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Le droit en débats

Débat sur la suspension de l’autorisation d’exploitation du transport aérien à la suite de tests positifs à la covid-19

Par Arlette Afouba Tanga le 28 Janvier 2021

Quelles mesures les compagnies aériennes doivent-elles prendre afin de vérifier la véracité des tests à la covid-19 produits par les voyageurs, entendu que, depuis le début de la crise sanitaire, ces tests sont devenus l’une des exigences principales pour voyager ?

Cette question mérite d’être posée à la suite de la découverte de faux résultats de test covid-191 ainsi qu’à la suspension de l’autorisation d’exploitation du transporteur aérien Ethiopian Airlines par l’Administration de l’aviation civile de Chine (CAAC) dans le cadre du vol ET684 d’Ethiopian Airlines assurant la liaison entre Addis Abeba et Shanghai.

Précisément, cinq passagers transportés par la compagnie aérienne Ethiopian Airlines ont été testés positifs à la covid-19 à leur arrivée le 6 octobre 2020 à l’aéroport de Shanghai Pudong. Une semaine plus tard, dix autres passagers du même vol ont également été testés positifs à la covid. C’est ainsi que la CAAC a suspendu son autorisation d’exploitation pour une durée de cinq semaines.

Une telle décision est conforme aux dispositions du droit international (I) et aux règles nationales chinoises (II). Elle invite à penser un autre système de gestion des résultats des tests covid-19 exigés comme l’une des conditions principales de voyage (III).

I. La conformité aux dispositions de la convention de Chicago relative à l’aviation civile de 1944

Selon l’article 14 de la Convention de Chicago relative à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) de 1944 sur la prévention de la propagation des maladies, « chaque État contractant convient de prendre des mesures efficaces pour prévenir la propagation par la navigation aérienne, du choléra, du typhus (épidémique), de la variole, de la fièvre jaune, de la peste, ainsi que de toute autre maladie contagieuse que les États contractants décident de désigner le cas échéant ».

De plus, l’article 22 de la même Convention oblige chaque État contractant à adopter des règlements spéciaux ou toute autre disposition et de prendre toutes mesures en son pouvoir pour faciliter et accélérer la navigation par aéronef entre les territoires des États contractants particulièrement dans l’application des lois relatives à la santé.

Découverte en Chine en décembre 2019, la covid-19 a été déclarée par le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme une urgence de santé publique internationale (USPI), le 30 janvier 20202. Profondément préoccupée à la fois par les niveaux alarmants de propagation et de sévérité de la maladie, l’OMS a estimé dès le 11 mars 2020 que la covid-19 pouvait être qualifiée de pandémie3. Mais, bien avant cela, une déclaration conjointe OACI-OMS sur la covid-19 avait été publiée le 6 mars 2020 à Montréal4.

Tout ceci atteste de ce que la covid-19 est considérée comme un risque pour la santé publique définie par l’annexe 9 de la Convention de Chicago, c’est-à-dire comme la probabilité d’un événement qui peut nuire à la santé des populations humaines, plus particulièrement d’un événement pouvant se propager au niveau international ou présenter un danger grave et direct.

Compte tenu de ces déclarations, la CAAC a adopté dans son plan révisé de reprise de vol5, des mesures de lutte contre la progression de la pandémie de la covid-19.

De plus, l’OACI avait déjà publié deux bulletins électroniques6 invitant les États membres à suivre les recommandations et orientations de l’OMS. S’en est suivie une lettre7 enjoignant les États à appliquer les dispositions pertinentes de l’annexe 9 de la Convention de Chicago, à financer davantage la préparation de la lutte contre les maladies transmissibles, et à établir un Comité national de facilitation du transport aérien tout en les encourageant à devenir membres du programme OACI et à signer un accord de collaboration pour la prévention et la gestion des événements de santé publique dans le secteur de l’aviation civile (CAPSCA)8.

II. La conformité au droit national chinois

Selon la « CAAC Notice on Adjustments to International Passenger Flights » du 4 juin 20209, les compagnies aériennes internationales sont autorisées à reprendre l’exploitation des vols à raison d’un seul vol international par semaine. Pour ce faire, elles sont tenues de mettre en place des mesures de prévention et de contrôle conformes à la directive sur la prévention de la propagation du coronavirus 201910. Elles doivent par ailleurs mettre en œuvre les exigences contenues dans le Requirements for Overseas Chinese Passengers to Fill in and Report Health Information for Epidemic Prevention before Returning Back Home by Air11.

À ces exigences principales s’est greffé un ensemble de conditions suspensives conjointes ou de maintien de l’autorisation d’exploitation des transporteurs aériens admis à exploiter l’activité de transport international en Chine. Clairement, en fonction des résultats des tests à l’infection à la covid-19 des passagers des vols entrants après leur arrivée, la compagnie aérienne pourrait ajouter un vol hebdomadaire ou se voir suspendre l’exploitation du seul vol hebdomadaire autorisé.

Concrètement, en cas de résultat négatif au test covid-19, effectué sur les passagers à leur arrivée sur le territoire chinois au bout de trois semaines consécutives, le transporteur aérien pourrait voir son nombre de vols par semaine augmenter. Aussi, le maintien de l’autorisation d’exploitation d’un seul vol par semaine ainsi que l’obtention d’un vol supplémentaire sont suspendus aux résultats négatifs sur une période de trois semaines, des tests covid-19 effectués sur chaque passager transporté par les vols entrants après leur arrivée sur le territoire chinois12. Toutefois, l’obtention d’un vol supplémentaire requiert une confirmation de la part des autorités chinoises de l’aviation civile, de la capacité du transporteur aérien à fournir un soutien pendant la période de prévention et de contrôle de l’épidémie.

En revanche, en cas de résultats positifs au test covid-19 effectué sur les passagers à leur arrivée sur le territoire chinois au bout de trois semaines consécutives, non seulement le transporteur aérien verra son autorisation d’exploitation suspendue mais il ne sera pas admis à solliciter l’exploitation d’un vol hebdomadaire supplémentaire. La période de suspension varie en fonction du nombre de passagers infectés à la covid-19. En effet, en cas d’infection détectée de cinq à neuf passagers à l’arrivée sur le territoire chinois sur un même vol et sur une même ligne aérienne exploitée par une compagnie aérienne, l’exploitation de la compagnie aérienne sur cette route spécifique sera suspendue pendant une semaine. Cette durée sera relevée à plus de quatre semaines s’il advenait que dix passagers ou plus soient testés positifs après l’arrivée. De plus, la CAAC a interdit le transfert de quota initial à d’autres liaisons aériennes.

C’est ce dispositif légal qui a été appliqué à la situation des passagers du vol Ethiopian Airlines du 6 octobre 2020 testés positifs à la covid-19 par les autorités sanitaires chinoises à leur arrivée. C’est également sur cette même base que ce transporteur avait déjà fait l’objet d’une suspension pour une période d’une semaine sur la route Addis Abeba-Shanghai, à compter du 31 août 2020, à la suite du test positif à la covid-19 de cinq passagers transportés par cette dernière. D’autres compagnies se sont également vu appliquer la même sanction : Air France, China Southern Airlines, Sichuan Airlines, Air China, Biman Bangladesh Airlines, SriLankan Airlines, Etihad Airways, China Eastern Airlines, SriLankan Airlines, Thai Lion Air, Thai AirAsia X, etc.

En réaction à cette nouvelle suspension, Ethiopian Airlines a annoncé dans un communiqué qu’elle n’acceptera plus les tests PCR provenant de l’hôpital où plusieurs de ses passagers testés positifs avaient pourtant reçu leurs certificats médicaux de négativité à la covid-19. Ce qui conduit à se demander s’il ne convient pas de repenser le mécanisme de lutte contre la covid-19 qui place le transporteur aérien en première ligne.

III. Repenser la sanction du transporteur aérien à la suite de tests positifs à l’infection covid

Les mesures incitatives à une vigilance accrue dans la lutte contre la pandémie de la covid-19 semblent produire des effets tout en suscitant de nombreuses interrogations. En effet, le transporteur aérien est jusqu’ici le principal acteur que l’on sanctionne à la suite de la découverte de la positivité des passagers transportés au pays de destination. Pourtant, le transporteur aérien est seulement tenu de s’assurer que les résultats des tests covid présentés par les passagers sont négatifs13. En s’assurant que les résultats du test à la covid-19 présenté par le passager sont négatifs, le transporteur assume une obligation de moyens. Car seul l’établissement sanitaire est chargé de la réalisation des tests. Ainsi, sanctionner le transporteur aérien parce qu’à destination du vol effectué, certains passagers sont testés positifs au pays de destination signifie aussi que ce dernier est tenu de l’authenticité du résultat du test covid-19 présenté par les passagers. Or cela dépasse largement sa mission qui est celle de fournir des services de transport aérien bien qu’il soit tenu d’une obligation de résultat vis-à-vis du passager.

Comment comprendre, donc, que le transporteur aérien soit sanctionné pour des faits dont il n’a pas la maîtrise matérielle sans que soit retenue la responsabilité de l’établissement sanitaire ayant réalisé le test ? L’une des sanctions pourrait aussi consister dans le rejet des résultats de tous les tests produits par les passagers comme l’a fait le transporteur Ethiopian Airlines qui exige désormais que les tests soient opérés par d’autres laboratoires sélectionnés. Une autre alternative est envisageable comme observé au Cameroun14. En effet, tout comme en Chine, tous les passagers entrants sont soumis à un test rapide à la covid-19 dès leur arrivée à l’aéroport. Cependant, le passager testé positif est immédiatement mis en quarantaine et pris en charge à ses propres frais15. Les transporteurs aériens ne sont pas sanctionnés mais les établissements sanitaires ayant réalisé les tests présentés par les passagers pour embarquer sont informés des nouveaux résultats16.

Dès lors, il conviendrait d’associer davantage à la chaîne de responsabilité l‘établissement sanitaire qui réalise le test à la covid-19. Cela permettrait de garantir davantage la qualité des résultats obtenus. Par ailleurs, une action en responsabilité contre le passager pourrait aussi être envisagée dans les hypothèses où le passager produit un faux résultat du test à la covid17. Pourquoi ne pas envisager un mécanisme de test rapide avant l’embarquement ? La question des passagers contaminés en plein vol reste alors entière18.

L’idée d’une harmonisation renforcée des actions conjointes réalisées dans le cadre de la lutte contre la propension de la pandémie par le transport aérien s’impose. L’une des propositions pourrait être de mettre en lien différents acteurs intervenants dans la lutte contre la covid-19. En effet, comme le transporteur Ethiopian Airlines l’a précisément fait, une liste des centres sanitaires en charge de réalisation des tests covid pourrait être retenue. Ensuite, il serait préférable que les résultats soient transmis directement au transporteur aérien et aux autorités sanitaires du pays de destination finale, en posant un tempérament au droit au secret médical. Car un réseau de vente de faux résultats à la covid-19 a pu être démantelé19. Cette proposition se heurte cependant au fait que la pandémie ne touche pas les États de la même façon et que ceux-ci ne disposent pas tous des mêmes technologies. Quoi qu’il en soit, il convient de penser un mécanisme plus participatif des acteurs qui interviennent, autres que le transporteur aérien, dans la chaîne de la lutte contre la pandémie de la covid-19, à savoir les structures sanitaires et le passager transporté.

 

Notes

1. Il s’agissait de faux tests négatifs vendus aux voyageurs à l’aéroport de Roissy.

2. Chronologie de l’action de l’OMS face à la covid-19.

3. Covid-19 : chronologie de l’action de l’OMS.

4. La déclaration soulignait l’importance pour les États de se conformer aux normes de l’OACI et de l’OMS relatives à la prévention de la propagation des maladies transmissibles et de respecter le règlement sanitaire international ; v. Join Statement on covid-19.

5. Civil Aviation Administration of China.

6. Collaborative Arrangement for the prevention and Mangement of Public Health Events in Civil Aviation.

7. http://www.capsca.org/Documentation/CoronaVirus/2020-015f.pdf

8. Déclaration conjointe OACI-OMS sur la covid-19.

9. CAAC Notice on Adjustments to International Passenger Flights.

10. Preventing Spread of Coronavirus Disease 2019 (covid-19) Guideline for Airlines.

11. Requirements for Overseas Chinese Passengers to Fill in and Report Health Information for Epidemic Prevention before Returning Back Home by Air.

12. CAAC Notice on Adjustments to International Passenger Flights.

13. Preventing Spread of Coronavirus Disease 2019 (covid-19) Guideline for Airlines.

14. Vol à destination du Cameroun : tous les passagers soumis au test de dépistage du covid-19 à l’arrivée.

15. Communiqué radio-presse du ministre de la santé n° D13-307CRP/MINSANTE/CC du 29 oct. 2020.

16. Cameroun : Coronas virus et voyage.

17. Des faux tests négatifs vendus aux voyageurs à l’aéroport de Roissy.

18. Covid-19 : cinquante-neuf personnes infectées en Irlande par le coronavirus après un vol intercontinental.

19. Des faux tests négatifs vendus aux voyageurs à l’aéroport de Roissy.