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Le droit en débats

La transaction : une paix illusoire ? Quand le juge s’invite dans l’équilibre des concessions

L’arrêt du 29 janvier 2025 de la première chambre civile de la Cour de cassation (n° 23-21.150) marque une nouvelle évolution dans l’appréciation de la transaction. Il introduit un contrôle judiciaire renforcé sur l’équilibre des concessions, fondé sur l’examen de l’avantage manifestement excessif. L’interventionnisme des juges s’opère au détriment de l’autonomie des parties et de la sécurité juridique traditionnellement garanties par la transaction. 

Par Chloé Calmettes le 18 Février 2025

« Qui dit contractuel, dit juste » ? Cette formule d’Alfred Fouillé se trouve remise en cause par l’arrêt du 29 janvier 2025. Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation dépasse le simple contrôle des concessions réciproques d’une transaction pour apprécier si l’une des parties ne bénéficie pas d’un avantage manifestement excessif.

En privilégiant un raisonnement basé sur le droit commun des obligations, sans égard pour la spécificité du protocole transactionnel, elle contribue à un nouvel affaiblissement de la transaction en tant que mode de résolution définitive des litiges. Cette orientation s’inscrit dans une tendance plus large d’interventionnisme judiciaire visant à garantir un certain équilibre contractuel, marquant ainsi le passage d’une approche libérale à une approche régulatrice.

Faut-il y voir une protection nécessaire contre les concessions abusives ou une ingérence excessive dans un mécanisme fondé sur l’autonomie de la volonté ?

Les faits ayant donné lieu à l’arrêt du 29 janvier 2025 trouvent leur origine dans un premier testament olographe du 21 février 2014, par lequel la testatrice instituait trois légataires universels en son neveu et ses deux nièces. Par un testament olographe ultérieur, rédigé le 20 septembre 2017, elle décidait néanmoins de révoquer toutes les dispositions testamentaires antérieures et confirmait sa volonté de voir s’appliquer la dévolution légale.

Le 11 décembre 2017, la testatrice décède. Les questions successorales se posent alors, notamment en raison de la renonciation à la succession par certains de ces héritiers légaux, son frère et sa sœur.

Face aux divergences sur l’application des dernières volontés de la testatrice, notamment quant à la validité du testament de 2017, les héritiers concluent un protocole transactionnel le 14 février 2018. Les parties conviennent de renoncer à l’annulation du testament olographe de 2017 et acceptent l’application des règles successorales ab intestat. Elles signent l’acte de cession des actions nécessaires à la continuité des sociétés et l’un des héritiers s’engage à verser une indemnité égale à 5,845 % de l’actif net successoral fixé dans la déclaration de succession, soit la somme de 2 354 912,86 €, à ses cousines pour rééquilibrer partiellement l’actif successoral.

Néanmoins, en raison de désaccords persistants, les héritières assignent leur cousin aux fins d’obtenir le partage judiciaire de la succession et la condamnation à exécuter l’accord. Ce dernier leur oppose la nullité de la transaction pour vice de violence sur le fondement des articles 1141 et 1143 du code civil.

Toute la question reposait donc sur la validité de la transaction, ayant une conséquence sur la répartition des parts des héritiers.

Dans un arrêt du 17 mai 2023, la Cour d’appel de Paris valide la transaction conclue, jugeant que l’avantage obtenu par les demanderesses aux termes de l’accord transactionnel n’est pas manifestement excessif. L’héritier forme un pourvoi, qui sera rejeté par la Cour de cassation.

Si l’attention est essentiellement centrée sur le droit des obligations au titre de la demande de nullité pour violence et de l’appréciation donnée par la Cour à l’avantage manifestement excessif1, l’analyse jurisprudentielle passe sous silence une question essentielle : celle de l’objet litigieux lui-même, à savoir la transaction.

Effacement de la spécificité de la transaction

Dans cet arrêt, la singularité du protocole transactionnel ainsi que l’office spécifique lui étant reconnu dans le droit positif sont totalement éludés par les juges. La motivation de la Cour de cassation, fondée sur les articles 1141 et 1143 du code civil relatifs à la violence comme vice de consentement2, pourrait en réalité s’appliquer à tout contrat de droit commun. Les dispositions dédiées à la transaction ne sont en effet pas évoquées par la Cour, ce qui ne manque pas d’étonner. Régie par les articles 2044 à 2052 du code civil, la transaction ne saurait être assimilée à un contrat ordinaire, contrairement à l’approche adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt. Elle traduit la volonté des parties de mettre fin à un litige, ce qui la rapproche, à bien des égards, du jugement3.

La position retenue s’explique, certes, au regard des moyens invoqués par le demandeur au pourvoi. Ce dernier, arguant la nullité de la transaction, n’avait aucun intérêt à mettre en avant ses spécificités, dès lors qu’elles lui étaient défavorables. Toutefois, l’absence de considération de la nature propre de la transaction mérite d’être relevée. Elle se trouve reléguée au rang des contrats de droit commun, au détriment de son régime spécifique.

Interventionnisme du juge quant à la disproportion manifeste des concessions

Au-delà, cette décision marque une emprise des juges sur les effets substantiels de la transaction.

La transaction permet aux parties de terminer une contestation née ou de prévenir une contestation à naître, au moyen de concessions réciproques4. Initialement exigée par la jurisprudence5, cette condition essentielle a été consacrée à l’article 2044 du code civil par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dite « J21 ». Sans concessions de la part des parties, ou si les concessions de l’une ou de l’autre sont dérisoires6, l’accord ne peut être considéré comme une transaction.

La jurisprudence s’attache traditionnellement à vérifier la présence de ces concessions pour reconnaître la validité du protocole transactionnel. Or, dans la présente décision, les juges ont admis la possibilité de remettre en cause une transaction lorsque l’avantage obtenu par l’une des parties s’avérait manifestement excessif par rapport à celui de l’autre.

Après avoir réfuté les moyens du demandeur au pourvoi relatifs à l’urgence qui l’aurait contraint à contracter, la Cour reprend l’examen des éléments factuels afin d’évaluer l’existence d’un éventuel avantage excessif. Par un raisonnement clair, elle s’intéresse aux concessions prévues par le protocole et compare les différentes hypothèses de partage successoral. Si la dévolution légale s’appliquait, le demandeur aurait obtenu 18 623 388 €, contre 9 311 694 € pour chacune de ses cousines. Si le testament de 2014 s’appliquait – comme le soutenait le demandeur au pourvoi – chacun aurait perçu la somme de 10 155 590 €. Enfin, si la validité de la transaction était reconnue, le demandeur aurait obtenu 13 913 564 €, après le versement à ses cousines de la somme de 2 354 912,82 € ; celles-ci percevant alors une somme plus élevée que dans l’hypothèse de la dévolution légale.

La Cour en déduit que l’accord était plus favorable au demandeur que l’application du testament de 2014, tout en ajoutant que les sommes perçues par les cousines ne constituaient pas un avantage manifestement excessif.

Ainsi, dans cet arrêt, la Cour privilégie l’appréciation du déséquilibre manifeste des concessions plutôt qu’une simple constatation de leur existence réciproque, illustrant un mouvement vers un contrôle renforcé du contenu de la transaction.

En d’autres termes, le juge ne se contente plus de vérifier que chaque partie a consenti à un sacrifice en contrepartie d’un avantage. Il intervient pour apprécier la proportionnalité de ces sacrifices, s’arrogeant ainsi un rôle d’arbitre de l’équité contractuelle. Dès lors, peut-on encore affirmer que la transaction est la chose des parties ?

Ce raisonnement fait écho au contrôle du déséquilibre significatif en droit de la consommation ou à la lésion en droit des contrats7. La transaction, qui a pour vocation première de clore le litige de manière définitive, se trouve fragilisée par l’immixtion du juge dans l’équilibre des prestations.

Nouvelle atteinte à la force de la transaction

Cette décision confirme une tendance déjà observable, celle de l’affaiblissement progressif de la transaction. En effet, outre la réduction du nombre d’articles dédiés à la transaction, passant de quatorze à huit, la loi J21 a également supprimé la notion d’autorité de la chose jugée8. Cette expression, bien que mal adaptée, traduisait la force de la transaction, assimilée à celle du jugement. Les mutations avaient d’ailleurs déjà été engagées avec l’abrogation de l’article 1441-4 du code de procédure civile – chapitre unique consacré à la transaction – octroyant la force exécutoire à la transaction par le président du tribunal de grande instance9. Plus encore, la jurisprudence a renforcé le contrôle judiciaire sur les transactions homologuées10.

Dans cet arrêt, la Cour adopte une approche pragmatique en privilégiant la force de l’accord pour clore un contentieux successoral complexe. Cependant, en négligeant la spécificité de la transaction, elle soulève une question majeure de sécurité juridique. Dans un contexte où la politique de l’amiable se renforce, la transaction est-elle devenue un instrument de paix illusoire, susceptible d’être aisément remise en cause ? Bien que soucieuse de l’équilibre contractuel dans un contentieux de nature sensible, une telle jurisprudence alimente le doute.

En définitive, il convient d’alerter sur le risque d’insécurité juridique engendré par ce contrôle renforcé, susceptible de dissuader les parties de recourir à la transaction.

 

1. V. Dalloz actualité, 4 févr. 2025, obs. C. Hélaine.
2. Fondements juridiques applicables à la transaction depuis l’abrogation des textes spéciaux, C. civ., art. 2053 anc.
3. La doctrine classique considérait à ce titre qu’elle ne devait pouvoir être remise en cause que de manière exceptionnelle, Rép. civ., Transaction, par L. Thibierge.
4. C. civ., art. 2044.
5. Civ. 1re, 3 mai 2000, n° 98-12.819 ; Com. 27 nov. 2012, n° 11-17.185.
6. V. not., Soc. 18 mai 1999, n° 96-44.628.
7. Bien que la lésion soit en principe exclue en matière transactionnelle, des exceptions existent, not., en cas de partage successoral (C. civ., art. 890).
8. C. civ., art. 2052.
9. Décr. n° 2012-66 du 20 janv. 2012, sauf pour Wallis-et-Futuna.
10. Civ. 1re, 14 sept. 2022, n° 17-15.388.