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Le droit en débats

Variation sur les parties communes spéciales : beaucoup de bruit pour rien ?

Par Pierre-Édouard Lagraulet le 19 Mai 2021

« For to strange sores strangely they strain the cure »
Shakespeare, Much ado about nothing, Act. 4, sc. 1.

 

La nature de la sanction du défaut de mise en conformité des règlements de copropriété imposée par la loi ELAN avant la date butoir déterminée par celle-ci fait l’objet de diverses appréciations. Si certains hésitent quant à la nature de la sanction (J. Laurent et M. Poumarède, Mise en conformité du règlement de copropriété : abrogeons l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965, JCP N 2021. 1186 ; G. Chantepie, Les droits de jouissance privative sur des parties communes en copropriété immobilière, AJDI 2021. 347 ), tandis que d’autres souhaitent des précisions (V. Bacot-Réaume et P.-É. Lagraulet, Douze petits vœux pour la copropriété, AJDI 2021. 1 ) ou semblent parfois simplement en écarter l’augure (« Aucune sanction spécifique n’est prévue par l’article 6-4 de la loi de 1965, dans l’hypothèse où la mise en conformité ne serait pas réalisée, au plus tard, le 23 nov. 2021 » : GRECCO, « préconisation » n° 12, Dalloz actualité, 3 mai 2021, obs. Y. Rouquet ; AJDI juin 2021, à paraître), il nous semble, à l’étude des textes et de la jurisprudence, que des conséquences précises peuvent être déterminées.

En effet, comme l’ont déjà très justement et utilement rappelé Messieurs les Professeurs H. Périnet-Marquet (Les clauses non écrites en droit de la copropriété, JCP N 2021. 1124) et D. Tomasin (in [Parole d’expert] « Mise en conformité des règlements de copropriété », édition du 12 avr. 2021), la sanction naturelle de la violation d’une disposition impérative de la loi du 10 juillet 1965, conformément à l’article 43 de celle-ci, est le réputé non écrit. Cette sanction ne paraît ainsi faire guère de doute pour les stipulations du règlement qui seraient non conformes aux dispositions des articles 4, 6-2, 6-3 et 6-4 de la loi du 10 juillet 1965, dès lors que celles-ci sont dites « impératives » par son article 43. Il s’agit d’une simple application d’un mécanisme parfaitement connu.

En outre, l’absence de toute mention de la partie commune spéciale en fait présumer, comme a pu le souligner Monsieur Jacques Lafond, l’inexistence de l’indivision spéciale (Loi Elan et mise en conformité des règlements de copropriété antérieurs, Loyers et copr. 2019. Étude 11) dans la mesure où son « existence » est « subordonnée » à sa « mention expresse » au règlement de copropriété, selon les termes de l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965. Il n’y a là aucune lecture ésotérique.

Dès lors, pour les parties communes spéciales, il faut à notre sens distinguer trois situations :

  • une partie commune spéciale est mentionnée au règlement de copropriété sans charges spéciales corrélatives ;
  • des charges spéciales sont mentionnées sans parties communes spéciales corrélatives ;
  • aucune charge ou partie commune spéciale n’est mentionnée au règlement de copropriété mais la partie commune spéciale figure à l’état descriptif de division ou tout autre document.

Première situation : une partie commune spéciale est mentionnée au règlement de copropriété sans charges spéciales corrélatives

Dans ce premier cas, la loi ELAN n’a pas fait obligation au syndicat des copropriétaires de mettre à jour le règlement de copropriété, puisque la condition de leur existence, définie à l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965, est vérifiée.

Ce problème se pose, parfois, lorsque la quote-part de parties communes spéciales, mentionnée au règlement, est déterminée selon des critères autres que ceux proposés par l’article 5 de la loi du 10 juillet 1965 (consistance, superficie et situation des lots, sans égard à leur utilisation). Dans ce cas il arrive qu’aucune quote-part ne soit déterminée. Cette situation correspond également, et plus fréquemment, à l’hypothèse, où le règlement de copropriété stipule l’existence d’une partie commune spéciale sans en préciser la répartition entre ses titulaires selon une quote-part, conforme ou non aux critères de l’article 5.

Dans ces 2 situations, en raison de la mention faite au règlement des parties communes spéciales, il n’est pas possible d’instaurer volontairement des charges spéciales corrélatives à la majorité simple ; cette décision ne consiste pas en une « mise en conformité ».

En outre, l’article 6-2 de la même loi n’impose la création de charges spéciales que dans l’hypothèse de la « création » de parties communes spéciales. La disposition ne paraît donc s’appliquer que pour les parties communes spéciales « futures ». C’est pourquoi en pareille situation il n’y a pas lieu, au titre de la mise en conformité du règlement, de créer des charges spéciales si elles n’existent pas.

On notera enfin que, lorsque la quote-part de copropriété spéciale est précisée, elle est le plus souvent conforme aux critères de l’article 5 de la loi du 10 juillet 1965. En conséquence, par application de l’article 10, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, il existe dans cette hypothèse une répartition spéciale des charges (v. Civ. 3e, 3 juin 2009, n° 08-16.379, AJDI 2009. 633 ; 8 juin 2011, n° 10-15.551, Dalloz actualité, 29 juin 2011, obs. Y. Rouquet ; D. 2011. 1685 ; ibid. 2012. 2412, obs. P. Capoulade, D. Tomasin et P. Lebatteux ; 20 mai 2015, n° 14-10.423, AJDI 2015. 613 ). Dès lors, l’expression « charges spéciales » employée par le texte de l’article 6-2 de la loi du 10 juillet 1965 peut être trompeuse pour les praticiens qui ne doivent pas chercher, dans ce cas particulier, à instituer une quote-part de charges distinctes de la quote-part de copropriété spéciale conforme aux critères supplétifs de l’article 5 de la loi du 10 juillet 1965.

Deuxième situation : des charges spéciales sont mentionnées sans parties communes spéciales corrélatives

Dans ce deuxième cas, la partie commune spéciale n’est pas mentionnée dans le règlement de copropriété, seules les charges spéciales le sont. Cette situation se rencontre notamment lorsqu’il a été prévu dans le règlement de copropriété une clause portant sur la conservation, l’entretien et/ou l’administration d’un bout de couloir, d’un escalier ou encore d’une verrière, sans que cette partie de l’immeuble n’ait été spécialement appropriée (cette appropriation spéciale ne sera possible que si la partie de l’immeuble n’est utile qu’à certains copropriétaires, Civ. 3e, 8 avr. 2021, n° 19-19.201, AJDI 2021, obs. P.-É. Lagraulet, à paraître). Dans ce cas, la sanction naturelle de cette clause est d’être réputée non écrite en application de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 (en ce sens, v. déjà avant la réforme, Civ. 3e, 19 nov. 2015, n° 14-25.510, D. 2015. 2443 ; 8 oct. 2015, n° 14-13.100, AJDI 2016. 278 , obs. N. Le Rudulier ; 25 oct. 2018, n° 17-18.896). Cette clause se trouve en effet non conforme aux dispositions de l’article 10 de la même loi. Ceci n’est toutefois pas une nouveauté, puisque depuis 1965 les charges de conservation d’entretien et d’administration sont nécessairement réparties en fonction de la « valeur relative des parties privatives », donc des quotes-parts de parties communes générales et spéciales, calculées selon les critères de l’article 5 de la loi du 10 juillet 1965. En conséquence, une clause de répartition des charges de conservation et d’administration non corrélée par l’existence d’une partie commune spéciale figurant dans les lots et mentionnée au règlement, ou calculée selon d’autres critères que ceux de l’article 5, doit être réputée non écrite en application de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965. La « mise en conformité » du règlement en application de la loi ELAN ne peut aucunement permettre de régulariser cette situation à la majorité simple.

Si le maintien de la répartition des charges spéciales est souhaité, la procédure idoine paraît être la cession des parties communes générales aux copropriétaires supportant les charges, avec leur accord unanime, à la majorité de l’article 26 ; le tout à la condition que la partie commune soit bien réservée à l’usage exclusif de ces personnes, conformément aux critères des articles 4 et 6-2 (Civ. 3e, 8 avr. 2021, n° 19-19.201, préc.).

Troisième situation : aucune charge ou partie commune spéciale n’est mentionnée au règlement de copropriété mais la partie commune spéciale figure à l’état descriptif de division ou tout autre document

Ce troisième cas, celui de la mention de la partie commune spéciale seulement à l’état descriptif de division, est certainement le plus problématique. En effet, contrairement au règlement de copropriété, l’état descriptif de division n’a pas valeur contractuelle selon la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation (Civ. 3e, 7 sept. 2011, n° 10-14.154, D. 2011. 2203, obs. Y. Rouquet ; 7 sept. 2017, n° 16-18.331, AJDI 2018. 43 , obs. D. Tomasin ). Il ne serait en ce sens qu’un document technique (W. Dross, Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012, p. 394, n° 208-1) établi pour les uniques besoins de la publicité foncière et ne pourrait recevoir la qualification de convention que de manière exceptionnelle (Civ. 3e, 3 déc. 2008, n° 07-19.313, AJDI 2009. 206 ; 12 janv. 2011, n° 09-13.822, D. 2012. 2412, obs. P. Capoulade, D. Tomasin et P. Lebatteux ; 6 juill. 2017, n° 16-16.849, D. 2017. 1473 ). Il ne peut donc, en cette qualité, être opposé au syndicat des copropriétaires par un copropriétaire qui souhaiterait contredire la destination de l’immeuble définie par le règlement (v., F. Bayard-Jammes, La nature juridique du droit du copropriétaire immobilier, thèse, LGDJ, 2003, p. 300 s., spéc. p. 303), ou revendiquer une partie de l’immeuble (Civ. 3e, 24 mai 1989, n° 87-19.307 ; 8 oct. 1991, n° 90-16.101, RDI 1992. 114, obs. P. Capoulade et C. Giverdon ; 21 juin 2006, n° 05-14.441 ; v. sur le sujet, J.-Cl. Copropriété, fasc. 107-40, par J. Lafond, spéc. § 23). Cette situation a pu toutefois être considérée comme problématique, dès lors qu’il détermine la quote-part de propriété des parties communes de chaque copropriétaire dans l’immeuble, et donc, par application de l’article 10, alinéa 2, la répartition des charges relatives à la conservation, à l’entretien et à l’administration des parties communes. Il apparaît ainsi que dans certaines hypothèses, les parties communes ne figurent que dans le tableau de l’état descriptif de division et que la quote-part de propriété, et de charges qui en résultent, soit mentionnées dans ce document.

C’est donc précisément dans cette situation que le règlement de copropriété peut être mis en conformité avec les dispositions de l’article 6-4 de la loi, car il est ici possible de supposer que les parties communes existent, bien qu’elles ne soient pas mentionnées au règlement de copropriété. C’est aussi dans ce cas précis que se pose avec insistance la question des conséquences du défaut de mise en conformité du règlement.

Toutefois, comme a pu l’avancer M. Jacques Lafond (Loyers et copr. 2019. Étude 11, préc.) , la conséquence de l’absence de mention de la partie commune spéciale au règlement de copropriété est l’inexistence du droit spécial de propriété puisque « l’existence » des parties communes spéciales et « subordonnée à leur mention expresse au règlement de copropriété ». La sanction est bien prévue par le texte lui-même dès lors qu’il détermine la condition de leur existence. En ce sens, selon les termes choisis de l’article 6-4 de la loi, et la nature impérative de ces dispositions par application de l’article 43, il nous paraît difficile de soutenir que cette mention au règlement ne serait qu’une formalité « informative » (contra, G. Chantepie, préc.) à laquelle pourrait palier une mention à l’état descriptif de division qui n’est établi que pour les besoins de la publicité foncière (contra, C. Gijsbers, Mise en conformité des règlements de copropriété avant le 23 novembre 2021. L’extinction des droits n’aura pas lieu !, JCP N 2021. 1102).

Au contraire, en l’état actuel de la jurisprudence, il nous semble que l’absence de mention au règlement caractérisera bien l’inexistence du droit, ce qui n’est pas à proprement parler une sanction mais plutôt un constat : dès lors que l’état descriptif de division n’a pas valeur contractuelle et que le règlement ne mentionne pas l’existence de la partie commune spéciale, alors celle-ci n’existe pas ; mieux, elle n’aura jamais existé. La mention contraire figurant à l’état descriptif de division pourra alors être réputée non écrite car contraire aux dispositions impératives de la loi du 10 juillet 1965 (v. en ce sens, H. Périnet-Marquet, préc.).

Cette solution, qui paraît vivement combattue en raison de la brutalité de son issue, est-elle pour autant une nouveauté ? Il ne nous semble pas. Il en va exactement de même pour les parties privatives qui figureraient dans un acte distinct de celui du règlement, ou bien encore pour l’affectation d’un lot qui serait différent de la destination contractuelle de l’immeuble. La jurisprudence de la Cour de cassation est abondante en la matière et a toujours considéré que les stipulations claires du règlement de copropriété s’appliquaient seules contre les mentions de l’état descriptif de division ou de tout autre document (v. réc., Civ. 3e, 9 mai 2019, n° 18-16.717, D. 2019. 990 ). La solution que nous retenons est en ces sens identique. Dès lors, il n’y aura alors pas véritablement d’extinction des droits réels sur les parties communes, puisque ceux-ci seront réputés n’avoir jamais existé. L’absence de mise en conformité ne conduira donc pas à « l’expropriation des droits réels non régularisés » (C. Gisjbers, préc.), mais simplement au constat de leur inexistence passée et à venir. L’inconstitutionnalité de cette norme pourrait alors être moins évidente qu’elle a pu le paraître, dans la mesure où il ne peut être porté atteinte à un droit qui n’existe pas.

Cette conséquence est sans doute très dure et sans doute également posera-t-elle d’âpres difficultés, mais elle est le produit de la combinaison de l’article 6-4 de la loi du 10 juillet 1965 et de la jurisprudence constante, depuis les années 1990, de la Cour de cassation relative à la nature de l’état descriptif de division. On peut la regretter vivement, bien sûr, et l’auteur de ces lignes le déplore même, mais cela ne paraît rien devoir changer à la portée du texte

Face à cette situation, qui résulterait du défaut de mise en conformité du règlement, il appartiendra donc à la pratique, en l’absence de toute intervention législative, de porter une question prioritaire de constitutionnalité afin de trancher la question de son inconstitutionnalité, ce qui paraît possible dès lors que le projet de loi de ratification a été déposé dans les temps impartis et que la durée d’habilitation du gouvernement est échue (V. en ce sens, Cons. const. 28 mai 2020, n° 2020-843 QPC, AJDA 2020. 1087 ; D. 2020. 1390, et les obs. , note T. Perroud ; RFDA 2020. 887, note C. Barthélemy ; ibid. 1139, chron. A. Roblot-Troizier ; RTD civ. 2020. 596, obs. P. Deumier ; JCP 2020. Act. 718, obs. P.-É. Lagraulet). Il faudra alors que soit constaté que l’état descriptif n’est pas un simple document technique mais bien une convention au même titre que le règlement de copropriété. Ce n’est qu’à cette condition, nous semble-t-il, que le constat de l’inexistence de la division particulière, spéciale, des parties communes de l’immeuble qui y seraient mentionnées pourrait être considérée comme une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

Il faudra enfin réserver l’hypothèse, peut-être salutaire, du pouvoir du juge du fond de constater l’existence des parties communes spéciales et d’en imposer la mention au règlement, dès lors que sont réunies les conditions de leur existence posées par les articles 3, 4 et 6-2 de la loi de 1965, à savoir l’exclusivité de l’usage ou de l’utilité d’une partie de l’immeuble à plusieurs copropriétaires (v., sur cette éventualité, P.-É. Lagraulet, note à paraître ss. Civ. 3e, 8 avr. 2021, n° 19-19.201, préc.).