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Portrait

Arié Alimi, des violences policières aux Gilets jaunes

par Gabriel Thierryle 7 janvier 2020

Portable dans une main, pour filmer la scène, carte professionnelle dans l’autre, Me Arié Alimi fait face à la sécurité privée et à la garde. En cette fin décembre, l’avocat bataille ferme pour faire rentrer ses deux clients dans le palais de justice des Batignolles.

« Vous savez que c’est une pratique discriminatoire ? », demande Me Alimi à l’agent de sécurité. « Il a le droit de venir à son audience », poursuit-il. « C’est le règlement », répond le vigile, appuyé par garde du palais arrivée en renfort.

Le motif du refus ? Le large tee-shirt jaune de Franck. Sur le torse, on y voit la photo en grand format de son visage blessé. Me Alimi s’apprêtait à plaider sa cause devant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions – le jeune Gilet jaune dit avoir été blessé par un lanceur de balle de défense, le 1er décembre 2018 à Paris. Après un détour par l’étage de la présidence du tribunal de grande instance, l’avocat obtiendra gain de cause. Une victoire en demi-teinte : l’audience, la faute à la grève des transports, a déjà été renvoyée.

Après dix-sept ans de barreau, Arié Alimi, un grand gaillard au physique de rugbyman, généralement sans cravate, la faute à un grand tour de cou, et au visage mangé par une barbe de quelques jours, boucle une année 2019 mouvementée. Ce juriste de 43 ans à la tête d’un cabinet de six collaborateurs situé près de la porte de Champerret est devenu l’un des avocats les plus en vue de la crise des Gilets jaunes. « Il y a une forme de sadisme policier et du parquet contre ces personnes qui ne demandent qu’à être entendues par la société », analyse-t-il.

Sa spécialité, la défense de victimes de violences policières

Très investi dans la défense des Gilets jaunes, Arié Alimi reste prudemment à distance. « Je suis l’avocat des personnes interpellées, et avocat et militant quand ces dernières sont victimes de violences policières », corrige-t-il. Un dernier combat cher à l’avocat qui lui a d’ailleurs valu d’être vertement pris à partie par des organisations syndicales de policiers. L’une d’entre elles appellera même sur Twitter, en réponse à un message appelant à supprimer l’inspection générale de la police nationale, « à supprimer les avocats militants ». Pour l’avocat, c’est le signe qu’une barrière idéologique vient d’être franchie. « Nous ne sommes pas en conflit, c’est lui qui semble avoir la haine des policiers », se défend le syndicat des commissaires de la police nationale.

Me Alimi bataille en effet depuis bien longtemps sur la question des violences policières. À force de défendre de petits trafiquants de stupéfiants, l’avocat découvre, dit-il, « des gamins qui sortent de garde à vue la gueule cassée ». Une affaire va être fondatrice pour le juriste. À Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), la saisie en 2010 par la police d’un million d’euros en espèces, cachés dans un mur, se solde par des émeutes. « Les forces de l’ordre, au lieu de s’en prendre aux fauteurs de troubles, s’en sont prises à tous les jeunes », dénonce Me Alimi. Alors que la police intervient pour une bagarre entre bandes, un jeune homme de 17 ans, venu dit-il rendre visite à sa grand-mère, est touché à la tête par un tir flashball. Le jeune avocat s’empare du dossier en déposant plusieurs plaintes. « C’était pour montrer que, par la voie judiciaire, nous pouvions rendre une citoyenneté à des personnes qui, si elles ont théoriquement les mêmes droits, font face à une inégalité policière et judiciaire », se souvient-il.

Inscrit par son père en droit

Le spécialiste de l’usage de la force se destinait pourtant à une tout autre carrière. Ce grand lecteur – on trouve sur sa table de chevet Sur l’État, le cours au Collège de France du sociologue Pierre Bourdieu, Le monde d’hier, l’autobiographie de Stefan Zweig, et Splendeurs et misères des courtisanes, de Balzac – s’inscrit d’abord en médecine. C’est un échec. Arié Alimi est alors inscrit par son père en droit à Assas. L’entrée dans la très chic université du Ve arrondissement de Paris est un choc pour le jeune homme. S’il ne vient pas d’un milieu socialement défavorisé, ce natif de Sarcelles se sent plus à l’aise dans les cités qu’aux côtés de ses nouveaux camarades. « Il y avait peu de gens issus de l’immigration ou de couleur, se souvient ce juriste dont la famille est originaire d’Algérie. Je me suis adapté grâce au réseau associatif et militant. »

À Assas, le jeune Arié Alimi, qui a été scolarisé dans sa jeunesse dans une école Ozar Hatorah, l’un des plus importants groupes scolaires de confession juive de l’Hexagone, prend la tête de la section locale de l’Union des étudiants juifs de France. Ses relations avec l’association se sont depuis nettement refroidies. « Je me sens en partie mis au ban des organisations communautaires, mais cela ne me dérange pas car je pense que mon combat est juste », observe Me Alimi. À l’UEJF, il côtoie Patrick Klugman, désormais élu à la mairie de Paris, et s’oppose à Frédéric Pichon, alors l’un des patrons de l’organisation étudiante d’extrême droite GUD. Double diplôme en poche – magistère de droit des affaires et fiscalité et DEA de droit obtenu à l’EHESS – Arié Alimi fait ses premières armes chez Urbino associés, l’un des cabinets de l’administration fiscale, avant d’ouvrir sa propre affaire. Pour faire bouillir sa marmite, il s’investit dans l’immobilier – les baux commerciaux puis l’immobilier résidentiel. Encore aujourd’hui, c’est ce qui fait tourner les finances de son cabinet. Mais c’est en défense pénale qu’il se fait vraiment plaisir.

L’école des comparutions immédiates

À l’école des comparutions immédiates, Arié Alimi découvre les ficelles du métier de pénaliste. Ses modèles ? Robert Badinter, comme de nombreux confrères. Olivier Metzner, pour la recherche d’irrégularités dans la procédure. Et enfin Me Dupond-Moretti, l’un des plus grands pénalistes de France, un avocat en colère qui a longtemps inspiré Arié Alimi. « J’ai compris qu’il fallait s’arrondir », tempère celui qui, un temps, refusait d’avoir des amis magistrats. « Il y a autant de cons dans la magistrature que chez les avocats, observe-t-il. Il faut repérer l’humanité cachée des juges dans le subtil plissement de leurs lèvres. » La frontière, même si elle a reculé, existe toujours cependant. « Elle s’arrête désormais au parquet, trop dans une posture idéologique », précise Me Alimi. « Je suis aussi partial, mais c’est mon rôle », ajoute-t-il aussitôt. Une action saluée dans son entourage. « Il est opiniâtre et n’hésite pas à se mettre à dos le parquet », confirme Me Raphaël Kempf, l’un de ses proches. « Il est sérieux, solide dans son domaine mais, en coulisses, il est jovial et chaleureux », salue le journaliste David Dufresne. « Les avocats ont un rôle pour porter un discours autre que celui des autorités et il sait de quoi il parle, de manière très empirique », remarque enfin Marion Guémas de l’association Action des chrétiens pour l’abolition de la torture.

Porte-voix efficace, l’avocat présente par contre un bilan judiciaire plus contrasté. Sa première affaire de violences policières à Tremblay-en-France ? « Je ne savais pas encore comment faire, je me suis fait un peu empapaouter », admet-il. L’avocat fait également chou blanc pour Antonin Bernanos, ce militant antifasciste condamné à cinq ans de prison pour l’attaque d’une voiture de police quai de Valmy, à Paris, en mai 2016. « Nous avons fait tout le boulot, mais n’espère pas, il sera tout de même condamné », lui soufflera Me Henri Leclerc avant le délibéré. Enfin, les efforts du juriste n’ont pas payé dans l’affaire Rémi Fraisse, ce militant écologiste tué par la grenade d’un gendarme sur le barrage de Sivens. « Il a remué ciel et terre avec des arguments solides, note un ancien collaborateur. Mais, s’il a de la fougue et n’a peur de rien, je n’ai cependant pas connaissance d’une jurisprudence Arié Alimi. »

Technique

L’avocat a pourtant à son actif de vrais succès, comme le dépaysement de l’enquête sur les violences subies par Geneviève Legay. « Sans l’utilisation de Twitter, et les photos qu’on nous a transmises suite à l’appel à témoins, ce dossier pouvait aller aux oubliettes, indique-t-il. Face au mur de l’enquête, c’est une nouvelle voie probatoire. » À force de croiser le fer contre des policiers, l’avocat a affiné sa technique. « Il faut déposer plainte très rapidement, détaille-t-il. C’est un mécanisme important pour éviter la déperdition de preuves. Cela permet également de couper l’herbe sous le pied du procureur qui va, lui, tenter d’éviter l’ouverture d’une instruction. »

Cette activité débordante, doublée d’un engagement chronophage à la Ligue des droits de l’homme, a éloigné l’avocat de sa passion pour le théâtre, abandonnée il y a huit ans. Celui qui avait joué le rôle du valet dans Mademoiselle Julie, la pièce de l’écrivain suédois August Strindberg, se console désormais en assistant durant les mois de juillet au festival d’Avignon. Discret sur sa vie privée – la presse lui prête une relation avec une ancienne star de la politique, ce qu’il ne confirme ni n’infirme –, l’avocat se prépare désormais à une année 2020 chargée. Les premières affaires de Gilets jaunes mutilés vont en effet arriver en audience. Un « moment charnière » craint par l’avocat. « David Dufresne a une lecture lucide de ce qui est en train de passer avec la police, résume Me Alimi, qui vient de dévorer le livre Dernière sommation. Elle a compris son pouvoir et elle en use pleinement. »

Arié Alimi

Il est l’un des juristes les plus en vue dans la défense des Gilets jaunes victimes de violences policières. Portrait de l’avocat engagé Arié Alimi.