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Le droit en débats

Un pas de plus vers la reconnaissance de l’enfant covictime de violences conjugales

Le décret du 23 novembre 2021 tendant à renforcer l’effectivité des droits des personnes victimes d’infractions commises au sein du couple ou de la famille amorce un pas de plus dans la reconnaissance du droit d’accès à son juge – pénal – pour le mineur covictime de violences conjugales.

Par Marine Chollet le 08 Avril 2022

Le décret du 23 novembre 2021 tendant à renforcer l’effectivité des droits des personnes victimes d’infractions commises au sein du couple ou de la famille amorce un pas de plus dans la reconnaissance du droit d’accès à son juge – pénal – pour le mineur covictime de violences conjugales.

Ce décret du 23 novembre 2021 crée un nouvel article D. 1-11-1 au sein du code de procédure pénale qui prévoit qu’en cas de violences conjugales commises en présence d’un mineur, le procureur de la République doit relever la circonstance aggravante et s’il ne le fait pas, la juridiction de jugement peut requalifier en ce sens; en outre, le mineur doit pouvoir se constituer partie civile, le cas échéant en étant représenté par un administrateur ad hoc y compris avant l’audience de jugement afin qu’il puisse y être convoqué comme partie civile et non comme témoin. Ces dispositions s’appliquent également à l’information judiciaire.

Si le législateur, en donnant sa véritable place à l’enfant covictime, a voulu systématiser cette qualification, cela va nécessiter de véritables moyens en faveur des associations ou des personnes physiques qui occupent la fonction d’administrateur ad hoc. Ces moyens, à l’heure actuelle, sont trop faibles ou trop aléatoires. Nombreuses sont les audiences où le tribunal ne peut que constater l’absence de représentant pour l’enfant victime et se voit contraint de renvoyer l’affaire dans des délais inacceptables parce qu’il a manqué d’administrateurs ad hoc pendant de longs mois auparavant. Cette réforme exigeante mais indispensable nécessite des moyens budgétaires permettant sa mise en œuvre pratique. Cela passe par un recrutement massif et une revalorisation des indemnités des administrateurs ad hoc à la hauteur des enjeux de leurs missions.

Dans le même objectif d’assurer la prise en compte des intérêts de l’enfant covictime, le procureur « veille également à ce que figurent au dossier de la procédure dont est saisie la juridiction de jugement tous les éléments permettant à celle-ci d’apprécier l’importance du préjudice subi par le mineur et de se prononcer, en application des dispositions du code pénal et du code civil, sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale ou de son exercice ou ainsi que sur la suspension des droits de visite et d’hébergement, le cas échéant en versant au dossier des pièces émanant de procédures suivies devant le tribunal judiciaire, le juge aux affaires familiales ou le juge des enfants, ou en requérant s’il y a lieu un examen ou une expertise psychologique du mineur ».

Ces nouvelles dispositions s’inscrivent dans le prolongement de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes à qui l’on doit la circonstance aggravante tenant à la présence de mineurs lors de violences conjugales, qu’il s’agisse de violences délictuelles ou criminelles.

Après la reconnaissance officielle du statut de covictime des enfants exposés aux violences conjugales, le législateur rattrapant ainsi son retard sur la recherche qui avait établi de longue date que les enfants exposés à des violences conjugales souffraient d’un psychotrauma parfois encore plus sévère que la victime directe, vient la déclinaison opérationnelle de ce principe.

Sur le terrain, on constate que la circonstance aggravante est encore relativement peu relevée. Elle suppose en effet que les praticiens adaptent profondément leurs pratiques et adoptent de nouveaux réflexes à tous les stades de la procédure :

• en amont de l’enquête, au stade de la détection des violences: les professionnels de première ligne (enseignant·es, puériculteurs·rices, professionnel·les de l’enfance, soignant·es, etc.), souvent isolés et démunis face à ces situations, doivent bénéficier d’une formation leur permettant, dans leurs champs respectifs de compétence, de détecter les signes de mal-être de l’enfant et d’enclencher des procédures adaptées assurant la protection de la mère et de l’enfant, sans les exposer au courroux de leur agresseur. Au stade du signalement d’une situation de violences conjugales, le rédacteur du signalement doit préciser s’il y a des enfants mineurs au foyer, idéalement leur âge et leurs noms, afin que leur situation soit prise en compte pour la suite de la procédure. Trop souvent encore, dans certaines procédures diligentées pour des violences conjugales, les enfants n’apparaissent pas, ou incidemment, sans parfois même être identifiés ni a fortiori entendus ;

• au stade de l’enquête, l’audition des enfants dans des conditions appropriées, par des enquêteurs formés, apparaît désormais incontournable. Cela nécessite également d’adapter et d’étendre les unités d’accueil pédiatrique pour les enfants en danger (UAPED) qui étaient encore récemment rares à l’échelle nationale . Le défi demeure à ce jour car ces structures nécessitent d’importants moyens, tant logistiques (locaux, agent d’accueil formé, accès possible en urgence y compris hors heures ouvrables idéalement) mais surtout des personnels formés aux violences conjugales dans chaque domaine (enquêteurs, pédiatres, puériculteurs·trices, infirmier·es, psychologues, pédopsychiatres, médecins légistes, etc.)  ; une dépêche du 5 novembre 2021 annonce la généralisation à tous les départements de ces unités et propose un protocole- cadre national permettant de pérenniser et d’étendre ce dispositif qui a démontré son utilité de longue date.

Ces enfants doivent bénéficier d’un examen médico-psychologique évaluant précisément le retentissement des faits, sur le plan psychosomatique, et fixant une incapacité totale de travail le cas échéant afin d’évaluer au stade de l’audience le préjudice subi par l’enfant et chiffrer les dommages et intérêts en conséquence, sur des éléments objectivés. Ces éléments médico-légaux seront également importants dans le cadre des décisions relatives à l’autorité parentale sur laquelle le juge pénal doit se prononcer. Ils seront également utiles pour les magistrats amenés à intervenir dans d’autres cadres (juge aux affaires familiales, juge des enfants).

Il s’agit encore, à ce stade précoce, d’évaluer la capacité ou la volonté du parent victime de déposer plainte et se constituer partie civile pour son enfant covictime alors même que l’ambivalence de la victime la pousse plus souvent dans l’autre direction pour elle-même… L’article 706-50 du code de procédure pénale détermine certes les critères qui doivent guider la désignation d’un administrateur ad hoc en ces termes : « lorsque la protection des intérêts de celui-ci n’est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l’un d’entre eux ». Ne faudrait-il pas considérer que lorsqu’une victime refuse de déposer plainte pour les violences qu’elle subit, on entre dans le cadre défini par le législateur ? De la même manière, un parent qui se constitue partie civile mais ne demande aucuns dommages-intérêts assure-t-il complètement la défense des intérêts de son enfant ? Il n’est pas question d’adopter une approche systématique de principe mais de prêter une attention particulière à la posture de la victime vis-à-vis de la procédure, et de créer les conditions propices pour qu’elle soit en mesure d’exprimer comment elle envisage la question du dépôt de plainte ou de la constitution de partie civile à l’aune de la protection de l’intérêt de ses enfants, et pas seulement de son propre point de vue. Les intérêts en jeu sont différents, l’intérêt de l’enfant ne se confond pas avec celui du parent victime. Il convient dès lors que la question soit abordée soit par les enquêteurs, lorsque la plaignante est entendue sur l’exposition des enfants du couple aux actes de violence qu’elle dénonce, soit, idéalement, par l’association d’aide aux victimes en charge de son évaluation. Cela suppose donc que le procureur soit informé des dispositions de la victime à cet égard, avant la saisine de la juridiction, ou, en tout état de cause, en amont de l’audience de jugement ;

• au stade des poursuites, opérer le juste choix de qualification avec la question épineuse du sens de la « présence » de l’enfant : le législateur entendait-il limiter la définition de ce terme au témoin visuel, physiquement présent dans la pièce lors des violences, ou fallait-il avoir une conception plus large, téléologique, tendant à prendre en compte les multiples situations où l’enfant est témoin, involontaire et muet, des violences, parce qu’il est tard, qu’il est dans sa chambre, sans dormir et entend le bruit des coups, les insultes, sa mère qui pleure ou supplie ? Il semble plus juste et conforme à l’esprit de la loi et l’objectif poursuivi par ce texte d’adopter une acception large de la présence de l’enfant. Il n’est pas prouvé qu’un témoin auditif est moins traumatisé qu’un témoin oculaire des violences. Parfois, notre imagination prête à ce que l’on entend des images encore plus insoutenables que ce que la réalité offre à voir…

Lorsque des mesures de protection sont envisagées à l’égard de la victime directe, la situation des enfants mérite d’être abordée en tant que telle dans le cadre de l’évaluation personnalisée de la victime (EVVI) et peut amener à des mesures spécifiques telles qu’une évaluation par l’aide sociale à l’enfance, voire, dans certains cas, une saisine du juge des enfants ou un placement provisoire en urgence. La mise en sécurité de la victime doit également prendre en compte la présence ou non d’enfants et permettre un accueil permettant de répondre à leurs besoins et d’assurer leur sécurité, parfois un accompagnement psychologique au sein de la structure d’accueil ;

• à l’audience correctionnelle, s’assurer que le parent victime est en capacité de se constituer partie civile pour son enfant, et à défaut, désigner un administrateur ad hoc pour le représenter, l’assister, lui désigner un avocat pour assurer la défense de ses intérêts propres et distincts de celui du parent victime qui peut être en grande difficulté dans une telle situation. S’est posée un temps la question de savoir si le fait que l’enfant soit visé au titre de la circonstance aggravante lui permettait de se constituer partie civile. La réponse ne peut qu’être positive, et ce même s’il avait été « oublié » de la qualification des faits. Chaque enfant témoin de violences conjugales, grandissant au sein d’une famille dysfonctionnante où l’un de ses parents agresse en permanence, verbalement, physiquement, sexuellement l’autre parent, le disqualifie dans son rôle conjugal comme parental, subit un préjudice direct et personnel du fait de ces agissements. Dès lors, comme l’enfant mineur ne peut ester seul en justice, et que ce préjudice est indéniable, il n’est pas possible d’en faire fi, de regarder ailleurs, de se contenter d’une constitution de partie civile formée du bout des lèvres par un parent victime harassé et apeuré, sans demande de dommages-intérêts car il ne veut pas accabler son conjoint. Cette question délicate relève des professionnels : administrateur ad hoc, avocat formé à la parole de l’enfant, qui estiment si le préjudice peut être évalué en l’état des pièces de la procédure, s’il est consolidé, s’il faut au contraire une expertise complémentaire et comment chiffrer les différents postes de préjudice dans le cadre d’une demande de dommages et intérêts : préjudice moral, souffrances endurées, frais médicaux liés aux soins passés, actuels et futurs, préjudice d’établissement (comment ne pas être affecté pour ses futures relations affectives lorsqu’on a grandi sous le joug d’un parent abusif ?). Le rôle de l’administrateur ad hoc va être très différent selon qu’il assiste un très jeune enfant ou un grand adolescent, qui sera, pour ce dernier, en capacité d’évaluer lui-même son besoin de réparation, symbolique ou chiffré. Une telle tâche, si sensible, si importante pour l’avenir fragile de cet enfant, ne peut être abandonnée à l’aléa.

Le juge correctionnel ne se contente plus de juger un auteur d’infraction, il doit embrasser tout le contexte familial, les différentes procédures pendantes devant d’autres juges, pour s’inscrire dans une réponse judiciaire (et non plus seulement pénale) cohérente. En effet, quel serait le sens de retirer l’autorité parentale à un père violent sur des faits datant parfois de plusieurs mois, alors que le juge des enfants, saisi bien en amont de la juridiction correctionnelle, a constaté dans un jugement en assistance éducative récent, une évolution favorable et a permis la reprise de droits de visite dans un cadre médiatisé ? À partir du moment où le juge pénal se penche sur un dossier de violences intrafamiliales, il ne peut pas éluder que cette famille est bien souvent saisie par la justice sous d’autres angles : requête aux fins de statuer sur l’autorité parentale, ordonnance de protection, jugement ordonnant une assistance éducative en milieu ouvert ou un placement, expertise des parents ordonnée par le juge aux affaires familiales, jugement de curatelle renforcée… comment prononcer la juste peine sans prendre en compte ce que d’autres juges ont décidé sur le sort des enfants et de la famille ?

L’accès de l’enfant à son juge est un des droits fondamentaux reconnus par la Convention internationale des droits de l’enfant depuis 1989. Ces nouvelles dispositions permettent désormais au juge pénal, à l’image du juge des enfants et du juge aux affaires familiales, de prendre des décisions éclairées tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant covictime de violences conjugales.