de norme spéciale, constituant une dérogation au principe selon la maxime specialia generalibus derogant. Cette lecture semble confirmée par le nouvel alinéa de l’article préliminaire du code de procédure pénale qui dispose que le secret professionnel de l’avocat « est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code »10 .
Or, si le législateur avait entendu disposer que le secret professionnel de l’article 66-5 de la loi de 1971 fait obstacle à toute saisie d’une correspondance avocat-client à l’occasion d’une perquisition dans le cadre d’une information judiciaire, il l’aurait exprimé ainsi. D’ailleurs il le fait parfois.
Ainsi le législateur a prévu à l’article 706-160 du code de procédure pénale que l’action de l’AGRASC doit céder devant le secret professionnel de l’avocat : « Dans l’exercice de ses compétences, l’agence peut obtenir le concours ainsi que toutes informations utiles auprès de toute personne physique ou morale, publique ou privée, sans que le secret professionnel lui soit opposable, sous réserve des dispositions de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ».
De même pour la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des États membres de l’Union européenne en matière de dépistage et d’identification des produits du crime ou des autres biens en rapport avec le crime : « ces services peuvent obtenir toutes informations utiles auprès de toute personne physique ou morale, publique ou privée, sans que le secret professionnel leur soit opposable, sous réserve des dispositions de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques »11.
Conclusion : lorsque le législateur veut que le secret professionnel de l’avocat, selon le périmètre large de l’article 66-5 de la loi de 1971, fasse échec à l’exercice du droit de communication de certaines institutions, il le prévoit expressément. Le fait est qu’il ne l’a pas dit s’agissant du droit que les autorités compétentes tirent des textes en matière de perquisition. Il est donc difficile de reprocher à la Cour de cassation d’appliquer l’article 56-1 du code de procédure pénale tel qu’il est rédigé.
Le reproche fait à la Cour de cassation paraît d’autant moins justifié que pour le secret professionnel de l’avocat, elle se montre parfois plus protectrice que les textes. Ainsi, pour les enquêtes de l’Autorité de la concurrence, l’article L. 450-4 du code de commerce définissant les droits des agents enquêteurs ne contient aucune référence à l’article 66-5 de la loi de 1971, pas plus qu’il ne dit mot de la protection des correspondances avocat-client, ni dans ses dispositions, ni par renvoi à l’article 56-1 du code de procédure pénale. Il revient à la Cour de cassation d’avoir posé une limite en jugeant que « le pouvoir reconnu aux agents de l’Autorité de la concurrence par l’article L. 450-4 du code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense »12. Il n’en reste pas moins que du point de vue des textes, on peut regretter l’existence d’un « fossé qui sépare aujourd’hui encore le droit processuel de la concurrence (C. com., art. L. 450-4) de la procédure pénale de droit commun (C. pr. pén., art. 56) » et ce silence de l’article L. 450-4 du code de commerce sur la question des correspondances avocat-client, « symptôme d’un droit de la concurrence lacunaire d’un point de vue procédural »13. En effet, à la lettre des textes et sans l’intervention de la Cour de cassation, les agents de l’Autorité de la concurrence étaient fondés à soutenir qu’aucune correspondance avocat-client n’est à l’abri de leurs saisies, pas même les correspondances relevant de l’exercice des droits de la défense.
Pour revenir sur le terrain de la procédure pénale, selon la jurisprudence actuelle, on a pu écrire que le droit positif n’accorde aucune protection aux correspondances avocat-client qui ne relèvent que de l’activité de conseil, hors du champ de l’exercice des droits de la défense14.
Cet avis est toutefois obscurci depuis l’adjonction au code de procédure pénale de son article 56-1-2. L’intention était de traiter spécialement la manière dont l’opposabilité du secret professionnel de l’avocat fonctionne dans le cadre d’enquêtes portant sur une catégorie particulière d’infractions : la fraude fiscale, le financement du terrorisme, la corruption et le trafic d’influence15. Ce nouveau texte dispose qu’en cas de perquisition chez un avocat ou un tiers à l’occasion d’enquêtes portant sur de telles infractions, « le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction […], sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l’avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ».
Voici qu’en définissant dans ce nouveau texte certains cas où le secret professionnel du conseil n’est pas opposable, le législateur semble indiquer a contrario qu’il est opposable dans les autres cas16. La circulaire CRIM-2022-05/H2 28/02/2022 du 28 février 2022 a eu beau tenter de contrer cette lecture en indiquant que « le secret du conseil est désormais protégé, mais à la condition qu’il se rapporte à l’exercice des droits de la défense », on voit bien que cette condition ne figure nulle part dans le texte.
Donc, aux termes de l’article 56-1-2 du code de procédure pénale, pour que le secret professionnel du conseil ne soit pas opposable aux actes d’enquête ou d’instruction, il faut que deux conditions soient réunies :
- d’une part, que les actes d’enquête ou d’instruction soient relatifs aux infractions visées par ce texte ;
- et d’autre part, que les correspondances ou pièces détenues ou transmises par l’avocat ou son client « établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ».
Si l’on comprend bien, lorsque l’une de ces deux conditions n’est pas remplie, alors le secret professionnel du conseil est opposable aux actes d’enquête ou d’instruction. Autrement dit, si les actes d’enquête ou d’instruction ne sont pas relatifs aux infractions visées par ce texte, les documents relevant du secret professionnel du conseil ne peuvent pas être saisis.
On peut se demander où est la cohérence de ce dispositif législatif, et s’il est raisonnable et respectueux pour la Cour de cassation de lui d’imposer de « faire le ménage » des insuffisances rédactionnelles des textes pour enfin poser une règle claire sur l’étendue de l’opposabilité du secret professionnel de l’avocat.
Pour sortir de l’ambiguïté
On a tout dit sur l’importance du secret professionnel de l’avocat comme élément d’une justice civilisée17, or le concert de protestations qui salue périodiquement les décisions de la Cour de cassation et le corps de doctrine qui se constitue sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme suggèrent que nos textes en la matière n’ont pas permis d’atteindre l’équilibre souhaitable.
Il faut avoir le courage de reconnaître que le sujet est principalement un sujet de politique législative, et très minoritairement un sujet d’interprétation des textes. Par conséquent, on ne voit guère comment sortir de l’insatisfaisante situation actuelle sans une intervention du législateur. Pour cet effort de clarification législative, on peut suggérer à ceux qui porteront le sujet de retenir deux axes.
Le premier consiste à tenir compte de l’évolution de la doctrine de la Cour européenne des droits de l’homme, adoptant ainsi une approche prophylactique permettant d’éviter les sanctions promises si notre législation s’en écartait trop sensiblement.
Tenir compte de ce que dit la Cour européenne des droits de l’homme, c’est notamment mettre fin à la distinction entre correspondances relevant du secret de la défense et celles relevant du conseil : « la Cour rappelle l’importance de garanties procédurales spécifiques lorsqu’il s’agit de protéger la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients, ainsi que le secret professionnel (v.entre autres, Särgava, préc., § 88, Saber, préc., § 51, Sommer c/ Allemagne, n° 73607/13, § 56, 27 avr. 2017, et Michaud c/ France, n° 12323/11, § 130, CEDH 2012). Elle a souligné qu’en vertu de l’article 8 de la Convention, la correspondance entre un avocat et son client, et d’une manière générale toutes les formes d’échanges entre eux, quelle qu’en soit la finalité, jouit d’un statut privilégié quant à sa confidentialité »18.
On dispose sur le sujet d’une excellente synthèse préparée par les services de la Cour, où l’on peut lire : « La Cour ne fait pas la distinction entre les catégories de correspondance avec les avocats, ni en fonction de leur contenu ni en fonction de leur finalité, puisqu’il serait difficile de tracer la frontière entre le courrier relatif à une procédure envisagée et celui de caractère général (CEDH Altay c/ Turquie (n° 2), 2019, § 51, et Campbell c/ Royaume-Uni, 1992, § 48) »19. Bref, cette distinction entre conseil et défense est non seulement impraticable20 (comment un enquêteur peut-il distinguer sans examiner les documents et ainsi risquer de violer le secret ?), elle est en outre contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, suivie en cela par la Cour de justice de l’Union européenne21. Que le Conseil constitutionnel ait jugé que cette distinction n’est pas contraire à la constitution n’y change rien22.
Tenir compte de ce que dit la Cour européenne des droits de l’homme, c’est aussi distinguer deux situations, l’une étant celle où l’avocat concerné est accusé ou soupçonné d’avoir lui-même commis l’infraction donnant lieu à l’enquête, l’autre étant celle où l’avocat n’est ni accusé ni soupçonné. Comme le souligne un commentateur, le respect de l’article 8 de la Convention européenne exige « que la perquisition d’un cabinet d’avocat se fasse dans les seuls cas où l’avocat en cause soit accusé ou soupçonné d’avoir commis personnellement une infraction ou dans le cadre de devoirs d’enquête précis portant sur des pièces ou des documents qui ne sont pas soumis au secret professionnel »23. On comprend que l’émoi du barreau et du public se concentre sur les situations où un cabinet d’avocat est perquisitionné et où des documents couverts par le secret professionnel sont saisis alors que rien ne permet de soupçonner l’avocat d’avoir participé à quelque infraction que ce soit : c’est bien là que l’on s’écarte du statut privilégié quant à sa confidentialité exigé par la Convention européenne.
Le deuxième axe à recommander à ceux qui entreprendront la nécessaire rénovation législative de la matière consiste à donner à ceux qui appliqueront les textes des règles claires et aisément utilisables.
Il faudra d’abord exprimer en termes clairs et pratiques le critère permettant de déterminer si l’avocat chez qui on envisage une saisie peut être accusé ou soupçonné d’avoir lui-même commis l’infraction donnant lieu à l’enquête. À cet égard, il devrait tomber sous le sens que toute relation avocat-client préexistant la commission par le client d’un acte pénalement répréhensible ne suffit pas établir un soupçon contre l’avocat d’avoir agi comme complice.
Comme exemple de critère ni clair ni pratique, on peut citer la notion de « raisons plausibles » utilisée à l’article 56-1 du code de procédure pénale24. Quoi qu’ait pu en dire le Conseil constitutionnel25, point n’est besoin d’être expert pour réaliser que cette notion est floue26 et que, mise entre les mains d’un juge des libertés et de la détention qui ne sait du fond du dossier que ce que le juge d’instruction lui en dit, elle peut justifier presque toute perquisition d’un cabinet d’avocat.
On saisit encore mieux l’absence de caractère opérationnel de cette notion si l’on prend l’hypothèse d’une enquête pour fraude fiscale où s’applique l’article 56-1-2. Compte tenu de la complexité de la matière fiscale, comment imaginer qu’un juge des libertés et de la détention puisse, au vu d’une consultation ou d’une note de structure fiscale émanant de l’avocat concerné, conclure qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner cet avocat d’avoir participé à la fraude supposée ? Sans mettre en doute l’expertise des juges des libertés et de la détention en matière fiscale, ce n’est pas réaliste. Il faudrait donc que le législateur aide ces juges en imposant qu’on leur présente un élément justifiant objectivement le soupçon contre l’avocat. En matière fiscale, ce pourrait être par exemple une décision du juge de l’impôt approuvant l’administration d’avoir appliqué la majoration de 80 % prévue par l’article 1729 du code général des impôts en cas de manœuvres frauduleuses.
On peut enfin souhaiter que le législateur intègre l’idée que nul (surtout pas au sein du barreau) ne songe à prétendre qu’un avocat soupçonné d’avoir commis un crime ou délit devrait pouvoir s’opposer aux actes d’enquête en s’appuyant sur son secret professionnel. On peut lui souhaiter aussi un débat serein et digne, à l’écart des stéréotypes et idées reçues qui imprègnent parfois la matière, tel ce propos de M. Jean-Louis Debré en 1986 : « si une instruction est ouverte, on peut écouter tout le monde. Et faire la même chose avec les perquisitions. Y compris, donc, chez les avocats, qui sont, trop souvent, des complices »27. À notre connaissance, il n’existe aucune donnée statistique justifiant cette affirmation et l’observation empirique indique que les situations où des avocats se sont mis en marge de leurs obligations professionnelles sont exceptionnelles.
1. V. not., E. Dieny, Perquisitions et protection de l’entreprise : une position toujours plus restrictive des juges français, L’Essentiel, Droit de la distribution et de la concurrence, n° 10, p. 2 ; Linkedin, post de Pierre Servan-Schreiber ; www.jonesday.com, Insights, French Supreme Court Adopts a Restrictive Conception of Attorney-Client Privilege, 24 oct. 2024 ; www.altajuris.com, Secret des consultations juridiques : un pas en avant, deux pas en arrière…, 14 oct. 2024 ; https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7244644838351024128/.
2. Crim. 24 sept. 2024, n° 23-84.244, Dalloz actualité, 5 nov. 2024, obs. C. Fonteix ; D. 2024. 1986 , note B. Chaffois ; AJ pénal 2024. 586, obs. J. Lasserre Capdeville .
3. Crim. 25 nov. 2020, n° 19-84.304, Dalloz actualité, 23 déc. 2020, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2020. 2340 .
4. Crim. 7 mars 1994, n° 93-84.931, J. Pradel, Peut être saisie par le juge d’instruction la correspondance échangée entre un avocat et son client dès lors qu’elle ne concerne pas l’exercice des droits de la défense, D. 1994. 188 ; D. 1995. 167 , obs. A. Brunois ; RSC 1994. 576, obs. J.-C. Marin .
5. On relève, not., les arrêts suivants, Crim. 5 oct. 1999, n° 98-80.007, D. 2000. 155 , obs. B. Blanchard ; 27 juin 2001, n° 01-81.865, D. 2001. 2947 ; RSC 2001. 832, obs. D.-N. Commaret ; ibid. 834, obs. D.-N. Commaret ; 18 juin 2003, n° 03-81.979, AJ pénal 2003. 30, obs. J. C. ; RSC 2004. 422, obs. J. Buisson ; 22 mars 2016, n° 15-83.205, Dalloz actualité, 24 mars 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 713 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; AJ pénal 2016. 261, obs. P. de Combles de Nayves ; Dr. pénal 2016. 101, note A. Maron et M. Haas.
6. V. not., B. Chaffois, Le secret professionnel de l’avocat du conseil et de la défense… sans le conseil ?, D. 2024. 1986 ; F. Safi, L’opposabilité du secret professionnel de l’avocat : un pas en avant, deux pas en arrière…, Dr. pénal 2022. Étude 2 ; T. Baudesson, Le nouvel article 56-1-2 du code de procédure pénale ou l’introduction discrète en droit français de la crime-fraud exception américaine, mais sans les garanties qui l’accompagnent, Dr. pénal 2022. Étude 3.
7. F. Safi, L’opposabilité du secret professionnel de l’avocat : un pas en avant, deux pas en arrière…, préc.
8. A.-S. Chavent-Leclère, Enquêtes : secret professionnel. Les correspondances avocat-client ne sont couvertes que si elles ont un lien avec l’exercice des droits de la défense, Procédures 2021. Comm. 15.
9. V. not., J.-Cl. Pr. pén., v° Art. 92 à 98, Transports, Perquisitions et saisies. Régime des perquisitions et saisies à l’égard de personnes ou d’institutions protégées, par J. Dumont et A. Bonnet, fasc. 30, § 25 ; T. Baudesson, art. préc., Dr. pénal janv. 2022. Étude 3, § 9 ; J.-Cl. Civ., v° Avocats. Obligations et prérogatives, par D. Landry, fasc. 30, § 104.
10. La circ. CRIM-2022-05/H2 28/02/2022 du 28 févr. 2022 le dit expressément : « Toutefois, dès lors qu’elles renvoient expressément aux « conditions prévues par le présent code », la portée de ces dispositions de principe est précisée par les dispositions des articles 56-1, 56-1-1, 56-1-2 et 100-5 ».
11. C. pr. pén., art. 695-9-51.
12. Crim. 24 avr. 2013, n° 12-80.331, Dalloz actualité, 15 mai 2013, obs. A. Portmann ; ibid. 17 mai 2013, obs. F. Winckelmuller ; D. 2013. 1124 ; ibid. 2014. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; ibid. 893, obs. D. Ferrier .
13. L. Saenko Les saisies globales en droit de la concurrence : perspectives nouvelles, Dr. pénal 2013. Étude 16.
14. Rép. pén., v° Perquisition-Saisie-Visite domiciliaire, par S. Rayne, § 45.
15. CGI, art. 1741 et 1743, et C. pén., art. 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10.
16. B. Chaffois, art. préc., D. 2024. 1986, § 10.
17. Not., « le secret professionnel constitue l’un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’organisation de la justice dans une société démocratique », CEDH, Les droits des avocats et juristes dans la jurisprudence de la Cour, mise à jour au 29 févr. 2024, p. 2 ; v. aussi, la circ. CRIM-2022-05/H2 28/02/2022 du 28 février 2022 qui commence par ces mots : « Le secret professionnel de la défense constitue dans tout État de droit une garantie essentielle au bon fonctionnement de la justice et à son caractère équitable, qui participe directement de la confiance des citoyens dans l’institution judiciaire ».
18. CEDH 6 sept. 2024, Bersheda et Rybolovlev c/ Monaco, nos 36559/19 et 36570/19.
19. CEDH, Les droits des avocats et juristes dans la jurisprudence de la Cour, préc., p. 1.
20. J.-C. Marin l’écrivait déjà en 1994, « les frontières peuvent s’avérer bien floues entre ces deux métiers de l’avocat », La preuve. Le droit pénal des affaires et le secret professionnel de l’avocat, art. préc.
21. CJUE 26 sept. 2024, aff. C-432/23, où l’on peut lire, not., au § 51, « une consultation juridique d’avocat bénéficie, quel que soit le domaine du droit sur lequel elle porte, de la protection renforcée garantie par l’article 7 de la Charte aux communications entre un avocat et son client ».
22. Cons. const. 19 janv. 2023, n° 2022-1030 QPC, Dalloz actualité, 1er févr. 2023, obs. H. Diaz ; AJ pénal 2023. 132, note E. Mercinier et V. Rigamonti .
23. T. Bontinck, La conventionnalité de la perquisition d’un cabinet d’avocat dépend du respect de conditions strictes, Journal des tribunaux 2021. 907, note ss. CEDH 13 avr. 2021, Duyck c/ Belgique, nos 81732/12 et 26656/15.
24. Sur le sujet, « lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice, l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe au sens de l’article 203 ». Que la notion de « raisons plausibles » soit dérivée des dispositions de la Conv. EDH ne la rend pas moins floue.
25. Cons. const. 19 janv. 2023, n° 2022-1030 QPC, préc., § 15.
26. J.-Cl. Pr. pén., v° Art. 53 à 73. Personnes soupçonnées ne faisant pas l’objet d’une garde à vue, par J. Leroy, fasc. 40, § 24.
27. Des déclarations de M. J.-L. Debré contre les avocats suscitent une vive émotion dans les barreaux français, Le Monde, 17 avr. 1986 ; v. égal., P.-A. Iweins, Avocat, donc complice, Le Monde, 2 mai 2005.