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Le droit en débats

La surveillance post-pénale : l’inexorable fuite en avant

Soucieux de maintenir sous l’œil vigilant des autorités des individus ayant exécuté leur peine, le législateur poursuit l’ambition d’étoffer encore davantage le panel déjà conséquent des mesures permettant d’assurer une surveillance post-pénale. Il y est ponctuellement conforté par la Cour européenne des droits de l’homme qui adopte une position relativement magnanime à l’endroit de nombreux de ces dispositifs, comme dans l’arrêt Timofeyev et Postupkin contre Russie (CEDH, 3e sect., 19 janv. 2021, nos 45431/14 et 22769/15), en les excluant de manière récurrente du champ d’application de l’article 7 de la Convention européenne.

Par Laure Laref le 09 Juin 2021

Alors que la gamme des mesures de sûreté n’a cessé de s’étoffer depuis une vingtaine d’années, le gouvernement français vient de nouveau de proposer un projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement1 qui nourrit l’ambition de renforcer la surveillance de certains condamnés à l’issue de leur peine. Outre la pérennisation de certaines mesures déjà existantes2, il souhaite créer une nouvelle mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion. Si le développement des mesures de surveillance post-pénale interroge tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, il questionne également la nature et le régime des dispositifs en cause mais encore leur fondement. Ces discussions se prolongent à Strasbourg, même si la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) refuse trop souvent de voir dans les mesures de surveillance post-pénale une peine au sens de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, adressant par là-même un signal dangereux au législateur national toujours plus prompt à les étendre.

La surveillance d’une dangerosité supposément persistante

En France, le suivi post-sentenciel des individus condamnés pour des faits d’une particulière gravité est principalement de nature judiciaire, qu’il résulte de la peine prononcée – comme ce peut être le cas avec le suivi sociojudiciaire – ou des diverses mesures de sûreté. Leur multiplication, galopante depuis une vingtaine d’années, conduit aujourd’hui à une palette de dispositifs qui ont comme point commun de tous s’appuyer sur la dangerosité supposément persistante de l’intéressé, même si leur degré de contrainte varie sensiblement. Il peut en effet s’agir de mesures d’enfermement comme de restrictions et interdictions portant sur des activités, des déplacements ou des activités voire encore des obligations de nature médicale ou encore sociales. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ces mêmes individus peuvent encore faire l’objet de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance à l’issue de leur peine. À l’instar du commun de la population, cette mesure parapénale3 sera prononcée dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre et la sécurité publics et qu’ils sont entrés en relation de manière habituelle avec des personnes ou des groupements enclins à la commission d’actes de terrorisme4. Le législateur souhaite encore grossir les rangs des dispositifs de surveillance post-sentenciels en créant une mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste applicable à des individus qui présentent, à leur sortie de détention et après évaluation5, « une probabilité très élevée de récidive et […] une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, faisant ainsi obstacle à sa réinsertion »6 sans pouvoir s’inscrire dans les ressorts des dispositifs de surveillance déjà existants7. Auparavant rejetée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-805 DC du 7 août 2020, cette mesure projette de combler cette – mince – faille tout en se recentrant, dans sa nouvelle mouture, sur l’objectif de réinsertion du principal intéressé8. Le dispositif envisage en l’état des obligations sensiblement réduites9 par rapport aux ambitions initiales et ne pourrait être prononcé par le tribunal de l’application des peines de Paris que pour une durée d’un an – sauf renouvellement pour une même durée dans la limite de cinq ans au plus, conditionné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires – pour des personnes condamnées pour terrorisme à des peines d’une durée égale ou supérieure à cinq ans10. Outre le fait que la mesure ne peut être ordonnée que si elle apparaît strictement nécessaire à la prévention de la récidive, elle est par ailleurs exclusive de tout autre dispositif puisqu’elle n’est pas applicable si la personne a été condamnée à un suivi sociojudiciaire, si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire, d’une mesure de surveillance de sûreté ou d’une rétention de sûreté. S’il s’agit avec cette mesure de renforcer, encore, la surveillance en aval, des propositions tendant à développer et renforcer une surveillance en amont des individus susceptibles de participer à des projets de cette nature sont de manière récurrente proposées à la discussion parlementaire. Ces propositions envisagent notamment la possibilité d’une rétention administrative d’individus en raison du danger manifeste qu’ils présenteraient à l’issue de leur peine11, laquelle rétention « n’aurait cependant pas [présenté], pour ces infractions, de caractère nécessairement médical »12. Le Conseil d’État ne s’était d’ailleurs pas opposé à cette initiative sous réserve que certaines conditions soient posées13, même si l’article en cause avait toutefois été supprimé, substituant alors à cette disposition l’extension du suivi sociojudiciaire aux criminels terroristes et l’extension de la période de sûreté. La récente proposition de loi n° 3560 du 17 novembre 2020 visant à interner les Français fichés au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste en centre de rétention administrative va même plus loin en s’affranchissant de toute condamnation antérieure. La position adoptée par la Cour de Strasbourg à l’endroit des mesures de sûreté, particulièrement contraignantes pour certaines d’entre elles, peut d’ailleurs légitimement inquiéter quant au devenir de ces dernières prétentions, fort heureusement encore isolées.

Un signal dangereux adressé au législateur français déjà enclin au développement des dispositifs de surveillance post-sentenciels

S’il n’existe pas encore de passerelles directes similaires à celle exposée dans l’arrêt ci-après évoqué qui permettraient aux autorités pénitentiaires de solliciter auprès d’une juridiction le prononcé d’une mesure de surveillance administrative à la libération du condamné en raison de sa dangerosité – carcérale, criminologique, pénale ? –, il est néanmoins intéressant de se pencher sur la solution critiquable et non moins attendue rendue par la CEDH dans l’arrêt Timofeyev et Postupkin contre Russie du 19 janvier 202114. En l’espèce, le premier requérant, M. Timofeyev, avait été condamné pour meurtre commis tandis que le second, M. Postupkin, avait été reconnu coupable de trafic de stupéfiants, les faits litigieux ayant tous été commis « en état de récidive dangereuse » (§ 4 et 23). À la suite d’une demande formulée auprès de la juridiction compétente par les directeurs des établissements au sein desquels ils étaient respectivement incarcérés, tous deux ont fait l’objet de mesures de surveillance administrative à l’issue de leur détention au sein de leur colonie pénitentiaire, le premier pour une durée de huit ans et le deuxième pour six ans. Ces mesures se traduisaient pour chacun d’eux par une interdiction de quitter le domicile ou tout autre lieu de résidence pendant la plage horaire comprise entre 22 h et 6 h et par l’obligation de se présenter à l’autorité chargée de leur surveillance administrative, à raison d’une présentation mensuelle pour le second requérant et de trois fois par mois pour le premier. Ce dernier était en outre tenu de ne pas se rendre « en des lieux publics de divertissement des citoyens (restaurants, bars, centres de distraction, etc.) » (§ 11) ni dans des lieux de manifestations publiques. Le prononcé de ces mesures s’appuyait sur les renseignements transmis par les autorités pénitentiaires qui faisaient état du fait que les requérants avaient été condamnés pour des infractions commises en état de récidive dite dangereuse, qu’ils n’avaient manifesté aucun intérêt au travail durant leur incarcération et qu’ils n’avaient pas respecté le régime pénitentiaire auquel ils étaient soumis. Cela les avait conduits à faire l’objet de nombreuses sanctions disciplinaires et à se voir attribués la qualité de « transgresseur avéré du régime carcéral » (§ 5 et 24). Les requérants avaient alors fait appel des jugements prononçant ces mesures de surveillance.

Outre la violation alléguée de l’article 2 du protocole additionnel n° 4 (liberté de circulation) et de l’article 4 du protocole n° 7 (principe ne bis in idem) que le second requérant soulevait – leurs requêtes ayant été jointes – et celle de l’article 6, § 1, le premier requérant invoquait celle de l’article 7. À ce titre, il arguait du fait que la mesure de surveillance prononcée à son encontre n’existait pas dans l’ordre juridique russe au moment des faits ayant entraîné sa condamnation et que, dès lors, cette mesure constituant une peine, elle ne pouvait lui être infligée rétroactivement. Après avoir rappelé la portée autonome de la notion de peine contenue dans cette disposition, la Cour a estimé, à l’instar de la Cour constitutionnelle et de la Cour suprême russe, que l’objectif premier des mesures contestées par M. Timofeyev est d’empêcher la récidive et qu’elles ne revêtent donc pas une dimension punitive. Par ailleurs, afin d’écarter le grief tendant à faire état de la ressemblance entre les mesures imposées dans le cadre de cette surveillance administrative et celles éventuellement prononcées dans celui d’une peine restrictive de liberté, la Cour s’affranchit de toute considération quant aux effets des mesures contestées pour se contenter de mettre en exergue leur différence de fondement : l’une s’appuie sur le précédent pénal tandis que l’autre repose sur la dangerosité de l’individu. Cela justifierait que les mesures imposées dans le cadre de cette surveillance administrative soient dénuées de tout caractère répressif, quand bien même les obligations seraient similaires et les effets, recherchés et/ou supportés, identiques. Elles ont donc selon elle « un but préventif et ne peuvent être regardées comme ayant un caractère répressif et comme constituant une sanction » (§ 76). Partant, elle en conclue que les obligations et restrictions imposées dans le cadre de la surveillance administrative ne constituaient pas une peine au sens de l’article 7, § 1, de la Convention et qu’elles doivent être analysées comme des mesures préventives auxquelles le principe de non-rétroactivité énoncé dans cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer (§ 81).

Sans surprise, cet arrêt confirme la position adoptée par la Cour en matière de restrictions à la liberté d’aller et venir mais il conforte aussi, plus généralement, sa magnanimité à l’endroit des mesures de surveillance destinées à la prévention de la criminalité. Cela se vérifie qu’il s’agisse de mesures de sûreté judiciaires ou, ici, de mesures de surveillance de nature administrative, indépendamment de la nature de la mesure litigieuse dont la qualification découle de la mise en œuvre du principe d’interprétation autonome et des critères dégagés dans l’arrêt Welsh15. Les juges strasbourgeois semblent indifférents à la nature de la procédure en cause – pénale, civile ou administrative –, seul le but recherché conditionnerait l’applicabilité des garanties de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme aux mesures litigieuses. Ainsi, dès lors qu’elles postuleraient une finalité préventive, les dispositions de l’article précédemment évoqué seraient écartées, peu importe si les mesures en cause sont prononcées au terme d’une procédure judiciaire ou administrative et sans considération de la nature et des effets de la mesure. Cela se vérifie qu’il s’agisse d’un enfermement16 ou, a minima, de restrictions, notamment à la liberté d’aller et venir, même si celles-ci sont notables. Elle confirme cette position en affirmant que « la gravité des mesures en cause n’est pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive peuvent, de même que des mesures devant être qualifiées de peines, avoir un impact substantiel sur la personne concernée » (§ 80). Sa jurisprudence participe grandement de ce sophisme. Partant, si la position de la Cour de Strasbourg quant à l’appréciation de la distinction des peines d’avec les mesures de sûreté appelle depuis longtemps plus de clarté17, celle adoptée à l’endroit des mesures de surveillance administratives fondées sur la dangerosité de l’individu est tout autant discutable en ce qu’elles sont pour certaines particulièrement contraignantes et que leur non-respect peut au surplus entraîner une sanction pénale.

Gageons que de projets en propositions de lois, le législateur saura tirer les bénéfices de la jurisprudence de la CEDH qui continue de maintenir une distinction critiquable entre les mesures qui poursuivent un but punitif qui constituent une peine et celles qui poursuivraient un but préventif, sans véritablement regarder au-delà des apparences qu’elle a pourtant l’habitude de dépasser18.

 

Notes

1. Projet de loi n° 4104 relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, 28 avr. 2021.

2. Cette loi a instauré de nouvelles mesures de police administrative héritées de l’état d’urgence : les périmètres de protection (CSI, art. L. 226-1), la fermeture des lieux de cultes (CSI, art. L. 227-1), les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (art. L. 228-1) et les visites domiciliaires et saisies (CSI, art. L. 229-1). Le projet de loi n° 4104 actuellement discuté a pour objet de proroger la période d’application qui était initialement mise en œuvre à titre expérimental pour trois ans et que la loi n° 2020-1671 du 24 déc. 2020 a prolongé jusqu’au 31 juillet 2021.

3. J.-B. Thierry, L’articulation des dispositions administratives et judiciaires contre la radicalisation violente. 1re partie, Hypotheses.

4. CSI, art. L. 228-1.

5. La personne a été, trois mois avant sa libération, placée pour une durée d’au moins six semaines dans un service chargé d’évaluer sa dangerosité, laquelle fait ensuite l’objet d’un avis motivé de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.

6. Projet de loi n° 4104, op. cit., art. 5.

7. Compte tenu des spécificités de la surveillance judiciaire, de la surveillance de sûreté, de la rétention de sûreté et des insuffisances supposées de l’inscription au FIJIAIT, seul le suivi sociojudiciaire est envisageable pour quelques-uns d’entre eux. Or le suivi sociojudiciaire n’est pas applicable aux auteurs d’infractions terroristes commises avant la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016.

8. V. CE, avis, 28 avr. 2021, n° 402562, sur un projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, § 12.

9. La mesure peut comporter une ou plusieurs des six obligations suivantes : établir sa résidence en un lieu déterminé ; répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation ; communiquer au service pénitentiaire d’insertion et de probation les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d’existence et de l’exécution de ses obligations ; exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ; ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ; respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté, cette prise en charge pouvant le cas échéant intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté.

10. Elle est également applicable lorsque la personne aura été condamnée à une peine égale ou supérieure à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, non assorties d’un sursis simple, et ayant bénéficié pendant l’exécution de leur peine de mesures de nature à favoriser leur réinsertion.

11. V. en ce sens la proposition de loi n° 2573, 11 févr. 2015, visant à étendre la rétention de sûreté aux individus condamnés pour des faits de terrorisme.

12. Sénat, rapport n° 335, 27 janv. 2016 fait par M. Mercier sur la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, p. 64-69.

13. CE, avis, 17 déc. 2015, sur la constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux de la France de certaines mesures de prévention du risque de terrorisme, § 7-12.

14. CEDH, 3e sect., 19 janv. 2021, nos 45431/14 et 22769/15, AJ pénal 2021. 106, chron. .

15. CEDH 9 févr. 1995, Welsh c. Royaume-Uni, req. n° 17440/90, § 28, AJDA 1995. 719, chron. J.-F. Flauss ; RSC 1996. 470, obs. R. Koering-Joulin .

16. Elle a en effet rappelé dans les arrêts Bergmann c. Allemagne du 7 janvier 2016 (CEDH, 5e sect., 7 janv. 2016, Bergmann c. Allemagne, req. n° 23279/14, AJ pénal 2016. 339, obs. L. Gregoire ) et Ilnseher c. Allemagne du 4 décembre 2018 (CEDH, gr. ch., 4 déc. 2018, Ilnseher c. Allemagne, req. nos 10211/12 et 27505/14, Dalloz actualité, 18 déc. 2018, obs. M. Recotillet ; AJ pénal 2019. 161, obs. L. Grégoire ; RSC 2019. 180, obs. D. Roets ) la position déjà adoptée dans l’arrêt Berland c. France du 3 septembre 2015 (req. n° 42875/10, Dalloz actualité, 18 sept. 2015, obs. E. Autier ; D. 2015. 1896, et les obs. ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2015. 599, obs. C. Margaine ; RSC 2016. 129, obs. D. Roets ), à savoir qu’une détention mise en œuvre afin de prodiguer des soins à l’intéressé serait nécessairement une mesure de sûreté quand bien même certains des critères précédemment dégagés par ses soins pour qualifier une mesure de peine auraient été relevés.

17. V. en ce sens D. Roets, Les mesures de sûreté des articles 706-135 et 706-136 du code de procédure hors du champ d’application du principe de non-rétroactivité, RSC 2016. 129 .

18. V. F. Sudre, « Apparences et convention europeenne des droits de l’homme », in N. Jacquinot (dir.), Juge et Apparence(s), LGDJ, 2010, p. 167-183.