C’est une étrange ironie de constater que le vote par correspondance, qui est loin de faire l’unanimité et demeure très clivant dans le petit monde de la copropriété, a encore de beaux jours devant lui. Censé n’être qu’un mode supplétif d’expression et de participation aux assemblées générales, il en constitue aujourd’hui la norme, ou presque. Et la situation risque de perdurer encore un certain temps. En effet, l’ordonnance n° 2021-142 du 10 février 2021 vient proroger certaines dispositions dérogatoires définies par l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020.
Devant l’impossibilité d’organiser les assemblées générales annuelles en raison de la crise sanitaire, les pouvoirs publics ont dû aller vite. Et s’il est d’usage de ne pas confondre célérité et précipitation, on ne saurait, compte tenu de la situation, leur tenir rigueur des imperfections des textes dès lors qu’elles sont rectifiées. À titre d’exemple, on se souvient que l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoyait, lors de sa publication, un renouvellement (sic) du contrat de syndic lorsque celui-ci avait pris fin entre le 12 mars et l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date de la cessation de l’état d’urgence sanitaire. Mesure indispensable pour éviter que des milliers de copropriétés ne se retrouvent sans gestionnaire. À ceci près que le texte ne mentionnait nullement le mandat des conseillers syndicaux. Oubli qui fut rectifié un mois plus tard par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020. Ce n’est que si les imperfections demeurent et ne sont pas corrigées malgré les textes successifs que la situation peut devenir problématique. Et l’ordonnance du 10 février 2021 en est un bon exemple.
Le report des assemblées générales en présentiel
Ainsi est prolongée sine die la faculté pour le syndic de décider unilatéralement des modalités d’organisation de l’assemblée générale, et notamment d’imposer le recours à la visioconférence ou l’utilisation exclusive du vote par correspondance. Cette mesure, qui devait prendre fin au 31 janvier 2021, a vu sa date d’échéance repoussée une première fois au 1er avril avant d’être reportée à nouveau, cette fois à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Les pouvoirs publics sont ainsi passés d’une date calendaire à une date glissante, indéterminée. Une façon de faire durer le provisoire… La loi n° 2021-160 du 15 février 2021 a prolongé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin, de sorte que les mesures dérogatoires concernant l’organisation des assemblées générales devraient prendre fin au 1er juillet, sous réserve que cette date ne soit pas modifiée à nouveau.
Le conseil syndical toujours non consulté
S’il ne s’agit en aucun cas de revenir sur la nécessité de ces mesures au regard de la situation actuelle et de l’impossibilité de se réunir, force est de constater qu’elles peuvent entraîner des résultats fâcheux. Leur principal écueil est de faire du syndic le seul décisionnaire des modalités d’organisation de l’assemblée générale. Le fait de ne pas avoir prévu la saisine du conseil syndical sur cette question, alors même que sa consultation est obligatoire pour la détermination de l’ordre du jour et la fixation du montant du budget prévisionnel est absolument incompréhensible. Si la plupart des syndics jouent le jeu, cela n’est malheureusement pas toujours le cas et certains conseillers syndicaux ont la désagréable surprise d’être mis devant le fait accompli, le vote par correspondance leur étant purement et simplement imposé sans recherche de solutions alternatives. Or c’est aller un peu vite et oublier la lettre même des textes.
L’automaticité (contestable) du vote par correspondance et ses conséquences
Aux termes de l’article 22-2 de l’ordonnance du 25 mars 2020, lorsque le syndic décide de ne pas organiser de réunion physique de l’assemblée générale, les copropriétaires y participent « par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique permettant leur identification ». Et ce même article de poursuivre : « lorsque le recours à la visioconférence ou à tout autre moyen de communication électronique n’est pas possible, le syndic peut prévoir que les décisions du syndicat des copropriétaires sont prises au seul moyen du vote par correspondance ». Le recours au vote par correspondance n’est donc pas automatique et ne se fait que lorsque la visioconférence ne peut être utilisée. Or nombreux sont les professionnels qui ont oublié cet aspect subsidiaire du vote par correspondance pour l’imposer d’office, sans s’interroger sur la faisabilité ou non d’une participation à distance, davantage propice aux débats. Sur ce point, on pourrait s’interroger sur la validité d’une assemblée générale se tenant exclusivement par correspondance dès lors que le syndic n’apporte pas la preuve que tout autre moyen d’organisation à distance est impossible.
Bien sûr, la visioconférence n’est nullement adaptée à certaines copropriétés, notamment les grands ensembles immobiliers de plusieurs centaines de lots. De même, la faible maîtrise de l’informatique par certains copropriétaires peut légitimement constituer un obstacle sur la faisabilité d’une assemblée générale dématérialisée. Cependant, le développement des outils numériques à la suite de la crise sanitaire et la démocratisation des logiciels de réunions à distance permettent aisément, et à moindre coût, aux petites copropriétés de débattre ainsi. Il appartient donc au syndic de prouver que le recours à la visioconférence n’est pas possible, ce qui ne se fait jamais dans la pratique.
Mais ce n’est pas le vote par correspondance lui-même qui est problématique, mais les conséquences qui en découlent. Du fait des dispositions de l’article 17-1 A de la loi du 10 juillet 1965, la rédaction des différentes résolutions est totalement figée, les copropriétaires ne pouvant en modifier la lettre sous peine d’être assimilés à des défaillants et de voir ainsi leurs votes écartés.
De plus, par oubli ou méconnaissance, il n’est pas toujours procédé à l’affichage dans les parties communes de la date de la prochaine assemblée générale et de la possibilité offerte aux copropriétaires de solliciter l’inscription d’une ou plusieurs questions à l’ordre du jour. L’article 9 du décret du 17 mars 1967 précisant que cette formalité n’est pas prescrite à peine de nullité de l’assemblée, on comprend le peu de cas que font certains syndics de cette disposition.
En conséquence, l’absence de consultation du conseil syndical conjuguée au défaut d’information des copropriétaires sur le contenu de l’ordre du jour font du syndic le seul « maître à bord », celui-ci pouvant notamment fixer librement et sans qu’on lui oppose la moindre objection les conditions contractuelles qu’il désire. Cela se voit ainsi chez certains qui n’hésitent pas à imposer un mandat d’une durée de trois ans par exemple.
On ne saurait peindre toutefois un tableau exclusivement négatif. De nombreux professionnels collaborent avec le conseil syndical et/ou organisent des réunions dématérialisées informelles avec les copropriétaires en vue de débattre sur les différents points inscrits à l’ordre du jour, leur permettant ainsi de renseigner le formulaire de vote par correspondance en toute connaissance de cause.
Malgré cela, le fait pour l’ordonnance du 10 février 2021 de ne procéder qu’à un simple changement de date au lieu de revoir l’équilibre des mesures instaurées consacre encore davantage la mainmise du syndic sur l’ordre du jour et, par ricochet, risque d’entraîner un désintérêt des copropriétaires pour la gestion de leur immeuble. De plus, la fin de l’état d’urgence sanitaire constitue une inconnue. Et, bien que fixée au 1er juin, il ne serait guère surprenant que cette échéance soit à nouveau reportée, de sorte que des copropriétés pourraient subir deux assemblées générales consécutives se tenant exclusivement par correspondance. Une telle situation ne serait pas sans avoir de conséquences sur la bonne gestion de ces immeubles eu égard au faible taux de participation des copropriétaires.
Une réforme à prévoir
D’aucuns diront que la marge de manœuvre des pouvoirs publics était extrêmement faible et que seule la modification de la date d’échéance demeurait possible. L’article 10 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire permet au gouvernement de prendre par ordonnance « toute mesure relevant du domaine de la loi en vue de prolonger ou de rétablir l’application des dispositions prises, le cas échéant modifiées, par voie d’ordonnance et à procéder aux modifications nécessaires à leur prolongation, à leur rétablissement ou à leur adaptation […] ». Le texte prévoyant la possibilité, aux côtés de leur simple prolongation, d’adapter les mesures prises par ordonnance, peut-être y avait-il moyen ici de modifier légèrement certaines dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020. Mais, si la situation devait perdurer, il faudrait alors absolument revoir les modalités d’organisation des assemblées générales au risque sinon de perdre les copropriétaires.