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Le droit en débats

Trois observations sur le rapport d’étape du Conseil national de la médiation

Il faut tout d’abord ici saluer la création du Conseil national de la médiation (CNM), indispensable au développement de la médiation. Il faut surtout remercier et féliciter ses membres pour le travail considérable et de qualité qu’ils ont produit, donnant lieu à ce rapport d’étape 2023/2024.

Le propos ici se limite à trois observations constructives en rapport avec la définition de la médiation que le CNM a, en l’état, retenu : « La médiation est un processus volontaire et coopératif dans le cadre duquel des personnes entreprennent au moyen d’échanges confidentiels et avec l’aide d’un [ou plusieurs] tiers, le médiateur [ou les médiateurs] d’établir ou de rétablir des liens, de prévenir ou de régler à l’amiable un conflit. Le médiateur, tiers indépendant, impartial, formé à la médiation, sans pouvoir de décision, favorise l’écoute mutuelle et le dialogue entre les participants. »

Pour une définition de la médiation au service du justiciable

Il semble, en premier lieu, que le CNM envisage de donner de la médiation une définition générale. Pour autant le recours à la médiation concerne des situations extrêmement différentes. Parmi celles-ci on peut notamment identifier la médiation au service du justiciable. Il s’agit du traitement de litiges (plus que de conflits), c’est-à-dire des situations qui pourraient trouver une solution, en droit, par la décision d’un juge (dont la saisine ne serait pas une condition préalable). Dans ce contexte, les compétences utiles pour les avocats et le médiateur ressortent plus particulièrement de l’art de la conciliation, de la négociation et de la médiation pour le rapport de force (c’est-à-dire la relation) qui s’y loge.

Au regard de ce qui précède, si le CNM se donne pour objectif de retenir une définition précise de la médiation, nous pensons qu’il devrait, dans un premier temps, se limiter à définir une médiation au service du justiciable. Cela serait au demeurant parfaitement conforme à sa composition (essentiellement de juristes) et à son positionnement (il dépend du ministère de la Justice).

Pour une médiation sans affirmation de la volonté de rétablir des liens

Il faut noter, en deuxième lieu, que dans sa définition, le CNM retient que la médiation doit avoir pour objectif d’« établir ou de rétablir les liens ». Observons tout d’abord que, dès lors qu’on est en conflit, on est en relation avec celui avec qui on est en conflit. La relation est dysfonctionnelle, bloquée, mais elle existe nécessairement. Il s’agit là de l’expression du premier axiome de la communication retenu par l’école de Palo Alto : « on ne peut pas ne pas communiquer » ou, autrement exprimé : « on ne peut pas ne pas être en relation ». Le lien (même dysfonctionnel) étant déjà établi, il ne pourrait être question que de le rendre plus fonctionnel.

Par ailleurs, dans le contexte particulier de la médiation au service du justiciable, il peut se trouver que la proposition de rétablir les liens soit contre-productive. L’injonction du juge aux parties de s’informer sur la médiation, pour autant qu’elle soit respectée, n’a, le plus souvent, aucune suite. Le refus de « rétablir les liens » semble expliquer ces échecs. C’est comme si les parties avaient en tête : « Sortir du litige avec mon adversaire, bien sûr, mais de là à conserver un lien avec lui, ça, il n’en est pas question ! ». La médiation au service du justiciable, gagnerait donc à être conçue d’abord comme un moyen de mettre un terme au litige, autrement exprimé un moyen de se séparer de son « adversaire », avant d’être un moyen de rétablir un lien.

Il reste que la question de maintenir est pertinente comme, par exemple, dans les conflits familiaux, où une décision judiciaire ne peut couvrir à elle seule la totalité du quotidien de la relation. L’apaisement des liens est alors indispensable pour comprendre et aider à sortir concrètement de « l’infiniment infernal » de certaines relations.

Pour une médiation obligatoire

Ces considérations nous amènent, en troisième lieu, à interroger le dogme du caractère volontaire du processus de médiation.

Ce principe est un des piliers de la médiation telle qu’elle est enseignée et pratiquée actuellement en France. Il est donc a priori assez naturel que le CNM ne remette pas ce dogme en question et le reprenne à son compte.

Notre hypothèse est, qu’à l’inverse, ce dogme expliquerait en partie l’échec du développement de la médiation au service du justiciable. C’est ce vers quoi vont les travaux de Me Marie Claire Belleau, docteur en droit et médiatrice au Québec, qui a mené une étude laissant apparaître que, lorsque la médiation est obligatoire, les taux de résolution amiable des conflits augmentent significativement.

Une première piste de réflexion consiste à proposer au CNM de mener sa mission en examinant les conditions dans lesquelles le recours à la médiation pourrait être rendue obligatoire, en tout cas, lorsqu’elle est au service du justiciable. Les obstacles à franchir sont certes nombreux, mais les chances d’y parvenir sont plus importantes dès lors que l’on raisonne en étant centré sur l’objectif : promouvoir le recours à la médiation.

Parmi ces obstacles, figure, bien sûr, issue des principes constitutionnels, la liberté de contracter. Faut-il encore distinguer deux niveaux différents :

  • la liberté de contracter au sens de conclure un accord qui met fin au litige ;
  • la liberté de contracter avec un médiateur pour s’engager dans une médiation.

Il n’est ici question que de la liberté de contracter avec un médiateur pour s’engager dans une médiation.

Notons d’abord que la liberté de contracter n’est pas absolue L’intérêt général peut conduire à la limiter (par ex., de l’obligation de conclure un contrat d’assurance automobile).

Notons par ailleurs que si la médiation est financée par quelqu’un d’autre que les parties, contraindre de s’engager dans une médiation devient tout à fait envisageable.

Par exemple, dans le contexte de la médiation au service des organisations, que l’on pourrait également nommer médiation des conflits au travail, le caractère obligatoire semble ressortir de la loi elle-même. Dans un contexte de tension relationnelle ou de conflit l’employeur a, en application de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’obligation d’assurer la sécurité des salariés, qui peut passer par une intervention de type médiation. Cette obligation s’articule avec celle faite au salarié, sur le fondement de l’article L. 4122-1 du code du travail, de prendre soin de sa santé et de sa sécurité, ainsi que celle des autres personnes concernées par ses actes ou omissions au travail.

Poser le principe légal que l’employeur devrait obtenir le consentement des salariés à s’engager dans une médiation reviendrait à interdire à l’employeur de respecter son obligation légale. Ce serait, en quelque sorte, permettre aux salariés, sur un chantier de construction de bâtiment, de décider, s’ils doivent ou non, porter des casques ou des chaussures de sécurité !

Cette analogie avec le monde du travail renforce le point de vue que le respect de la liberté de contracter se limite aux rapports financiers avec le médiateur-prestataire, puisque, dans le cas des conflits au travail, les parties à la médiation ne payent pas le médiateur, qui est payé par l’employeur.

Le CNM va sans doute approfondir la question du financement de la médiation, soit par l’État au titre du budget de la Justice, soit par les assureurs protection juridique (il existe peut-être déjà des études qui permettent de mesurer l’économie réalisée lorsqu’un litige se règle à l’amiable sans passer devant le juge).

Une seconde piste de réflexion consiste à examiner le dogme de la médiation volontaire à la lumière de l’étude des paradoxes de la communication réalisée à l’époque (1950) par l’école de Palo Alto. Ce courant de pensée, est une référence solide, voire indispensable, pour comprendre comment fonctionne (ou dysfonctionne) la relation, qui est au cœur de la médiation. C’est de ce point de vue qu’est menée la discussion à suivre.

Le CNM retient : « … le caractère volontaire du processus n’est que l’expression des principes de responsabilité et d’autonomie des participants à la médiation dans la décision d’y recourir comme d’y mettre fin … »

Accoler ce principe de « volontariat » à ceux de « responsabilité et autonomie » semble créer un paradoxe bloquant, qui pourrait s’énoncer ainsi : « Pour accéder à la médiation vous devez être responsable et autonome ; ce faisant vous pourrez accepter librement de sortir du conflit qui vous oppose ».

Autrement exprimé, de manière caricaturale, mais la caricature permet de sortir du paradoxe :

  • soit vous acceptez, ensemble, de tenter de sortir amiablement du conflit qui vous oppose et, alors, vous êtes déjà « beaucoup moins » en conflit (le travail du médiateur s’en trouve grandement facilité !) ;
  • soit vous n’acceptez pas, ensemble, de tenter de sortir amiablement du conflit qui vous oppose : c’est donc que vous êtes vraiment en conflit (et la médiation ne peut rien pour vous !).

À l’inverse, imposer la médiation constituerait un paradoxe libérateur. L’un des objectifs d’une intervention systémique est de modifier la structure de la relation, qui est l’objet même de la médiation. C’est la rigidité, voire l’état de blocage, de la relation qui invite à une intervention systémique. Cette intervention consiste souvent à introduire un élément perturbateur dans le fonctionnement de la relation (les spécialistes de l’intervention systémique diraient l’introduction d’une « information ») qui permettra l’émergence d’un nouveau type de relation. Imposer la médiation est un élément « perturbateur » utile pour amorcer cette émergence.

En effet, dès que les parties en conflit sont, surtout malgré elles, placées dans un contexte nouveau, (ici, celui de l’obligation « d’entrer en médiation ») la structure de leur relation va se modifier.

A minima, ils pourront se trouver être d’accord pour ne pas aller en médiation et s’opposer à cette injonction, ce qui constitue un début d’accord et marque que la relation s’est modifiée. Le plus souvent cette rupture dans le schéma habituel des échanges génèrera ensuite un changement jusqu’alors inenvisageable.

Dans cette logique, imposer la médiation peut venir casser les jeux relationnels dysfonctionnels qui maintiennent le conflit. Notons que le paradoxe apparent entre médiation obligatoire et liberté disparaît lorsqu’on considère que la médiation n’a pas pour objet d’imposer une solution, mais de tenter de reconfigurer la relation. C’est cette reconfiguration qui peut permettre aux parties de sortir du schéma relationnel dont elles sont prisonnières et, éventuellement, créer des solutions mutuellement acceptables. Et reconfigurer n’est pas rétablir.

Autrement exprimé, autoriser que la médiation puisse être obligatoire, ouvre la possibilité de modifier la structure d’une relation initialement conflictuelle. Partant, la médiation s’enrichira d’une nouvelle dimension fidèle à sa mission première : modifier la relation pour rendre possible la construction d’un accord.

Pour en finir avec les paradoxes, il faut également considérer que ne pas rendre obligatoire la médiation au service du justiciable, c’est l’enfermer dans un « choix unique » : celui de faire ou de ne pas faire un procès. Cela fait assurément le jeu du plus fort, en tout cas de celui qui, tout compte fait, a les moyens de mener ou de résister au procès.